
Après les obféques de l'empereur défunt, on
mettoit fon portrait en cire fur un lit d'ivoire ,
couvert d'un fuperbe tapis brodé d'or , & placé
dans la grande falle du palais. On fuppofoit que
l'empereur lui - même étoit encore malade II
recevoit les vifites des fénateurs & des dames
romaines , qui s'affeyoient à fes côtés , 8c y
demeuroient pendant quelques heures. Les médecins
fe rendoient auffi auprès de l'image de cire,
comme pour êxamiter fa fanté. Ils doimoient leur
avis , qu'on écoutoit fort lerieufement. Cette
farce duroit fept jours ; le huitième 3 le lit 8c
l'image de cire étoient portés dans la place pu-
plique par les principaux fénateurs & chevaliers,
& environnés des grands de Home les plus qualifiés.
On avoit élevé dans la place publique
une grande eftrade de bois , couleur de pierre 3
& décorée d'un périftile brillant d'ivoire & d'or.
On trouvoit au milieu de ce périftile un fuperbe lit
de parade 3 fur lequel on dépofoit l'image de cire.
On chantoit enfuite , à deux choeurs , des hymnes
à la louange du prince défunt. Pendant cette
mufique 3 les dames romaines fe tenoient fous
les portiques. Le concert fini 3 on fe rendoit au
champ de Mars , hors de la ville 3 cette fécondé
proceffion étoit beaucoup plus pompeufe que la
première. On voyoit d'abord paroitre les ûatues
des plus illuftres généraux romains 3 depuis Ro-
muîus ; enfuite des figures en bronze 3 qui repré-
fentoient les provinces foumifes à l'empire romain
3 puis les portraits des hommes illuftres par
leurs vertus 3 ou par leurs talens. Les hommes
qui portoient toutes ces images fur des brancards
ou dans leurs mains 3 étoient efcortés par les
chevaliers romains & par un grand nombre de
foldats 5 ils étoient fuivis par des chevaux de
courfe. On portoit en outre Jes préfens que les
euples tributaires avoient envoyés pour contri-
uer à la dépenfe de cette cérémonie 3 enfin on
voyoit arriver un autel magnifique * couvert d'ivoire
& d'or j. & parfemé de pierreries. Tandis
que la proceffion défiloit.» le nouvel empereur,
monté fur la tribune aux harangues , faifoit l'éloge
funèbre du prince défunt ; 8c quand l'éloge
étoit achevé , on emportoit le lit 8c l'image de
cire que l'empereur fuivoit avec fon cortège. Le
lit étoit porté par les chevaliers romains 3 8c
précédé des principaux fénateurs. On arrivoit
dans le champ de Mars auprès d’un édifice qui
étoit en forme de bûcher , & dont les différëns
étages , diminuant à mefure qu'ils s'élevoient ,
formoient une efpèce de pyramide. C e t édifice
étoit revêtu de magnifiques tapis brodés d'or y
& décoré de figures d'ivoire 3 mais l'intérieur
étoit plein de menu bois fec. Sur le dernier étage
, on voyoit le char doré , dont l'empereur
défunt avoit coutume de fe fervir pendant fa
vie. Les pontifes plaçoient a u . fécond étage
du bûcher le lit de parade avec l'image de cire,
& ils bruloicnt des parfums & des aromates. Le
nouvel empereur & les parens du prince défunt
venoient baifer la main de la ftatue de cire , puis
s’affeyoient fur les lièges qui leur étoient defr
tinés. On faifoit enfuite des courfeS de chevaux
8c de chars. Le nouvel empereur, une torche à
la main , mettoit le feu au bûcher / & les principaux
magiftrats l'y mettoient auffi de tout côté $
la flamme pénétroir rapidement jufqu'aufommet,&
en chaffoi» une aigle q u i, s'envolant dans les
airs, alloit, félon le peuple, porter au ciel l'ame
de l'empereur défunt. Sa divinité n'étoit plus
douteufe : on lui donnoit le titre de divus, Dieu
ou divin : on érigeoit un temple en fon honneur 3
8c on établiffoit des prêtres & des facrifices.
Les impératrices romaines jouiffoient aufli des
honneurs de Yapothéofe 5 la cérémonie étoit la
même que pour les empereurs, excepté qu'au
lieu d'une aigle on lâchoit un paon.
Le feul culte que les rois doivent ambitionne!
elt l'amour & l'ëftime de leurs fujets pendant leur
v ie , 8c la vénération de la polrérité après leur
mort. Henri IV eft bien au - deffus du dieu Alexandre
& du dieu Romulus.
A P PR O V IS IO N N EM EN T P U B L IC , f. m.
C ’eft la provifion de grains , de vivres, de denrées
, raffemblés dans les villes fous l'autorité du
gouvernement pour fournir à la fubfiftance du
peuple.
Les moyens employés à opérer cet approvisionne•
ment ont été long-tems d'obliger les fermiers & les
marchands de garnir les marchés de denrées nécef-
faires, & de ne point fouffrir qu'on les Vendît
ailleurs. On avoit en vue d'en réunir l'abondance
dans un même lieu, afin que chacun pût s'y
pourvoir , fans crainte d'être trompé ni fur la
qualité, ni fur le prix. T e l fut fur cette matière
l'efprit de la plupart des ordonnances qui^ voulant
d'ailleurs empêcher que ceux qui achètent
pour revendre ne fiffent leur commerce au préjudice
du public , leur défendoient d'acheter
avant une heure fixée.
Ces difpofitions ont été changées relativement
aux grains. Par lettres-patentes du 2 novembre
1774 , enrégiftrées au parlement le 19 décembre
fuivant, le roi donne une liberté fpéciale au
commerce de cette denrée, & défend à tous
juges de police & autres officiers de contraindre
à l'avenir aucun marchand, fermier, laboureur ,
& c . à conduire des grains ou farines au marché,
& de les empêcher de vendre ces denrées où
bon leur fembîe. Liberté fage & utile , puifque
le moyen le plus affuré d’approvijîonner une ville
eft d’y laiffer la plus grande liberté au commerce
des denrées.
Nos anciennes ordonnances, relatives aux ap-
provijionnemens publics 3 font une imitation de
celles promulguées fur cette matière chez des peuples
fameux , qu'un refpeét peu réfléchi nous fait
encore admirer , mais qui ne devroient point nous
fervir de modèles, fur-tout en fait d'adminiftra*
tion. Etoit-ce en effet fur la police de Rome 8c
d'Athènes que nous devions régler la nôtre, apres
que le temps nous avoit dévoilé les vices de celle-
c i ? 8c devons-nous fuivre les faux principes & les
vues erronnées du gouvernement républicain ?
Dans les républiques , c'eft-à-dire, dans les
fociétés qui entreprennent d'exercer en commun
les droits & les devoirs de la fouveraineté, l'autorité
fe concentre neceffairement dans les vÜles,
puifque c'eft la réfidence du commun. Selon l'ordre
d'idées & d'opinions qu'établit ce genre de
gouvernement, perfonne n'y eft réputé propriétaire
de l'autorité j nul n'en eft que le mandataire
, ce qui fait une grande différence pour le
refpeét & la force d'habitude. | ;
Là où l'ordonnateur n'eft que magiftrat 8c où j
le public eft fouverain, cet être métaphyfique (le
public ) eft compofé d'une multitude de têtes ,
& chacune d'elles s'attribue extérieurement une
portion de la fouveraineté plus ou moins importante
félon fes idées ; un exemple, quoique pris
dans le genre comique » peut mieux faire fentir
cette vérité.
Quand Arlequin confent à devenir pere de fa- ■
mille, c'eft à condition qu'il mettra le premier
la main au plat. T e lle eft à-peu-près la prétention
de tout membre de la démocratie de ville, j Du pain & des fpe&acles , (panes & cireenfes , )
difoient les romains qui furent 8c feront toujours
les plus fameux des démocrates. A u fli, lorfque
ce peuple civilifé pour la guerre, & belliqueux
pour la politique parvint à fe croire le maître
du monde connu, il faillit que les bleds de la
Sicile, ehfuite ceux de l'Egypte & de l’Afrique,
vinffent nourrir à bas prix , 8c fouvent en diftri-
butions gratuites, ce peuple féditieux qui fe re-
gardoit comme le fouverain de tous les peuples
de la terre, 8c qui n'étoit pourtant que le jouet
de l'intrigue & de l'ambition de fes citoyens,
8c l ’efclave volontaire de fa propre oifiveté.
Cependant ces bas prix ou ces diftributions
gratuites des grains , qui paroiffoient être le fruit
de la follicitude des quefteurs ou de la munificence
des édiles , n'é'toient réellement que le produit
de la rapine 8c de la dévaluation des plus belles
provinces. C e t abus, terrible par fes fuites, entraîna
la ruine de la république &. celle de l'empire
de Rome.
En e ffe t, quand l’empire affaiffé fous fon propre
poids fut obligé de reconnoître des fouve-
rains qui ne purent être que ; tyrans , attendu
que la fouveraineté légitime a fa bafe fur les campagnes
, ces empereurs, pour fe fouftraîre au
joug de la populace , furent obligés de la livrer
à cëlui de la foldatefque 8c de le fubir eux-mêmes
5 tel fut & tel fera toujours le fort de tout
defpotifme , d'être neceffairement efclave de la
populace ou des foldats , d’errer enfuite en
aveugle à travers le dédale de l'intrigue , & de
fe con ta ie r en vains efforts pour trouver, dans
fa politique, les moyens de contenir ou de balancer
ces deux pouvoirs monftrueux.
Les nations modernes, qui fe croient fi fupé-
rieures aux anciennes dans la fcience du gouvernement
, fuivent quelquefois néanmoins d'une
manière bien fervile les erreurs politiques de celles
ci 3 8c ce qui devroit bien étonner, fi l'on
ne favoit ce que peuvent fur l'homme l'opinion
& la routine , c'eft que les mauvais effets paffés
& préfens de cette pernicieufe* imitation ne les
retiennent point. La gloire attachée au nom romain
couvre- à des yeux prévenus toutes les taches
de l'hiftoire de Rome, & l'on eft encore
flatté de faire ce qu'elle a fa it , parce qu'elle l'a
fa it , & qu'on ne penfe pas trouver un plus excellent
modèle. Rome établit l'ufage des appro-
vifionnemens publics : on ne peut faillir en l’imitant.
De ce modèle d'antique république 8c d’abus
républicains, font ainfi dérives tous les approvi-
Jionnemens publics, dont la protection & le maintien
deviennent importans aux yeux des gouver-
nemens , en raifon de ce que ceux-ci tournent
plus ou moins vers l'arbitraire 5 car les princes
vains, inappliqués 8c volontaires, font flattés
par l'arbitraire qu’ils prennent pour la fouverain
e té , quoique, dans le fouverain légitime, ce
ne fo it , pour ainfi dire, que mutinerie d'enfant
& qu'affujettiffement de fa part aux impulfions
de l'intrigue 8c des pallions qui l'entourent. Un
prince mûr 8c réfléchi, qui s'occupe affiduement
des affaires de fon é ta t , fe trouve au contraire
fort heureux de n'avoir qu'à faire ob fer ver des
règles connues 8c refpeétées de topt le monde ,
& de fe donner en quelque- forte pour lieutenans
de l'opinion univerfelle 8c la terreur de ceux qui
fe dérobent à l'ordre. Il ne pofe pas le bien
public fur le détriment de la propriété particulière
, & il n'a garde de bleffer la liberté naturelle
de fes fujets , fous le fpécieux prétexte de
pourvoir à leurs befoins & à leur filreté.
Quand on commence à montrer à un fouverain
légitime la populace & fes émeutes comme
fort à craindre , qu'il fe tienne pour averti qu'on
le préfente au peuple comme ayant deux cents
mille hommes pour fe faire obéir. On le conduit
ainfi, & on l'entraîne vers le malheureux
; état des defpotes d'Afie , q u i, dans les détails,
ne furent jamais fe foumettre à des loix fixes
pour en faire en grand l'appui de leur trône ,
8c qui fans ceffe, entre la crainte des féditions
populaires 8c celle des murmures 8c des attentats
de la foldatefque, éprouvent à chaque inf-
tant des inquiétudes mortelles.
Et qu'on ne dife pas que les empereurs romains
n'ont été fi fouvent la vi&ime des foldats
que par i'inftabilité de la fucceffion au trône ,
& qu'il n'y avoit point alors de famille régnante;
il n'en elt point au monde de fi refpeâée par
l'opinion populaire 8c par le préjugé national &