
capable de réfifter par eüe-mêmè AUX Attaques
«étrangères, & propre à voler avec le temps au
fecours des autres colonies, lorfque les circonf-
tances pourraient l'exiger.
Tel rut évidemment Ton fÿftême. Il ne crut pas
fans doute qu'une région amfi .habitée, enrichirait
la métropole par la production des denrées
propres aux Colonies méridionale* Les bons principes
lui étoient trop familiers, pour ignorer qu'il
n'eft pas poflible de vendre, fans fuivre le cours
du marché général ; qu'on ne peut atteindre ce
but qu'en cultivant avec aufli peu de frais que fes
rivaux ; 8z que des travaux faits par des hommes
libres, font de toute néceflité infiniment plus
chers que ceux qui font abandonnés à des efclaves.
Les opérations étoient dirigées par un miniftre
aCtif. En politique fage, qui ne facrifie pas la
sûreté aux richeffes, il ne fe propofoit que d'élé-
ver un boulevard pour défendre les poffeflions
françoifes. Touché peut-être de tout ce qu'on avoit
écrit en faveur de l'humanité, il voulut refpeéter
les droits du genre humain, & peupler d'hommes
libres ces contrées fertiles & déferres. Mais le
■ génie, fur-tout Iè génie' impatient de jouir, ne
prévoit pas tout. On crut que des Européens fou-
tiendroient fans précautions fous la zone torride
les fatigues qu'exige le défrichement des terres ;
que des hommes qui ne s'expatrioient que dans
Tefpérance d'un meilleurt fort, s'accoutumeraient
à la fubfiftance précaire d'une vie fauvage, dans
un climat moins fain que celui qu'ils quittoient.
Ce mauyais fyftême fut préfenté par des hom-
ïnes audacieux que leur prefomption égarait, ou
qui facyifioient la fortune publique à leurs intérêts
particùliers j on l'avoit adopté légèrement,
on l'exécuta avec la même légéreté. On oublia de
combiner les rapports que la nature a mis entre
la terre & les nommes. Ceux-ci furent diftribués
en deux claffes, l'une de propriétaires & l'autre
de mercenaires. On ne vit pas que cette diftribu-
tion, qui fe trouve établie en Europe, & prefque
chez toutes les nations civilifées, eft l'ouvragé de
Ja guerre, des révolutions & des hafards infinis
que le temps amène? que c'eft la fuite des progrès
de la foçiabilité, mais non la bafe & le
fondement de la fociété, qui, dans l'origine, veut
que tout fes membres participent à la propriété.
S'il eft utile dans les nouveaux établiflemens ou
dans les pays à demi-barbares, tel que la Corfe,
de diftribuer inégalement les richeffes, afin que
les propriétaires trouvent des ouvriers, il ne faut
pas du moins facrifier tout à fait la loi de la nature
a cette confidé.rarion politique ; 8c il paraît que
dans celui de Cayenne ou de la Guyane, on $'ér
carta de cette régie fondamentale. On ne deftina
des terres qu'à ceux qui pourraient y paffer avec
des fonds & des avances pour les cultiver. Les
autres, dont on tenta la cupidité par des efpéran-
ices vagues ou équivoques, furent exclus du partage
des terres. Si l'on eût donné une portion de
terrem à défricher à tous les nouveaux colons
qu'on portoit dans cette région, nue & deferte,
chacun l'eût cultivé d'une maniéré proportionnée
à fes forces & à fes moyens, l'un avec fon argent,
l'autre avec fes bras. Il ne falloit ni rébuter
ceux qui avoient des capitaux, parce que c'étoient
des hommes très-précieux pour une colonie naif-
fante, ni leur donner une préférence exclufive ,
de peur qu'ils ne révoltaient les coopérateurs
dont ils avoient befoin. Il étoit convenable &
néceffaire d'offrir à tous les membres de la nouvelle
migration , une propriété où ils puffent faire
valoir leur travail, leur induftrie , leur argent ,
en un mot leurs facultés plus ou moins étendues.
On devoit prévoir que des Européens, quelle
que fût leur fituation, ne quitteraient pas leur
patrie fans Tefpérance d'un meilleur fort ; & que
tromper leur efpoir & leur confiance à cet égard,
feroit ruiner la colonie qu’on vouloit former.
Des hommes tranfportés dans des régions incultes,
n'y trouvent que des befoins; &les travaux
les mieux ordonnés, les plus fuivis ne
fauroient empêcher que ceux qui' pafferant dans
ces déferas pour défricher lés terres, ne reftent
dénués de tout jufqu'à l'époque plus ou moins
éloignée des récoltes. Aufli la cour de Verfailles,
à qui une vérité fi frappante ne pouvoit échapper,
s'engagea-t elle, a nourrir ipdiftin&ement,
durant deux années, tous les allemands, tous les
françois qu'elle deftinoit à la population de la
Guyane. Mais cet a£le de juftice fut mal dirigé.
Il lalloit prévoir que les vivres feraient mal choifîs
par les agens du gouvernement 5 il falloit prévoir
que, quand même les approvifionnements auraient
été faits avec zèLe , avec prudence, avec définté-
reffement, c'étoit une néceflité que la plupart fe
«gâtaflent, foit dans le trajet, foit au terme. H
falloit prévoir que les viandes falées, bien ou
mal confervées, ne feraient jamais une bonne
nourriture pour de malheureux réfugiés qui quittant
un climat fain & tempéré alloient occuper
les fables brûlans de la zone torride, & refpires
l'air humide & pluvieux des tropiques.
On aurait dû s'occuper de la multiplication des
troupeaux, avant de fonger à l’établmement des
hommes. Cette précaution n'auroit pas feulement
affuré une fubfïirance faine aux premiers colons ,
elle leur aüroit encore fourni des inftrumens commodes
pour les entreprifes qu'exige la formation
d'une peuplade nouvelle. Avec ce fecours, ils auraient
bravé des fatigues que le miniflère fe
feroit chargé de payer libéralement, & auraient
préparé des logemens & des denrées à ceux qui
dévoient les fuiyrg. L'établiffement qu'il s’agifïoit
de former*au^it acquis, en peu de temps, la
çoqfiftance dont il étoit fufceptible.
On ne fit pas ces réflexions fi fimples, fi naturelles.
Douze mille hommes furent débarqués
après une longue navigation, fur des côtes dé*
fertçs & impraticables» On fait que dans prefque
toute la îorte torride, l'année eft partagée en
deux faifons, l'une féche & l'autre pluvieufe. A
la Guyane, les pluies font fi abondantes, depuis le
commencement de novembre jufqu'à la fin de
mai, que les terres font fubmergées ou hors d e-
tat d'être cultivées. Si les nouveaux colons y
étoient. arrivés aq commencemeut de la faifon
féche, diftribués fur les terrains qu'on leur deftinoit
, ils auraient eu le temps d'arranger leurs
habitations, de couper les forêts oü de les brûler,
de labourer ou d'enfemencer leurs champs.^
Faute de ces combinaifons, on ne fut où placer
cette foule d'hommes qui arrivoient coup fur
coup dans la faifon des pluies. L'Ifle de Cayenne
aurait pu fervir -d'entrepôt & de rafraîchiffement
aux nouveaux débarqués. On y aurait trouve du
logement & des fecours. Mais la fauffe idée dont
on étoit prévenu, de ne pas mêler la nouvelle
colonie avec l'ancienne, fit rejétter cette reffource.
On dépofa dans les ifles du Salut ou fur les
bords du Kourou, fous la toile & dans de mauvais
hangards, douze mille malheureux. C eft-la
que, condamnés à l'inaélion, à l'ennui, à la
privation des premiers befoins, aux maladies con-
tagieufes qu'enfantent toujours des fubfiances ^corrompues,
à tous les défordres que produit Toifi-
veté dans une populace tranfportée au loin., fous un
nouveau ciel, ils finirent leurs trilles deftinees.
Pour que le malheur fût complet, & que les
25,000,000 employés par le gouvernement,^ fuf-
fent entièrement perdus , l'homme chargé de
mettre .fin à tant de calamités, crut devoir ramener
en Europe deux mille hommes, dont la
conflitution robufte avoit réfifté à l'intempérie du
climat, 8c à plus de mifere qu'on ne Cuirait
dire.
Qu'eft-il arrivé de ces fauffes mefures qui ont
coûté la vie à tant de fujets, & à tant d étrangers
? C'eft qu'on a décrié la Guyane 8c Cayenne
qvec tout l'excès que le reffentiment du malheur
ajoute à la réalité de fes caufes. Heureufément
les obfervations de quelques hommes éclairés
nous mettent en état de débrouiller le cahos.
Cette vafte contrée qu'ôn décora du magnifique
nom de France équinoxiale , n'appartient pas
toute entière à la cour de Verfailles. Les Hol-
landois, en s'établiffant au nord & les Portugais-
au midi, ont refferré les François entre la riviere
de Marouy & celle de. Vincent Pinçon ou
d'Oyapock, ce qui formé encore un efpace de
plus de cent lieues.
Les mers, qui baignent cette longue côte,,
font faciles -, ouvertes, débarraffées de tous les.
obftactes- qui pourraient gêner la. navigation. On
n'y voit que les deux ifles du Salut, à trois lieues
de la terre-ferme. Comme elles ne font feparées
que-par un canal de 80 toifes, il feroit aifé de les
joindre; & après leur union, elles formeraient
un abri fuffifant pour les plus grands yaiffeaux.
La nature a tellement difp.ofé les choies, qu'il
en coûterait peu d'argent pour rendre avec les
matériaux qui fe trouvent fur les lieux meme ce
polie imprenable. De ce port, couvert de tortues
une partie de l'année, & placé au vent de l'Archipel
Américain , une efeadre pourrait, durant
la guerre, voler en fept ou huit jours au fecours
des poffeflions nationales, ou aller attaquer celles
des puiffances ennemies de la France.
Nul danger n'eft à craindre dans ces parages*
Les vents font généralement favorables pour^ ap*-
procher, autant & fi peu qu'on veut, d#es côtes.
Si, ce qui eft infiniment rare, leur ordre eft
interverti, ou s'il furvient quelque calme, on a la.
reffource de mouiller par-tout fur un fonds excellent.
Ces avantages font accompagnés de quelques*
inconvéniens. Des torrents rapides s'oppofent à l'arrivée
des navigateurs. Si, pour les éviter, on
approche trop prés de la terre, l'eau manque
prefque par-tout. On n'en trouve pas même à
l'embouchure des rivières qui ne peuvent recevoir
que de très-petits bâtiments. Celle d’Aprouague eft
la feule qui ait douze pieds. Là, échoués fur une
vafe molle, les navires peuvent fe livrer fans
inquiétude à toutes les réparations dont ils ont
befoin. Cependant il leur convient de prefTer
leurs travaux ; parce que les vers , les eaux bour-
beufes, les pluies & les chaleurs y déttuifent, en
fort peu de temps, les. vaiffeaux les mieux construits,
les mieux équipés.
Dans cette région, quoique voifîne de l'équateur,.
le climat eft très-fupporrable. Cette température
peut être attribuée à la- longueur des nuits ,
à ^abondance des brouillards 8c des rofees. Dans,
aucun temps , on n'éprouve à la Guyane ces-
chaleurs étouffantes fi ordinaires dans tant d'au--
très contrées de l'Amérique.
Malheureufement pendant les fix premiers moi»
de l'année 8c quelquefois plus long-temps,; cette
colonie eft abîmée par des déluges d'eau. Ce»
pluies furabondantes dégradent les lieux élevés,,
inondent les plaines, pourriffent les plantes, 8c
fufpendent les travaux les plus preffés. La végétation
eft alors fi force, qtfc'il feroit impoflible
d?e la retenir dans- de juftes bornes, quelque nombre
de bras qu'on employât pour la combattre..
A cette calamité en fuccède une autre. C'eft
une longue féchéreffe qui ouvre la= terre 8c qui
la calcine.
Les opinions fur le fol de la Guyane fê contrarièrent
très-long-temps. Il eft aujourd’hui connu
que cfeft le plus fouvent un tuf pierreux , récouvert
de fables & du débris de: quelque végétaux-
Les terres font d’une exploitation facile : mais
leur produit eft toujours- tras-foible , 8c il eeffe
même après cinq ou fix ans* Le cultivateur eft
alors réduit à faire de nouveaux défrîehemens „
qui ont toujours le fort des premiers. Ceux
même qui font exécutés dans quelques veines
d'un fol plus profond qu’on trouve par intervalle ,