
qu'ils y auroient employé leurs foldats , pourroit- |
on, fans héliter, en conclure que les conllitutions
modernes des états & des armées de l'Europe, fi
différentes en tout de la conftitution de la république
& des armées de Rome, permettent de
recourir au même moyen de faire nos chemins :
c'eft cependant celui que le public a vu propofer
avec le plus de plaifir; celui qu il a le plus généralement
honoré de fon fuffrage. Tâchons, silfe
peut, de détromper le public.
On a compté que, pour achever totalement en
France le travail des chemins , il refte $000 lieues
a faire > que l'intérêt de l'état & celui des particuliers
, qui eft ici le même , exige qu'on achevé
dans l'efpace de quarante ans. Le prix moyen de
la conftruéfion d'une lieue de chemin , a ete évalué
à 80,OCX) livres. Ces données nous font necefiai-
res pour apprécier les projets que nous voulons
examiner. r
Sans doute , on n'a pu fe propofer de rendre
utiles aux chemins les troupes de la maifbn du
roi, celles du corps-royal de l'artillerie, celles de
la marine, ni les fuiffes avec lefquels il; faudrait à
cet é^ard un traité particulier j on n'a point aufli
imaginé d'appliquer à ce travail les troupes allemandes
, irlandoifes , italiennes & corfes, dont
la conftitution délicate exige des ménagemens aufli
finguliers qu'inconnus à tous nos écrivains, ni aucune
de nos troupes à cheval : nos milices n'ont
pu être comprifes dans cette propofitiort5 de toutes
les troupes qu'on emploierait aux chemins , ce
feroient celles qui coûteraient le plus cher ; car, en
les raffemblant, l'état perdrait à la fois la journée
que le milicien ne donnerait pas a fon travail ordinaire,
& lui payerait en outre celle qu'il donnerait
à celui des chemins, d'où il réfulteroit une
double ou triple dépenfe. 11 ne refte donc que la
feule infanterie françoife, dont on efpère ici tirer
quelques fecours. Or, le roi entretient foixante-dix-
neuf régimens d'infanterie, dont un feul de quatre,
& tous les autres de deux bataillons : ces cent
foixante bataillons françois formeraient au complet
de guerre , fur le pied dés ordonnances actuelles,
cent vingt & deux mille neuf cens foixante hommes
, non compris les officiers. Voyons ce qu'il
faut d'abord déduire de ce nombre, avant de l’employer
aux chemins.
Différence de l'effe&if de paix au complet de
guerre................... • • • : ......... . - 30,400 hom.
* Quatre-vingt compagnies de grenadiers
qui n'ont jamais fait de corvée ,
qu'on n’y peut employer, fans les confondre
avec les fufiliers, & rifquer
d’anéantir l’efprit qui les rend fi formidables.........
.m . . . . .........../ • y • * * 7j7^°
Les fergens des compagnies de fufiliers
................. • • • ......... . • • • • 4*320
Nos colonies, la Corfe , Bèlle-
Montant....................................42>4^°
D'autré part, .................. . • * •4‘2»4^°
Ifle, les ifles de Ré, d'Oleron , &c.
emportent plus de vingt régiments
pour leurs garnifons : réduifons ce
nombre à fix...................'***.— 9*222f
Le roi a toujours au moins dix re-
gimens employés aux travaux des ports,
des fortifications, qui ne peuvent pas
plus manquer de travailleurs que les
ifles & colonies de gardiens : n'en
.comptons que fix*.................... • • • 9>22i
Plus de cen* foixante places de guerre
qu'on ne peut pas abandonner a
l’ennemi, exigent des garnifons : re-
duifons leur nombre à moitié. On n'y
peut pas tenir toute la cavalerie, qui
coûterait infiniment plus dans ces places
que dans des quartiers , fans augmenter
exceffivement les dépenfes fur
la caiffe militaire. Si donc nous fai-
fons garder quatre - vingt places de
grande importance & prefque de première
ligne, par les 25,000 hommes
d'infanterie étrangère que le roi entretient
,* la politique & le bon fens
tout feuls avertirent aflez d'y mettre
au moins autant d'infanterie françoife,
fans compter nos grenadiers, qu on
y ferait fans doute refluer, ci....... 25,000
Lorfque lés troupes feront fur les
ateliers, on peut facilement croire ,
vu la conftitution de notre infanterie
, que fur 50 travailleurs il y en
aura un malade, & fouvent plus, ci. 744
Il faudra en outre un homme fur
dix pour faire la foupe aux travailleurs
............................................. 3*7OQ
Mais toutes ces troupes feront- -
elles toujours complettes ? Ce miracle
ne fe fera fûrement pas en faveur
du travail des chemins. Suppofons ,
pour terme moyen , qu'il ræ manquera
que 18 hommes par regiment* 1,440
T o t a l ..........................91,80g
Nombre total des troupes d'infanterie
* ................122,960honv
Nombre qu'il en faut
défalquer . .............. • • • 91380g
Refte à employer aux----- ■—- •
travaux............ .. B1*1!2*
Je ferais le premier à demander qu on fit travailler
aux chemins ces,31,142 hommes, pour le
moins inutiles durant la paix, & qu on n entretient
pendant ce temps que pour n'être^as pris
au dépourvu au moment de la guerre, & fe trouver
fur un pied de force relative à celle des autres
puiffances, fi ce moyen n'étoit d'ailleurs, comme
nous allons le faire voir, aufli infuffifant qu'onéreux
à l'état. Ces 31,152. hommes ne pourront pas
travailler toute l'année, & l'on ne peut guères
fuppofer que, déduction faite des dimanches ,
fêtes , jours de repos neceffaires , jours de mauvais
Temps, il travaillent plus de quatre mois ou
120 jours j ils fourniront donc un total de 3,738,240
journées de travail effectif, lefquelles payées chacune
à 13 fous, feront une dcpenfe de 2,429,8561.
Je fixe le prix moyen de la journée a 13 fous ,
parce que c'eft à-peu-près le prix moyen de la
journée en France, & que fi 1 ou payoit le fpl-
dat beaucoup moins que toute autre efpece d'ouvriers
, il feroit ce qu'il appelle 'de La^ befogne pour
votre argent 3 & qu'alors , faute d'avoir fu le
payer convenablement, fon travail reviendrait à
un plus haut prix, & feroit plus mal fait. Si l'on
trouvoit cette taxation trop forte , puifque , y
compris fes appointemens, le foldat toucherait
19 fous par jourf on peut la réduire à moitié ,
fans affaiblir les preuves que je donnerai du danger
d'employer les troupes a ce travail : mais on
ne doit pas perdre de vue que dans tous les atte-
liers où l'on s'eft fervi de foldats, on a en vain
tenté de tenir le prix de leur journée,, à un taux
plus bas que celle des ouvriers du pays j par-tout
il a fi mal travaillé, qu'on, s'eft vu force de le
faire monter au taux ordinaire. Partant donc de
cette vérité pratique, fi oppofée aux tranquilles
fpéculations des oififs de cabinet, donnant au foldat
13 fous de folde, & les frais de conftru&ion
d'une lieue de chemin étant évalués à 8o,oooliv.
dont 15,000 liv. pour frais de voitures & tranf-
ports de matériaux, la main-d'oeuvre feule coûtant
par lieue 65,000 livres , les troupes , pour le
les infurmontables difficultés qui s’oppoferoient au
projet de les y faire fervir. D'abord le défaut abfolu de voitures & d’attelages
montant de la fomme ci-deflus, ne pourraient
conftruire au plus ( les matériaux cenfés rendus
fur l'atelier ) que 37 lieues & demie de chemin
par an , au lieu de 75 qu'il en faudrait faire pour
les pouvoir achever dans 40 ‘ans. La totalité des
chemins ne pourroit donc être finie, en fe fer-
vant des troupes que dans 8q ans 3 ou même dans
l6oj fi, comme il eft trop vrai, les temps de
guerre font à-peu-près égaux aux temps de paix.
Calculez maintenant, d'aprèslès bénéfices qu'il eft
prouvé que les chemins procurent, les pertes im-
menfes que l'état fouffriroit par ces délais, & vous
ferez effrayé des réfultats. Jufqu'ici j'ai fuppofé
que rien ne s'oppofoit à la conftrüélion des chemins
par les troupes 5 qu'elles fourniraient tout ce qu'on
en peut tirer de travailleurs, & je crois avoir
prouvé que l'état perdrait trop à fe fervir d'un
moyen qui, par la longue durée qu'il donneroit |
à la confeéïion totale aes routes, abforberoit la
plus grande partie des bénéfices qu'elles doivent
produire.
Mais quand bien même il feroit aufli vrai qu'il
eft faux q*ue les troupes • duflent pour le. bien de
1 état être employées au travail des chemins , voici
dont de pareils ouvriers ne font ni ne peuvent
être pourvus : ou le roi en feroit faire à fon
compte , ou il en louerait & entretiendrait la
quantité néceffaire pour chaque attelier, ou on en
tireroit des campagnes voifines ,*ou bien enfin des
entrepreneurs en fourniraient. Le premier moyen
eft de tout point impraticable, & fujet, ainfi que
le fécond, aux abus les plus difpendieux : le quatrième
moyen rentre dans les deux premiers j fon
exécution n'eft pas moins impoffible, parce que
le roi ne trouverait point d'entrepreneurs pour
un fervice de quatre mois dans deux faifons 5 parce
que des entrepreneurs n'acheteront ni chevaux ni
voitures pour un temps fi borné $ parce que, pour
compenfer le rifque des pertes qu'ils feroient à la
revente biennale de leurs équipages, ou les indem-
nifer des frais de nourriture , s'ils les gardoient
pendant les huit mois étrangers à leur fervice, il
faudrait que le roi confentît à payer au moins dix
francs par jour , chaque cheval employé : que certainement
le roi fe refuferoit à un marché fi onéreux
, & que plus fûrement encore il ne trouverait
point d'entrepreneurs. Ceux qui favent que les
chevaux des attelages de l'artillerie , des vivres ,
des. hôpitaux ont été payés dans les guerres de
Flandre & d'Allemagne jufqu'à quatre livres par
jour, lors même que les entrepreneurs avoient des
marchés pour toute la guerre, & que leurs chevaux
ne travailloient point en quartier d'hiver, ne
douteront d’aucune des difficultés & des aflertions
que j'expofe ici. Refte donc la reflource unique
de tirer des campagnes -voifines les voitures attelées
: fi on les en. tiroit à prix d'argent, & que
cette fourniture dût fe faire de gré à gré, toutes
celles qu'on pourroit prendre à une lieue de chaque
côté de la route n'en fourniroientqaas un nombre
fuffifant ; & au-delà de cette diftance elles ne
viendraient pas , ou fe feroient payer le double.
Ainfi , manque abfolu du nombre de voitures né-
eefifaires, ou renchériffement de ces voitures , &
de-là le renchériffement du chemin ou la diminution
de la quantité d'ouvrage qui doit fe faire au
prix fixé ci-deflus. Prendra-t-on ces voitures de
force ? c'eft retomber dans la plupart.des inconvé-*
niens de la corvée. On ne peut guères, pour éviter
ces embarras, manquer de pudeur au point
de propofer d'atteler des foldats à des camions
pour amener des pierres & du fable, fouvent éloignés
de plus d'une demi-lieue : ainfi je ne réponds
point à cet odieux moyen qu'a ofé propofer un
prétendu ami des hommes , & qui d'ailleurs fup-
pofe gratuitement des camions qu'on ne fauroit où
prendre ni comment faire fournir , fans s'expofer
aux rifques de mille faux frais imprévus.
Le travail fera-t-il augmenter dans le pays le
nombre des voitures ? On ne peut raifonnablement
l'efpérer> parce que le travail n'eft que momenta