
produétions de leur génie, l'amabilité & la grandeur
de leur caraétère en impofent aux efprits les
plus greffiers. Nous fommes éblouis par les batailles
de Marathon & de Salamine , par la pompe
des fpe&acles, par la magnificence & le goût
des monumens publics , par ces aflemblées populaires
où tout citoyen avoit droit de monter fur
la tribune aux harangues ; par cette foule d'hommes
fupérieurs en tout genre, qui immortaliferont
à jamais le nom à!Athènes. Mais fi on examine
l'intérieur de cette république , on elt moins fatis-
fait ; on la voit fans ceffe en combuftion ; on y
apperçoit des affemblées toujours tumultueufes,
un peuple agité perpétuellement par les brigues
& les fadtions , & conduit par l'orateur qui a le
plus d'éloquence j les citoyens les plus illuftres,
perfécutés, bannis, & expofés fans ceffe à là
violence & à l'injuftiçe 5 les citoyens les plus vertueux
proferits; leurs fervices oubliés, & fouvent
même punis par l'oliracifme. C e qui afflige encore
davantage, les athéniens ne pouvoient fouf-
frir l’homme qui avoit.le mieux fervi l'état, &
Valère-Maxime s'écrie, avec raifon : « Heu-
« reufe Athènes , d'avoir encore trouvé, après
» des traitemens fi injuffes , des citoyens qui ai-
» maffent leur patrie ». L'hiüoire des autres peuples
de la Grèce ne fournit pas, à beaucoup près,
autant d'exemples d'injuftice & d'ingratitude envers
les bienfaiteurs de l'état.
S e c t i o n I V e.
Réflexions fur les loix , le commerce, la navigation ,
la profpérité, &c. des athéniens.
L'amour des athéniens pour leur patrie, a peut-
être furpafle celui de tous les peuples connus ; &
l’on ne cite aucune nation qui ait montré , du
moins en paroles, une plus grande ardeur pour la
liberté. Ils fentoient d'ailleurs la fupériorité de
leur génie & de leurs talens, & ils vouloient dominer
dans la Grèce : c'eft fur ces principes qu'il
faut juger quelques-unes de leur îoix , dont la
violence furprend au premier coup d'oeil.
Une de ces loix vouloit q u e , lorfque la ville
étoit affiégée , on f ît mourir tous les gens inutiles
(1 ). C'étoit une abominable loi politique, qui
étoit une fuite d'un abominable droit des gens.
Chez les Grecs, les habitans d'une ville prife per-
doient la liberté civile, & étoient vendus comme
efclaves. La prife d'une ville emportoit. fon entière
deftrudtion ; & c'eff l'origine non-feulement de
ees défenfes opiniâtres & de ces actions dénaturées,
mais encore de ces loix atroces que Ton fit
quelquefois.
On peut apprécier de la même manière la loi
de l'oftracifme (2)% Elle fut établie à Athènes 3 ■ à
Argos ( 3 ) & à S ^ c u fe . A Syracufe, elle fit
mille maux , parce quelle fut faite fans prudence..
Les principaux citoyens fe banniffoient les uns
les autres , en fe mettant une feuille de figuier
à la main (4) ; de forte que ceux qui .avoient
quelque mérite, quittèrent les affaires. A Athènes ,
où le légiflateur avoit fenti l’extenfion & les bornes
qu'il devoir donner à fa lo i , l'oftracifme,
malgré fes inconvéniens, produifit quelques bons
effets : on n'y foumettoit jamais qu'une feule per-
fonne ; jj falloit un fi grand nombre de fuffrages,
qu'il étoit difficile qu'on exilât quelqu'un dont
l’âbfence ne fût pas néceflaire.
On ne pouvoit bannir que tous les cinq ans :
en effet, dès que l'oftracifme ne devoit s'exercer
que contre un grand perfonnage, qui donneroit de.
la crainte à fes concitoyens, ce ne devoit pas être
une affaire de tous les jours.
Les anciennes loix a Athènes ne permirent point
au citoyen de faire de teftament. Solon (O le
permit, excepté à ceux qui avoient des enfans ;
& les légiflateurs de Rome, pénétrés de l'idée de
la puiflance paternelle, permirent de tefter au
préjudice même des enfans. Il faut avouer que
les anciennes loix à!Athènes furent plus confé»
quentes que les loix de Rome. La permiffion indéfinie
de tefter, accordée chez les romains, ruina
peu à peu la difpofition politique fur le partage
des terres 5 elle introduifit, plus que toute autre
chofe , la funefte différence entre les richeffes &
la pauvreté ; plufieurs partages furent afîemblés
fur une même tête ; des citoyens eurent trop ,
une infinité d'autres n’eurent rien. Auffi le peuple
, continuellement privé de fon partage, demanda
t-il fans ceffe une nouvelle diftribution
des terres. 11 la demanda dans le temps où la frugalité
, la parcimonie & la pauvreté, faifoientle
cara&ère diftindtif des Romains , comme dans
les temps où leur luxe fut porté à l'excès.
Dans l'impôt de la perfonne, la proportion in-
jufte feroit celle qui fuivroit exâéfcement la proportion
des biens. On avoit diviféà Athènes (f>)
les citoyens en quatre claffes. Ceux qui retiroieftt
de leurs biens cinq cens mefures, de fruits liquides
ou fecs, payoient au public un talent 5 ceux;
qui en retiroient trois cens mefures, dpvoient
un demi - talent} ceux qui avoient deux cens me-
fures payoient dix mines, ou la fixième partie
d'un talent > ceux de la quatrième clafle ne don-
( 1 ) Inutilÿ cetas occidatur , Syrian in herm,
{1 ) Voye\ l’article O s t r a c i s m e de ce Dictionnaire,
(3) Ariftote, république, liv. V. cfcap, 3.
(4.) Plutarque, vie de Denys.
(5) V0yc7y_ Plutarque , vie de Solon.
(d) Pollux > liv, VIII, çhap. jo , art. 139*
noient rien. La taxe étoit jufte, quoiqu'elle ne fût
•point proportionnelle : fi elle ne fuivoit pas la proportion
des biens, elle fuivoit la,proportion des
befoins. On jugea que chacun avoit un néceflaire
phyfîque égal, que ce néceflaire phyfique ne devoit
point être taxé ; que l'utile venoit enfuite, &
qu'il devoit être taxé, mais moins que le fuper-
fiu } que la grandeur de la taxe fur le fuperflu em-
pêchoit le fuperflu.
Une autre loi ordonnoit de nourrir, aux dépens
du public, ceux qui feroient eftropiés à la
•guerre : elle acco’rdoit la même grâce aux pères
& mères , auffi-bien qu'aux enfans de ceux qui,
étant morts dans le combat, laifloient une famille
pauvre, & hors d'état de fubfifter. Cette
multitude de foldats * de fils de foldats , de femmes
& d'enfants, nourris par l ’état dans le
prytannèe, rempliflbit de courage les athéniens
& rendoit leurs troupes invincibles , quoique
d ’ailleurs elles fufferit peu nombreufes.
Les armées d* Athènes étoient cotnpofées de
trois fortes de troupes, des citoyens, des alliés
& des, mercenaines. Les citoyens fervoient chacun
à leur tour : les philofophes eux - mêmes n'é-
toient pas difpenfés du fervice ; Platon vante le
courage de Socrate fon maître, & lui-même fe
diftingua par fa valeur. On puniffoiç comme dé-
ferteur celui q u i, le jour marqué-, i>e fe rangeoit
pas fous le drapeau , ou qui l'abandonnoit avant
le temps preferit. Les alliés, qui formoient le plus
grand nombre, étoient ftipendiés par ceux qui les
envoyoient. On appelloit mercenaires les étrangers
foudoyés par Ja république.
Il y avoit dans l'infanterie deux fortes de foldats
; les uns étoient armés pefamment, & por-
toient de grands boucliers, des lances, des demi- j
piques, des épées tranchantes ; ils faifoient la
principale force de l'armée : les,autres étoient armés
là la légère , c 'e f t - à - d i r e , d'arcs & de
•frondes.
L'Attique , étant coupé par beaucoup de montagnes
, les athéniens avoient peu de cavalerie ;
après la guerre contre les pérfes, c 'e f t -à - dire à
l'époque la< plus brillante de la Grèce , elle ne
montoit qu'à trois cens chevaux : elle s'accrut d e -.
puis jufqu'à douze cens.
Chacune des dix tribus élifoit tous les ans un
nouveau général; Athènes avoit donc tous les ans
dix nouveaux généraux ( i) . Chacun d'eux exer-
çoit un jour le commandement, & il attendoit
enfuite que fon tour revînt. Entt'autres préroga- :
tives de ces généraux, ils-pouvoient lever, aflem- :
hier & congédier les troupes. Il pouvoit être continués
dans les charges. Phocion le fut quatre fois.
Ordinairement un feul étoit envoyé à la tête de
l'armée ; les autres demeuroient dans la ville , &
ils remplifloient à peu près les fonctions de mi-
niftres de la guerre.
La marine des athéniens étoit fort confidérable;
elle étoit du double plus forte que celle de tous
les autres grecs , & chaque vaifleau pouvoit fe
battre contre deux vailfeaux ennemis. De trois
cens vailfeaux qui compofoieht la flotte grecque
à Salamine, il y en avoit deux cens athéniens : il
fortit trois cens voiles du port d’Athènes pour
l'expéch’tion de Sicile. Leur marine s'accrut encore
par la fuite. L'orateur Licurgue porta la flotte
à quatre cens vailfeaux 5 de forte que chaque année
on élifoit pareil nombre de capitaines. Les
foldats qui combattoient dans les vailfeaux, étoient
à peu - près armés comme ceux des troupes de
terres. L'officier qui les commandoit s’appelloit
triérarque , ou commandant de galères , & celui
qui commandoit la flotte , navarque ou ftratège.
« Athènes, dit Xenophon , a l'empire de la
» mer; mais comme l'Attique tient à la terre, les
p ennemis la ravagent tandis qu'elle fait fes expé-
» ditions au loin. Les principaux lailfent détruire
»leurs terres, & mettent leurs biens en fûreté
» dans quelque ifle : la populace, qui n'a point de
» terre, vit fans aucune inquiétude. Mais fi les
» athéniens habitoient une ifle , & avoient ourre
» cela l'empire de la mer, ils auroient le pouvoir
» de nuire aux autres fans qu'on pût leur nuire ,
» tandis qu'ils feroient les maîtres de la mer ».
Vous diriez que Xenophon a voulu parler de l'Angleterre.
Athènes remplie de projets de gloire ; Athènes
qui augmentoit la jaloufie, au lieu d'augmenter
fon influence, plus attentive à étendre fon empire
maritime qu'à en jouir, avec un tel gouvernement
politique, que le bas peuple fe diftribuoit les revenus
publics , tandis que les riches étoient dans
l'oppreffion, ne fit point ce grand commerce que
lui promettoient le travail de fes mines, la multitude
de fes efclaves, le nombre de fes gens de
mer, fon autorité fur les villes grecques, & , plus
que tout cela, les belles inftitutions de Solon. Son
négoce fut prefque borné à la Grèce & au Pont-
Euxin, d'où èlle tira fa fiibfiftance.
C e fut l’efprit des républiques grecques de fe
contenter de leurs terres comme de leurs loix.
Athènes prit de l'ambition, & en donna à Lacédémone
: mais ce fut plutôt pour commander à
des peuples libres, que pour gouverner des .efclaves
; plutôt pour être à la tête de l'union, que
pour la rompre. Tout fut perdu lorfqu'une monarchie
s’é leva, gouvernement dont l'efprit eft
le plus tourné vers l'agrandiflement.
Les grands fuccès , fur tout ceux auxquels le
peuple contribue beaucoup, lui donnent un tel orgue
il, qu'il n'eft plus poffible de le conduire. Ja-
( ï ) Philippe plaifantoic fur la multiplicité des généraux d'Athènes Je n’ai pu trouver, difoit-il, pendant toute ma vie
<ju un feul -capitaine 3 ( c’étoit Parmenion ) les athéniens en trouvent dix tous les ans.