
mines , & les caraïbes fi fiers & fi mélancoliques,
mourant dans l'efclavage, le cabinet de Madrid
renonça à des conquêtes qu'il jugeoit de peu de
valeur , 8c qu'il ne pouvoir ni faire , ni conferver
fans des guerres continuelles & fanglantes.
Les anglois & les françois , inftruits de ce- qui
fe paffoit , hafardèrent quelques foibles arméniens
pour intercepter les vaille aux des efçagnols
qui paffoient dans ces parages. Leurs fucces multiplièrent
les corfaires. La paix qui règnoit fou-
vent en Europe , n'empêchoit pas les expéditions.
L'ufage ou étoit l’Efpagne 3 d'arrêter tous les
bâtimens qu’elle trouvoit au - delà du tropique 3
juftifioit ces pirateries.
Les anglois & les françois fréquentoient depuis
long - temps les Mes du vent 3 fans avoir
longé à s'y établir , ou fans en avoir trouvé, les
moyens. Peut-être craignoient-ils de fe brouiller
avec les caraïbes dont ils étoient bien reçus j
peut-être ne jugeoient-ils pas digne de leur attention
un fol qui ne produifoit aucune des denrées
qui étoient d'ufage dans l'ancien monde. Enfin
des anglois' conduits par Warner , des françois
aux ordres de Denambuc , abordèrent en 1625
à Saint-Chriftophe, le même jour 3 par deux côtés
oppofés. Des échecs multipliés convainquirent
les uns & les autres qu'ils ne s^enrichi-
roient fûrement des dépouilles de l'ennemi commun
3 que lorfqu'ils auroient une demeure fixe ,
des ports , un point de ralliement. Comme ils
n'avoient nulle idée de commerce * d'agriculture
& de conquête 3 ils partagèrent paifiblement les
côtes de l'ifle où le hafard les avoit réunis. Les
naturels du pays s'éloignèrent d'eux , en leur
difant : i l faut que la terre foie, bien mauvaife che[
vous y ou que vous en aye% bien peu s pour en venir
chercher f i loin ' a travers tant de périls.
La cour de Madrid ne prit pas un parti fi pacifique.
Frédéric de T o lèd e , qu'elle envoyoit en
1630 au Brefil avec une flotte redoutable defti-
née contre les hollandois 3 eut ordre d'exterminer,
erj paffant 3 les pirates q u i, fuivant les préjugés
de cette puiffance, avoient ufurpé une de fes
pofïèflions. Le voifinage de deux nations actives,
induftrieufes caufoit de vives inquiétudes aux espagnols.
Ils fentirent que leurs Colonies feroient
expofées, fi d'autres peuples parvenoient à- fe
fixer dans cette partie de l'Amérique.
Les françois 8c les.anglois réunirent, inutilement
leurs foibles moyens. Ils furent battus 5
ceux qui ne furent pas tués ou faits prifonniers,
le réfugièrent avec précipitation dans les ifles
voifines. Le danger paffé, la plupart retournèrent
à leurs habitations. L'Efpagne , occupée d'intérêts
qu'elle croyoit plus importans, ne les inquiéta
plus, 8c fe repofa peut-être de leur def-
tru&ion fur leur jaloufie.
Dans les premiers temps, les anglois 8c les
françois faifoient caufe commune contre les caraïbes
5 mais cette efpèce de fociété fortuite
étoit fouvent interrompue ; elle n'emportoit point
d'engagement durable, encore moins de garantie
des poifeffions réciproques. Quelquefois les fau-
vages avoient l'adrefife de faire la paix, tantôt
avec une nation, tantôt avec l'autre, 8c par là
ils fe ménageoient la douceur de n'avoir qu'un
ennemi à la fois. C'eût été peu pour la fureté de
c6s infulaires, fi l'Europe qui ne fongeoit guère
à un petit nombre d'avanturiers dont les courfes
ne lui avoient encore procuré aucun bien, & q u i
n'étoit pas d’ailleurs aflez éclairée pour lire dans
l'avenir, n'eût également négligé le foin de les
gouverner, & de les mettre en état de pouffer
ou de reprendre leurs avantages. L'indifférence
des deux métropoles détermina , au mois de janvier
1660* leurs fujets du nouveau monde à faire
eux-mêmes une convention qui affuroit à chaque
peuple les poffelfions que les évènemens variés
de la guerre lui avoient donnés, & qui n'avoient
eu jufqu'alors aucune confiilance. C e t aéte étoit
accompagné d'une ligue offenfive 8c défenfive ,,
pour forcer les naturels du pays à accéder à cet
arrangement, ce que la crainte leur fit faire la
même année.
Par ce traité qui affura la tranquillité de cette
partie de l'Amérique, la France conferva la Guadeloupe
, la Martinique , la Grenade, 8c quel-
ques-autres propriétés moins importantes. L 'A n gleterre
fut maintenue à la Barbade, à Nieves ,
à Antigue, àMontferrat, dans plufieurs autres
ifles de peu de valeur. Saint-Chriftophe refta en
commun aux deux puiffances. Les caraïbes furent
concentrés à la Dominique & à Saint-Vincent
, où tous les membres épars de cette nation
fe réunirent. Leur population n'excédoit pas alors
fix mille hommes.
A cette époque , les établiffemeoes anglois qui,
fous un gouvernement fupportabler, quoique vicieux
, avoient acquis quelque confittance, virent
augmenter leur propriété. Les Colonies françor-
fes au contraire furent abandonnées d'un grand,
nombre de leurs habitans, dêfefpérés d'avoir
encore à gémir fous les entraves des privilèges ex-
clufifs. Ces hommes paflionnés pour la liberté fe
réfugièrent à la côte feptentrionale de S. Doniin-
g u e , qui fervoit d'afyle à plufieurs avanturiers
de leur nation , depuis environ trente ans qu'ils
avoient été chaffés de Saint-Chriftophe. Voye%
l'art. Sa in t -D om in g ue .
S e c t i o n s e c o n d e .
De tétat oit'fe trouvaient les Antilles s lorfque les
européens y firent des établiJfemens.
L ê fol. des Antilles- eft en général une couche
d'argile ou de tu f plus ou moins épaiffë, fur un
noyau de pierre ou de roc vif. C e tu f & cette
argile ont différentes qualités plus propres les unes
que les.autres à la végétation. Là où l'argile moins;
humide 8c plus friable fe mêle avec les feuilles •
8c les débris des plantes, il fe forme une couche
de terre plus épaiffe que celle qu'ôn trouve fur
des argiles graffes. Le tuf a aufli des propriétés
fuivant fes différentes qualités. Là où il eft moins
d u r , moins compacte, moins poreux, de petites
parties fé détachent en forme de caiffons toujours
altérés, mais confervant une fraîcheur utile aux
plantes. C'eft ce qu'on appelle en Amérique un
fol de pierre-ponce. Par-tout où l'argile 8c le tuf
ne comportent pas ces modifications, le fol eft
ftérile , auffi-tôt que la couche, fuite de la dé-
compofition des plantes originaires, eft détruite
par la néceflité des farclages qui expofent trop
fouvent les fels aux rayons du foleil. De-là vient
que la culture qui exige le moins de farclage ,
8c dont la plante couvre de fes feuilles les fels
végétaux , en perpétue la fécondité.
Lorfque les européens abordèrent aux Antilles,
ils les trouvèrent couvertes de grands arbres ,
liés , pour ainfi dire, les uns autres par des plantes
rampantes q u i, s'élevant comme du liè re ,
embrafloient toutes les branches , 8c les déro-
boient à la vue. Cette efpèce parafite croiffoit
en telle abondance , qu'on ne pouvoit pénétrer
dans les bois fans la couper. On lui donna le
nom de liane 3 analogue à fa flexibilité. Ces forêts
, aufli anciennes que le monde , avoient plufieurs
générations d’arbres, q u i, par une fingu-
lière prédilection de la nature , étoient d'une >
grande élévation, très droits, fans excreffence
ni défeCtuofités. La chûte annuelle des feuilles,
leur décompofition , la deftruCtion des troncs
pourris par le temps, formoient fur la furface de
la terre un fédiment gras , q u f, après le défrichement
, opéroit une végétation prodigieufe dans
les nouvelles plantations qu'on fubftituoit à ces
arbres.
Les vallées, toujours fertilifées aux dépens des
montagnes, étoient remplies de bois mous. Au
pied de ces arbres croiffoient indiftinCtement les
plantes que la terre libérale produifoit pour la
nourriture des naturels du pays. Celles d'un ufage
plus univerfel étoient le cauhcoulh, l'igname, le
choux caraïbe 8c la -patate. C'étoient des espèces
de pommes de terre nées à la racine des
plantes qui rampoient, mais forçoient tous les
obftacles dont elles fembloient devoir être étouffées.
Outre les racines , les ifles offroient à leurs ha-
bitans des fruits extrêmement variés. On y trouvoit
des oranges , des citrons, des limons , des
grenades. Il y en avoit qui ne s'éloignoient pas
abfolument de nos pommes, de nos poires, de
nos cerifes, de nos abricots, 8c nous n'avons
rien dans nos climats qui puiffe nous donner l'i-
, dée de la plupart des autres. Le plus utile étoit
la banane ; elle croiffoit dans des lieux frais fur
une fléché molle , fpongieufe 8c haute d'environ
fept pieds. Cette fléché périffoit avec fon fruit j
mais, avant qu'elle tombât, on voyoit fortir de
fa fouche un rejetton qui, un an après, périffoit
à fon tour , & fe régéneroit fucceflivement de
la même manière.
Les ifles n'avoient pas été traitées aufli favorablement
en plantes potagères qu'en racines &
en fruits. Le pourpier 8c le creffon formoient en
ce genre toute leur richeffe.
Les autres moyens de fubfiftance y étoient fort
bornés. Il n'y avoit point de volailles domefti-
ques. Tous les quadrupèdes étoient bons à manger
5 mais ils fe réduifoient à cinq efpèces , dont
la plus groffe ne furpaffoit pas nos lapins. Les
oifeaux, plus brillans & moins variés que dans
nos climats , n'avoient guères d'autre mérite que
leur parure.
S e c t i o n t r o i s i è m e .
Des avantages que les européens retirent des Antilles.
Les européens furent à peine établis dans les
A n t i lle s qu'ils fongèrent à faire travailler la terre
par des efclaves. Ils condamnèrent d’abord à une
efpèce de fervitude les naturels du paysj mais
lorfque la tace des fauvages fut diminuée, la
difficulté de tirer d'Europe affez d'hommes libres
pour l'exploitation, & fur-tout l'idée que les naturels
du pays, ou des nègres pourroient feuls
cultiver la terre fous ce climat très-chaud , firent
qu'ils allèrent en Afrique acheter des efclaves.
On tourna les premiers travaux de ces efclaves
vers lés objets néceffaires pour la confervation
de leur miférable exiftence. Excepté dans les ifles
occupées par les efpagnols, où les chofes font
à-peu-près ce qu'elles étoient à l'arrivée des européens
dans le Nouveau-Monde, les provifions
qui fuffifoient aux fauvages, ont diminué à me*
fure qu’on a abattu les forêts' pour former des
cultures. Il a fallu fe procurer d'autres fubfif-
tancés > 8c les principales ont été tirées du pays
même des nouveaux confommateurs ; tels font les
pois d'Angola, le manioc, la canne qui donne
le fucre, & c .
C'eft principalement avec le fucre que les ifles
achètent tout ce qui convient ou qui plaît à leurs
colons. Elles tirent de l'Europe des farines, des
viandes falées , des foieries, des toiles , des
quincailleries , tout ce qui eft néceffaire à
leur vêtement, à leur nourriture , à leur ameublement
, à leur parure , à leurs commodit
é s , à leurs fantaifies même : leurs confomma-
tions en tout genre font prodigieufes, 8c doivent
influer néceffairement fur les moeurs des habitans
, la plupart affez riches pour fe les permettre.
On a calculé que les productions du grand A r chipel
de l'Amérique , valent, rendues en Eu-
D d 2