culiérement l’adminiftration aux commiflfaires départis
du confeil.
Son efprit équitable 8c doux favoit montrer des
égards à ce peuple même. Il ne fe permettoit les
ordres qu’apres la perfuafion. La marche quJil avoit
à fuivre , ne pouvoit être auifi fimple qu’il l’auroit ;
déliré, il mit du temps > il employa piufieurs let- '
très aux curés, à leur faire bien comprendre , à 1
rendre clairs pour les payfans même tous les dé- ;
tails de fon plan , à calmer ainlî l'inquiétude que
leur infpire toute nouveauté venant de l’adminif-
tration. L’opération commencée en 17(32 ne fut
complettement 8c généralement exécutée qu’en
1764 î mais, depuis cette époque, les chemins
ont toujours été faits 8c entretenus à prix d’argent
dans la généralité de Limoges. L’impofîtion a varié,
félon qu’on a voulu hâter plus ou moins les
çonftrudtions nouvelles. Il y a eu des années où
elle n’eft montée qu’à quarante mille écus ; elle
n’a jamais paffé cent mille.
Avec cette modique fomme, on a fait la route
de Paris à Touloufe par Limoges, 8c celle de
Paris à Bordeaux par Angoulême, commencées
depuis quatre-vingt ans par la corvée3 8c aulîbpeu
avancées qu’au commencement ; car l’ouvrage avoit
été fi conftamment mal fait jpar les corvoyeurs ,
qu’une partie avoit toujours été détruite avant que
l’autre fût achevée. On a fait la route de Bordeaux
à Lyon par Limoges 8c Clermont ; celle
de Limoges à la Rochelle par Angoulême ; celle
de Limoges en Auvergne par Emoutiers & Bort ;
on a fait une partie de celle de Bordeaux à Lyon
par Brive & Tulle } une partie de celle de Limoges
à Poitiers. ; une paitie de celle d’Angoulême
a Libourne par Saint-Aulaye., 8c l’on a rendu praticable
la route de Moulins à Touloufe par la montagne.
C’eft plus de cent cinquante lieues de toute
dans le pays le plus difficile, où il faut fans cefle
monter 8c defcendre. Toutes les pentes ont été
adoucies avec tant d’intelligence, qu’il n’en eft
aucune qui demande que, pour la monter, on
rallentiffe fénfîblement fa marche, 8c que les rou-
liers n’ont jamais befoin d’enrayer pour defcendre.
On croiroit, en voyant la quantité de rocs qu’il
a fallu brifer 8c de terres qu’il a fallu remuer ,
qu’on y a confumé les tréfors d’un grand royaume.
On n’y a employé que les foibles moyens d’une
province pauvre ; & ces travaux qui ont fourni
des falaires à fes habitans malheureux, ont été
faits au milieu des bénédictions. Ils n’ont pas coûté
pne larme, tandis que tant d’autres travaux publics
ont été baignés de pleurs.
L’entretien eft auffi foigné & auffi peu coûteux
que la conftruétion a été fuperbe & economique.
L’entrepreneur eft obligé , par fon marché, de
garnir de petits tas de pierres le bord du chemin ;
& , pour quinze fous par jour, un feul homme
eft chargé de l’entretien d’environ deux lieues. Il
fb-promène chaque jour, d’un bout de fa tâche
è !'3Utrç, avec ynç hottç unç pelle ; s'il voiï
un commencement d’ornière, il y met une pellée
de cailloux qu’il étale avec foin : l’ornière n’a jamais
le temps de fe former. Si Ton en trouvoit
une , on punirait la négligence du manoeuvre ,
dont le devoir étoit de la prévenir , par la perte de
fes appointemens de deux femaines ; a la fécondé
fois, on lui retrancherait la paye d’un mois} à la
troifieme il feroit deftitué. Jamais on n’a «té obligé
de prononcer ces peines, & , d’un bout de la
province ৠl’autre, les chemins font auffi beaux
que les. allées de nos jardins. [ On peut dire fans
exagération que, nulle part dans le monde, on
n en connoît d’auffi folides ni d’auffi magnifiques.
Où font les chemins faits par les corvées avec
tant de peines & de dépenfes qu’on puifïe comparer
à ceux-ci ? ]
Quand M. Turgot n’aurait rien fait de plus,
fa gloire mériterait d’être durable comme les
montagnes, dont les difficultés ont été applaniep
par fes foins, avec fi peu de dépenfe, avec une
dépenfe fi profitable au peuple, en le foulageant
du cruel fardeau de la corvée.
Nous difons que fes foins ont fait difparoître les
difficultés extrêmes que le fîte montagneux de fa
généralité oppofoit à la conftru&ion des chemins}
& nous ferions fondés à le dirè, quand il n’y aurait
eu part que comme adminiftrateur qui a ordonné
les chemins, & qui a difpofé les moyens
bienfaifans de les exécuter. Mais Texpreffioh eft
vraie dans tous les fens. M. Turgot 11e s’eft pas
borné à être l’ordonnateur des magnifiques chemins
de fa province ; il en a été le premier ingénieur.
Bravant l’intempérie des faifons plus variable
qu’ ailleurs dans les pays de montagne, il a été
avec M. Tréfaguet, aujourd’hui infpeéteur général
des ponts & chauffées, choifir les pentes, décider
leurs contours, les faire tracer fous fes yeux*
toifer les déblais & les remblais, & s’éclairer d’avance
fur la dépenfe qui feroit nécefïaire.
C ’ eft là qu’ il s’eft perfectionné dans la connoif-
fance de tous les détails de la conftruétion des
routes, qu’ il a développé enfuite avec tant de fa-
gacité, de prudence 8c de bonté dans les deux
inftruétions qu’ il a rédigées pour la conduite des at-
teliers de charité en * 7 66 & en 17 7 y.
C ’eft lui qui a propofé le premier au miniftrc
ces atteliers de charité, ( nouvelle & bienfaifante
manière de remplacer la corvée ) noble & utile
moyen de foulager dans les années de difette &
de cherté les befoins véritables du peuple ; fans
lui fauffer l’efprit, par la perfuafion que le gou-
| vernement doive le nourrir, foit qu’ il travaille ou
ne travaille point, & fixer le prix des denrées à fa
' portée, au lieu de le mettre à portée de les acquérir
; fans lui corrompre Tame par l’habitude de
Toifîveté & d’une oifiveté exigeante ; fans lui avilir
! le coeur par le fentiment de fa misère, que les
i aumônes gratuites réveillent toujours ; 8c en \u\
laiffant croire au contraire qu’il n’a d’obligation à
perfoqnç , qu’ il ne doit; fa fubfiffaqçç qu’à fos
propres efforts, qu’il a bien gagné le pain qu’on
lui procure. Cette pieufe 8c fage inftitutiop qui,
par la bienfaifance âu roi , excite celle des grands
propriétaires, 8c du fein de la calamite meme ,
fait fortir les chemins vicinaux qui vont répandre
par-tout la profpérité 8c la vie : cet art de fecou-
rir la pauvreté préfente, en diminuant les caufes
de la pauvreté future, & de payer les hommes
pour qu’ils fe faffent du bien, eft dû à M. Turgot*
Le grand & utile fecours que le. peuple de la
généralité de Limoges avoit trouvé dans les atteliers
de charité en 1766, 17673 1768 & l7 |||f|
adopter au gouvernement cette inftitution louable,
qui fut étendue fur les autres provinces du royaume
en 1770 , & principalement par les foins de
M. Albert , alors Intendant du commerce , 8c
chargé du département des fubfiftances. Depuis ce
temps il y a toujours eu un fonds annuel deftiné à
ce genre de travail ; & il préfente à la pauvreté
particulière un foulagement qui tourne au profit
de Taifance publique (1).
Nous rapportons d’autant jplus volontiers ces
détails de la méthode employée par M. T u r g o t
pour la fuppreffion des corvées & la confection des
grandes routes dans la généralité de Limoges,
que les bons effets de cette méthode ne fouffrent
plus aucun doute depuis .plus de 20 ans d’une
heureufe expérience ; que nous connoiffons par
nous-mêmes tous les grands chemins de cette province
, & les avons vu en quelque forte conftruire
fous nos yeux , & que nous pouvons affurer,. d’après
les travaux des corvées, ci-devant employées
pour la conftruétion des mêmes routes, que les
corvoyeurs y auraient travaillé des fiècles, fans les
achever , & fur-tout fans les porter à ce degré de
perfection qui fait aujourd’hui l’admiration de tous
ceux qui les parcourent.
Edit du roi portant fuppreffion de la corvée , donné
au mois de février 1776 3 & enregifiré au parlement
le 12 mars fuuivant.
LOUIS, PAR LA GRACE DE DIEU, ROI DE
F r a n c e e t d e N a v a r r e : & à tous préfens&
à venir ; s a l u t ,. L’utilité des chemins aeftinés à
faciliter le tranfport des denrées a été reconnue
dans tous les temps. Nos prédéceffeurs en ont
regardé la conftruCtion & l’entretien comme un
des objets les plus dignes de leur vigilance.
Jamais ces travaux importans n’ont été ; fuiyis
avec autant d’ardeur, que fous le règne du feu roi
notre très-honoré feigneur 8c aïeul : plufîeurs provinces
en ont recueilli les fruits par l’augmentation
rapide de l'a valeur des terres.
La proteCïion que nous devons à l’agriculture,
qui eft la véritable bafe de l’abondance & de la
profpérité publique, &: la faveur que nous vou-
Ions accorder au commerce, comme au plus sûr
encouragement de l’agriculture, nous feront chercher
à lier de plus en plus, par des communications
faciles, toutes les parties de notïe royaume
foit entre elles, foit avec les pays étrangers.
Defirant procurer ces avantages à nos peuples
par les voies les moins onéreufes pour eux , nous
nous fournies fait rendre, compte des moyens qui
ont été mis en ufage pour la conftruCtion des chemins
publics.
Nous avons vu avec peine, qu’ à l’exception
d’un très-petit nombre de provinces, les ouvrages
de ce genre ont été , pour la plus grande partie
, exécutés au moyen des corvées exigées de nos
fujets, & même delà portion la plus pauvre, fans
qu’il leur ait été payé aucun falaire pour le temps
qu’ils y ont employé. Nous n’avons pu nous empêcher
d’être frappés des inconveniens attachés à
la natnre de cette contribution.
Enlever forcément le cultivateur à fes travaux ,
c’elt toujours lui faire un tort réel, lors même
qu’on lui paye fes journées. En vain Ton croiroit
choifir, pour lui demander un travail fo rc é , des
temps où les habitans de la campagne font moins
occupés ; les opérations de la culture font fi multipliées,
fi variées qu’il n’eft aucun temps entièrement
fans^emploi. Ces temps , quand il en exifte-
roit, différeraient dans des lieux très-voifins , 8c
fouvent dans le même lieu, fuivant la différente
nature du fo l, ou les différens genres de culture.
Les adminiftrateurs les plus attentifs ne peuvent
connoître toutes ces variétés en détail. D ’ailleurs
la néceffîté de raffembler fur les atteliers un nombre
fuffifant de travailleurs, exige que les com-
mandemens fiaient généraux dans le même canton.
L ’erreur d’un adminiftrateur peut faire perdre
aux cultivateurs des journées, dont aucun falaire
ne pourrait les dédommager.
Prendre le temps du laboureur, même en le
payant, feroit l’équivalent d’un impôt. Prendre
fon.temps fans le payer, eft un double impôt ; &
cet impôt eft hors de toute proportion , lorfqu’ ili
tombe fur le fimple journalier, qui n’a pour fub-
fîfter que le travail de fes bras.
L ’homme qui travaille par force & fans recom-
penfe,, travaille avec langueur & fans intérêt ; il
fait dans le même temps moins d’ouvrage, & fora
ouvrage eft plus mal fait. Les corvoyeurs obligés
de faire fouvent trois lieues o u . davantage pour
fe rendre fur l’attelier , autant pour retourner
chez eux , perdent fans fruit pour l’ouvrage une
grande partie du temps exige d’eux. Les appels
multiplies, l’embarras de tracer l’ouvrage, de le
diftribuer, de le faire exécuter à une multitude
d’hommes raffemblés au hafard, la plupart fans
intelligence, comme fans volonté, confomment
encore une grande partie du temps qui refte. Ainft
0 ) Extrait des mémoires fur 1& vie U les outrages de M, Turgot , pages 64 & 80*