
payées des deniers publics. Si perfonne n’étoit
exempt de contribuer à l'impôt, dont le produit
payoit la façon des chemins , il fera , je crois ,
prouvé que, fous le gouvernement des romains ,
il n’y avoit point de franchifes à cet égard, quoique
ce gouvernement eût audit fes pontifes, fes
augures, fes fénateurs & fes chevaliers.
L ’an 580, les ouvrages pour paver Rome &
réparer les chemins furent adjugés au rabais , &
conféquemment payés. Quand l’Italie, foumife a
Rome, participa aux bienfaits comme aux charges j
de la republique, les. chemins y devinrent une
dépenfe commune, payée par tous les citoyens.
Les romains diftinguoient deux efpècés de contributions
d’oeuvres ou de deniers 5 les unes for-
dides, les autres honorables : les héritages des chefs
de la république & des fénateurs étoient exempts
des premières ; mais les travaux des chemins étoient
déclarés oeuvres nobles & honorables, & aucune
perfonne, fans exception quelconque , n’ en étoit
exempte. Voye£ fur cela Tac ite, Dion, Tite-Livè,
Suétone., tous les hiftoriens romains.
Les pays de conquête étoient différemment traités :
les chemins s’y faifoient de l’ordre des romainsg
par leurs légionaires, par les peuples vaincus, par
les ouvriers pris parmi ces peuples | & par les
malfaiteurs. Il femble que la totalité du 'peuple
vaincu étoit foümife à cette corvée ; cependant,
comme on le verra ci-après, les grands parmi les
nations foumifes n’y coopéraient qu’avec leur ar-
. gent 3 tandis que le reftey fourniflbit fon argent &
fes bras : c’eft ce fyftême que les françois ont en
grande partie fuivi. Leur gouvernement mérite plus
fans' doute d’ être admiré, quand il s’occupe des
moyens de détruire la corvée, que lorfqu’il traitoit
fes fujets précifément de la manière dont les romains
faifoient les malheureux peuples qu’ils avoient
vaincus.
Rome détruite, Rome tombée fous le joug de
fes premiers citoyens devenus fes empereurs, ne
changea rien à fon ancienne adminiftrationdes
chemins : on remarqué feulement que fes maîtres
.eurent quelquefois l’attention de payer de leurs
propres deniers ces dépenfes publiques. .
La révolution qui changea le liège de Fempire
ne put changer à cet égard les anciens principes.
Tous les propriétaires, fans diftin&ion, continuèrent
de contribuer à la confection des chemins.
Malgré Pexceflive protection que les premiers empereurs
chrétiens accordèrent au clergé, fes biens
ne furent point exceptés de la loi commune : les
ordonnances d’Honorius , de Théodofe, d Arca-
dius en font foi. Ces loix portent formellement
«e que les chemins font des ouvrages nobles, dont
-»> nulle condition d’homme ne pourra fe dire
« exempte, & que l’ eftime qu’on faifoit de ces
»» ouvrages étoit tirée des fiècles précédens & de
t* la vénérable antiquité Çes loix n'étoient pas
des ordonnances pour une feule province j elles
dévoient être lignifiées, aux magiftrats dans toute
l’étendue de 1’empire,-, afin qu’ils les filfent exe-,
cuter. Un article d’une loi relative aux chemins
eft ainli conçu : « Voulons que les biens d’un cha-
*> cun contribuent à la réparation des chemins
» publics de la Bithinie, & des autres pro-
« vinces de l’empire, à raifon du nombre d’hom-
*> mes, de beftiaux, & c .» . 1 it. flacc. lib. 2. Tout-
le monde contribuoit donc aux chemins 3 & chaque
province non-feulement pour les liens 3 niais
encore pour ceux des autres provinces de l’empire.
Au renouvellement de l’empire d’Occident, le
fage, le puiffant Charlemagne ne changea rien à
l’ancien fyftême. Vous trouvez dans fes capitulaires
, fi fouvent publiés dans les alfemblées de la
nation, qu’il u’ excepte aucuns biens de la contribution
aux chemins , pas même les biens & héritages
de l’églife, qui en effet y font encore alfu-
jettis par diverfes coutumes.
Où donc elble titre de cette prétendue franchife
de la noblelfe ? On voit qu’il ne peut remonter
à~ces époques. Faudra-t-il le chercher , & l’au?
ra-t-elle acquis durant l’anarchie du gouvernement
' féodal dont il feroit digne ? quand l’ef-
prit de domination particulière avoit étouffé tout
efprit public ’ > lorfque la • France n’étoit habitée
que par un petit'nombre de maîtres &v des troupeaux
d’efclaves , il eft pofiîble que des def-
potes fubalternes fe foient fouftraits avec leurs
biens à ce devoir général de faire. & d’entretenir
les chemins 3 pour y aflujettir feulement les vilain?
auxquels ils avoient bien voulu laiffer la vie en
i ufurpant leur territoire. Mais ces abus, nés d’ abus
plus monftrueux encore, nous feront-ils donnée
aujourd’hui comme des droits imprescriptibles ?
Suffiroit-il d’alléguer le titre d’une longue poffeflion
pour rendre légitime une injuftice ? & peut - on
prefcrire contre les droits immortels de fa nature -
& des hommes, droits antérieurs à tous ceux dé?
rivés de la force, de l’ ufurpation ou de la poffef-
fion,? La fageffe .du gouvernement romain, les
loix-connues des empereurs, celles de nos rois ne
parleront-elles pas plus haut que des coutumes
abufives & barbares ? La nobleflfe pourroit-elle fè
croire avilie par .cela feul qu’elle pajeroitpour
avoir des chemins ? Les confuls, les fénateurs de
Rome"';, qui le crurent toujours , & qui furent
long-temps les égaux des rois , n’ont jamais penfe
qu’une contribution utile à la patrie put les,, avilir.
Quels droits prétendrait donc la nobleflfe ?
& fur quoi les fonderoit-elle ? Si dans des temps
où. toute règle étoit intervertie elle ayoit pu
s’en former, leur origine feule dépoferoit contre
leur validité ; mais heureufement nous n’avons, pas
même à détruire pour l’obliger , à entrer pour fa
quotité dans la confection des chemins : la plus
Taine & . la plus nombreufe. partie de cet ordre
çonnoît trop bien fes devoirs de citoyen pour s’y
refufer ; en effet, la noblelfe y participoit fans réclamation
avant la fuppreffion- des corvées > elle y
participe* encore fans murmure dépuis leur réta-
blilfement. Ce n’eft pas le noble qui perfonnelle-
ment peut travailler aux chemins ; le bourgeois privilégié
n’y travaille pas davantage 5 mais les fermiers
des uns & des autres ne font-ils pas cet ouvrage ?
Si ces,fermiers tiennent leurs biens à moitié, &
qu’ils fourniflfent aux chemins leurs beftiaux , leurs
voitures, dont la moitié appartient à leurs maîtres
, ces maîtres ne font-ils pas dans cette contribution
pour leur contingent ? Si un cheval meurt
à la corvée n’en perdent-ils pas . la moitié ? Si la
corvée' enlève à leurs fermiers trop de jours ouvrables
, . cette perte n’eft-elle .-pas fupportée en
partie par leurs maîtres, puifque, pouvant donner
moins de temps au travail des terres , leur
produit qu’ils partagent avec eux s’affoiblit en
proportion ? Qu’on ne croie pas que ce revenu ne
diminue que dans le,-cas oùle fermier partage la
production avec le propriétaire 5 il s’affoiblit peut-
etre dans un autre rapport, mais toujours s’affoi-
blit-il lorfque le fermier loue fa terre à prix d’argent
5 car moins il en pourra tirer de revenu -,
moins il en, pourra donner au propriétaire. Si
donc il eft évident que la corvée eft un impôt
que le colon partage, dans quelque rapport que
ce foit, avec le propriétaire, il faut bien -conclure
qu’en qualité de propriétaire, la nobleflfe
payoit & paye encore fa quotité du travail des
chemins. En fupprimant, la corvée gratuite , &
créant en fa place une taxe fur les terres, on ne
changerait, donc rien à ce qui exifte actuellement 5
on améliorerait le fort du propriétaire en améliorant
celui du cultivateur, & la noblelfe ne. payerait
de cette façon que ce qu’elle payoit de
l’autre, à cette feule différence près que le nouvel
impôt feroit direct ,, quand la corvée n’eft
qu’une taxe indirecte 5 mais l’impôt direCt, on l’a
prouvé, .feroit infiniment moins cher que la taxe
indireCte.
• Nous avons vu que, fous les empereurs chrétiens
& fous Charlemagne même , les.biens de
l’églife étoient alfujetti? aux contributions pour les
: chemins. Ou donc trouver le titre formel de leur
exemption prétendue ? On conçoit fans peine que
le clergé , fous un gouvernement foible, ait pu
parvenir à faire déclarer exempts de cette charge
publique les biens dont on dorait l’églife 5 mais
î’a-t-on. fait ? Recourons doric au. titre de ■ cette
franchife j s’il peut y en. avoir un. Les biens du
clergé tireraient - ils cette prérogative de - leurs.
Eôflfeffeurs ? ils n’ont pas le droit delà donner.
eur viendrait - elle:, de la munificence de nos
rois ? Ils,, auraient certes .le droit de revenir
contre une femblable libéralité.. L’églife ne. pouvant
montrer',' potir fes' biens , de titre légal de
cette exemption, cette queftion fe réduit à examiner
fi le'fouverain a le droit d’impofer fur fes biens
pne taxe dont le produit eft immédiatement applique
à un objet d’utilité publique , & doit fervir
à augmenter la valeur du bien de fes fujets, &
çonfequemment ceux du clergé : ainfi pofée, je
doute que cette queftion ait befoin d’ un examen
approfondi. Nos princes chargent de penfions une
abbaye, un évêché , & le confèrent avec ces charges
, fans qu’aucun de ceux qui en font pourvus
aient le plus léger fcrupule, je ne dis pas regret,
de les recevoir ainfi allégés >. à plus forte raifon le
roi pourroit-il aflfigner une fomme à prélever fur
ces biens, comme contribution aux chemins• publics
, qui ne leur font pas moins utiles qu’aux autres.
Les immunités eccléfiaftiques font inhérentes
aux perfonnes revêtues du facerdoce ; le feraient-
elles, peuvent-elles l’être à des poflfeffions territoriales
, qui pour leurs -polfelfeurs font viagères,
amovibles, & toujours un don gratuit de la part
du collateur, quelques charges qu’il leur ait im-
pofées. La translation de ces biens à l’églife les
auroit-ellè changés de nature ? ne feroient-ils plus
dans l’é ta t, & ne lui devroient-ils rien ? Le don
gratuit du clergé , impôt réel, fous un nom qui
n’en impofe plus, nous prouve affez que ce corps
eft trop citoyen pour avoir de femblables idées.
Par quelle bizarrerie refuferoit - il aujourd’hui le
prix d’une taxe qu’il n’a jamais ceffé de payer ,
puifque fes fermiers, comme ceux de la noblelfe ,
n’ont été nulle part exempts delà corvée, & que
fournir leur travail, leurs beftiaux, &c. ou l’ argent
de leurs maîtres e ft , dans le fait, abfolu-
ment une feule & même chofe ? ■
Un exemple moderne prouve combien font juftes
aujourd’hui les idées du gouvernement, & combien
il fait mettre à leur valeur des prétentions
abufives. En C o r fe , où le droit de conquête a
fufpendu tous les autres droits j en Corfe , où
la puiflfance fouveraine, libre dans tous fes mou-
vemens , a pu s’exercer fans rencontrer les
obftacles des puififances fécondés , & ©ù elle
n’a voulu déployer fa force que pour opérer le
bonheur public , tous les ordres ont été fournis a
participer aux frais de là confeélion des chemins :
ils s’y font à prix d’ argent, & la fomme qu’ils
coûtent eft répartie au marc la livre de l’impofition
générale & unique , nommée fubvention , de laquelle
aucun corfe ecçléfîaftique ou laïque n’eft
exempt, & qu’il paye très-exaélement en proportion
du revenu de fes biens.
Tous les écrivains, qui ont traité cette queftion
des chemins 3 ne l’ont point aflfez généralifée : chacun
femble ne l’avoir envifagée que fous l’étroit
point de v u e , convenable tout au plus aux limites
d’une intendance. Cependant les folutions de ce
problème doivent efiêntiellement être applicables à
toute la France. Peut-on n’avoir pas apperçu l’in-
juftice qu’il y a de condamner chaque province à.
fupporter feule le fardeau du prix de fes chemins ?
Quelle province relfemble à une ifle ? Il faudrait
cependant, pour juftifier cet ufage, que les. ha