
Il faut convenir pourtant que les changemens
introduits dans l’adriiiniftration des corvées, &
fur-tout le remplacement des travaux en nature
par une contribution volontaire en argent, étoient
très-avantageux; mais cette contribution ayant été
répartie dans quelques généralités, d’après les facultés
des riverains , poflefleurs de biens taxables
, elle a blefle l’intérêt perfonnel de la plupart
des riches propriétairesqui par des -privilèges
abufifs , jouifloient de l’exemption de corvée.
Ils ont ofé prétendre, que le pauvre feul deyoit
contribuer aux travaux des chemins, & fe font
lécriés contre les ordonnances qui les forçoient à
y contribuer , en proportion de leurs revenus,
comme fi on eût commis une injuftice à leur égard.
Dans le refTentiment qu’ils en avoient, ils fe font
-répandus en plaintes & en murmures. Ils ont tâché
de faire foupçonner la pureté des vues des
adminiftrateurs, en femant contre eux des bruits
artificieux & malins ; ils ont^alomnié les fous-
ordres, en les représentant cfaune coupables de
jnalverfations & de tyrannies ; & comme ils tenaient
par eux-mêmes ou par leurs alentours â des
perfonnes puiffàntes , qui appuyoient leurs prétentions
, ils ont trouve le moyen dans quelques
provinces d’ailarmer les cours fouveraines , qui
dans le mouvement de leur zèle pour le bien public
, ont cru devoir s’oppofer de .tout leur pouvoir
à la contribution en argent, à la place de la
corvée en nature. Les conteftations qui fe font élevées
à ce fujet entre elles & les intendans, ont
jette par-tout de l’incertitude & de l’embarras
dans Tadminifiration & la confection des chemins,
& ont fait fufpendre les travaux dans quelques
cantons.
Dans la province de Guyenne, par exemple,
ou ces conteftations ont été le plus remarquables,
M. du Pré de S. Maur, intendant, avoit invité
les paroiffes de fa généralité à profiter de l’option
que leur laiffoit l’inftruCtion de 1776, de fe racheter
des travaux de la corvée en nature, par une
contribution en argent ; & fur la préférence qu’un
grand nombre de communautés avoient donnée à
cette contribution, il en avoit ordonné la répartition,
en raifon des facultés des corvéables , &
fixé la proportion qu’il y auroit déformais entre
la corvee & la taille , de manière qu’elle ne pût
excéder le tiers de la taille, ce qui fait environ le
fixième des impofitions réunies.
Cette règle de proportion n’étoit point favorable
aux hauts taxes, ci-devant privilégiés, ou feulement
impofés à la corvée comme de Amples manoeuvres.
Ils cabalèrent, & mirent tout en ufage
pour fe concilier l’appui du parlement, & pour le
foulever contre l’adminiftration des corvées 3 & ils
réuffirent.
Ce tribunal n’ayant point égard à rinftru&ion,
qui propofoit le rachat des corvées en argent, &
en autorifoit l’option, en raifon des facultés; &
ne voulant envifager ce rachat que comme une impofition
arbitraire, en inféroit que la forme nouvellement
admife dans la* manutention des corvées
avoit établi un impôt réel qui ne pouvoit être perçu
qu’après avoir été autorife par une loi enregiftrée.
D’après cette opinion , il rendit un arrêt, le 2
juillet 1779 > par lequel il ordonnoit que les communautés
continueroient les travaux fixés pour les
réparations des chemins, ainfi & de même qu’il
en avoit été ufé de tout temps.
Cet arrêt fut cafte par un arrêt du confeil, du
18 du même mois. Le roi en y témoignant fou
mécontentement de l’entreprife du parlement de
Bordeaux, lui fit défenfe de s’immifcer à l’avenir
dans tout ce qui pourroit avoir rapport aux travaux
& à la confection des chemins, ainfi qu’à
la répartition & au recouvrement des femmes à-
payer par les communautés & les particuliers-pour
le rachat de leurs tâches, fa majefté s’en étant
réfervée la connoiflance à elle feule & à fou
confeil.
Le parlement fit des remontrances fur cet arrêt
de caffation, dans lefquelles il convint des abus
de la corvée gratuite, qu’il peignit lui-même des
plus noires couleurs ; & cependant, par une conséquence
qui n’auroit pas dû, ce femble, dériver
de cet aveu, il inufta pour que la corvée fe fît
en nature , & en follicita le rétabliffement comme
une grâce particulière, difoit-il, qu’il attendoit de
fa majefté. Le roi n’eut point d’égard à ces réclamations
, & les chofes relièrent dans l’état oà
elles étoient ; mais ce ne fut pas pour long-tems.
Le parlement entraîné par les démarches même
qu’il avoit faites, ordonna, vers le milieu de 1780,.
qii’il fut procédé contre les adminiftrateurs & employés
des chemins, par la voie infolite des enquêtes
fecrettes, afin, dit-il, de fe procurer des
inftruétions qu’il adrefleroit enfuite à fa majefté.
Cette nouvelle tentative ne fut pas plus heureufe
que la première : le roi la réprouva par un arrêt
du confeil, du 13 juillet 1781 , dont les termes
font remarquables. .
«Sa majefté, eft-il dit dans cet arrêt, ayant
» reconnu que les faits qui ont donné lieu à lad.
» procédure intérefloient î’adminiftration des ponts
® & chauffées , dont il n’appartient qu’à elle feule
» de prendre connoiflance, & qui ne pouvoient
» jamais donner matière à aucune procédure par
33 voie d’information ou enquête fecrette, elle au-
33 roit jugé néceffaire de faire connoître fes.inten-
33 tions : a quoi voulant pourvoir, &c. fa majefté
33 étant en fon confeil, fans s’arrêter à l’arrêt dit
»J parlement de Bordeaux du 22 novembre 1780,
33 a ordonné & ordonne que les jurais . & h abi-
33 tans de Bafcons , les adjudicataires de la tâche
33 de la communauté & autres parties intéreffées
33 remettront leurs pièces & mémoires entre les
33 mains de M. Joly de Fleury, concilier d’etat
«> & au confeil des finances, pour, fur le compte
s* qui en fera rendu par lui , être ordonné ce
» qu’il appartiendra ,
D*après ces preuves réitérées des intentions de 1
fa majefté , M. du Pré de S. Maur crut pouvoir fe livrer
tranquillement aux devoirs de fa place relativement
aux chemins. En conféquence, fur le foeu
de certaines communautés de pays de taille réelle,
exprimé par des délibérations en règle, pour que
tout fonds taillable de leurs paroiffes fût taxé pour
le rachat des corvées en proportion de la taille
qu’il fupportoit, ayant confulté le miniftre des finances
& pris les ordres du confeil, il publia une
ordonnance de réglement à ce fujet pour les pays
de taille réelle de fa généralité.
Ordonnance du 3 Mars 1783.
Le confeil ayant jugé à propos de changer,
dans les pays de notre généralité affujettis à la taille
réelle, la forme de répartition du rachat des corvées
, & nous ayant fait connoître à ce fujet fes
intentions, nous ayons en conféquence ordonné
ce qui fuit.
A r t i c l e p r e m i e r .
Lorfque , dans les élections d’Agen , Condom
Dax, les tâches de corvées qui feront dorénavant
aflignées aux communautés & aux paroiffes ,
fe trouveront dans le cas, aux termes des réglemens,
d’être exécutées à prix d’argent par adjudication
, le montant en fera reparti non-feulement
fur tous les contribuables à la taille, mais encore
fur ceux qui, étant fans propriété de biens-fonds,
ne payent que la capitation.
I I.
Pour impofer le rachat de la corvée, fur les deux
claffes des contribuables défignées par l’article précédent
, il fera fait, dans chaque communauté ou
paroiffe qui fera dans le cas de la fupporter , un
rôle particulier où lefdits contribuables feront portés
, fans exception, avec le taux de la taille des
• premiers & le taux de la capitation des féconds,
îaiffant en blanc une marge fuffifante pour repartir,
au marc la livre des uns & des autres indiftinélement,
la fomme qui devra .tenir lieu de la corvée
en nature.
I I I .
Lefdits rôles feront vérifiés & rendus exécutoires
par nos fubdélégués.
• Le refte , de l’ordonnance n’eft que de forme.
nouvel arrêt, le 27 mars 1784, où, après avoir
dit que ce réglement établit le fyftême de 1 arbitraire,
Cette ordonnance fut dénoncée au parlement
par un de fes membres, & cette cour rendit un
elle ajoute qu’elle ne peut fe difpenfer de
conftater juridiquement les abus auxquels il peut
[ avoir donné lieu, ainfi que toutes autres furchar-
ges qui pourroient avoir été établies dans ladite
généralité , à l’effet d’en mettre les preuves fous
les yeux du roi j en conféquence ordonne qu a la
requête du procureur général du roi, il fera fait
enquête des faits ci-deffus, &c.
Le parlement s’occupa férieufement de cette enquête
, &. elle étoit fort avancée lorfqu’un nouvel
arrêt du confeil, du 17 avril fuivant, cafta l’arrêt
qui l’avoit ordonnée, & toute la procedure
qui s’en étoit enfuivie. M. du Pré de Saint-Maur avoit
lieu d’efpérer, après cela, que le parlement fe
contenteroit d’adreffer à fa majefté les procès-verbaux
qui étoient déjà faits , en les accompagnant
tout au plus de remontrances. Au lieu de prendre
cette voie, le parlement toujours attache à fon
opinion rendit un arrêt, le 28 du même mois d a-
vril, confirmatif des premiers.
Cependant tous ces combats, entre le parlement
d’un côté, l’intendant & le confeil de l’autre,
loin de rétablir l’ordre 'dans l’adminiftration
des corvées, & de fervir à l’amélioration & à
l’entretien des chemins de la Guyenne, n’ont fait
que les contrarier, par l’incertitude & l’embarras
où'ils ont mis les adminiftrateurs & les communautés
corvéables. Ils ont fufpendu les travaux
des chemins (1) j ils ont augmenté l’aigreur & la
divifîondans les efprits. M. du Pré de S. Maur , jugeant
fon honneur offenfé par les inculpations élevées
contre lui, & croyant bien n’avoir rien fait
que d’après les ordres du gouvernement & les règles
de l’équité , a publié des mémoires pour fa
défenfe, | qui ont fait beaucoup de bruit & de
fenfation. En même temps le roi, plein de modération
, mais également julle, a voulu prendre une
connoiflance plus particulière des faits imputés à
M. de Saint-Maur & des motifs de plainte avance^
par le parlèment. Il a envoyé des commiflaires
fur les lieux, pour vérifier l’état des choCès &
prendre des informations fur le fait de la répartition
du rachat des corvées. Il paroît que le rapport de
ces commiflaires n’a pas été défavorable à M. du
Pré de Saint-Maur, puifque les défagremens qu’il
avoit effuyés dans fa place d’intendant de Guyenne
& le defir d’en éviter de'femblables l’ayant porté
à fe démettre de fon intendance , le roi, pour le
récompenfer de fes fervices , l’a nommé à une
place de confeiller d’état. C ’eft ainfi que fe font
terminés tous ces débats.
Ajoutons que M. du Pré de Saint-Maur a eu
enfin, dans cette lutte, la fatisfaéiion inefpérée
fans doute de voir revenir le parlement de Bor-
du rachat des corvée}
X x x x z
(1) A l’époque du premier arrêt du parlement, toute perception concernant le recouvrement
cefla j il ne fut pas quettion de corvées cette année-là dans la généralité de Bordeaux*