
abfurde de condamner aux galères une perfonne
quelconque , fans information de procès, ni autre
procédure ou jugement que fa volonté. Nul, délit
n'étoit énoncé dans lafentence , & il condamnoit, di-
foit-elle , ex injormatâ confcientiâ (i). Il avoit, en
outre, celui d'arrêter & d'annuller toute efpèce
de procédure, par un décret qu'il publioit, connu
fous le nom de non procedatur, mots par lef*
quels il cpipmençoit. On fent quel abus, quelle
foule de crimes ont dû produire des privilèges
suffi extravagans, auffi abufifs. Le déni de juf-
tice , ou , ce qui eft la même chofe , la
vente publique qu'on en faifoit ayant rendu aux
corfes le droit naturel de fe la faire eux-mêmes,
fis en abusèrent de telle forte, qu'effrayés fans
doute du nombre prodigieux d'anaffihats qui fe
commettoient parmi eux , ils implorèrent la juf-
tice de fa république, & demandèrent qu'on punît
de mort & irrévocablement tous les afîaffins. Jamais
lés miniftres génois ne furent affez juftes pour
leur accorder cette demande, ni affez généreux
pour ne pas vendre les lettres de grâce. Quelques-
uns les vendirent avant le délit commis, & n'en
furent pas punis comme ils le méritoient. A peine
veut-on croire le nombre de meurtres qui le .commettoient.
dans cette file, quand on lit lés liftes.
Cependant les regiftres de la république en confia
tent 2875 dans l'efpace de trente-deux ans, depuis
1683 jîifqifà 1715. Les armes à feu furent défendues.'
Gênes fit bien ou mal quelques défarme-
mens f mais fes employés, fes miniftres reven-r
doiént aux corfes les armes qu'on leur avoit con-
fifquées. Le même corfe a racheté jufqu'à 8 fois de
fuite le même fufil dans leurs .arfénaux. Cependant
, fur les demandes réitérées des corfes , la
république en profcrivit abfolument l'ufage $ mais
elle refufa long-temps ce décret, fous le prétexte
que le tréfor public perdroit le revenu que lui
procurait annuellement l'expédition des lettres de
grâce (2) ou d'abolition qu'achetoient les alfa (fins
pour fe mettre à l’abri de toute-ppurfuite.
Les corfes, pour, dédommager la république,
^imposèrent une taxe annuelle d'environ onze fous
par feu , payant ainfi leur prince afin qu'il les empêchât
de s'affaffiner entr'eux. Avant ce moment,
année commune, on comptoit 900 affaffinats. Ces
meurtres ne détruifoient guères que des gens en
état de porter les armes, & conféquemment des
hommes, l'efpérance & le foutien d'un état. Quon
juge par-là avec quelle vîteffe s'accélérait la dépopulation
de l'ille.
Selon les corfes les moins attachés au parti de
la république, Gênes ne tirait annuellement. dë
l'ille que 70,000 liv. L'événement le moins inté-
rëuant, la caufe la plus légère, *qui, dans d’autres
pays ou dans d'autres circonftances, n'auroit produit
que l'emprifonnement d'un homme, la faifîe & la
vente de fes biens, a enfanté en Corfe 40 ans de guerres.,
de crimes & d'infortunes. En 1729, le juge
de Corte va dans le village de Bo^zio., recueillir
la taille ordinaire & la taxe annuelle d'onze fous
par feu, que les' porfés s'etoient volontairement
impofés’, ainfi qu'on l'a déjà dit, pour dédommager
la république de la perte que lui occafionnoit
la défenfe du port d'armes à feu. Il manque deux
fous à un malheüreux-payfan pour achever le paiement
de l'impôt , le cqlleéteur refufe de rècevpir
fon argent, s'il ne fournit la fomme entière,,. &
mécontente par cette dureté l'habitant déjàaigri
par fa misère. Celui-ci crie contre l’exaéleur, .&
dit hautement que la république ne devoir plus
exiger cette taxe d'onze fous , attendu qu'on étoit;
convenu de la payer pendant dix ans feulement ;
que cependant on la percevait depuis 15- ans ; que
d'ailleurs on n’avoit pas défendu les armes à feu
auffi févérement qu'on l'avoit promis , puifque
beaucoup de malfaiteurs en portoient publiquement
'& ravageoient le. pays , fans qu'on cherchât
à en faire juftice. Ces propos féditieux échauffèrent
la tete de fes voifins ; ceux qui n'aVoient pas
encore payé refusèrent de le faire, & le collecteur
s'en retourna fans leur argent, & fort molefté.
Les autres pièyes, apprenant ce trouble, voulurent
fe mettre auffi de la partie : la fermentation devint
bientôt générale, & les collecteurs ne trouvèrent
prefque de toute part que des refus. Une
étincelle avoit produit un vafte embrafement. Pi-
nelli, gouverneur de l'ille, informé de ces troubles
, arme cinquante foldats, & les envoie avec
un collecteur dans la piève de Tavagna. Les ha-
bitans fommés de payer refufent ; lé chef de la
troupe menace de faire payer doublé, fi l’on n'obéit
; &, comme la nuit approchoit, il loge deux
foldats dans chacune des maifons du village, remettant
l'exécution au lendemain. Toute cette petite
troupe eft défarmée pendant fon fommeil, &
les payfans , maîtres de fes füfils, '1%,, renvoient
dans cet état à fon commandant, en le faifant
prier de retourner promptement à Baftia.
Pinelli irrité, fait marcher contre ce village deux
cents foldats, que les cinquante fufils dont les
payfans s’étoient emparés effrayèrent, & empê-
, 01 Gênes retira ces pouvoirs à fes reprefentans en Corfe, & c’eft relativement à ce retrait que l’oracle de la magiftrature
françoife, le célèbre Montefquieu , dit : te une république d’Italie tenoit des infulaires fous fön obéi fiance 5
30 mais fon droit politique & civil a fon égard étoit vicieux. On fe fouvient âe cet acte d’amniftie, qui porte qu’on
» ne les condamneroit plus à des peinés afflictives fur la confcience informée du gouverneur. On a vu fouvent des
» peuples demander des privilèges : iâ le- fouverain accorde le droit (le'toutes les nations ». E/prit des loix,
-•(z. On voit que, par le code de G ên e s l’afïàfïïnat n’étoit pas puni de mort, ou qu’au moins l’argent pouvoir équi^
valoir à la vie d’un homme. Quelle horrible loi que celle qui trafique ainfi du fang fiumain ! Quel gouvernement que.
pciui qui', pour quelques pièces d’un yil métal t iiyre la vie du citoyen au fcélérat qui veut la payer.
chèrent de rien entreprendre contre eux ou leurs
•habitations. Les méc.ontens, enhardis parie peu
de réfîftance qu'on . leur oppofoit, coururent le
pays & cherchèrent à groflîr leur nombre. Ils y
réüffirent fans peine. Se voyant ainfi. forts de trois,
d’autres .difent de y,ooo; hommes, ils marchèrent
vers Baftia > armés > les uns de fufils, les autres de
vieilles lames rouillée.s..i ceux-ci de haches, ceux-
là de bâtons, ,&c.. Ils y arrivent; en tumulte, & y
commettent tousies defordres qu'on peut attendre
d’une populace mutinée. Une-haine naturelle pour
les habitans de çette ville aiguillonnoit leur furie.
Dans l’état de; groflîéreté.ou font les corfes, ils
fe haïlfent cordialement de générations en générations,
de tel village à tel autre, &, en général,*
les montagnards y font ennemis nés de tout ce
qui habite la côte. Ceux-ci, un peu plus civili-
fés, fe croient très-fupérieurs..aux habitans de la
montagne, qui, pleins d’amour propre dans leur
rufticité, font jaloux de.ee que ceux-là font, ou
mieux vêtus, ou mieux élevés, ou de ce qu’ils
jouiffent d’une forte d'aifance qui leur eft inconnue
5 & de la jaloufîe à la haine, l’intervalle eft
bien court. Pinelli , renfermé dans la citadelle ,
leur, dépêche l’évêque de Mariana , pour favoir
les motifs de leur attroupement. Ils répondent à cet
ambaffadeur, qu’ils veulent être tous armés ; qu’ils
demandent que le prix du fèl foit remis fur l’ancien
pied 5 que les procès, éternifés par les juges,
ne puiffent durer plus de fix mois 5 que la taxe
d’onze fous par feu refte fupprimée, ainfi que les
commiffariats (1). ..
Les commiffaires ou gouverneurs génois ne ré-
fidoient que deux ans en Corfe. Dans cet emploi,
brigué pour -s’enrichir , on fent combien il étoit
effentiel de brufquer la fortune, quoi qu’il en pût
coûter aux corfes. Leurs coneuffions n’étoient point
ignorées à Gênes , en voici des preuves. Le fénat
étoit affemblé pour délibérer fur les moyens de
venger la république, & de punir les corfes. Un
fénateur fe leva & dit : le meilleur moyen que j’aie
à vous propofer pour y réuffir , eft de leur envoyer
deux outrais gouverneurs, teîs-que ceux que
vous en avez vu revenir. Un commiffaire arrivoit
de Corfe j en débarquant, à Gênes, il rencontre
fur le port un noble génois qui l’embraffe, & lui
dit : en bien quoi de nouveau dahs l'ille ? y avez-
vous encore lailfé de‘s montagnes ? Plaifanterie qui
peint l'infatiable rapacité des miniftres que Gênes
y envoyoit.
; On fait de quelle manière Paoli eft parvenu,
dans ces derniers temps, au commandement de
la Corfe.
Pour s’affurer plus parfaitement des difpofiticns
de fa nation, il crut devoir la réunir foiis fes yeux
& aflembla une confulte. Elle fe tint à Cafinca ,
en .1761 : nous avons déjà dit quel en fut le ré-
fultat.
Depuis ce moment , les corfes fe regardèrent
comme entièrement libres ; & la refolution .de la
confulte de Cafinca, par laquelle.les corfes s’engagèrent
à ne jamais prêter l’oreilîé à un accommodement
avec les génois, avant qu’ils euffent
évacué l’ille, & formellement reconnu l’indépendance
& la liberté abfolue de leur pays , fut la
kafe de toutes leurs opérations militaires & politiques.
Paoli fit adreffei-,- au nom de cette même
confulte, un mémoire à tous les fouverains del'Eu-
r0PÇ „ pour les engager à reconnoître la liberté
& l’indépendance de la nation Corfe, & la recourir
contre les efforts tyranniques de la république
de Gênes, qui, ayant violé à leur égard-Ies conf-
titutions du contrat foçial, ,par lequel ils étoient
devenus fes fujets, les mettoit en droit de reprendre
leur premier état. La gloire des corfes, &
celle de Paoli en particulier , allèrent toujours' en
augmentant depuis cette époque , & elles paroif-
foient être parvenues à leur plus haut- degré, en
1764. Paoli jouiifôit du defpotifme que les, qualités
fupérieûtes donnent fur les ccéurs. Il faifoit
régner les loix-, s’occupoit d’établifTemens utiles
de -police, de commerce, d’agriculture, qui floi
riffoient autant que les circonftances le -pouvoient
permettre. Il avoit rempli les corfes des grandes
idées de liberté, de patrie,, d’union nationale ,
& leur avoit infpiré le plus grand éloignement pour
toute efpèce de domination étrangère. Les corfes
lui obéiffoient fans murmurer, parce qu’il avoit
l’art- de faire ordonner par les confultes tout ce
qu’il vouloit faire exécuter; enforte que, fans
qu’ils s’en doutaffent, fans qu’ils pulTent s’en effaroucher
, la volonté générale dêvenoit l'expref-
fion de fa volonté particulière.
Il auroit exécuté' pleinement fon vafte projet ,
s’il n’avoir eu à lutter que contre les génois.
Comme il ne faut pas imiter les hiftoriens de
l’antiquité, qui n’indiquent jamais de quelle manière
les peuples foumiffoient aux frais de la guerre,
il eft propos d’expliquer ici par quels moyens
Paoli s’eroit procuré des munitions & de l’ar-
, gent.
Le grand-maître de l’ordre de Malthe s’étoit
flatté de faire confentir toutes les cours de l’Europe
à un établiflement en Corfe pour fon ordre.
Gafforio avoit entamé la négociation avec dom
Emmanuel Pinto; Paoli h continua, & convint
f 11 C woic de foi-même une très-fage înftitution. Des commiflaires. génois faifoient, dans un certain temps une vï-
fite de 1 ifle pour écouter les plaintes d’un chacun, Sc rendre jufUce fur le champ; ils étoient munis d’une Grand-
autorité qu’ils firent redouter. Envoyés^ contre le crime, les corfes leur reprochent de ne l’avoir pas toujours anâ'dü5
& d avoir écouté des relfentimens particuliers auxquels l’oreille d’un juge doit fans ceflè être fermée, comme fa miin
quj ne dQiç jamais «’ouvrir aux prefens,
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