
plus redoutable qu’elle fembloit néceffaire à l’ordre
public , en feroit ufage contre la liberté des
citoyens.
Avant l’aéle à’habeas corpus3 les loix d’Angleterre
accordoient à l’homme injuftement emprifonné ,
des writs 3 appelles de main-priçe , de odio & atiâ 3
& de komine replegiando : ces tvrits 3 qui ne pou-
voient fe refufer , étoient un ordre au sheriff du
comté d’examiner les caufes de la détention & 3
félon les cas , de relâcher le prifonnier purement
& Amplement 3 ou fous caution.
Le writ d’HABEAS corpus 3 qu’on emploie aujourd’hui
3 eft le plus fur j & il a tacitement aboli
tous les autres. On l’appelle ainfi, parce qu’il commence
par les mots habeas corpus ad fubjiciendum.
Il étoit connu avant l’aéte d’habeas corpus dont
je parlerai.tput - à- l’heure r mais comme il fe
trouvoit confondu parmi les autres writs de haute
prérogative y\\ devoit fortir de la cour du banc du
roi j fon effet s’étendoit fur tous les comtés ; le roi
yordonnoit , ou étoit cenfé y ordonner à celui qui
détenoit un de fês fujets 3 de le préfenter devant
le juge , & de défigner l’époque & la caufe de fa
détention.
Xlfàvrit 3 qui pouvoit être une reffource dans
les de détentions violentes faites par des particuliers
3 ou d’emprifonnemens obtenus à leur
requête 3 n’en étoit qu’une bien foible, ou plutôt
n’en étoit pas une contre le pouvoir du prince 3
fur-tout fous le règne des Tudors & au commencement
de celui des Stuarts. Sous Charles I,
les ju^es du banc du roi qui 3 par une fuite de
l’efprit du temps , & parce qu’ils exerçoient leurs
chargés durant plazjir 3 étoient prefque toujours
dévoués à la couronne, décidèrent même •« que
« lorfque l’emprifonnement avoit été fait par or-
» dre exprès du roi ou dés membres du confeil
« privé, ils ne pouvaient, fur la préfentation d’un
»writ, libérer le prifonnier ou. recevoir fa cau-
« tion, encore que l’ordre d’emprifonnement ne
» portât aucune caufe ».
Ces principes & la manière de procéder, qui.en
étoit la fuite , attirèrent l’attention du parlement j
& dans l’afte de la pétition des droits .paffé la troi-
iième année du règne de Charles I , il fut défendu
de détenir un citoyen en prifon par ordre du roi
ou du confeil privé, A le warrant ne donnoit pas
de caufe.
L’adreffe des juges fut éluder l’effet de cet ade :
ils ne refufèrent pas, à la vérité j de relâcher un
homme emprilohne fans caufe , mais ils apportèrent
tant de délais à l’examen des caufes , qu’ils fe
permettoient un véritable déni de juftice.
La légiflatîon s’occupa de nouveau de cet objet >
& i’acle paffé la feizième. année du règne de Charles
I , le même qui fupprima la chambre étoilée ,
déclara « que A quelqu’un eft envoyé en prifon
» par le roi lui - même en perfonne , ou par fbn
» confeil privé , on lui accordera fans délai un
» writ d'habeas corpus ; 8éque le juge fera oblige
» d’examiner & décider, dans les trois jours qui
» fuivront la préfentation du Writ, la légalité de
» l’emprifonnement ». . t
C e t aéte fembloit ne.pouvoir plus être éludé; il
le fut encore ; & par la connivence dès juges, le
détenteur pouvoit , fans péril, attendre un fécond
& un troiftème Writ, appellé un alias & unplu-
rles , avant de produire le détenu.
Tous ces fubterfuges produiArent enfin le fameux
a'éle à‘habeas corpus, paffé la trente-unième
année du règne de Charles I I , qui eft regardée en
Angfeterre comme une fécondé grande charte, & qui
n’ a laiffé aucun moyen au roi ni aux juges d’opprimer
les citoyens ( i ) .
Voici les principaux articles de cet a&e : i ° . il
fixe les différentes époques auxquelles un prifonnier
doit être produit : ces époques font proportionnées
à la diftance des lieux ; & la plus longue
ne peut excéder vingt jours.
2°. Tout officier,^ ou conciërge de prifon^ qui
ne produira pas le prifonnier dans le temps fixé „
qui ne délivrera pas au prifonnier ou à fon agents,
Ax heures après fa demande, une copie de l’ordre
d’emprifonnement, ou qui tranfportera le
détenu d’une prifon à l’autre 3 fans une desraifons
exprimées dans l’a& e, eft condamné, pour la première
fo is , à une amende de cent livres fterling,
& pour la fécondé à une amende de deux cens, au.
profit de la perfonne léfée ; & déclaré en outre incapable
d’exercer fon office.
3°. Un prifonnier mis en liberté par un^habeas.
corpus 3 ne peut être emprifonné de nouveau pour
la même oftenfe , à peine de cinq cens livres fterling
d’amende. *
4°. Si une perfonne emprifonnée pour trahifon
ou félonie, requiert, dans la première femaine
d’un terme 3 qw dans Je premier jour d’une^affife, .
d’être jugé dans ce terme ou à cette affife, on
doit fe conformer à fa demande, à moins que les
témoijns ne puiffent arriver à cette époque. Si on
ne juge pas cette perfonne au fécond terme ou à
a féconde affife elle doit être mifè en liberté.
5°. Ceux des douze jugés, ou le lord chancelier
lui-même., qui, fur la préfentation du warrant
d’emprifonnement, ou fur ferment, que les officiers
l’ont dénié 3 refuferoient de délivrer un writ
à.’habeas corpus, font condamnés àmhé amende de
cinq cens livrés fterling, au profit de lapartie léféeô
6 °. Aucun habitant d’Angleterre, excepté ceux
qui, convaincus & jugés, demandent à être transportés
, ne peut être envoyé prifonnier en Ecoffe,
en Irlande, à Jerfey , Guernefey, èff;;àan.s aucune
autre place,au-delà de la mer : ceux qui exécutent
un pareil emprifonnement, ceux quileiir donnent
( i ) Le véritable titre de l’atte eft ; « a&e pour mieux affurer la liberté des fujeçs., 5c prévenir la tranfportation
* au-delà des mers »,
du fecoürs, feront condamnés à une amende , I
qui doit être au moins de cinq cens livres fterling,
au profit de la perfonne léfée, & payer des dom- 1
mages triples de ceux qu’on arbitrerait dans une
autre occafion : ils font déclarés incapables d’au- I
cun office; ils encourrent toutes les peines d’un
pr&munire ( i ) ; & ils ne peuvent recevoir le pardon
du roi.
L ’Angleterre , qui veille avec tant de foin au
maintien de fa conftitution, qui en réforme les
abus avec tant de vigilance, ne s’occupe par avec
la même ardeur de la réforme de fes loix civiles
& criminelles. Elle laiffe fubfifter parmi ces dernières
des règlemens atroces, qui font un refte
de la barbarie ; telle eft la peine fi connue qu’on
nomme peine forte & dure ; telles font d’autres encore
que je pourrais citer.
Je fais bien qu’on ne les obferve plus.; mais elles
déshonorent leur code : les étrangers qui, en général,
ne rendent point juftice à la conftitution &
aux loix de l'Angleterre , ne manquent pas de les
citer d’un air triomphant ; & il faut les abolir d’une
manière folemnelle.
J ’ai oui dire à un habile jurifconfulte, que ces
règlemens barbares fe trouvent abolis tacitement
par des loix poftérieures ; mais tout le monde n’eft
point de cet avis; & encore une fo is ,' s’il eft dam
gereux de réformer le code en entier, il n’y a
aucune raifon pour y laiffer des articles A odieux.
A u refte on ne doit pas craindre qu’on les exécute
jamais.
Excepté ces légers défauts, le code criminel
d'Angleterre eft d’une extrême fageffe; & il produit
les meilleurs effets.
On n’ y affaffine guère, parce que les voleurs peuvent
efpérer d’être tranfportés. dans les colonies >
non pas les affaffins ; les anglois paroiffent avoir
mieux fenti la vérité de cette maxime bien Ample
de Montefquieu : quand i l ri y a point de différence
dans la peine 3 il faut en mettre dans l-efpérance de
là grâce.
Le même auteur., qu’on ne fe laffe point de
c ite r , explique de cette manière la fageffe des loix
angloifes. fur le fuicide.
“ Nous ne voyons point dans les hiftoires, que
» les romains fe fiffent mourir fans'fujet: mais l'es
»•anglois fe tuent fans qu’on puiffe imaginer au-
» cune raifort qui les y détermine ; ils fe tuent
» dans le fein même du bonheur. Cette a&ion
» chez les romains étoit l ’effet de l’éducation; elle
» tenoit à leur manière de penfer & à leurs coutu-
» mes j chez les anglois, elle eft l’effet d’une
» maladie (2) ; elle tient à l’état phyfique de la
» de la machine, & eft indépendante de toute
» autre caufe.
» Il y a apparence que c’eft un défaut de filtra-
» tion du fuc nerveux ; la machine dont los forces
» motrices fe trouvent à tout moment fans aétion,
» e ft laffe d’ellé- même ; l’ame ne fent point de
b-douleur, mais une certaine difficulté de l’exif-
» tence. La douleur eft un mal lo c a l, qui nous
» porte au defir de voir ceffer cette douleur ; le
» poids de la vie eft un mal qui n’a point de lieu
» particulier, & qui nous porte au defir de voir
» finir cette vie.
» Il eft clair que les loix civiles de quelques
» pays, ont eu des raifons pour flétrir l’homicide
» de foi- même : mais en Angleterre , on ne peut
» pas plus le punir qu’on ne punit les effets de la
» démence ».
Avant que \ Angleterre réformât fa conftitution
, elle étoit foumife aux loix criminelles
les plus defpotiques. L ’une de ces loix paffée fous
Henri V I I I , déclarait coupables de haute- trahifon
, tous ceux qui prédiraient la mort du roi.
Vit-on jamais rien de plus vague ? Le defpotifme
eft fi terrible, qu’il fe tourne même contre ceux
qui l’exercent. Dans la dernière maladie d’Henri
V I I I , les médecins n’ofèrent jamais dire qu’il
fût en'danger , & ils .agirent fans doute en confé-
quence (3).
Après ce que j’ai dit de la liberté que les loix
criminelles deX Angleterre affurent aux citoyens,des
précautions.fans nombre qu’ elles emploient, je ne
dois pas oublier qu’ elles s’en écartent dans un feul
cas. Montefquieu s’explique fur ce point d’une
manière admirable.
« Il y a , dans les états où l’on fait le plus de
» cas de la liberté, des-loix qui la violent contre
» un feu l, pour la garder à tous. Tels font en
» Angleterre les bills appellés & atteindre (4). Ils fe
» rapportent à ces loix d’Athènes , qui ftatuoient
» contre un particulier ( 5 ) , pourvu qu’ellos fuf-
». fent faites par le fuffrage de fix mille citoyens.
(1) Le ftatut de poermmre eft ainfi appelle, parce que le vrit par lequel ou J’exécute commence par le mot præmu-
rare ( pour vrcemonere )• ' ^ • •'/. ‘ ' i j.
( 2 ) Elle pourroic bien être compliquée avec le fcorbut, qui j iur-tont dans quelques pays, rend un Jjomme biLarre
& infupportable à lui-même. Voyage de François Pyrard , part. IL cbap. XXL
f 3 ) Voyez l’Hiftoire de la réformation, par M. Burnet. v .
(4) En anglois attainder. Il ne fuffit pas, dans les tribunaux du royaume, qu’il y ait une preuve telle que les juges
foient convaincus, il faut encore que cecte preuve foit formelle, c’eft à-dire,. légale ; & la loi demande qu’il y. ait deux
témoins contre l’acciifé : une autre preuve ne fuffiroit pas. Or fi un homme préfumé coupable de ce qu’on appelle haut
crime avoir trouvé le moyen d’écarcer les témoins, de forte qu’il fût impoffible de le faire condamner par la lo i, on
pourroic portes contre lui un bill particulier d’atteindre , c’eft-à-dire , faire une loi fingulière fur fa perfonne. On y
procède comme pour tous les autres bills-: il faut qu’il paffé'dans les deux chambres , & que le roi y donne Ton confen-
tement ; fans quoi il n’y a point de bill, c’eft-à-dire, de jugement. L’accufé peut faire parler fes avocats contre le bill;
fie* on ne peut parler dans la chambre pour le bill. i s
( 5 ) Legem de fingulari (diquo ne rogato, niji fest mUlibus ità vfum, En andocide de myfienis ; c eft 1 oftraafme.