& ne fauroit bien- régir qu'une ville ; mais cette
ville pèle fur fa banlieue ; elle peut opprimer des
provinces- 8c fpolier des régions. C'eft ce que firent
les romains avec unp conftance 8c des fuc-
cès qui n'avoient pas eu d'exemple , 8c qui n'en
auront plus.
Cette explofion étonnante du pouvoir de R o me
, que les écoliers 8c les le&eurs nouvelliftes
appellent grandeur 8c profperité , qui porta ' l'op-
preffion dans les trois parties du monde , 8c refluant
enfuite fur fon centre , y répandit les calamités
8c les défaftres, eut pour principe une
çonftitution fondée fur deux bafes inaliables de |
leur nature , & qu'on cherchoit vainement à unir ;
nous voulons dire d l'efprit agricole 8c celui de
conquête univerfelle.
L e fondateur voulut avoir un peuple *, mais ,
trop reflerré dans fes moyens 8c fur fon territoire
, il employa la rapine 8c la violence pour
exécuter fon deflein. Son premier exploit fut d'enlever
des femmes : ces femmes prifes de force 8c
chez un peuple qui pouvoit en demander raifon 3
fe firent refpe&er dans leur malheur ; de là leurs
mariages. Elles débutèrent par le plus grand fer-
vice de dévouement ; de là leur autorité domef-
tique.Ces alliances formant des ménages , il fallut
donner un patrimoine à chacun ; ce qui amena
la divifion des terres , 8C mit en honneur l'agriculture
j comme moyen primitif de fubfiftances.
Mais le territoire fe trouvant trop étroit 3 il fallut
ravir des terres , principe des premières guerres
3 8c qui influa toujours fur toutes les autres
guerres que firent les romains.
Sans fuivrë plus loin 3 dans les détails 8c dans
les progrès de fa çonftitution3 un peuple toujours
obligé de combattre 3 8c fans vouloir examiner ici
fon état militaire fondamentalement agricole, la
fupériorité donnée dans les décifîons aux tribus de
la campagne fur celles de la ville , les exercices
ruraux toujours à côté des exercices guerriers ,
8cc. toutes chofes qui nous meneroient trop loin ;
il fuffit, pour connoître les principes de fa politique,
de voir ce delir habituel d'envahir des terres
, comme la plus précieufe des poffeflions , ne
point quitter les rbmains, lors même de leur plus
grande puiflance.
Les Colonies établies au loin n'çtoient compofées
que de citoyens que Rome envoyoit pofleder des
terres dans les pays conquis. On voit Céfar à Dir-
rachium promettre -à chacun de fes foldats deux
arpens de terre pour récompenfè de leurs fervi-
ces : on voit Augufte dépouiller de leurs domaines
une partie des habitans de l'Italie pour les
diftribuer àdes vétérans; ce qui prouve toujours davantage
que le préjugé, fondé fur l'occupation 8c
la divifion des terres, étoît toujours le même à
Rome.
Le prétexte du bien commun faifoit fermenter
ce préjugé dans lè fein de l'état; mais en paroif-
fant ne defirer 8c n'agir que pour le bien publie ,
chacun ne s'occupoit en effet’que defoi d’un intérêt
de famille ou de celui'de corps , -& il ne reftoit
aucune fauve-garde pour l'intérêt des propriétés
particulières qu'on ne refpeétoit pas, que fouvent
même on opprimoit, fans voir qu'elles font pourtant,
le feul intérêt public 8t le fondement de la
patrie.
Tout citoyen dans Rome étoît préfumé 8c intitulé
fouverain : il ne pouvoit l'être que fur la
place publique de la ville ; il ne pouvoit donc
s'éloigner de Rome fans perdre la plus précieufe
des prérogatives, félon les préjuges du pays. Il
y vivoit des fruits du pillage qui s'y partageoient,
des diftributions de grains faites parles Ediles , 8c
dans la fuite des largeflès des candidats ambitieux
qui s'efforçoient d'acheter 8c de capter les fuf-.
frages ; mais tout cela étoit précaire 8c peu durable.
On ne pouvoit qu'être pauvre fi on n'avoit
pas des terres > il en falloit, 8c il en falloit. aux
environs.
Cependant, par le cours ordinaire de la nature
8c des fortunes, les héritages s'étoient accrus
8c réunis fur un petit nombre de têtes ;]es forts,
les adroits 8c les vigilans avoient prévalu : l'é galité
des répartitions , la fobriété 8c la force des
moeurs ne fubfiftoient plus, 8c les ennemis des
grands, les ambitieux ou les mélancoliques, qui
vouloient des réformes fans en connoître les bafes
réelles , avoient un grand moyen d'émouvoir
le peuple , en déclamant contre l'inégalité des
fortunes entre des citoyens égaux.
Ces réformateurs en vinrent jufqu'à propofef
la loi agraire,~ c'eft-à-dire , une loi par laquelle
une nouvelle diftribution des terres étoit réglée
parmi les citoyens ; inftituer 8c promulguer cette
lo i , c'étoit méconnoître 8c fouler aux pieds la
propriété bafe de toute fociété ; c ’étoit prouver
qu'on ignoroit le refpeéi dû aux avances, qui
feules établirent- la propriété foncière, 8c prononcer
enfin une abfurdité aufli étrange 8c ■ 'aufli
monftrueufe que le feroit la propofition d*e réduire
tous les hommes à une taille égale.
Aufli cette propofition fut toujours fuivie de
troubles, de féditions cruelles, 8c accoutuma la
première les romains à- verfer le fang des concitoyens,
jufqü'alorsfi facré pour eux 8c fi refpeété
dans Rome. C elui des patriciens même qui Votèrent
pour le partage, ne fut pas épargné; le germe
de la divifion- étoit dans tous les coeurs. Le
fénat qui foutenôit les droits de la propriété, 8c
les plébéiens qui vouloient les enfreindre, fe re-
! gardoient comme autant d'ennemis qui s'infpiroient
une défiance mutuelle. C e feu caché éclata fou-
vent au.dehors ; le mal fut pallié fans être guéri,
8c les difeordes ne furent appaifées que par la
mort de Saturninus , de Glaucias 8c des Grac-
ques , principaux auteurs des loix agraires, qui
furent tous les malheureufes viétimes d'un attentat
aveugle contre la propriété , première çaufe
del'unign fociale.-
•' Cet
C e t exemple frappant 8c le fouvenir des loix
agraires doivent fe rv ir , dans des fièçles plus
éclairés, à nous tenir en garde contre les infi-
nuations des efprits remuans 8c novateurs q u i,
fous prétexte de réunions ou d'autres arrange-
mens prétendus favorables, voudroient perfuader
<au gouvernement de mettre une main attentatoire
aux diverfes branches de la propriété.
Tout corps focial , quelque ordre qu'on lui
donne, fous quelque forme qu'il paroifle , eft
mélangé de république, 8c, quand la république
y eft fubordonnée, elle eft bien. La monarchie
elle-même contient donc des corps, des ordres ,
des municipalités, 8cc. 8c ces corps ont des droits
de propriété, aufli refpe&ables, pour l'autorité
fouveraine, que peuvent 8c doivent l'être toutes
autres propriétés privées.
C 'eft renouveller la loi agraire , que d'ameuter
I les individus contre leur corps 8c contre fes conf-
[ titutions reçues 8c autorifées ; c'eft préparer, c'eft
; exciter l'infurreétion de la cupidité 8c de l'efprit
[ général d'invafion des propriétés , que de croire
s pouvoir difpoferdes propriétés des corps, pour-
; vu qu'on defintereffe les membres qui les com-
tpofent.
Tous les droits , toutes les propriétés , tant
des corps que des particuliers, font fous la ju-
rifdiéfion du fouverain; mais ce n’eft pas pour
[qu'il en difpofe à fa volonté , c'eft au contraire
pour qu'il les protège 8c les défende, contre les
: atteintes . de la force 8c les entreprises de l'in-
[juftice. (G)
h A G R I C O L E , adjeét fignifie qui cultive la
(terre. Un peuple agricole eft donc un peuple cul-
itivateur, 8c un royaume agricole celui dont le
fpeuple eft 8c doit être cultivateur. 1 , On dit agricole 3 comme on dit regnicole , parce
ffiue c'eft une forte de culte que nous devons
à la terre qui nous a nourris , 8c à la patrie
|qui nous couvrit de fon ombre à notre naiflance ,
fqui protégea , notre croifiance 8c tous nos droits.
On ne dit point navicole , ni articole , quoique la
|navigation 8c les arts foiént des profeflions qui
(demandent des connoiflances , de l'application
& une pratique fort fuivie, 8c que ceux qui les
«cultivent doivent tirer leur fubfiftance 8c leur
avancement de leur exercice ; car ce lle s -c i ne
inous impofent que des devoirs partiels auxquels
|on eft libre de fe refufer comme de fe foumet-
itre ; au lieu que les autres exigent les fervices ,
; ou du moins l'hommage de tous les citoyens fans
[ exception.
I On fait en effet que l'agriculture eft la mère de
i l efpece humaine 8c par conféquent la fource des
s merveilles de 1 efprit humain, de fon induftrie 8c
Ides arts qu'il enfante , de fon intelligence. 8c des
iconnoifiances qu il a acquifes,, qu'il a érigées eh
f feiences , 8c qu'il tranfmet de race en race à la
j poftérité ; on fait qu'on lui doit l'exiftence 8c la pro-
[ pîgation des fociétes, celle des loix qui les maki-
(Econ. polie. & diplomatique, Tom. J,
tiennent, de la force qui les protège, du culte
qui les rappelle aux inftitutions divines, enfin
de l'autorité 8c des puifiances qui les gouvernent.
Mais ce n'eft pas feulement comme mère , à
qui tout doit fon origine dans les fociétés, c'eft
comme inftitutrice 8c comme ayant feule inftruit
8c éclairé l’homme du flambeau de la néceflîté ,
qu'elle mérite nos hommages- L'agriculture infti-
tuée , il fallut partager les .champs, établir les
poids 8c les mefures, marquer le cours des faifons,
diftribuer les denrées 8c les marchandifes, il fallut
les ouvrer, Iestranfporter par terre 8c par eau, ce
qui amena tout le refte des travaux 8c des éta-
bliflemens de la fociété 8c toutes les lumières qui
y font répandues. Chaque jour elles s'y étendent,
8c l'efprit de l'homme y fait de nouveaux progrès,
tandis que les nations brigandes, fauvages ou
nomades, qui ne cultivent point la terre, n'avancent
pas en mille ans d’un pas dans la carrière des
connoiflances.
Tout homme fo c ia l, 8c tout art quelconque
doit donc hommage à cette mère nourrice ; 8c
voici en quoi confifte cet hommage de la part
des hommes 8c des arts qui femblent avoir le moins
d'affinité avec l'art nourricier ; c'eft que tous doivent
fuivre leur direction naturelle , 8c par une
tendance infenfible 8c inapperçue fe rapporter
aux avantages de la cultivation.
Je dis leur direction naturelle, parce que feloA
la nature tout doit faire cercle 8c retourner à fon
principe. Il ne peut y avoir que l’impéritie 8c les
faufles fpéculations de l’homme ignorant 8c mal-
avifé , qui dérangent ce cours ordinaire des chofes
pour les faire fervir à des ufages de fantaifie
inutiles ou funeftes. Toutes les fciences 8c tous
les arts viennent de l’agriculture; 8c les arts , les
fciences 8c tout ce qui s'y rapporte ou en dépend
, leurs effets , leur perfectionnement, leurs
chef-d'oeuvres 8c les hommes célébrés qui les cultivent,
n'ont de droit à l ’eftime de la fociété ;
qu’en raifon de ce qu'ils fervent à la défenfe ,
à l’encouragement , à i’aétivité de l ’agriculture
8c de fes travaux, 8c à celle du débit, du tranfport
8c delaconfommation des produits qui en réfultent.
On a dit 8c répété ,
O ! fortunatos nimium fua f i bona norint
Agricolas.
Et cela eft vrai pour ceux qui le prennent dans
le fens qu'il doit avoir ; mais , à proprement parler
, cela n'eft bon que pour la poéfie , dont un
des principaux attributs eft de voiler à l'imagination
, fous d^agréables images, les peines, les
amertumes 8c les mécomptes de la vie. L ’homme
ne vit pas d'illufîons , 8c l'on eût dit plus convenablement
nationesqu’agricolas. En effet, l'intempérie
de l'air , l’inconftance des faifons, l'influence
des météores expofent fouvent l'agriculteur
à des mécomptes avec le c ie l, 8c il doit s’y attendre
y en conféquence il fe réfigne d'autant que