
venir les intelligences entre les mandarins fupé-
rieurs & »leurs fubalternes , aucun magiftrat ne
peut pofféder une charge dans fa province , qu'à
fo lieues de fon domicile; & nul de fes parens ne
peut exercer un emploi dans fa jurifdiâion.
On ajoute à ces précautions celle de faire tous
les trois ans une revue générale de tous les mandarins
3 dans laquelle on examine leurs bonnes &
leurs mauvaifes qualités pour le gouvernement.
Tous les magiftrats fe furveillent graduellement ,
& font des notes fur les magiftrats qui leur font
Subordonnés, lefquelles font envoyées aux Supérieurs.
Un mandarin fupérieur , par exemple,
d'une ville .du troilïème rang, examine là conduite
de fes inférieurs. Les notes qu'il fait, font envoyées
au mandarin fupérieur de la ville du fécond
rang, qui les change «ou confirme. Celui-ci en-
voye ces notes avec fes obfervations aux mandarins
généraux de la capitale. Ce catalogue palfe
cnfuite au vice-roi, qui après l'avoir examiné, l'en-
voye à la cour, augmenté de fes propres notes :
ainfi le premier tribunal connoît tous les tribunaux
de l’empire, & eft en état de punir & de récom-
penfer. Sur ce que décide le tribunal fuprême des
mandarins notés, le viceroi, fur les ordres qu'il
en reçoit, deftitue ou récompense, & l'orra grand
foin d'inftruire le public de ces changemens & des
raifons qui les ont occafionnés. _
Nous avons déjà vu que l'empereur envoyé de
temps en temps des vifiteurs dans les provinces ,
qui s'informent fecretement de ce qui fe paffe, &
qui, revêtus d'un grand pouvoir , s'ils trouvent en
faute des magiftrats, les puniffent avec rigueur
félon la loi. Ils font choifis avec foin & d’une
probité reconnue ; & cependarlt pour n'être pas
trompé fur leur compte, & crainte qu'ils ne fe
laiffent corrompre par l'argent, l'empereur prend
fouvent le temps que ces infpeéteurs y. penfent le
moins , pour voyager dans différentes provinces,
& s'informer par lui-même des plaintes du peuple
contre les gouverneurs. L'hiftoire rapporte plusieurs
exemples de cette vigilance du fouverain (i).
Que pourroit-il faire de plus pour maintenir l'ordre
& la juftice dans fon empire?
Quand un gouvernement veille foi-même fur les
^bus furtifs, & qu'il les punit févèrement, ces
"abus ne doivent pas plus lui être reprochés que la
punition même qu'il exerce contre les coupables,
tes paftions.des hommes qui forcent l'ordre, ne
font pas des vices du gouvernement qui les ré*
prime.
On peut en dire autant des abus tolérés; on ne
peut les reprocher au gouvernement qui les fup-
porte, lorfqu'il ne leur accorde par les loix d'autre
prote&ion que celle qui eft perfonnelle aux citoyens.
Il y a des confîdérations particulières qui
ne permettent pas d'employer la violence pour les
extirper, fur-tout quand ces abus ^attaquent pas
l'ordre civil de la fociété, & né confiftent qu'en
quelques points de morale furérogatoire ou de
crédulité chimérique, qui peuvent être tolérés
comme tant d'autres préjuges de l'ignorance, &
qui fe bornent aux perfonnes mêmes qui s’y livrent.
Telles font à la Chine les religions intrufes,
que.la fuperftition y a admifes ; mais la police réprime
le zèle qui voudroit les étendre par des actes
injurieux à ceux qui font attachés à l’ancienne
religion, comprife dans la conftitution du gouvernement.
Simple & diétée par la raifon, cette religion
, qui eft le culte primitif de la Chine, eft
adoptée par toutes les autres religions qui révè^-
rent la loi naturelle. Elles font tolérées dans l'emr
pire à cette condition, parce qu'elles ne donnent
aucune atteinte aux loix fondamentales du gouvernement.
La feéte de Laokium eft une de ces religions intrufes
; elle a fait des progrès, & la chofe eft fim-
ple. Une religion qui natte les paffions des grands ,
féduifante par des preftiges admirés de l'ignorance ,
devoit être avidément- adoptée par le peuple fu-
perftitieux, qui a toujours cru aux forciers. Il eft
peu de perfonnes du menu peuple j, qui n'aient
quelque fol aux miniftres impofteurs de cette
feéte; on les appelle pour guérir les malades &
chaffer les malins efprits. On paffera facilement
au gouvernement de la Chine fa tolérance pour
elle, fi l'on fait attention que par-tout la défenfe
de croire aux forciers eft un a de d'autorité bien
inutile & bien déplacé.
Une autre fede fuperftitieufe eft celle des bonzes
: ils foutiennent la dodrine de la métempfî-
cofe, & enfeignent qu'il y a dans l'autre vie des
peines & des récompenses ; que le Dieu Fo naquit
pour fauver le monde , & ramener dans la bonne
voie ceux qui s'en étoient écartés : qu'il y a cinq
préceptes indifpenfables. ip. De ne tuer aucune
créature vivante ; 2°. de ne poinf s'emparer du
bien d'autrui ; 30. d'éviter l'impureté ; 40. de ne
pas mentir'j j9. des'abftenir del'ufagédu vin. Il
(1) L ’empereur Kang-hî, dans une de fes vîfices , «ipperçut un vieillard qui pléuroic amèrement; Il quitta foncortègç,
fut à l.ui & lui demanda la caufe de fes larmes : je n’avois qu’un fils, répondit le vieillard, qui faifoit route ma joie
& le foutien (Je ma famille , un mandarin tarrare nie l’a enlevé; je fuis déformais, privé de toute affiftance humaine s
car, pauvre & vieux comme je fu is , quel moyen d’obliger le gouverneur à me rendre juftice ? Il y a moins de difficultés
que vous ne penféz, répliqua l’empereur; montez derrière moi &c qie ferrez de guide jijfqy’à la mqifon du raviftèur.
Le vieillard monta f:.ns ceremonie : le mandarin fut convaincu de violence , & condamné fur le champ d perdre l j
pète. L’exécution faite. ^empereur dit au vieillard, d’un air férieux : pour réparation je vous donne l’emploi du coupable
qoi vient d’être puni ; ^conduifez vous avec plus de modération que lui , & que foa exemple vous apprenne à nft
ÿ fn faire qui puifte yous mçrtre à vçtre içur dans le ças 4e ferrir d’exemplç, r
n*y a rien dans ces préceptes qui exige la cenftire
du gouvernement. Ils recommandent encore de
faire des oeuvres charitables : elles n'ont cependant
rien que de volontaire.
Ce n'eft ici que la dodrine oftenfible des bonnes
, qui n'en font parade que pour tromper le
peuple; ils ont une dodrine fecrette dont les dogmes
font des myftères. Cette dodrine fort vantée
par leurs partifans, n'eft au fond qu'un pur
matérialifme : mais comme elle ne fe divulgue
pas, elle refte enveloppée dans fes propres ténèbres.
Malgré les efforts des lettrés pour extirper
cette fede, & malgré les difpofitions de là cour à
l'abolir, on l'a toujours tolérée, de crainte d'exciter
des troubles parmi le peuple ; on fe contente
de la condamner comme une héréfie; & tous les
ans cette cérémonie fe pratique à Pékin.
Le fede de Iu-Kiau ne tient qu'à une dodrine
métaphyfique fur la nature du premier principe,
pleine d'équivoques & de contradictions ; elle eft
fufpede d'athéifme, & ne compte que très-peu
de partifans. Les véritables lettrés attachés à l'ancienne
dodrine font fort éloignés de l'athéifme.
Plufieurs millionna ires de différens ordres prévenus
contre la religion des chinois, St portés à
croire que tous les favans ne recopnoiffent pour
principe qu'une vertu célefte, aveugle & ma té r
ie lle , difoient n'en pouvoir juger autrement, à
moins que l’empereur ne voulût bien donner la
vraie lignification des motsTien & Chang:ti. L'empereur
eut la complaifance de les fatisfaire ; &
déclara dans un édit publié en 1710, q u 'o n en-
tendoit par ces mots non le ciel vifible §t matériel
, mais l'auteur de toutes chofés ; un Dieu qui
voit tout, qui gouverne l'univers avec autant de
fageffe que de juftice ; que c’eft par un fentim ent
de refped qu’on n'ofe lui doriher le nom qui lui
convient ; qu’on l'invoque fous le nom de ciel fu prême,
ciel univerfel, comme en pariant refoec-
tueufement de l'empereur, r-u lieu d'employer fon
propre nom, on fe Sert de ceux de marches du trône
$t de cour fuprême de fon palais.
La religion du grand Lama , le judaïfme, le
mahométifmé, le chriftianifme ont suffi pénétré
dans la Chine ; mais nos millionnaires y ont joui
auprès de plufieurs empereurs d'une faveur fi marquée
, qu'elle leur a attiré des ennemis puiffans ,
qui ont. fa it proferire le chriftianifme-; il n'y eft
plus enfeigné & profeffé que fecrettement.
... On reproche encore au gouvernement de la
Chine, & avec quelque raifon, de ne pas favori-
fer un' commerce extérieur plus étendu, qui _au-
roit employé le fuperflu de,la population, & qui
le déterminant à aller s’établir dans d'autres climats
, auroît pu ajouter de nouvelles provinces à
cet empire ; de né pas remédier à l'expofition des
enfans , & de tolérer la Servitude. Quoique l’ef-
cîavage ne foit point ayilïffant à la Chine 3 qu'il ne
foit qu'une efpèce de domefticité allez douce, qui
ne prive pas de toute propriété, puifque le fils
hérité de fon père efclàve, & qu'il peuvent tous
les deux gagner de quoi fe racheter, on peut dire
que c'eft toujours une atteinte à la liberté perfonnelle
; mais tout cela eft occafionné par l'excès
de la population qui excède toujours les fubfif-
tances.'
; Le remède feroit d'en porter le fuperflu fur
d'autres terres, en y jétabliffant des colonies. La
Chine a dans fon voifinage des illes abandonnées ,
& de grands déferts dans la partie de la Tartarie
qui lui eft foumife, qui pourraient la foulager en
recevant fes indigens. Le gouvernement pourroit
encore, à l'exemple des incas, retarder le mariage
des filles jufqu'à 20 ans, & celui des gar*
çons jufqu'à 2 y ans. Cela ferviroit auffi à prévenir
l’excès de la population, dont les funeftes effets
femblent dégrader le gouvernement de cet
empire.
" Malgré1 ces défauts d'attention , dont on ne
peut exeufer le gouvernement de la Chine y on
peut dire à fa louange, qu'il n'y en a pas dans le
monde qui lui foit comparable ; que nulle part on
n'en trouveroit un plus paternel, plus fage, plus
excellent. La nation chinoife regarde fon fouverain
comme fon père, & l'empereur regarde fes
fujets comme fes enfans auxquels il doit les fe-'
cours, l'exemple & l'inftru&ion, & il n'élude
pas ces premiers devoirs. Rien de mieux combiné
que Tordre des études qui fe rv en t à foi mer tous
les lettrés & tous les mandarins, que ce grand
nombre de tribunaux fubordonnés les uns aux autres
8t dépendans de cinq autres principaux fur-
veillés eùx-mêmes par l'em p e r e u r , où tout ce qui
regarde la juftice, la police, la finance, la guerre,
fe décide avec une vigilance & une aélivité Surprenantes.
Rien de plus admirable que la diftribution
des avances Souveraines pour le patrimoine public.
Rien enfin de plus touchant pour ces p e u p le s , &
qui les intérefte davantage,. que les leçons de pratique
, & les inftruétions que l'em p e reu r ne fe croit
pas dilpenfé de leur donner en perfonne.
Si le gouvernement d e la Chine fubfifte encore
floriffant.au milieu des ruines des plus fameux
empires , c'eft parce que la bafe de fa c o n ftitu tio ii
eft fondée d'une manière inaltérable fur les loix
naturelles que les autres ne Suivirent point. L'ignorance
caufa leur décadence r la Chine s'eft toujours
préfervée d'une telle chute, par l'étabiiffe-
ment de l'enfeignement perpétuel des droits & des
devoirs, & par le miniftère des lettrés, qui forment
le premier ordre de la nation, & qui font
auffi attentifs à conduire le peuple par les lumières
de la raifon, qu'à affujétir le gouvernement
aux loix naturelles & immuables qui conftituent
Tordre effentiel des Sociétés-.
. Dans cet empire immenfe, toutes les erreurs &
toutes les malverfations des chefs font continuellement
divulguées pat des écrits publies, autorisées
par le gouvernement pour affurer dans toutes
les provinces l'ob&rvarion des loix contre les abus