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même voiture des fardeaux énormes , qui ne pou-
voient manquer de les détruire en peu de temps.
Elles économifent. & facilitent leur entretien 3 8c
font defirer qu’on porte un oeil exaCt 8c fevere
fur leur obfervance f car le marchand qui ne voit
que fon bénéfice particulier , fera toujours tente
d’outrepaffer la mefure des charges pour s affurer
quelques bénéfices fur leur tranfport. fous nos
chemins font ou pavés, ou conftruits en chaufiee
d’empierrement ; il paraît que l’expérience a fait
préférer les chauffées pavées pour les* routes infiniment
fréquentées. Mais 3 quoiqu’on ait porte la
plus grande économie dans leur entretien , 8c qu il
fe fane réellement à très-bas prix 3 la conftruCtion
des chauffées d’empierrement & leur entretien font
moins difpendieux 3 8c d’autant moins cju on ne
trouve pas par-tout le grez qui feul paroit pouvoir
fournir un pavé folide. On le taille en general
quarrément , 8c chacun de fes côtés a de 7 à 9
pouces de longueur. Plus grand, il fatigueroit les
chevaux auxquels il offrirait une fur-face trop large
, trop liffe, fur laquelle ils glifferoient très-dan-
gereufement pour eux 8c pour leurs cavaliers. Ce
principe eft très-jufte 8c bien préférable a ceux
qui dirigeoienf les romains 8c les péruviens, lorl-
qu’ils employoient des pierres depuis cinq jufqu a
dix pieds pour paver leurs chemins^ qui par ce
moyen, durant les grandes chaleurs, comme pendant
les fortes gelées , dévoient être à-peu-près impraticables
3 & ne pouvqient d ailleurs fe^ reparer
ni à fi petits frais 3 ni avec âutant de facilite que
les nôtres. . . v
On a commencé d’affujettir nos chemins a une
mefure commune. Déjà tous ceux delà généralité
de Paris font ornés, de mille eh mille toifes , d’une
colonne tronquée d’ordre tofcan , timbrée ^ d une
fleur de lys & d’un chifre qui indique fa diftance
d’un point central pris dans la capitale. Chaque
demi' mille eft défigné par un cône tronqué , 8c
chaque quart de mille par une pyramide tronquée.
Ces colonnes milliaires auront, outre le ^mérite
d’orner les routes , le très-utile avantage d’en déterminer
lés mefures de maniéré que l’adminittra-
tion dés poftes ne puiffe être trompée par des
maîtres de pofte avides , qui, pour obtenir la taxe
d’une demi-pofte de plus, peuvent trouver des arpenteurs
complaifans à appuyer leurs demandes fur
des procès-verbaux & des toifés également infidèles.
N , •
Là France a , dans ce moment , près de 600
lieues de routes, fur lefquelles font établies des
poftes. Ainfi l’on peut eftimer quelle entretient
pour ce fervice public 2000 bureaux, 20000 chevaux
8c 6000 poftillons i elle peut encore augmenter
fes routes de pofte d’environ 4000 lieues.
Alors l’adminiftration des poftes ,y comprendrait
environ 5200 bureaux, 320001 chevaux 8c $000
poftillons. Si l’on ajoute aux grands chemins parcourus
par les ? poftes ceux fur lefquels .on ne
trouveras leur commode établiffement, il eft Yrai-
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femblable qu’aujourd’hui le royaume contient près
de 12000 lieues de grands chemins-, 8c probable
qu’avant la révolution d’un demi-fiecle il en contiendra
près de 1S00Ô. Ainfi la France feule aura
exécuté chez elle, dans l’efpace de deux fiecles >
un tiers plus de chemins que les romains n en eurent
dans leur immenfe empire 5 8c , a raifon de
la différence de largeur des uns 8c des autres ,
elle aura fait trois fois plus d’ouvrages qu eux ,
& , ofons le dire*, elle laiffera dans ce genre des
moniimens inconnus aux romains, 8c qu ils auraient
admirés. ' , , .
Pour bien fentir la reconnoiffance qu on doit
aux adminiftrateurs qui fe font occupes des c e-
mins 3 il faudrait, rétrogradant de fix ou fept
fiècles, fe reporter à ce temps où un homme en-
treprenoit un voyage de 40 lieues avec plus de
difficulté qu’on ne part maintenant pour 1 Amérique
ou pour les Indes. Un particulier aife voyage
aujourd’hui avec plus de^ commodités , plus de
luxe*, que les anciens maîtres du monde, que les
Céfars, malgré leur fortune 8c leur pumance ,
n’en purent jamais avoir. En effet , n monte &
fe renferme dans une berline dont 1 intérieur elt
meublé comme un riche appartement, 8c dont
l’extérieur, refplendiffant de l’éclat des vernis 8c
de la dorure , efface tout ce qu’on nous raconte
de la richeffe des anciens chars de triomphe les
plus fomptueu’x 5 il y repofe fur les couffins de
la molleffe } il y eft à l>bri de toutes les variations
de l’atmofphère, 8c cependant les glaces
qui l’entourent lui permettent de jouir, comme
s’il étoit à cheval 8c en plein air, du fpectacle de
la nature & de la vue. de\ces pays qu il traverle
avec une rapidité qui en varie tellement les afpects,
qu’on dirait prefque qu’elle les multiplie uniquement
pour écarter l’ennui de notre voyageur. Les
raiforts furvlefquels eft fufpendue fa mobile mai-
fon d’or 8c de glaces, ne lui laiffent point fentir
ce que les chemins peuvent avoir de rude ; les cahots
, les fecouffes, tou# vient s egarer 8c fe perdre
dans les feuilles élaftiques qui les compofent,
afin dJépargner à notre moderne fybarite 1 impref-
fion d’un mouvement un peu brufque^qu il accu-
feroit fans doute d’être ùne fenfation vraiment
douloureufe. Une cavalerie nombreufe, qui parcourt
fans celfe les chemins pour en maintenir la
police 8c la fureté, lui donne la liberté d y courir
fans crainte, fans danger, & le j°ur & g? nult*
Il eft fur d’y trouver de diftance en diftance tops
les hommes, tous les chevaux dont il a befoin.
Pour s’éviter l’ennui d’attendre au relai,.les courriers
qui le précèdent l’annoncent d avance, 8c il
arrive quand tout eft préparé, pour qu il continue
fa route fans délai. S’il charge ia ro u te îans a c ia i. yj « fon -c-o--u- rA rier ,d er f.o. lder
les frais de pofte, il n’a pas meme befoin
d’être averti qu’il voyage } 8c a peine pourroit-11
s’appercevoir qu’il a franchi d’immenfes^ etenduès,
fi les différens afpeéts de la nature que fon oeil
contemple ne lui prouvoient qu’il a change d ho-
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rifon. Court-il pendant la nuit , 8c le fommeil
. vient-il demander à fes fens le tribut du repos
qu’ils ont accoutumé de lui payer, il peut fatif-
faire ce maître, ce befoin impérieux} la douceur,
la foupleffe des mouvemens de fon char ne lui permettront
pas de fe douter qu’il ne foit pas dans
fon lit : veut-il veiller tandis que tout dort} il
allume fes'lanternes, fes reverbèilës, 8c voilà qu’il
éclaire le chemin que fes courriers ont à parcourir,
& qu’il peut jouir lui-même de cette lumière dans
fa voiture qu’elle échaufferait au befoin. Il y brave
les hivers 8c leur froidure} il a cent moyens dy
fixer l’air à la température qui lui plaît} d’autres
relfources s’offrent à lui contre les' brûlantes ardeurs
de l’été, 8c il fait s’y procurerun air frais
lors même que l’horifon qu’il franchit eft embrafé
de tous les feux du midi. Un long trajet enfin n’eft
guères plus pénible pour lui que 1’aCtion de paffer
lorfqu’il eft dans fa maifon, d’un appartement dans
un autre. Tout ce qui peut dans un voyage lui
faire fentir agréablement fon exiftence, l’accompagne
8c le fuit : eft-îl blafé fur le fpeCtacle éternel
, quoique mobile, des payfages,- il prend un
livre 8c lit : eft-il obfervateur & veut^il fe rendra
compte de ce qu’il voit ou de ce qu’il penfe, il
écrit tandis que fon char vole. Sa toilette, fa
garderobe , fa’ cuifine, fa bibliothèque, fes armes,
fes inftrumens de mufique, tout ce qui lui eft
utile, néceffaire ou agréable, tout ce qu’il aime,
il peuU'avoir avec lui, près de lui. Riep ne lui
manque enfin , s’il a fu donner à fes côtés une
place à la femme que fon coeur chérit.
Voilà certes des jouiffances que les romains ,
que les maîtres même de ces dominateurs du mon-
dï, qu’Augufte 8c Livie .n’ont pu jamais fe procurer.
Voilà les effets d’une police nouvelle, d’une
civilifation plus parfaite, d’arts infiniment perfectionnés
, qui lui furent toujours inconnus. Voilà
ce qui frappe nos yeux fans ceffe, 8c ce que nous
ne confidérons pas affez, quand nous voyons journellement
nos concitoyens partir de Paris pour Rome,
Londres , Madrid, Berlin, Vienne ou Pé-
tersbourg } & voilà ce qu’on nous ferait remarquer
8c admirer jufqu’à fatiété , fi c’étoit les anciens
auxquels on pût attribuer ces prodiges de notre
induftriè. ,
Des écrivains fyftématiques , dont les idees ont
eu long-temps une très-grande vogue , & qui con-
fervent encore quelques partifans, ont voulu dif-
fuader le public de Futilité des grands chemins :
nous nous bornerons, pour toute réponfe à cet
étrange paradoxe, à leur faire voir que des chemins
folides 8c bien entretenus font plus utiles à un
état, lui procurent de plus grandes richeffes, une
plus grande fureté, d«s moyens de civilifation plus
prompts que des chemins mauvais ou mal entretenus.
Prouver les avantages des^ premiers fur les
féconds, c’eft démontrer fans réplique l’utilité des
chemins : ceux qui pourraient encore la regarder
comme problématique, feront peut-être çonvain-
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eus de leur erreur, lorfqu’ils auront vu les avantages
immenfes qui réfultent pour un état de la
facilité qu’ont toutes fes parties de communiquer
entr’elles.
Si l’on pouvoit fuppoferun pays qui manquât
abfolument de chemins 3 il eft clair qu’il faudroit y
confommer les denrées dans , le lieu même de leur,
naiffançe, 8c qu’il y aurait impoffibilité de faire,
aucun échange de leur fuperflu. Si ce fuperflu de-
venoit inutile, .on ne femeroit que ce qu’il faudroit
pour que la terre rendît uniquement ce qui ferait
néceffaire à la fubfiftance de chaque individu.
Un tel pays n’auroit ni villes, ni arts, ni manu*:
factures , ni commerce, ni civilifation : mais que
des chevaux puiffent feulement être chargés de denrées
& conduits à un lieu d’affemblée commune,alors
fe raffembieront dans ce lieu des individus qui, fans
cultiver la terre, s’adonneront aux arts, & les productions
de ces arts feront données aux cultivateurs en
échange des denrées qu’ils feront naître 8c dont les
artifans devront fubfîfter. Les colons augmenteront
donc leur culture, & l’augmenteront fans craindre
de. voir perdre les fruits dé leurs récoltes. Suppo-
fons que des chemins foient ouverts entre toutes les
villes déjà formées 8c les campagnes qui les font
vivre, que les voitures foient inventées, alors 1a
facilité de tranfporter de plus grandes quantités de
bled à moindres frais, fournira aux habitans des
villes des denrées à plus bas prix : leur population
augmentera avec la plus grande facilite de’ fubfif-
ter} la population augmentant, affure le débit des
denrées 8c amène néceffairement leur plus grande
réproduélion. Si des provinces peuvent enfuite
communiquer entr’elles , àficune ne craindra de fe
voir furchargée de récoltes inutiles, quand celle
qui en aura d’abondantes pourra les verfer dans les
marchés du pays qui aurait eu le malheur d’en
avoir d’infuffifantes. Suppofons maintenant que
notre peuplade puiffe communiquer par des chemins
, des rivières,. des canaux ou des ports avec
les nations étrangères , & qu’une d’elles manque
des denrées néceflaires à fes befoins quelconques
, on doit voir que nos colons 8c nos citadins
pouvant lui porter le fuperflu de Jeurs denrées de
toute efpèce, en recevront en échange, ou des cho-
fes dont ils manqueraient ou de l’argent , 8c
qu’ainfi leurs inutiles denrées exportées leur auront
fourni une valeur qui augmentera la fomme
de leurs jouiffances, ou. qu’ils appliqueront à faire
renaître une plus grande quantité de productions.
Tous les échanges, foit entre fujets, foit avec les
étrangers, accroiffent la maffe des richeffes nationales,
en procurant des valeurs nouvelles 8c
une plus grande réprodu&ion ; car il n’eft point
de peuple dont le commerce pût ou voulût conf-
tamment donner plus pour' recevoir moins, & le
but général du commerce eft toujours de donner
moins pour recevoir plus. Si l’on nioit la généralité
de ce principe, qui me paraît vrai dans toutes
l fes branches , quoique fufceptible d’une foule de
S ff 2.