
Les communes ont été fur-tout jalôufes de la
liberté de la parole dans l’intérieur de leur aifem-
bléë. C e qui fe dit dans la chambre né peut être
jugé ou examiné ailleurs : enfin, pour écarter
des délibérations tout motif étranger à la chofe
Jtr-ême , elles n’ont lailïe à leur prefident ni opinion
ni fuffrage 5 elles ont même établi comme
*me règle , que le roi ne peut propofer aucun
bill , & que fon nom ne fera jamais prononcé
(1).
Les conftitutions où le peuple n’agit que par
lès repréfentans,- c’eft-à-dire , au moyen d’une
afifemblée peu nombreufe , & où chacun propose
, délibère & d ifcu te , font peut-être les feules
<[ui puiflènt mettre entre les mains du peuple les
relforts moteurs de la puiffance légiflative.
Lorfque le peuple eu appellé à prononcer fur
les lo ix , il n’ écoute guèresque ceux qui gouvernent
, ou ceux qui ont part à l’adminiftration ;
les magiftrats acquièrent à la fin , ainfi qu’on l’a
vu dans toutes les républiques , le droit exclufif
de propofer des décrets s’Û leur p la ît, quand il
leur plajr , & comme il leur plaît. Cette prérogative
ell telle 3 qu’elle met une afifemblée formée
des plus grands génies à la merci de deux ou
trois fots , & qu’ elle rend abfolument illufoire le
pouvoir fi vanté du peuple. Comme les ennemis
du peuple en font revêtus pour l’ordinaire 5 la
nation eft forcée à relier fans celfe palïîve , &
elle fe trouve privée de la feule refifource qu’elle
pourroit oppofer à leurs attaques.
Enfin une conftitution reprêfentative met le remède
entre les mains de ceux qui fentent le mal ;
mais une conftitution populaire met: le remède entre
les mains de ceux qui caulènt le mal ; elle
confie lé foin de réprimer le pouvoir à ceux qui
font revêtus du pouvoir. Au refte nous dirons,
dans la feétion fuivante, que l’ article de la repré
fentation eft imparfait en Angleterre, & nous
indiquerons les abus qu’elle devroit réformer fur
c e point.
Comment la conftitution de l’Angleterre eft-ellè
venue à bout de remédier à des maux q u i, au
premier coup d’oeil , femblent irrémédiables ?
Comment a-t-elle empêché les repréfentans du
peuple de trahir la nation dont ils font les dé-
fenfeurs ? Comment oblige-t-elle ceux qui ont
une puififance particulière } àn e penfer qu’ a l’avantage
de tous ? ceux qui font les lo ix , à n’en
faire, que de juftes î C ’eft en les y. foumettant
eux-mêmes , & en leur ôtant pour cela le pouvoir
exécutif.
L e parlement établit le nombre des troupes
réglées qu’il lui plaît,. mais tout de fuite un autré
pouvoir fe'préfente, qui en pfend le commandement,
& qui les fait Pouvoir à fon gré.
Il met des impôts, mais tout de fuite un autre
pouvoir s’empare du produit, & cet autre pouvoir
a feul l’avantage & la gloire de la diftribu-
tion. Il eft le maître , fi l’on veut t d’annuller
"Yhabeas cçrpus 5 mais, en abattant cette colonne
de la liberté, ce ne font pas les fantaifies & les
caprices de fes membres, ce font les caprices &
les fantaifies du roi qu’il aura fatisfaits.
On peut compter comme un nouvel avantage
des loix & Angleterre, la liberté qu’elles laiffent
au peuple d’examiner la conduite du gouvernement.
Non - feulement elles afférent à chaque
particulier le droit de préfenter des pétitions au
roi & aux deux chambres, elles lui donnent encore
celpi de foumettre fes plaintes & fes observations
au tribunal du public, par la voie de
l’impreflfion. C e droit eft redoutable à ceux qui
gouvernent 5 & en diflipant chaque jour le nuage
de majefté dans lequel ils s’enveloppent, il les
ramène au niveau des autres hommes , & affoiblit
le principe même de leur autorité,
v Les anglois n’ont obtenu que fort tard ce dernier
privilège. La liberté, à tout autre égard,
étoit déjà allurée, qu’ils fe trouvqient encore,
pour l’expreffioft publique de leurs féntimens,
fous un joug prefque defpotique. L ’hiftoire eft
remplie des peines févères infligées par la chambre
étoilée à ceux qui ofoient écrire fur le gouvernement
: elle avoit réglé le nombre des imprimeurs
& des prefifes, & établi un cénfeur, fans
l’approbation duquel rien ne pouveit être mis au
jour. C e tribunal, ne connoififant point d’ailleurs
dans fa procédure Y épreuve des jurés, trouvoit coupables
tous ceux qu’il plaifoit à la cour de regarder
c'omme tels ; & ce n’eft pas fans raifon
que Coke , imbu des préjugés de fon fiècle, dit ,
après avoir fait l’éloge de ce tribunal, que lorf-
qu’on obferve fes réglemens, il tient toute YAn-
gleterre en repos (2).
Après l’abolition de la chambre étoilée, le long
parlement, dont l ’autorité ne redoutoît pas moins
l’examen , renouvella les ordonnances, contre la
liberté de k prefife. Charles II & Jacques II obtinrent
le même renouvellement : ces-ordonnances
expirèrent en 1692 5 & quoique la nation vint de
donner la plus grande preuve de liberté en chaf-
fant fon ro i, on les continua pour deux années-'
& ce ne- fut qu’en 1694 que le parlement réfolut
de les abolir à jamais-, & que la liberté de la
prefife, ce privilège que k roi ne pouvoit fe réfoudre
à donner aux anglois, fut finalement établie.
O ) Si- quelqu'un, parfait, d’ans fon .diîcours, de ee-que le roi- feuhaite, verroit avec piaifir, &c; il feroit tout de fuite
appelle- à l’ordre, comme voulant détraire 'la liberté des débats.-
( z ) This court, the right inftituuon U ancient orders thereof being obferyed, doth keep all england in .quiet. ïnÉ
court of {lor chamber»
Lorfqu’on parle de la liberté de la prefife, il
ne faut pas croire qu’en Angleterre un écrivain
puifife calomnier ou outrager qui bon lui femble :
les mêmes loix qui protègent la perfonne & -la
propriété'des citoyens, protègent fa réputation;
& elles décernent contre les libelles proprement
dits, à-peu-près les mêmes peines decernees partout.
Il faut convenir néanmoins que les papiers ;
anglois font impunément remplis des perfonalites j
les plus odieufes, & qu’ on y regarde cet inconvénient
comme une fuite de la liberté.
La liberté de la prefife confifte en ce que les
tribunaux ou les juges ne peuvent prendre con-
noiffance qu’après coup des chofes qu on imprime,
& qu’ils ne peuvent punir des coupables qu en
employant des jurés.
Quoique la loi ne permette pas, en Angleterre 3
qu’ un homme accufé d’avoir écrit un libelle prouve
la vérité des faits qu’il a avancés, chofe qui au-
roit les plus fâcheufes conféquencés & qui elr
proferite par-tout 3 1’'indietment devant porter que
les faits font faux 3 malicieux 3 & c. les jures
étant les miaîtres de .leur verdict, c e ft-a -d ire ,
pouvant fe décider, d’ après tout ce qu ils favent,
d’une manière particulière, il eft fûr qu ils ab-
foudront l’accufé, lorfque les faits avances feront
d’une évidence reconnue. _
C ’eft ce qu’on voit fur-tout lorfqu’il eft queftion
du gouvernement; c’ eft un principe généralement
reconnu en Angleterre 3 & expofe avec force aux
jurés dans une caufe aflfez célèbre : cc que quoi-
» que parler mal des particuliers puifife être une
» chofe* blâmable , cependant les a&es publics
du gouvernement doivent être fournis a un exa-
» men public : qu’on rend fer vice a fes cotici-
» toyens en dîfant Ion avis avec liberté ».
Le nombre des gazettes & des papiers publics qui
s’impriment chaque jour en Angleterre eft incroyable
( 15 : ils circulent & fe réimpriment dans les differentes
villes, ils fe diftribuent même dans les campagnes
(2) ; tout le monde , jufqu au laboureur, les
lit avec empreffemënt ; chaque particulier eft inf-
truitj chaque jour3 de l’état de la nation dune
extrémité à l’autre; & la communication eft telle,
que les trois royaumes femblent ne faire qu une
feule ville. ,
Cette publicité entretient le feu facre dé la livoir
d’opinion nécefifaire pour fuppléer à 1 imperfection
inévitable des loix ; elle contient ceux
qui ont une portion quelconque de l ’autorité
convaincus que toutes leurs aétions font expofees
au grand jour , ils s’abftiennent davantage de ces
acceptations de perfonnes, de ces connivences
obfcures, de ces vexations de détail que l ’homme
en place fe permet, lorfqu’exerçant fon office
loin des yeux du public, il fait que , s’ il eft
prudent, il peut fe difpenfer d’être jufte ; ils
redoutent ces gazettes, qui dévoilent toutes les
aCtions des hommes en place ; le juré fait, par
exemple, que fa déclaration fera ? imprimée le*
lendemain 5 le juge fait que le public fera inftruw:
dans quelques heures de fes manoeuvres.
D ’après l’infurmontable befoin qu’a l’homme
de l’eftime de fes femblables, il y a lieu de
croire que s’il étoit poflîble que la liberté de la
prefife exiftât dans un gouvernement defpotique,
& , ce qui ne feroit pas moins difficile, qu elle
y exiftât fans changer la conftitution, elle y for-
meroit feule un contrepoids au pouvoir du prince.
S i , par exemple, dans un empire d’ orient il fe
trouvoit un-fanCtuaire révéré des peuples, qui
| procurât un afyle fûr à ceux qui y porteroient
leurs obfervations ; s’ il en fortoit des feuilles imprimées
que l’appofition d’un certain fceau f it
refpeCter ; 8c , fi ces feuilles examinoient chaque
jour & apprécioient librement la co^-
duite des cadis , des bachas, des vifirs, du
divan & du fultan lui-même, cela y întroduiroic
tout, de fuite de la liberté.
La liberté de la prefife fournit à chaque anglois
le moyen de s’inftruire à loifir & en filence de
tout ce qui tient aux affaires publiques. La nation
tient confeil & délibère, lentement à la vérité ,
car une nation ne s’inftruit pas comme une affem-
blée de juges, mais fûrement, & d’une manière
qui entretient le patriotifme. Tous les faits s’éclair*
ciffent devant e l le , & par le choc des diverfes
réponfes & répliques, elle peut découvrir la
vérité.
Les papiers qui éclairent le peuple anglois
fur les chofes dont il fe plaint, le mettent auflt
en état d’y appliquer le remède 5 il fait quels avis
on a ouverts, qui les a ouverts & qui les a fou-
tenus ; il fait les raifohs qu’on a données ; & par la
manière dont les fuffrages fe récueillent (3 ) , il
! (1) On vient de publier (en 178?) l’état du nombre des gazettes imprimées dans
gleterre pendant les huit années precedentes. Le voici ;
1 7 7 S
m i6m
12. , 68g OOO. 1779
12 , 8 5 0 , OOO. I 78 0
1 3 iyo, .
643. 1 78 1
13 ^
L4° , 639. I 78 2
toute l’étendue du royaume- d’An-
1 4 , 10 6 , 8 4 1 .
H j “ 7 , 5 7 r -
14. 397 > <5oa.
IJ . 17^ , 5 *9’
- ( » ) Le MidiUfex jo^nal. pat exemple , & le ,M c rt'rvfir , fe .routent daut tout 1« cabarets & dans tous t a endroits
voix f a . chaque chambra Les pairs diftnt cornent, ou non content, & les communes &
puwn. 1 . g ^