guerre ; c’eft pour le tiers du revenu des évêchés
q u i, dans quelque partie du monde que ce puifle
être , appartient au gouvernement > c’eft pour le
produit des terres acquifes ou confervees par
quelques familles fixées en Efpagne ; c ’eft enfin
pour payer les dépenfes de ceux que l’inquiétude,
j ambition ou le defir d’acquérir quelques con-
ïioiffances font fortir de leur Archipel.
Une exportation fi confidérable de métaux a
tenu les Canaries dans un épuifement continuel.
Elles en feroient forties, fi on les eût laifié paifi-
Element jouir de la liberté qui , en 1<?f7, leur
,fut accordée d’expédier tous les ans pour l’autre
hémifphère cinq bâtimens chargés de mille tonneaux
de denrées ou de marchandifes. Malheu-
reiifement, les entraves que mit Cadix à ce commerce
le réduifirent peu-à-peu à l’envoi d’ un
trè$-petit navire à Caraque.
C A N A U X D E N A V IG A T IO N , grands
chemins par eau ; routes qui donnent aux fociétés
& au commerce les communications les plus faciles
, les plus commodes, 8c les plus avanta-
geufes.
Un canal de navigation eft un conduit artific
ie l , qui reçoit 8c contient les eaux des fources,
des ruiffeaux, des rivières ou même de la mer, 8c
qui fert à les tranfmettre d’ un lieu à un autrç en
affez grande quantité, pour pouvoir porter dans
tout leur cours, des barques ou de petits vaif-
feaux chargés de marchandifes. Il fait fouvent
communiquer deux fleuves , quelquefois deux
mers ; 8c toujours véhicule des matières du commerce,
il devient pour les pays auxquels il fert de
lien d’qne utilité journalière.
Pour nous faire une idée jufte de cette utilité,
ïemontons un moment aux principes conftitutifs
des fociétés > 8c voyons les heureux effets des
communications 8c des débouchés , dans le rapprochement
des hommes 8c la facilité des échanges..
Nous examinerons enfuite fuccintement ;
l ° . les avantages inapréciables que procurent fur-
tout les canaux de navigation aux pays qu’ils parcourent
; 20. les entreprifes & les monumens de
ce genre les plus remarquables parmi les peuples
anciens 8c modernes; 3®. les Canaux qu’on a faits
en France, & quelques uns de ceux qu’on pour-
roit y faire encore.
j Quid homo homini prodefi ? De quoi l’homme
fert-il à l’homme ? C ’eft-là toute la feience de
l’homme d’état; les moyens de rapprochement
des hommes entre eu x , c’eft toute l’économie
politique.
L ’hc^me ne peut vivre que par 4a fociété, &
la fociété n’exifle que par un commerce continuel
d’échanges. Les communications font donc rié-
* ceflaires entre les hommes & entre leurs diverfes
-poffèflions ; car les propriétés quelconques , fojt
foncières, foit mobiliaires , ne iauroient acquérir |
la qualité de richeffes que par leur valeur d'échange.
Ainfi donc il importe à l’homme que tous fes
voifins aient des biens à échanger , puifque ces
biens font repréfentatifs de la valeur de fes propres
richeffes ; il lui importe que fes voifins fe
multiplient, afin que la concurrence enchériffe fes
propres biens & lui offre à l’envi.des échanges
profitables ; 8c il n’a pas moins d’intérêt enfin que
ces objets foient à fa portée, fans quoi il lui fau-
droit aller chercher fort loin les échanges & la
valeur de fon fuperflu. Or l ’intérêt de l’homme
eft l’iqtérêt des fociétés , 8c l’intérêt des fociétés
eft l’intérêt de l’humanité.
Mais le rapprochement des hommes opéré fans
aucune vue d’utilité, c ’eft-à-dire , fans but 8c
fans moyens de faciliter les travaux 8c les échanges
, n’eft point un avantage pour eux, comme
on peut s’en convaincre par l ’exemple de l’oifi-
v e te , qui n’engendre & ne communique que des
vices & des crimes. C e font les fruits des travaux
& les objets des échanges qu’il faut rapprocher >
& ce qu’on ne peut fur les diftances, on le peut
fur les empêchemens , qui feroient perdre à
l’homme laborieux fon temps, le premier 8c le
plus précieux de fes moyens, ainfi que les frais d.e
féjour , & tout ce qu’ il tenteroit d’efforts pour
vaincre ou franchir des obftacles, que les chemins
& les canaux de navigation font difparoître.
On doit regarder en effet les chemins & les canaux
de navigation t comme le premier lien phyfî-
que entre les fociétés, puifqu’ils donnent aux
hommes féparés , par la néceffité de leurs travaux
divers , les plus grands moyens de rapprochement
8c de communication paifible, 8c qu’ils fervent
journellement aux échanges que nécefïitent
leurs befoins refpeétifs.
Les canaux 3 fu r - to u t, qui voiturent prefque
fans frais & fans embarras les marchandifes les
plus pefantes, qui les rendent à leurs deftinations
avec fureté , peuvent faire fentir aux hommes de
tous pays , combien il leur importe, qu’ils aient
de ces fortes de communications, pour fe rapprocher
, & fe rejoindre avec toute la liberté 8c la
célérité poflibles.
Il importe aufli que ce-s chemins foient folides
8c faciles pour le tranfport des denrées 8c des
marchandifes, parce que ce tranfport, lorfqu’il
eft long & difficile, multiplie les frais, quihauf-
fent la valeur primitive de la denrée 8c la valeur
repréfentative des façons de la marchandife, q u e .
ces frais la furchargent en pure perte pour le vendeur
& pour l’acquéreur, & qu’ils diminuent &
rongent en même-temps le commerce, en l’obligeant
à dépenfer fans profit fes moyens de
payer.
On appelle débouchés , les communications
promptes & faciles. On fait que le nays le .plus
fertile de fa nature tombe en friche 8c en non valeur
fi les débouchés lui manquent j tandis que
des fables 8c des rochers font fertilifés par le travail
des hommes, fi les produits que leur conf-
tance & leur induftrie en retirent , reçoivent
promptement une valeur vénale fuffifante par une
confommation foutenue , comme celle par exemple
des habitans d’une ville voifine, & c .
La confommation eft ainfi la mefure de la
produélion, qui d’elle-même n’a de bornes que
celles des frais de culture, toujours reftreints à
la qaotité des moyens de paver des confomma-
teurs. La bâfe de la faine politique eft de multiplier
& de fubdivifer ces moyens , parce qu’ils
augmentent 8c étendent néceffairement la confommation
, 8c par conféquent la production.
Mais félon l’ordre naturel, la confommation
la plus prochaine eft la plus utile, puifqu’elle
épargne les frais du commerce 8c ceux du tranfport
, & les communications ne font que des
moyens de rapprocher la confommation. Plus
donc les chemins font beaux 8c folides, 8c rendent
les travaux faciles, plus les hommes, les travaux
& les dépenfes font rapprochés.
Les hommes ont de tout temps apperçu que
l’eau leur offroit de.s chemins fans ornières, & capables
de porter les plus grands fardeaux. Ils ont
employé leur induftrie à tirer parti de ces chemins
navigables, à faire des embarcations & à perfectionner
tous les moyens de naviguer. Ils defcen-
doierit d’abord les rivières fans beaucoup de peine,
mais ils les remontoient très-difficilement. D ’ailleurs
les rivières cefloient d’être navigables dans
les* temps de féchereffe, & fouvent des crues fu-
bites 8c extraordinaires les rendoient dangéreufes,
parce que les orages 8c l’impétuofité des torrens
y traînoient des terres, des arbres, des roches
qui en embarrafloient le cours ou en engravoient
le lit.
Chezdes véritables nations, c’ eft-à-dire, chez
celles qui, félon la loi de la nature, furent fondées
fur l’agriculture 8c fur les moyens de fa prof-
périté , regardés comme les premiers objets de la
politique, chez les véritables nations, dis-je, la
vue des inconvéniens naturels de la navigation des
rivières , fit naître le plan & l’étude d’afïujettir
le cours non interrompu des eaux v ives, qui juf-
ques-là n’avoient connu de pouvoir que celui de
la nature, à l’induftrie & au domaine de l’homme
, de les raffembler dans de vaftes baffins aux
lieux où elles n’étoient pas abondantes, d’en régler
la dépenfe avec économie, de les conduire
dans des canaux 3 creufés à la main , d’en ménager
la pente, & de les foutenir par des éclufes,
.de les égalifer par des réfervoirs, 8c livrant en-
fuite leur fuperflu à leur lit naturel ou à celui,
que pour fe débarraffer des eaux ftagnantes, les
premiers défricheurs leur avoient facilité , de
rendre ainfi la navigation indépendante des cas
fortuits 8c de l’irrégularité des faifons.
Par le même moyen , le lit de ces rivières faéti-
ces pouvant être mis à fe c , dans les temps proprès
à faire aux Canaux les réparations néeeffaires ,
l’homme eft devenu le maître de ces chemins-là
comme des autres , en y employant un entretien
régulier, infiniment peu coûteux en comparaifoil
des avantages qu’il en retire.
Comme l’Europe ne vit jamais, ni ne voit point
encore de nation fondée fur la vraie bafe des fociétés
; que le régime féodal ; l’efprit militaire ou
mercantile , la politique des contrepoids s'en partagent
les différens domaines, 8c que l’efprit fif-
cal toujours avide, toujours vorace & néceffi-
teux y règne par-tout, 8c y multiplie fes ravages:
on ne trouve guère dans nos contrées de ces
grands ouvrages qui honorent les fociétés, & la
mémoire glorieufe de leurs fublimes inftituteurs.
C e n’eft pas que l ’induftrie en ce genre manque
à l’Europe. La Hollande marécageufe , 8c
dont le fol eft plus bas que l’océan , a fçu d’une
part repouffer les mers qui l’environnent 8c qui
l’afïiègent fans ceffe ; 8c de l ’autre , foumettre les
rivières affluentes à fe prêter aux communications
fans nombre d’ un pays conquis fur les eaux, 8c
couvert de tous côtés de maifons habitées par un
peuple induftrieux 8c infatigable. La France a
pareillement quelques effais modernes en ce genre,
8c un entre autres qu’on peut regarder comme le
premier monument qui, depuis les romains, doive
être_placé parmi ceux qui honorent les nfations
éclairées.
Mais les peuples anciens fe diftinguèrent tout
autrement. C e qui nous refte de traces, foit historiques
, foit locales des anciens égyptiens,
nous prouve que l’induftrie & la puiffance , filles
d’un gouvernement établi fur une conftitution naturelle
& propre, peuvent opérer les plus grandes
chofes. Nous ne connoiffons guères des anciens
afiatiques que des monumens de fafte &
d’infolence} mais on fait qu’Alexandre, qui n’ a-
voit v u , pour ainfi dire, qu’ en courant, les im-
menfes contrées foumifes à fes armes, avoit cependant
formé, des plans dignes de fon génie ,
pour établir 8c faciliter par la navigation les rapports
& le commerce , entre tous les peuples qui
les habitoient ; d’ailleurs la terre fertile 8c le climat
favorable des Indes repouffent en quelque
forte l’induftrie humaine, qui ne s’éveille 8c ne
s’anime vivement que dans les lieux peu favori-
fés de la nature , 8c fous -l’aiguillon de la né-
ceflité.
Les chinois ( peuple indigène, éternife , fi on
peut parler ainfi, par une conftitution fondée fur
l’agriculture & fur la hiérarchie domeftique , bafes
de perpétuité ) , ravirent d’abord aux eaux ftagnantes
leurs plus belles provinces ; & toujours
occupés de travaux publics, fentirent bientôt
tout le parti qu’on doit tirer de cet élément favorable.
Leurs fleuves portent & nourriffent autant
& plus d’hommes que de poiffons : leurs canaux
font des prodiges de grandeur, d’étendue *
de magnificence 8c de folidité*