
choquer & fe heurter fouvent dans leur carrière. '
Tant que les princes formidables font en paix,
ils doivent entretenir Tun avec l'autre des liaifons
extérieures d'amitié, & ne jamais manquer à la
politefle , même lgrfqu'ils font ennemis.Tes arn-
bafladeurs ou autres minières d'un caractère moins
relevé, qu'ils s'envoient mutuellement, font chargés
d'entretenir cette harmonie & cette correfpon-
dance d'amitié politique j & , dans , les temps de
guerre, il eft de leur intérêt de ne jamais perdre
de vue les égards qu'ils doivent réciproquement
à la majefté de leur rang & de leur caractère.
Plufieurs miniftres fe font .applaudis d'avoir ménagé
des entrevues & des vifites réciproques entre
des monarques ; mais l'expérience a dû leur
apprendre que ces fortes d'entrevues;ont rarement
produit un bon. effet j qu'elles ont prefque toujours.
été fuivies de la;défunion & de l'inimitié, des
deux princes> que le fpeêtacle de la grandeur d'un
roi ennuie bientôt l'autre , qué la jaloufîe, l'intérêt
& toutes les pallions font trop fortement agitées
dans ces auguftes perfonnages lorfqu'ils fe
parlent ; :& qu'enfin les intérêts des grandes puiffances
demandent à être difcutées par’ des miniftres
avec beauceup de flegme & de fang-froid. Au
refte, il faut ohferver que fl les négociations, qui
ont lieu dans les entrevues de deux princes, ont
moins de fuccès que les négociations entre leurs
miniftres , les voyages de pplitelfe ou de curiofité
qu'ils fe font réciproquement dans leurs états- reft
peétifs, font .en général fuiyis de quelque bien
pour leurs peuples. -
Un petit prince ne doit pas blelfec la vue des
grands, ni ruiner fes fujets par une magnificence
royale , ni par une dépenfe excelfive. Ceux' qui
multiplient autour d'eux les charges, & cet appareil
d'une foule inutile de courtifans, éprouvent
tôt ou tard les effets d'une, fi mauvaife conduite.
D'abord une vieille tradition ne permet pas
aux petits fouverains d'établir à leur cour , dans
leurs troupes & dans leurs bureaux, toutes les
charges que donnent les monarques. Ils peuvent
avoir des confeillers , mais non pas des miniftres ;
des généraux , & non des maréchaux d'armée j
, des marçchadx de cou r, & c . & non pas des
chambellans, des grands maîtres de cérémonie ,
des introduéieurs d'ambaffadéurs , & ainfî du refte.
Enfuite leurs revenus étant bornés , & fouvent
très-bornés, ils ne fauroient donner à tant de
monde des appointemens proportionnés aux titres.
Ils peuvent avoir une garde pour leur perfon-
n e , quelques troupes, .& des milices difpêrféès
dans le pays, pour faire re fp e ê té r les loix, main-,
tenir la police & réprimer l'audace des vagabonds
& des voleurs. Mais , s'ils veulent entretenir des
armées, leurs troupes font à charge au peuple ,
& elles ne tardent pas à le ruiner. La fa g e ffe leur
recommande de s'attacher, par préférence, à l’une
des grandes puiffances voifînes fans néanmoins
heurter de front aucune des autres. Leur conduit^
envers les monarques doit être fagé, mefurée ?
circonfpeête, toujours attentive, pleine d'adreffe.
11 ne leur convient pas d'affeéter de la hauteur ,
ou des airs d'égalité j mais il ne faut' pas non plus
qu'ils rampent, & qu'ils fe dégradent par une
aveugle foumiflion.
T ous les princes puiflans" ou foibles font
hommes , & membres de la fociété civile >
& fous cés rapports on ne peut les confidérer
que comme des citoyens privés. Leurs allions
particulières font des a êtes purement civils, des
engagemens, & des contrats de la même nature
que ceux des particuliers, & pour lefquels on ne
doit leur prefcrire que des maximes puifées dans la
morale & dans les principes de la prudence ordinaire.
T els font leurs mariages , F éducation de leurs enfans ,
leurs tejlamens i /'ordre de fuccejjton établi dans leur fa-»
mille y l'établi(fement de la tutelle , les contrats, &c.
mais comme leur propre bonheur & celui de leurs
peuples, dépendent en grande partie de la fageffe
des mefures qu’ils prennent fur ces divers objets,
la politique peut leur donner quelques confeil-s
utiles, en biffant au droit civil, au droit public
au droit naturel & au droit des gens, le foin d'établir
ce qui eft jufte en chaque rencontre.
Ce qui a rapport à la communauté des biens ou
à la propriété particulière de chacun des deux
époux, eft régie dans tous les pays par les loix
fondamentales de l'état : ainfî le roi a&uel de Portugal
n'eft pas à proprement parler roi, mais
mari de la reine. Ainfî le prince George de Dane-
marck ayant époufé la reine Anne d'Angleterre,
ne fut pas roi d'Angleterre : elle le créa duc de
Cumberland , comte de C.ancang & baron d'O-
bingham ; il prêta, en cette qualité, foi & hommage
à la reine fon époufe., & fe plaça par-là au
rang de fes vaflfaux. Il renouvella fon ferment de
fidelité, lorfque dans la fuite, il obtint le brevet
de grand-amiral d'Angleterre.
Les teftamens des princes ne manquent guêres
d'exciter des troubles, & ils exigent de grandes
précautions. A juger rigoureufement, les fouve-
rains pofsèdent peu de chofes dont ils puiffent dif-
pofer à leur fantaifîe; Ils tiennent leurs états ou
par droit de fucceflion, ou par droit de conquête.
Dans le premier cas, ils n'en fçauroient -difpofer
que d?après le principe qui les à mis en pofleflion,
& qui forme leur titre; & dans le fécondil n'y
a jamais de conquête fi abfolue, que le conquérant
ne fe faffe prêter foi & hommage par fes nouveaux
fujets : cette reconnoiffance de fouverai-
neté fuppofe prefque toujours en faveur des peuples
qu'on les gouvernera félon leurs loix ; & fl
cela n'étoit point, le lien qui en réfulte ferois
rompu'par la mort du prince, dès que la force ne
les affujettiroit plus. La domination d'un prince
eft toujours fondée fur le eonfentement ou exprès
ou tacite 4e b nation. Il en eft de même .des
biens ou des terres domaniales, qui ayant été une
I fois'incorporées au foud de l'état, appartiennent;
dès Tors
dès-lors au corps de la nation, & ne fauroîefit
être aliénés fans fa volonté : ce font les contributions
des peuples qui ont auffi formé le tréfor
public ; & à la rigueur un prince n'en peut
aifpofer à fon gré & à leur dommage, fans commettre
une injuftice. La feule exception qu'on
puiffe admettre ici, eft à l'égard des biens, terres
ou domaines allodiaux, que le fouverain a obtenus
par un héritage étranger, & fur lefquels il
s'eft réfervé exprefiement une liberté entière, en
ne les incorporant pas à fes autres états ; car l'incorporation
donne à la nation, une forte de droit ;
•& un prince ne peut changer à tout moment fa
volonté, fur-tout à l'article de la mort, où il eft fi
facile de le féduire, ou de le faire agir par foi-
bleffe. ■ ,
Nous indiquerons dans un autre endroit (i)les
avantages que procurent aux princes & aux peuples
le- droit de primogéniture , admis univerfelle-
ment dans tous les pays de l'Europe, & l'ufage
de donner des apanages convenables aux princes
& princeffes des maifons régnantes. Cet ufage n'a
rien de contraire à la plus févère juftice ; & tout
fouverain qui entreprendra de donner à fes def-
cendans des portions égales de fes domaines, commettra
une grande faute contre la politique ; car,
fi ce partage a lieu durant plufieurs générations, le
patrimoine des derniers princes fera trop modique
: ils fe trouveront prefque réduits à l'état
des particuliers, avec un -nom & un titre qui leur
feront à charge. On fuit pour l'ordre de fuccef-
fion les principes du droit civil, qui établit fort
clairement les degrés de proximité & d'affinité.
Mais lorfqu’une maifon régnante fe trouve abfo-
lument éteinte, il femble que le dernier prince ne
fçauroit difpofer de fes états par un teftament,
fans le eonfentement de fes fujets ou des états du
pays, qui femblent être rentrés dans leur condition
naturelle, & dans le droit de fe choifir un
maître. L'hiftoire offre beaucoup d'exemples con -
traires, mais il ne s'agit pas ici d'établir des principes
d'après des faits, on veut les établir d'après
les notions du droit naturel & du droit des focié-
tés. On ne peut envifager la fameufe pragmatique-
fan&ion de l'empereur Charles VI comme un fim-
ple teftament ; car i°. ce prince difpofoit de fa
riche fucceflion en faveur de fa propre fille, &
d'une princeffe adorée de fes peuples ; 2°. elle
étoit approuvée généralement par tous fes fujets ;
&: 3°. c'étoit une Conftitution folemnelle très-ancienne
& garantie par prefque toutes les puiffances
de l’Europe.
Dans les gouvernemens ariftocratiques , les
chefs de la république, & les membres du fénat,
font revêtus de la fouveraine puiffance : ils prennent
la place des fouverains ; & ils peuvent caufer
le bonheur ou le malheur des citoyens par leur fa-
gefle ou par leur ineptie, par leur bonne ou leur
mauvaife conduite politique. Leur adminiftration
eft fubordonnée aux règles générales de l'économie
politique. Mais comme leur pofition eft délicate,
que chacun d'eux fe trouve dans une efpece
de fituation bifarre, qu'il eft moitié fouverain &
moitié fujet, il en réfulte des rapports & des maximes
de conduite, dont le développement nous
méneroit trop loin, & qui n'appartiennent pas
même au fond de la matière que nous traitons.
Les républiques doivent appeller au fénat des
hommes mûrs, mais non des vieillards fans vigueur,
fans activité, d'une humeur chagrine, qui
font trop tard.leur apprentiffage, & dont on ne
peut attendre de longs fervices. Il y aura toujours
aflez de vieillards au eonfeil pour tempérer la fougue
ardente des jeunes fénateurs, au lieu que, fi
T'élection tombe fans cefle fur des perfonnes âgées,
le fénat ne fera plus compofé que d'individus d'un
caractère foible ; fes réfolutions feront molles, timides
, trop circonfpeétes, & l'exécution manquera
de vigueur & d’énergie : quoi qu'en aient dit
certains auteurs, ce n'eft que dans l'intervalle de
1 âge viril à la vieillefle que l'homme peut être
bon père de la patrie.
Les affaires qu'on appelle étrangères, font trop
délicates, & demandent trop de fecret, pour
être traitées par tout le fénat ou par le grand con-
feil ; il eft jufte d'établir un comité fecret s com-
pofe d un petit nombre de députés permanens du
fénat & de quelques-uns des principaux miniftres
de la republique (2).
On fent bien que la conduite politique des diverses
républiques, ariftocratiques, ou démocratiques
, envers les autres fouverains, doit être conforme
au degré de leur puiflance. Les républiques
de Lucques & de S. Marin ne peuvent parler fur
le même ton, & fuivre les mêmes maximes que
lesProvinces-Unies, Venife, ou les Treize-cantons
fuifles. Mais quelque formidables qu'elles foient,
quoique l’Europe leur ait accordé le rang des rois*
il ne leur eft jamais permis de perdre de vue le
refpeét qui eft dû aux têtes couronnées. Les chefs
de la république de Hollande, avant la guerre de
1672, commirent une grande imprudence , lorfqu'ils
tolérèrent les railleries , les fatyres, les médailles,
les libelles & les traits cauftiquesde leurs
fujets contre Louis XIV. Ce monarque irrité envahit
la Hollande, & lui caufa des dépenfes énormes.
Les républiques grandes ou petites , doivent
aufli fe traiter mutuellement avec beaucoup de
confidération, & fe donner réciproquement tous
les fecours dont, elles ont befoin. Le danger où
elles fe trouvent toujours expofées de la part des
(1) Article Primogéniture.
(a) Comme le grand penfionnaire & le greffier en Hollande» 8cç#
QEcon. polit* & diplomatique. Tom, / . K k k k