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I l eft infiniment fupérieur à celui que l'Europe reçoit
à travers des mers immenfes. Aufîi les ruffes
font-ils forcés de le payer jüfqu'à vingt francs la
livre, quoiqu'ils le revendent rarement plus de
quinze ou feize. Pour fe dédommager de cette
perte * ils ne manquent jamais de hauffer le prix
de leurs pelleteries : mais cette rufe eft moins à leur
avantage qu’au profit du gouvernement, qui perçoit
une impofition de vingt - cinq pour cent fur
tout ce qui fevend , fur tout ce qui s'achète. La
douane de Kiatcha produit quelquefois à l'état ju f
qu'à deux millions de livres. Le commerce de la
Ruflîe avec la Chine doit s'élever alors à fix millions.
Les premiers européens, que leur inquiétude
pouffa vers les côtes de la Chine 3 furent admis
indiftindfcement dans, toutes les rades de l'empire.
Leur extrême familiarité avec les femmes, leurs
violences avec les hommes, des aêtes répétés de
hauteur & d'indifcrétion les firent concentrer depuis
à Canton 3 le port le plus méridional de ces
côtes étendues.
Leurs navires remontèrent d'abord jufqu'aux
murs de cette cité célèbre, fituée à quinze lieues
de l'embouchure du Tigre. Peu-à-peu le port fe
combla, au point de n'offrir que douze à treize
pieds d'eau. Alors nos bâtimens, qui de jour en
jour avoient acquis plus de grandeur , furent forcés'
de s'arrêter à Hoang-pou, à trois milles de la
place. C 'eft une affez bonne rade, formée par deux
petites ifles. Des circonftances particulières firent
accorder, en 1745^ aux françois la liberté d'établir
leurs magafins dans celle de Wampou , qui
eft falubre & peuplée 5 mais les nations rivales
font toujours réduites à faire leurs opérations dans
l'autre abfolument déferte , & finguiiérement mal
faine après que le riz y a été coupé.
Pendant les cinq ou fix mois que les équipages
des navires européens fe morfondent ou périffent
à Houang-pou, les âgens du commerce font leurs
ventes & leurs achats a Canton. Lorfque ces étrangers
commencèrent à fréquenter ce grand marché >
on les fit jouir de toute la liberté que comportait
le maintien des loix. Bientôt ils fe laffèrent de la
circonfpeélion néceffaire dans un gouvernement
rempli de formalités. En punition de leurs imprudences
, tout accès direét chez le dépofitaire de
l'autorité publique leur fut fermé, & ils furent
tous réunis dans un feul quartier. Le magiftrat ne
permit une autre demeure qu'à ceux dont un hôte
accrédité garantiffoit les moeurs & la conduite.
Ces liens furent encore refferrês en 1760. La cour,
avertie par les anglois des vexations criantes de fes
délégués, fit partir de Pékin des commiffaires qui
fe lai fièrent féduirè par les accufés. Sur le rapport
de ces hommes corrompu^, tous les européens
furent confinés dans un petit nombre de maifons ,
d'où ils ne pouvoient traiter qu'avec une compagnie
armée d'un privilège excluûf. Ce monopole a
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depuis un peu diminué j mais les autres gênes font
toujours les mêmes.
Ces humiliations ne nous ont pas dégoûtés de
nos liaifons avec la Chine. Nous continuons d'y
aller chercher du thé , des porcelaines, des foies,
des foieries , du vernis, du papier, de la rhubarbe,
& quelques autres objets moins impor-
tans. . "
Prefque toutes les porcelaines de la Chine fe font
à Kingto-ching, bourgade immenfe de la province
de Kianfî. Elles y occupent cinq cens fours, & y
à ce qu'on dit, un million d'hommes On a eflaye
à Pékin, & dans d'autres lieux de l'empire, de le*
imiter > & les expériences ont été malheureufes
par-tout, malgré la précaution qu'on avoit prife
de n'y employer que les mêmes ouvriers , les memes
matières. Audi a-t-on univerfellement renonce
à cette branche d’induftrie, excepté au voifinage
de Canton où on fabrique la porcelaine, connue
parmi nous fous le nom de porcelaine des Indes.
La diverfité des foies que recueille l'Europe ne
l'a pas mife en état de fe paffer de celle de la
Chine. Quoiqu'en général fa qualité foit pefante
& fon brin inégal, elle fera toujours recherchée
pour fa blancheur. On croit communément qu'elle
tient cet avantage de la nature. Ne feroit il pas
plus naturel de penfer que, lors de la filature, les
chinois jettent dans la baffine quelque ingrédient
qui a la vertu de chaffer toutes les parties hétérogènes
, du moins les plus groflières ? Le peu de
déchet de cette foie , en comparaifon de toutes
les autres, lorfqu'on la fait cuire pour la teinture,
paroî.t donner un grand poids à cette conjecture.
Quoi qu'il en foit, la blancheur de la foie de
la Chine 3 à laquelle nulle autre ne peut être comparée
, la rend feule propre à la fabrique des blondes
& des gazes. Les efforts qu'on a faits pour
lui fubftituer les nôtres dans les manufactures de
blondes , ont toujours été vains , foit qu'on ait
employé des foies apprêtées ou non .apprêtées.
On a été un peu moins malheureux à l'egard des
gazes. Les foies les plus blanches de France &
d'Italie l’ont remplacée avec une apparence de
fuccès j mais le blanc & l'apprêt n'ont jamais été
fi parfaits.
Dans le dernier fièele, les européens tiroient de
la Chine fort peu de foie. La nôtre étoit fuffifante
pour les gazes noires ou de couleur , & pôur les
marlis qui étaient alors d'ufage. Le goût qu'on
a pris depuis quarante ans , & plus généralemeut
depuis vingt-cinq, pour les gazes blanches & pour
les blondes, a etendu peu à peu la confommation
de cette production orientale : elle s'eft. élevée ,
dans.les temps modernes* à 80 milliers par au ,
dont la France en a toujours employé près des trois
quarts. Cette importation a fi fort augmenté, qu'en
1766 les aftglois feuls en tirèrent cent quatre milliers.
Comme les gazes & les blondes ne pouvoient
pas la confommer, les manufacturiers.en employèrent
une partie dans leurs fabriques de moires de,
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de bas. Ces bas ofit , fur les autres, l'avantage
d'une blancheur éclatante & inaltérable 5 mais ils
font infiniment moins fins.
Indépendamment de cette foie d'une blancheur
unique, qui fe recueille principalement dans la
province de Tche-Kiang, & que nous connoiflons
en Europe fous le nom de fo ie de Nankin 3 lieu où
on la fabrique plus particuliérement, la Chine produit
des foies communes que nous appelions Joies
d t Canton. Comme elles ne font propres qu'à quelques
trames , & qu'elles font aufli chères que
celles d’Europe qui fervent aux mêmes ufages ,
on en tire très-peu. Ce que les anglois & les hol-
landois en exportent ne pafle pas cinq ou fix mil- I
lions. Les étoffes forment un plus grand objet.
Les chinois ne font pas moins habiles à mettre
les foies en oeuvre qu'à les recueillir. Cet éloge
ne doit pas s'étendre à celles de leurs étoffes où
il entre de l'or & de l’argent. Leurs manufacturiers
n'ont jamais fu paffer ces métaux par la filière,
& leur induftrie s’eft toujours bornée à
rouler leurs foies dans des papiers dorés, ou à
appliquer les étoffes fur ies papiers mêmes. Les
deux méthodes font également viciéufes.
Quoique les hommes foient plus frappés en général
du nouveau que de l'excellent, ces étoffes,
malgré leur brillant, ne nous ont jamais tenté.
Nous n'avons guères moins été rebutés de la dé-
feCluofité de leur deffein. On n'y voit que des figurés
eftropiées & des groupes fans intention. Per-
fonne n’y a reconnu le moindre talent pour diftri-
buer les jours & les ombres, ni cette grâce, cette
facilité qui fe font remarquer dans les ouvragés de
nos bons artiftes. Il y a dans toutes leurs produc- :
tions quelque chofe de roide & de mefquin, qui
déplaît aux gens d'un goût un peu délicat. Tout
y porte le cara&ère particulier de leur génie, qui
manque de feu & d'élévation.
Ce qui nous fait fupporter ces énormes défauts
dans ceux de leurs ouvrages qui repréfentent des
fleurs, des oifeaux, des arbres, c'eft qu'aucun de
ces objets n'eft en relief. Les figures font peintes
fur les étoffes mêmes, avec des couleurs prefque
ineffaçables. Cependant l’illufion eft fi entière,
çju on croiroit tous ces objets brochés ou brodés.
Les étoffes unies de la Chine n'ont pas befoin
d indulgence j elles font parfaites, ainfi que leurs
couleurs, le verd & le rouge en particulier. Le
blanc du damas a un agrément infini. Les chinois
Remploient à cet ouvrage que les foies de Tche-
Kiang. Ils font, comme nous, débouillir la chaîne
à fond y mais ils ne cuifent la trame qu'à demi.
Cette méthode conferve à l'étoffe un peu de corps
Sc de fermeté. Les blancs en font roux, fans être
j aunâtres, & délicieux à la vue , fans avoir ce
grand éclat qui la fatigue.
C e font les tartares calmouks & les habitans
de la grande Bûchai:^ qui portent la rhubarbe à
Orembourg. Le gouvernement rufle l’y fait ache-
£cr. Les bonnes racines font féparées des mauYàifes
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avec attention. On brûle ce qui ne mérite pat
d’être conferve , & l’on fait éprouver une nouvelle
déification au refte. La partie qui n’eft pas
confommée dans l’intérieur de l’empire, eft livrée
à des négocians anglois, à Un prix convenu & qui
ne varie point. C'eft la meilleure de toutes les rhubarbes.
Après celle-là, vient celle que les peuples de
la grande Bucharie portent en Perfe , & qui ,
après avoir trâverfé parterre une partie de TAfie,
arrive fur les bords de la méditerranée, où elle
eft achetée par les vénitiens. Avant d’être revendue,
cette rhubarbe reçoit à-peu-près les mêmes
foins que celle qui a pafle par les mains des
rufles.
Ce qui vient de rhubarbe par ces deux voies ,
ne fuffifant pas à nos befoins, l'on a été réduit à
employer celle que nos navigateurs nous apportent
de la Chine. Elle eft très - inférieure aux autres
foit qu’elle n’ait été defféchée qu’au four, comme
-on le comeéhxre, parce qu’elle n’eft pas percée,
foit que le. voifinage des autres marchandifes lui
ait_ communiqué un goût particulier, foit enfin
qu'un long fejour fur l’océan l’ait dénaturée.
L Europe a defiré de s’approprier cette plante
fiuutaire. Le pied-qu’on en voit au jardin royal dé
Paris a déjà fourni des graines & des rejettons
qui ont profpéré en pleine terre dans plufieurs provinces
du royaume. La fociété formée à Londres
pour l’encouragement des arts & du commerce,
diftribua eh 1774 des médailles à deux cultivateurs
anglois , qui avoient recueilli de la rhubarbe d’une
qualitéSupérieure. Ces premiers effais doivent avoir
des fuites favorables.
Outre les objets dont on a parlé, les européens
achètent a la Chine de l'encre ,. du camphre, du
borax, du rottin , de la gomme-lacque, & ils y
achétoient autrefois de l’or.
-En Europe, un marc d'or vaut à-peu-près 14
marcs & demi d’argent. S’il exiftoit un pays où
il en valût vingt, nos négocians y en porteroient
pour l’echanger contre de l’argent. Ils nous rapporteraient
cet argent pour l’échanger contre de
l'or, auqueUIs donneroient la même deftination.
Cete aâivité continueroit, jufqu'à ce que la valeur
relative des deux métaux fe trouvât à-peu-
près la même dans les deux contrées. Le meme
intérêt fit envoyer long-temps à la Chine de l’argent
pour le troquer contre de l’or. On gagnoit à
.cette mutation quarante-cinq pour cent. Les compagnies
exclufives ne firent jamais ce commerce
parce qu’un pareil bénéfice, quelque confidérablê
qu’il paroifle, auroit été fort inférieur à celui
quelles faifoient fur les marchandifes. Leurs agens
qui n’avoient pas la liberté du choix, fe livrèrent
à oes-fpéculations pour leur propre compte. Ils
pouffèrent cette branche d’induftrie avec tant de
vivacité, que bientôt ils ne trouvèrent pas un avantage
fuffifant à la continuer. L’or eft plus ou moins
cher à Canton, fuivaat la faifon où on l’achète.'