
mobiles. Ce pays-là eft peu important 5 mais Lifte
de Taman i'eft infiniment à caufe de fa pofition >
car elle défend le détroit de Caffa , feul paflage
de la mer d'Azow dans la Mer-noire.
Pour achever d'inftruire le leéteur fur ce qui
fait l'objet de cet article , nous ajouterons que le
pays j compris fous le nom de petite Tartane 3
renferme la .prefqu'ifle de la Crimée , le Cuban,
une partie de la Circaffie 3 & toutes les terres qui
féparent l'empire de Ruffie de la Mer-noire. Cette
2one 3 depuis la Moldavie jufqu'auprès de Tagau-
rog fitué entre le 44e & le 46e degré de latitude 3
a dans fa largeur trente à quarante lieues fur près
de deux cents de longueur 5 elle contient de l'oueft
à l'eft le Yetichekoulé, le Dgiamboylouk, le Ye-
defan & la Beffarabie. Cette dernière province *
que l'on nomme aujourd'hui, le Boudjak 3 eft habitée
par des tartares fixés dans des villages, ainfi
que ceux de la prefqu'ifle 5 mais les habitans des
trois autres provinces n'ont que des tentes de feutre
qu'ils emportent où il leur plaît.
Ces peuples qu’on nomme noguais 3 8c qu’on
croit nomades, font cependant fixés dans les vallons
3 qui du nord au fud coupent les plaines qu'ils
habitent,- 8c leurs tentes rangées fur une feule ligne
y forment des efpèces de villages de trente à
trente-cinq lieues de long., qui diftinguent les différentes
hordes.
On peut préfumer que la vie champêtre & frugale
de ces peuples pafteurs favorife la population
, tandis que lesbefoins & les excès du luxe
chez les nations policées la détruifent dans fa
fource. On remarque en effet qu'elle eft déjà
moins confidérable fous les toits de 1 i~ Crimée 8c
du Boudjak que fous les tentes des noguais; mais
on ne peut s'en procurer le dénombrement que i
dans l'apperçu des forces militaires que le kan eft j
en état de raffembler : on a vu ce prince , dans I
la dernière guerre des ruffes contre les turcs, le- !
ver trois armées à la fois : celle qu’il commandoit •
en perfonne de 1 oo,opo , hommes, celle de’. fon
calga de 60,000 , & celle de fon nouradin de
40,000. Il auroitpu en lever le double, fans nuire
aux travaux habituels; & fi l’on rapproche ce nom- ;
bre de foldats de la furface des états de Tarta- i
rie, on pourra comparer leur population avec la !
nôtre.
Les foires de Balta & quelques-autres qui font
établies fur les frontières des noguais, leur procurent
le débit annuel des immenfes troupeaux
qu'ils pofsèdent. Le bled qu'ils recueillent en abondance
fe débite également par la Mer-noire , ainfi
que leurs laines ; il faut encore joindre à ces objets
de commerce quelques mauvais cuirs & une
grande quantité de peaux de lièvres.
Cès différent articles réunis procurent annuellement
aux tartares des fommes confidérables ,
qu'ils ne reçoivent ql*en ducats d'or de Hollande
ou de Venife : mais l’ufage qu'ils en font anéantit
toutes les idées de richelfe que cet énorme mimé*
raire préfente.
Conftamment augmenté, fans qu’aucunbefoin
d’échange en rende une partie à la circulation -,
l’avarice s'en empare ; elle enfouit tous ces tréfors,
& les plaines qui les recèlent n'offrent aucune indication
qui puiffe guider dans les recherches qu'on
voudrait en faire. Plufieurs noguais, morts fans
dire leur fecret, ont déjà fouftrait des fommes
confidérables.
Pour revenir à ce qui regarde plus particuliérement
la Crimée , des faifons réglées, & qui fe
fuccèdenti graduellement, fe joignent à la beauté
du fol pour y favorifer la plus abondante végétation
; elle fe reproduit dans une terre végétale noire
, mêlée de fable , & dont le lit s’étend depuis
Léopold, dans la Ruffie rouge, jufques dans la
prefqu’ifle. La chaleur du foleil y fait fru&ifier tour
tes les graines qu'on y répand, fans exiger du
cultivateur qu’un léger travail. C e travail fe borne
effectivement à fillonner avec le foc le terrein qii’ oh
veut enfemencer. Les graines de melon , d'aubergine
, de pois, de fèves mêlées enfemble dans un
fac font jettées par un homme qui fuit la charrue.
On ne daigne pas prendre le foin de recouvrir
ces graines. On compte fur les pluies pour y
fuppléer, & le champ eft abandonné jufqu'au moment
des différentes récoltes qu'il doit offrir ,
& qu'il faudra feulement tirer de l'état de con-
fufion que cette manière de femer rend inévitable.
r Les habitans de la Crimée négligent l’exploitation
des mines du Tchadir-dague. Les génois ,
plus inftruits & fûrementplus avides, avoient corn«*
mencé à extraire l'or que cette montagne contient
en âfféz grande abondance. On peut même préfumer
que le kan n'aurait pas été infenfible à î'acf
quifîtion de ces richeffes, fi la crainte d'exciter l'avidité
de la Porte ne lui avoit fait préférer l'inaCtion
à un travail dont elle fe feroit approprié le fruit.
Le danger de voir paffer ces richeffes à Conftan-
tinople n'eft pas le feul auquel le kan des tartares
fe feroit expofé, en voulant exploiter la mine d'or
qu'il poffède. Forcé d’attirer les gens delà mon-
noie pour diriger ce travail, il aurait introduit en Crimée le fléau des prohibitions ; 8c c'eft à la tranquillité
publiqiie que l'humanité des fouveraîns tartares
a facrifié leur propre intérêt. Il y a bien
quelque gloire à être pauvre à ce prix.
Les revenus du kan montoieiit- à peine à 600,0001.
pour l'entretien de fa mai fon ; cependant fi ce modique
revenu gênoit la libéralité du prince, elle
ne I’empêchoit pas d'être généreux. Nombre de
mirzas vivoient à fes dépens, jufqu'à ce que le
droit d'aubaine lui fournit le moyen de s'en dé-
barraffer, en leur concédant quelques biens domaniaux.
La levée de fès troupes ne lui occafionnoit d'ailleurs
aucune dépenfë. Toutes les terres, étoient tenues
à redevance'militaire. Le fouverain ne fup-»
portoît non plus aucuns frais de juftice, & la rea-
doit gratuitement dans toute l'étendue de fes états,
-comme les jurifdiétions particulières la rendent gratuitement
dans leur diftrid: j on appelloit de ces
-tribunaux particuliers à celui du fuzerain.
S e c t i o n V I e.
Remarques fur le régime intérieur de. la Crimée , fur les gradations du pouvoir & l'influence des
nobles • de ce pays», ^ ,>
Les moyens politiques qui maintenoient en Crimée
un parfait équilibre entre les grands vaffaux
& le fuzera inavoient befoin que la diftribution
des terres en affurât la durée. Mais cette répartition
devoit elle-même fe reffentir des différences
qui fe trouvent dans la manière d'exifter des ha-
bitans.
Les terres de Crimée 8c de Beffarabie font di-
vifées en fiefs nobles, en domaines royaux 8c en
poffeffions roturières. Les premières qui font toutes
héréditaires ne relèvent pas même de la couronne
, & nepaient aucune redevance. Celles du
domaine étoient en partie annexées à certaines charges
dont ellescompofoient le revenu ; lefurplus étoit
diftribué par le fouverain à ceux qu'il vouloit en
gratifier. Le droit d'aubaine établi en Crimée, au
défaut d'héritier au feptième degré, mettoit le
kan en jouiffance de ce privilège pour tout ce qui
concerne lesbiens nobles, & chaque Mirza jouif-
foit du même droit fur tous les biens roturiers dans
l'étendue de fon fief. C'eft d'après, ce principe
qu'on percevoit également la capitation annuelle à
laquelle toüs les vaffaux chrétiens ou juifs étoient
affujettis, 8c ce dernier objet donnoit au bien noble
en Tartarie toute l'extenfion de la propriété la
plus abfolue.
C e n'eft aufli qu'aux états affemblés que les Mirzas
, poffeffeurs des fiefs, étoient redevables du
fervice militaire.
On ne connoît point chez les noguais ces dif-
îinétions de propriété territoriale, & ces peuples
pafteurs uniquement occupés de leurs troupeaux
leur laiffent la libre jouiffance des plaines qu'ils
habitent, & fe bornent aux feules limites qui font
marqüéës entre les hordes voifïnes.
Mais fi les Mirzas noguais partagent avec leurs
vaffaux la communauté du fol ; s'ils attachent même
une forte de honte à la culture, ils n'en font
pas moins puiffans. Retirés pendant l’hiver dans
les vallons que leurs hordes occupent, ils y perçoivent
, chacun dans fon aoul (1) la redevance
en beftiaux & en denrées qui leur eft due ; 8c ,
Jorfque la faifon permet d'enfemencer, ils fe tranf-
portent avec les cultivateurs dans la plaine, choi-
fiffent le lieu de la culture, & en font le partage
entre leurs vaffaux. En promenant ainfi leur culture
, les noguais réunifient d’excellens pâturages
à des récoltes abondantes que produisent des terres
qu'ils n’épuifent jamais.
Le droit de corvée , qui tient moins fans doute
à la conftimtion féodale qu'au luxe des grands vaf-
faux 8c des feigneurs de fiefs , eft établi en Crimée
3 8c n’eft point connu chez les noguais ; mais
ils paient la dixme au gouverneur de la province.
Les fultans qui gouvernent ordinairement les pro*
vinces tartares, y réfident fous le titre de feraf-
kiers 3 & y commandent en vicerois. Mais la première
dignité de l'Empire eft celle de calga ; elle
.étoit toujours conférée par le kan à.oelui des princes
de fa maifon , dans lequel il avoit le plus de
confiance. I l réfidoit à Acmet-chid , , ville fituée i
quatre lieues de Baétcheferay ; il y jouiffoit de tout
le décorum de la fouveraineté. Ses miniftres fai-
foient exécuter fes ordres, 8c fon commandement
s'étendoit jufqu'auprès de Caffa.
La dignité de C alg a, anciennement deftinée au
fucceffeur préfomptif, confervoit encore le privilège
de fuppléer la fouveraineté lors de la
mort du kan, 8c jufqu'à l'arrivée de celui qui
devoit le ^remplacer. Il commandoit en chef les
armées tartares, fi le kan n'alloit pas en perfonne
à la guerre, & il héritoit comme fuzerain de
tous les Mirzas qui mouroient dans fon appanage
fans héritiers au feptième degré.
La charge de nouradin , la fécondé dignité du
royaume, étoit auffi occupée par un fultan ; il
jouiffoit du droit d'avoir des miniftres } mais ils
étoient, ainfi que leur maître, fans aucune fonction.
Cette petite cour, qui n'avoit point d’autre
réfidence que Baélcheferay, fe confondoit avec
celle du kan : cependant fi quelque événement
mettoit en campagne des troupes dont le commandement
fût confié au nouradin , fon autorité, ainfi
que celle de fes miniftres, acqueroit dès ce moment
toute l'aélivite du pouvoir fouverain.
La troifième dignité du royaume occupée par
un fultan, fous le titre d'or-bey 3 prince d'Orcapy,
a cependant été quelquefois conférée à des Mirzas
chirines qui avoient époufé des princeffes du
fang royal. Ces nobles qui dédaignoient les premières
places du miniftère, 8c n'acceptoient que
celles deftinées aux fultans, ont auffi été admis
aux gouvernemens extérieurs ; mais ces gouverne-
mens de frontières étoient communément occupés
par les fils ou neveux du prince régnant ; ils y
étoient les généraux particuliers des tronpes de
leur province > & lorsqu'on raffembloit celles du
Boudjak, du Yedefan & du Cuban, elles étoient
toujours commandées par leurs fultans Seraskiers ,
même après leur réunion fous les ordres du kan ,
du calga ou du nouradin.
La horde du Dgamboilouk n'eft gouvernée que
(x) Aoul, portion d’une horde <^ui comprend les vaffaux relevans du même nohle.
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