
tre les prix j une îmmenfe quantité de productions
exiftantes & poffibles feroit perdue pour l'humanité
, & Ton verroit une viciflitude perpétuelle
entre la misère que produit l’abondance & la misère
qui naît du befoin.
L’avantage le plus direét & le plus fenfible des
chemins eft pour les propriétaires des terres. Le
produit net de la culture qui leur appartient eft
de toutes les richeffes renaiflantes celle fur laquelle
la facilité des chemins a le plus d’influence. La
concurrence qui fe trouve entre les cultivateurs,
les force de tenir compte aux propriétaires de tout
l’acçroiflement de produit net * que procure l’augmentation
de débit & de prix à la vente de la première
main qui réfulte de la diminution des frais
de commerce. On peut donc regardèr les chemins
comme une forte de propriété commune, nécef-
faire & indifpenfable pour faire valoir les propriétés
particulières des pofleffeurs du territoire.
La conftruCtion des chemins augmente donc la
valeur des propriétés j elle eft donc une charge
des propriétaires, car la dépenfe doit être pour
ceux qui retirent le profit.
Cette dépenfe-eft une des dépenfes publiques ,
une de celles pour laquelle le gouvernement lève
l’impôt. Toutes les dépenfes publiques font aufli
des charges de propriétaires. Elles défont dans le
droit > car elles tournent toutes au plus grand profit
des propriétaires, par la loi de la concurrence
qui oblige tous les autres citoyens à fe borner à
leur rétribution & à la rentrée de leurs avances.
Elles le font dans le fait j car en vain croiroit-on
charger les cultivateurs ou les artifans : les premiers
ne donnent de revenu aux pofTefTeurs des
terres, qu’aprèss’êtrerembourfés de l’impôt qu’ils
ont été contraints d’avancer, & les féconds font
payer leur taxe à ceux qui foldentieur falaire.
Lors donc que les fonds publics ne fuffifent pas
aux dépenfes publiques, & que le gouvernement
eft obligé de demander une addition d’impôt pour
completter lefervice dont il eft chargé ; il ne peut,
non plus que pour les contributions ordinaires,
s’adrelfer qu’aux poffefifeurs du produit net du
territoire.
Il y a pour cela deux moyens. L’un eft de s’a-
dreffer en effet à eux directement ; & par ce moyen
les propriétaires ne payent précifément que la
fbmme dont le gouvernement a befoin , celui-ci
dépenfe tout ce qu’il a reçu : l’ordre des travaux,
celui de la reproduction, celui des falaires relient
dans le même état : les autres clalfes de citoyens
ne s’apperçoivent pas feulement par qui a été faite
la dépenfe du revenu. Le fécond moyen eft de ne
s’adrelfer qu’indireCtement aux propriétaires , en
s’adrelfant directement à quelque autre ordre de
citoyens, -& par ce moyen le gouvernement ne reçoit
pas davantage, les propriétaires payent beaucoup
plus, les travaux utiles qu’exécutent ççux à
qui l’on s’adrefle font interrompus, la reproduction
des denrées & des richeffes diminue, l’humanité
entière fouffre une perte fur fes jouilfances
qui amène l’extinClion d’une partie de la population..
Lorfque des'circonftances permettront de faire
un arrangement folide & fondamental pour la conf-
truClion & l’entretien des chemins, il eft donc
évident, que fi l’impôt ordinaire ne fuffit pas alors
à cette' dépenfe importante, effentielle, mdifpen-
fable, ce devra être uniquement & directement
les propriétaires des terres qui feront tenus de four-:
nir la contribution néceflaire.
Il eft fans doute inutile de dire, que fi l’on
avoit un corps nombreux d’hommes, entretenus
aux dépens du public , confacrés au fervice p&r
blic , & néanmoins prefque inoccupés pour le
public, ce corps fembleroit défigné par fa nature
à exécuter le travail des routes publiques.
Il eft fans doute inutile de dire, qu’une femi-
paie au-deffus de leur paie ordinaire, qu’il paroi-
troit jufte de donner aux falariés de ce corps ,
lorfqu’on les employeroit au travail des chemins ,
leur procureroit une beaucoup plus grande aifan-
ce que celle dont ils jouiffent, & en feroit néanmoins
, quant à cette partie, de très-bons ouvriers
très-peu coûteux pour la nation.
Il eft fans doute inutile de dire, que fi ce corps
de falariés étoit en même temps celui des défen-
feurs de la patrie, il feroit infiniment defirable pour
eux , & par conféquent infiniment avantageux
pour l’état 3 qu’on leur formât pendant la paix
une fanté robufte par des travaux modérés, mais
qui demandent de la vigueur, 8e qui l’augmentent,
par des travaux qui rendroient leurs corps
8e leurs bras endurcis , dignes de féconder leur
courage, 8e propres à ïoutenir les fatigues de la
guerre, mille fois plus à craindre que fes dangers*
pour les hommes qui ont été long-temps oififs ,
dont le défoeuvrement à toujours abattu les forces
, 8e chez lefquels il a trop fouvent été la première
caufe de maladies funeftes.
Il eft encore inutile de dire, que c’eft ainfi que.
les romains formèrent ces redoutables légionaires
auxquels ils durent la conquête de l’univers, 8c
avec lefquels ils conftruifoient ces chemins foHdes
que nous admirons encore, qui traverfoient l’Europe
8c l’Afîe , 8c qui ont bravé l’injure des
t.emps.. ,
Ces faits évidens font connus de tout le monde
8c fi le temps n’eft pas encore venu où ils doivent
contribuer à diriger notre conduite, que des cir-
eonftances particulières ont vraifemblablement décidée
, au moins faut-il convenir, à la louange de
notre fiècle, que ce temps paroît approcher avee
rapidité.
Mais que l’on emploie les foldats à la conftruCtion
dés ouvrages publics, comme on l’a fait à
celle du canal de Briare (i), ou qu’on ne les y
emploie pas j que l’on économife par ce moyen la
dépenfe des chemins,, de manière à rendre la dé-
fenfe de l’état moins pénible, plus sûre 8c moins
coûteufe, ou que cette idée relie au rang de tant
d’autres qu’on applaudit 8c qu’on néglige ; il n’en
fera pas moins vrai que la conftruCtion 8c l’entretien
des chemins formeront toujours un article de
dépenfe, dont le profit fera pour les propriétaires
du produit net de la culture, 8c dont la charge par
conféquent ne peut 8c ne doit porter que fur eux $
il n’en fera pas moins vrai que l’on ne pourra leur
impofer indirectement cette charge, non plus qu’aucune
autre charge publique, fans une perte im-
xnenfe 8c inévitable pour eux 8c pour l’état.-
En effet il eft évident, que fi les chemins font
mauvais, les frais du tranfport des productions,
du lieu de leur naiffance à celui de leur confom-
màtion font beaucoup plus confidérables ; que fi
ces frais de tranfport font confidérables, le prix
de la vente de la première main eft d’autant plus
foible j que fi le prix de la première vente des
productions eft foible, le cultivateur ne peut donner
que peu de revenu au propriétaire. v
Par la raifon. inverfe il eft évident que la conftruCtion
8c l’entretien des chemins diminuent les
frais de tranfport, aflurent par conféquent aux
vendeurs des productions une jouiffance plus entière
du prix qu’en payent les acheteurs confom-
mateürs > que les productions fe foutenant conf-
tamment à un prix plus avantageux à la vente de
la première, main , la culture en eft plus profitable
j que la culture étant plus profitable, il y a
plus de concurrence entre les entrepreneurs de
culture, 8c par conféquent plus de revenu pour
Jes propriétaires.
Il eft évident que, fi au lieu de s’adreffer directement
aux propriétaires pour la contribution né-
ceflaire à la conftruCtion 8c à l’entretien des chemins
, dans le cas où l’impôt ordinaire ne pour-
roit pas y fuffire, on s’adrefloit, par exemple ,
aux cultivateurs, 8c qu’on les détournât eux 8c
leurs atteliers de leur travail productif, pour les
employer à la corvée, la reproduction diminueroit
en raifon du temps perdu par ceux qui la font naître.
Alors la part des propriétaires diminueroit
inévitablement ; d’abord, en raifon de la diminution
forcée du produit total} 8c en outre, en raifon
de ce que les cultivateurs feroient néanmoins
obligés de retirer fur les récoltes affoiblies, le falaire
du temps qu’ils auroient employé à travailler
gratuitemeet fur les chemins ; de forte que ce
falaire , au lieu d’être payé par la nature, comme
celui du temps que les colons emploient à leurs
travaux productifs, feroit néceffairement payé aux-
dépens de la part du propriétaire déjà reftreinte
par la diminution des récoltes.
Nous ne pouvons donc nous difpenfer de conclure
, comme nous avons commencé, i°. que ce
font les propriétaires feuls qui doivent être chargés
des dépenfes qu’entraînent la conftruCtion &
I entretien des chemins, lorfque l’impôt ordinaire
n y fauroit fuffire. 2°. Que dans ce cas il eft infiniment
avantageux pour eux de payer directement
cette dépenfe, 8c pour l’état de n’exiger ce
payement que d’eux feuls.
C’eft dans ces deux principes que confiftent,
à ce que nous croyons, la théorie fondamentale
de 1 adminiftration des chemins, bien oppofée >
comme on voit, à l’admiffion des corvées.
Motifs qui fe font oppofés a llarrangement le plus
convenable pour la\conflruction des chemins j inconvéniens
des corvées en nature.
Dans un temps très-moderne, il eft arrivé en
France ce cas extraordinaire, dont nous avons
parlé, 8c dans lequel le. gouvernement, entraîné
par les circonftances, s’eft cru obligé de confacrer
à d’autres ufages la partie des fonds publics def-
tinée à la conftruCtion 8c à l’entretien des chemins.
II a pourtant fallu continuer de faire 8c d’entretenir
des chemins. On a cru qu’en prenant indirectement
fur les propriétaires l’impôt néceffaire
pour y fubvenir, il leur paroîtroit moins fenfible.
On a cru quepuifque les hommes gagnoient de
l’argent avec l’emploi de leur temps , avec leur
travail, il étoit égal de demander du temps, du
travail ou de l’argent. On a cru même que la contribution
en temps 8c travail pour les chemins leur
feroit plus avantageufè, parce qu’on étoit dans
l’opinion qu’ils avoient tous du temps , 8c la faculté
de fe livrer au travail de la corvée , au lieu
qu’il y en avoit un grand nombre qui n’avoient
(i) Le canal de Briare fut conftruit en 1607 fous Henri IV , & par les foins du duc de Sully.. Ces deux grands hommes
qui étoientles amis & , pour ainfi dire, les* camarades de leurs foïdats, ne crurent point ies avilir & pensèrent au-
contraire les réeomyenfer , en employant fix mille hommes de troupes à sec ouvrage important & patriotique, qui fut
achevé avec une célérité & une perfection fuprenante.
Les militaires de ce temps-là avoient certainement autant d‘e dignité que ceux d’aujourd’hui, & ceux d’aujourd’hui
n’ont certainement pas moins de patriotiûne & moins de zèle pour fervir utilement l’état.
Il femble que le gouvernement veuille employer l’antique & utile méthode d’employer les foldats à.la confe&ion des
travaux publics. Il fait à cet égard des tentatives, dont les fuccès pourront l’engager à fubftituer , dans tout le royaume ,
le travail des troupes à celui des corvées. Les canaux de l’Artois & de la Flandre, achevés depuis \z ou 15 ans, ont
etc faits par les foldats avec une économie, une célérité & une perfection furprenantes. Plufieurs régimens travaillent aux
«anaux commencés en Bourgogne; d’autres font occupés à faigner & à deflecher les marais mal faîns de l’Aunis & de
la Saintonge, Que fauç il de plus pour faire connoître l’avantage qu’il y aurait à les employer à la confedion des
chemins î