
fut enchanté de la propofition , & félon la coutume
du pays , il réfolut de donner de fuperbes
fêtes à l’occafion de ce mariage.
Tandis qu’on faifoit les préparatifs des noces
{en 1744) Anaverdi-Khan exhorta le jeune prince
, qui avoit la plus grande confiance en fon tuteur
, à profiter du tumulte de fêtes pour
s’emparer de Veilour , 8c enlever cette for-
terefîe , la meilleure de tout le pays , à fon futur
beau-père * qui y avoit, difoit-on, entafîe de
grandes richefles. Le jeune nabab, dont le coeur
étoit déjà corrompu, goûta cet avis? il fe.rendit,
à Veilour, où Anaverdi-Khan promit d’envoyer
des foldats déguifés, qui, fe joignant tout-à-coup
•à la fuite du jeune prince, dévoient faire main
bafTe fur la garnifon de Veilour, & s’emparer
de la forterefle au premier mot. Il n’avoit imaginé
cette confpiration que pour fe débarrafler
de fon pupille ; il n’envoya que peu de fol--
dats , & il fit avertir fecrettement le nabab de
Veilour, des defîeins de fon neveu, la veille où
il dévo t lui-même fe rendre dans cette place 5 il
efpéra que le nabab, outré de la conduite de
fon gendre futur , le feroit. mourir. Le nabab fe
contenta de reprocher publiquement au jeune
homme fon crime & fa perfidie, & il lui ordonna
de fortir de la place avec tous ceux qui
lui appartenoient.
Ce projet n’ayant pas réuffi, Anaverdi-Khan
tendit un autre piège , qui coûta la vie au jeune
nabab peu de temps après.
Nizam-el-Moulouc fentant que les indiens, amol- j
lis par-une longue paix 8c par la molleffe, fuite j
ordinaire du repos, feroient incapables de fup- !
porter les fatigues de la guerre , & voulant avoir :
une armée aguérie ,• avoit attiré dans le Décan un
grand nombre de patanes ou habitans du Can-
dahar, refte de ces agwans qui avoient conquis
la Perfe, 8c que Nader-Sha, après les avoir
chalfés de ce beau royaume, étoit venu châtier
jufques dans leurs montagnes. II avoit même
donné aux principaux chefs des nababies ou fiefs
de l’empire ( tell« eft l’origine des nababs patanes
de Carpet, Canour & Sanour) un corps
nombreux de ces patanes, qui faifoit partie de l’armée
du nabab à 'A r ca te , & auxquels il étoit dû des
fommes confidérables pour leur folde. Les patanes
font courageux, mais féroces, perfides &
cruels, lorfqu’ils fe croient offenfés. Anaverdi-
Khan les ayant raffemblés1 à A r ca tc a fous prétexte
de les faire palfer en revue par le prince, il les
excita fecrettement à demander ce qui leur étoit
dûj d’un autre côté, il Confeilla au nabab de
paroître devant les mutins ; il lui dit que, pour
fe faire refpe&er des troupes, il falloît leur parler
en maître 8c châtier leur infolence. Le prince,
qui n’étoit que trop enclin à hauteur, traita les
patanes de la manière la plus dure ; ceux-ci fe
révoltèrent, 8c dans leur fureur s ils malfacrèrent \
le nabab. Cet évènement fe pafla dans les premiers
jours de l’année 1745".
Anaverdi-Khan, parvenu au comble de fes de-
firs, afFeéta le plus grand défefpoir ; il n„e ceffoit
de déplorer la perte de fon pupille ; il s’écrioit :
que dira l’empereur ! que dira Nizapi-elMou-
louc ! Parodiant enfin fe calmer, & les patanes
fe montrant honteux de leur révolte, il leur per-
fuada de fe foumettre à la décifion du Nizam :
fur ces entrefaites il alfembla les chefs de tous
les autres corps de l’armée ; il leur repréfenta
que le grand - vilîr les confondroit avec les
coupables, qu’il leur reftoit un feul moyen de
fe juftifier j qu’ils dévoient venger la mort du
nabab, & faire main - baffe fur les patanes. La
férocité 8c l'orgueil de ceux-ci les ayant rendus
odieux , les indiens furent de l’avis d’Aha-
verdi-Khan 3 8c gardant un profond fecret, ils
prirent fi bien leur temps, que tous les patanes,
au nombre de trois mille, furent mafîacrés 5 ils
n’épargnèrent que lés femmes & les enfans.
Anaverdi-Khan , ayant enfin terminé cet horrible
mafîacre, écrivit à Nizam-el-Moulouc de
.quelle manière le jeune nabab à'Arcate étoit mort,
&ill’inftruifitdu châtiment des coupables.Le fouba
du décan, trompé par ces lettres , crut devoir donner
la nababie à'Arcate à Anaverdi-Khan , puifque
la famille des anciens nababs étoit éteinte , 8c
que Chanda-Saeb, qui par fa femme pouvoir y
prétendre, étoit prifonnier des mafates.
Anaverdi-Khan, devenu nabab à’Arcate 3 ne
put faire aimer fon gouvernement comme il avoit
fait aimer fa régence. Maftous-Khan,,fon fils-aîné,
fut défigné pour fon fucceffeur ; il avoit un autre
fils appellé Méhémet-Aly-Khan y que la loi écar-
toit de la fucceflion, parce qu’ff étoit né d’une
bayadère ou femme réputée publique ; il donna
à celui-ci Tritchenapoli, place très-forte fur le
Caveri, avecTin appanage confidérable.
Il jouifloit tranquillement du fruit de fes crimes*
lorfqu’il parut un vengeur de la famille des* nababs
à’Arcate. Ce fut le fameux Dupleix, que le roi
8c la compagnie des Indes nommèrent en 174(5
gouverneur; de Pondichéry.
Ce grand homme ayant appris, au mois de
mars 1749, la Pa*x entre la France 8c l’Angleterre,
crut qu’il étoit néceffaire,, pour l’honneur
& l’intérêt de fa nationde punir Anaverdi-
Khan des fecours qu’il avoit fournis aux anglois
pendant le fiège de Pondichéry 3 bien affiiré d’ailleurs
que cette nouvelle famille feroit toujours
contraire aux frânçois, qui avoient montré tant
d’attachement à la famille de Seyd 3 il voulut
fufcker un rival à Anaverdi-Khan ; 8c par fes négociations
avec les marates, il obtint la liberté de
Chanda-Saeb , nabab de Tritchenapalî, gendre
8c beau-frère des deux demie™ nababs à’A r cate,
8c dont la femme 8c le fils étoient réfugiés
à Pondichéry.
Chanda-Saeb fe rendit à la cour de Nazerzing,
fouba du Décan depuis la mort de Nizam-
el-Mouîouç fon père, arrivée en 1748 ; il excita
vainement le jeune fouba à rentrer dans la nababie
à ’ A c ca te , qui étoit l’héritagé~de fa femme,
ou du moins dans la ville & forterefle de Trit-
chenapoli ; les intrigues & l’argent d’Anaverdi-
Khan l'empêchèrent de réuflir; mais il fut plus
heureux auprès d’Idadmondi-Khan, roi ou chef
du petit état d’Adonis 8c neveu de Nazerzing.
Ce jeune prince, fils d’un frere aîné du fouba,
avoit été défigné par Nizam-el-Moulouc pour
fon fucceffeur 5 mais celui-ci fe voyant fur le
point de mourir, & fon petit-fils étant très-
jeune , nomma & fit reeonnoître pour fouba du
Décan fon fils Nazerzing.
Chanda-Saeb détermina Idadmondi-Khan à demander
la nababie à ’ A r c a t e , dont l’étendue elt
plus confidérable que le royaume d’Adonis. Nazerzing,
qui craignoit fon ambition,, 8c qui ne
vouloit pas le rendre plus puiflant, n’écouta point
cette prière. Idadmondi-Khan 8c Chanda-Saeb,
pouffes par M. Duplei^, levèrent foixante mille
hommes, 8c arrivèrent dans le pays à ’ Arcate au
mois de juillet 1749, où fix cens frânçois 8c
deux mille cipaies , que commandoit le comte
d’Auteuil, les joignirent. Cette armée marcha
contre Anaverdi-Khan, qui avoit raflemblé toutes
fes forces dans un camp retranché près d’Am-
bour, où il fut attaqué. Après avoir réfifté deux
jours, il fut forcé le-troifième par les frânçois,
8c perdit la vie 8c la bataille à l’âge de quatre-
vingt-deux ans ; fes deux fils, Maffous-Khan 8c
Méhémet-Aly-Khan fe trouvèrent à cette aétion 3
le premier fut fait prifonnier, 8c l’autre fe réfugia
dans la forterefle de Tritchenapoli. Tout
le refte du pays reconnut le petit-fils de Nizam-
el-Moulouc pour nabab à’ A r ca te .
Nazerzing, jaloux de la nouvelle puiflance
qu’Idadmondi-Khan, fon neveu, avoit acquife
malgré lui, raflembla toutes fes troupes, 8c marcha
dans le pays à ’ A r c a t e , afin de le punir, &
d’attaquer les frânçois 8c Chanda-Saeb, qui l’a-
voient excité à la guerre & lui avoient donné du
fecours. Au mois de février 1750, il arriva avec
une armée innombrable à fix lieues de Pondichéry.
Les anciens miniftres 8c les courtifans de Nizam
el-Moulouc, affligés de voir la diffention
dans cette famille, cherchèrent à réunir l’oncle
& le neveu, 8c convinrent entre eux que le
neveu fe rendroit dans le camp de fon oncle
pour lui demander pardon , & que celui - ci lui
îaccorderoit l’inveftiture de la Nababie d’Arcate.
Idadmpndi-Kan , fur la garantie des médiateurs,
fe rendit au camp de Nazerzing, qui le fit arrêter
au lieu de le déclarer nabab d’Arcâte.
Cette perfidie du fouba du décan produifit un
mécontentement général dans fon armée. Les
grands tramèrent fa perte; M. Dupleix fit marcher
l’armée françoife (1) compofée de huit cens
frânçois 8c de quatre mille cipayes, contre celle
de Nazerzing, forte de plus de 300,000 com-
battans. Ce petit nombre de frânçois, aidé par
les grands dont je viens de parler, détrôna Na^
zerzing, qui fut tué fur fon éléphant par le nabab
Patane de Carpet, un dès conjurés. Son
neveu Idadmondi-Kan prit fa place au mois de
décembre de la même année.
Idadmondi - Kan, qui prit le nom de Mou^a -
F e r ç in g , témoigna fa reconnoiflance à M. Dupleix
8c à tous les frânçois, & il donna l'invef-
titure de la Nababie à ’ Ar cate à Chanda-Saeb. En
retournant à Ayder-Abad fa capitale , il fut
accompagné de M. de Bufli, à la tête d’un corps
de troupes françoifes ; ce jeune prince n’eut pas
le bonheur d’achever fon voyage ; il fut aflafliné
par les patanes dans une fédition. Au commencement
de 1751 , fon oncle Salabetzing lui fuc-
cèdâ , 8c eut pour les frânçois la même affeétion
que fon neveu j M. de Lalli ayant rappellé en
1758 M. de Bufli, qui fê trouvoit à la cour 8c à
l’armée de Salabetzing , ce fouba , qui avoit de
la bonté, mais peu de talens, fut aflafliné par fon
frère Nizam-Ali-Kan, qui eft aujourd’hui fouba
du Décan , fous le nom de Ni^am - jyau.Lla.
Les anglois ayant toujours foutenu le parti de
la famille d’Anaverdi - Kan , préférèrent Méhé-
met-Aü-Khan à fon frère aîné, 8c le firent re-
connoître nabab d’Arcate , dans.le traité de Fontainebleau
, après l’avoir aidé à dépouiller tous
les'princes de l’ancienne famille des nababs d’Arcate,
Depuis cette époque , la compagnie an-
gloife 8c le cabinet de faint James , ont fend
qu’il étoit de leur intérêt de maintenir la famille
de Mehemet-Âli-Kan fur ie trône à ’A r ca te ', 8c
on lésa vu]entreprendrè plufiéurs guerres d'après
cette vue politique. 7
Nous dirons ailleurs (2) comment le célèbre
Ayder-Ali-Khan , acquit plufieiirs fouverainetés >
8c fur quels prétextes il réfolut de conquérir la
plupart des petits états de l’inde.
Ayder-Ali - Khan eflaya de détrôner Mehemet-
Ali-Ahaiï, 8c de s’emparer delà Nababie d’Arca-
té , mais Ton projet n’eut pas un plein fuccès. Il
fi'gnà le 1 y avril 17(39 deux traités, dont voici la
fubftance. Le premier, conclu avec le roi d’Angleterre
, ftipufa paix 8c amitié entre le roi d’Angleterre
George III, & Ayder-Ali-Khan , fouba
de Scirra, roi de Canara, &e. &c. 8c leurs
fujets refpe&ifs j il déclara que tous les prifon-
niers feroient rendus de part 8c d’autre ; 8c que
les fujets des dè‘üx fouverains jouiroient d’une
(1) C’eft M. de la Touche qui la commandoit.
(*) Voyei les articles Ca l i c u t , Ca n e r a , Ma is so ur , DECAN & $EIr ra,