
dépenfes prodigieufes que faifoient , durant leur
féjour, des navigateurs chargés des plus riches
tréfors de l'univers, jettèrent un argent immenfe
dans cette ville , qui elle-même étoit forcée d'en
verfor une partie dans les Campagnes plus ou moins
éloignées qui la nourriffoient. De cette manière, Cuba eut quelques principes de vie, tandis que
les autres illes foumifes à la même domination ,
reftoient dans le néant où la conquête les avoit
plongées.
Pour accélérer les progrès trop lents de cet établiffement
, on forma en 173 y une affociation particulière.
Les fonds de la nouvelle fociété étoient
d'un million de piaftres fortes, ou de y,400,0001.
Ils furent partagés en deux mille allions, dont cent
appartenoient à la couronne. Son privilège étoit
exclufîf. Elle eut des fadeurs à Cadix j mais c’é-
toit Cuba même qui étoit le fîège du monopole.
Les directeurs, éloignés de la métropole, ne
s'occupèrent que de leur fortune particulière. Ils
commirent des malverfations fans nombre 5 & le
corps dont ils conduifoient les intérêts fe trouva fi
complettement ruiné, après vingt-cinq ans , qu'il
ne lui fut plus poflîble de continuer fes opérations.
Alors le gouvernement autorifa quelques négociant
à faire ce commerce } & en 1765 on ouvrit
à tous les efpagnols une poffeffion qui n'auroit jamais
dû leur être fermée.
S e c t i o n I I * .
Remarques fur la population 3 les cultures § les
autres travaux, le commerce revenus & le gouvernement de , les dlpenfes 3 les Cuba.
Selon le dénombrement de 1774, Pille de Cuba
eomptoit 160 & onze mille fix cens vingt-huit
perfonnes, dont vingt-huit mille fept cens foixante-
fix feulement étoient efclaves. La population devoir
être un peu plus confidérable, parce que la
crainte bien fondée de quelqué nouvel impôt, a dû
empêcher l'exaditude dans les déclarations.
On ne trouve guère d'autres arts dans l'ille que
ceux de néceffité première. Ils font entre les mains
des mulâtres ou des noirs libres & très-imparfaits.
La feule menuiferie y a été portée à un degré de
perfection remarquable.
D'autres mulâtres, d'autres noirs font naître des
fubfiftances. Ce font quelques fruits du nouveau-
Monde & quelques légumes de l’ancien : du maïs
& du manioc, dont la confommation a diminué à
mefure que la liberté de la navigation a fait baiffer
le prix des farines apportées d’Efpagne ou du Mexique,
& quelquefois aufli de l'Amérique fepten-
trionale : du cacao affez bon, mais en fi petite
quantité, qu’il en faut tirer tous les ans plus de
deux mille quintaux de Caraque ou de Guayaquil :
■ de nombreux troupeaux de boeufs & fur-tout de
cochons, dont la chair a été jufqu’ici préférée généralement
& le fora toujours, à moins que les 1
moutons qu’on vient d’introduire dans Lille fteïft
fanent un jour négliger. Tous ces animaux errent
dans des pâturages, dont chacun a quatre ou da
moins deux lieues d’étendue. On y voit aulîi paître
des mulets & des chevaux qu’il faudroit multiplier
encore, puifque leur nombre aCtuel ne difpenfe
pas d'en demander une grande quantité au continent.
L etabliffement At Cuba offre des cultures importantes.
Il fort d'entrepôt à un grand commerce.
On le regarde comme le boulevard du nouveau-
Monde. Sous ces trois afpeCts, il mérite une attention
férieufo.
Le coton eft la production qui devoit naturelle^
ment fo multiplier davantage dans cette ifle im-
menfo. Au temps de la conquête, cet arbufte y
étoit très-commun. Sa confervation exigeoit peu
d'avances, pëu de bras, peu d'induftrie j & la fé-
chereffe d'une grande partie du terrein le rendoit
finguliérement propre à cet ufage. Cette marchandise
y eft pourtant fi rare , qu'il fo paffe quelquefois
plufîeurs années fans qu'on en expédie pour
l'Europe. .
Quoique l’efpagnol ait une averfion prefque in-
furmontable pour 1 imitation, il a adopté depuis
peu a Cuba la culture du café, qu'il voyoit faire
des progrès rapides dans les illes voifines. Mais ,
en empruntant cette production des colons étrangers,
il n’a pas emprunté leur activité à la faire
valoir. On recueille à peine trente à trente - cinq
mille livres pefant de café, dont le tiers eft envoyé
à la Vera-Cruz, & le refte dans la mé*
tropole.
Le fucre, la plus riche, la plus importante production
de l'Amérique, fuffiroit pour donner à Cuba l'éclat de la profpérité, dont la nature y
fomble avoir ouvert toutes les fources-& tous les
canaux. Quoique cette ille foit en général inégale
& montueufo, elle a des plaines affez étendues ,
affez arrofées, pour fournir à une grande partie
del'Europe fa confommation de fucre. La fertilité
incroyable de fos terres neuves , fi elle étoit *
bien dirigée, bien adminiftrée, la mettroit en état
de fupplanter toutes les nations qui l’ont dévancée
dans cette culture. Elles n’àuroient travaillé , pendant
plus d’un demi-fiècle, à perfectionner leurs
fabriques que pour une rivale, qui, en adoptant
leur méthode, furpafferoit, anéantiroit même en
moins de vingt ans la richeffe qu’ils en retirent.
Mais la colonie efpagnole eft fi peu jaloufo de
cette fupériorité, qu’elle n'a jufqu’à préfent qu'un
petit nombre de plantations, où les plus belles
cannes ne rendent avec une très-grande dépenfo
qu'une foible quantité de fucre, d'une qualité médiocre.
Il fort en partie à l'approvifionnement du
Mexique, en partie à l’approvifionnement de la
métropole j & celle-ci, pour qui le fucre devroit
être une mine d’or, en achète de l’étranger pour
plus de cinq millions.
Lé tabac eft une des plus importantes producrions
de Cuba. Chaque récolte en donne environ cinquante
cinq mille quintaux. Une partie eft confom-
mee dans le pays, ou fort en fraude. Le gouvernement
en fait acheter tous les ans , pour fos domaines
de l'ancien & du nouveau-Monde où il en
fait également le monopole, quarante-fix mille fept
cens cinquante quintaux, dont le prix varie avec
la qualité} mais qui, l'un dans l'autre, lui revient
à 48 Iiv. 12 fols le cent : de forte que le roi
verfe annuellement dans l’iflé, pour ce foui objet
, 2,272,050 liv.
Les progrès que faifoit la culture du tabac,
"ont été naguère arrêtés à Cuba. On a fait même
arracher cette plante dans quelques quartiers où
#lle croifibit moins heureufement. Le miniftère n'a
pas voulu que les récoltes fuflent portées au-delà
des befoins de la monarchie. Il a craint fans doute
que les étrangers qui auroient acheté la production
en feuilles, nel'introduififfent clandeftinement
dans fos provinces, après l'avoir manufacturé. On
a penfé que l’indultrie des colons feroit plus utilement
tournée vers le fucre.
Cette denrée étoit peu connue avant la découverte
du nouveau-Monde j elle eft devenue graduellement
l'objet d'un commerce immenfe. Les
efpagnols étoient. réduits à l'acheter de leurs voi-
fins , lorfqu'enfin ils s'avisèrent de la demander à Cuba. La métropole en reçoit annuellement depuis
deux cents jufqu’à deux cents cinquante mille
quintaux, moitié blanc & moitié brut. Ce n'eft
pas tout ce que fes habitans en peuvent confom-
mer j mais ils feront difpenfés de recourir aux
marchés étrangers, lorfque.cette culture fera aufli
folidement établie dans le refte de l'ifle, qu'elle
l’eft déjà fur le territoire de la Havane.
Le commerce des cuirs que fourniffent les colonies
efpagnoles eft univerfel. Nous dirons tout-
à-l’heure quel nombrè en fournit Cuba. Il foroit
aifé d'en augmenter le produit dans un pays rempli
de boeufs devenus fauvages, où quelques gentilshommes
pofsèdent, fur les côtes & dans l'intérieur
des terres, des habitations immenfes qui,
par le défaut de population, ne peuvent guères
avoir d'autre deftination que celle d'élever de nombreux
troupeaux.
Lorfqu'en 1763 la Floride fut cédée par la cour
de Madrid à celle de Londres, les cinq ou fix cens
miférables qui végétoient dans cette région fo réfugièrent
à Cuba , & y portèrent quelques abeilles.
Cet infoCte utile fe jetta dans les forets, s'y établit
dans le creux des vieux arbres , ■ & s'y multiplia
avec une célérité qui ne paroît pas croyable.
Bientôt la colonie , qui achetoit beaucoup de cire
pour fes folemnités religieufes, en recueillit affez
pour ce pieux ufage & pour d'autres confomma-
tions. Elle eut un peu de fuperflu en 1770, &
fept ans après on en exporta fept raille cent cinquante
quintaux & demi pour l'Europe ou pour
l’Amérique. Cette production augmentera necef-
fairement fous un ciel, fur un fol. qui lui font éga- .
lement favorables 5 dans une ifle où les ruches
donnent quatre récoltes chaque année , & où les
effaims fo fuccèdent fans interruption.
Il paroît qu'on n’a pas encore défriché la centième
partie de l’ifle de Cuba. On ne voit quelques
traces de culture qu’à San-Yago , portfitué
au vent de la colonie, & à Mantaca, baie sûre
& fpacieufo qu'on trouve à la fortie du vieux canal.
Les vraies cultures font toutes concentrées
dans les belles plaines de la Havane, & encore
ne font-elles pas ce qu'elles devroienr être.
Les denrées deftinées pour l'exportation , eccu-
. pent le plus grand nombre des efclaves. _ Depuis
1748 jufqu'en 1753 , les travaux de ces malheureux
ne produifirent chaque année pour la métropole
que dix-huit mille fept cents cinquante
quintaux de tabac , qui valurent en Europe un
million 293,570 livres} cent foixante-treize mille
huit cents quintaux de fucre, qui valurent fept
millions 994,786 livres} quinze cents foixante neuf
cuirs qui valurent 138,817 livres, & 1,064,505 L
en or & en argent. Sur cette fomme de 10,491,6781.
le tabac foui appartenoit au gouvernement, tout
le refte étoit pour le commerce.
Depuis cette époque, les travaux ont beaucoup
augmenté } cependant ils ne fo font pas encore
tournés vers l'indigo , quoiqu'il croiffe naturellement
dans l’ifle} & on n'y profite pas de l'abondance
des cotoniers.
Des bois d'un cèdre propre à la conftruCtioij
couvroient la colonie, fans qu'on n'eût jamais perde
à les employer. Enfin ort y forma, en 1724, des
atteliers, dont jufqu'à ce jour il eft forti cinquante-«-
huit vaiffeaux ou frégates. Cet établiffement fe fou-
tient, malgré la nécefiité où l’on eft réduit de porter
pour ces bâtimens du fer & des cordages que
l'ifle ne fournit pas 5 malgré l'habitude contractée
depuis 1750 de leur porter du nord de l'Europe
des mâtures qu'on tiroit autrefois , mais d'une
qualité inférieure, du golfe du Mexique.
Avant 1765, Cuba ne recevoit annuellement que
trois ou quatre grands navires partis de Cadix ,
les bâtimens qui, après avoir fait leur vente fur
les côtes du continent, venoient chercher un chargement
qu'ils n'avoient pas trouvé à Vera-Cruz,
à Honduras & à Carthagène. L'ifle manquoit alors
fouvent des chofes les plus néceffaires, & il fal-
loit bien qu'elle les demandât à ceux de fes voi-
fins, avec qui elle avoit formé des Haifons interlopes.
Lorfque les gênes ont été diminuées, le
nombre des expéditions a multiplié les productions
, qui réciproquement ont étendu la navigation.
En 1774 3 Û arriva d'Efpagne dans la colonie
cent & un navires, qui y portèrent des farines ,
des vins , des eaux-de-vie , tout ce qui eft nécef-
faire à un grand établiffement, & qui en emportèrent
toutes les denrées qu'un meilleur ordre de
chofes avoit fait naître.
La même année, Cuba reçut fur cent dix-huit