
pas qu'on rienlevât fotxante - dix hommes pour
en faire des efclaves. L'auteur de cet attentat fut
condamné à ramener les prifonniers où il les avoit
pris, & à faire les excufes qu'exigeoit une fi grande
infulte. Deux jéfuites, chargés de faire recevoir
les réparations , que fans eux on n'eût jamais
ordonnées, en donnèrent avis;à Farancaha, l'homme
le plus accrédité de fa nation. Il vint au-devant
d'eux , & les embraffant avec dés larmes de joie :
« Mes pères, leur d i t - i l , nous confentons à ou-
» blier le parié , & à fare une nouvelle alliance
& avec les portugais : mais qu'ils foient déformais
»> plus modérés & plus fidèles aux droits des na-
» rions qu'ils ne l'ont été. Notre attachement
» mérite au moins de l'équité. On nous traite de
as barbares, cependant nous refpeétonsla juftice &
as nos amis ». Les millionnaires ayant promis que
leur nation obferveroit déformais plus religieufe-
ment les loix de la paix & de l'union , Farancaha 1
reprit : « Sfvous doutez de la bonne - foi des carias
ges, je vais vous en donner une preuve. J'ai un
as neveu que j'aime tendrement ; il eil l’efpérance
de ma maifon „ & fait les délices de fa mère ï
as elle mouroit de douleur fi elle perdoit fon fils. Je
as veux cependant vous le donner en otage. En-
menex - le avec vous , cultivez fa jeuneffe , pre- ,
>s nex foin de fon éducation ; inffruifez - le de ,
»s votre religion. Que fes moeurs foient douces,
as qu'elles foient pures. J'efpère qu'à votre retour
as vous m'inftruirex auffi, & que vous me rendrex
as à la lumière »5. Plufieurs Cariges imitèrent cet
exemple, &: envoyèrent leurs enfans à Saint-.
Vincent pour y être élevés. Les jéfuites étoient
trop adroits pour ne pas tirer un grand parti de
cet évènement : mais rien ne fait foupçonner
qu'ils cherchaffent à tromper les indiens, en les
portant à la foumilïion. L'avarice n'avoit pas en
çore gagné ces miffionnnaires 5 & le crédit qu'ils
avoient alors à la cour , les faifoit allez refpe&er
dans la colonie, pour que le fort de leurs néophi-
tes ne fût pas ,à plaindre.
C e temps de tranquillité fut mis à profit. Depuis
quelques années des cannes à fucres avoient
été portées de Madère au Brefil x dont le fol &
Je climat s'étoient trouvés favorables à cette riche
plante. La culture en fut d'abord tr è s - fo ib k :
mais on n'eut pas plutôt fubftitué, vers l'an 1 fyo,
les bras nerveux du nègre aux travaux languiffans
des indiens, qu'elle- prit des accroiffemens. Ils
devenoient de jour en jour plus, confidérables,
parce que cette production , bornée jufqu'alois
aux uiages de la médecine, devenoit de plus en
plus un objet de volupté.
Cette profpérité, dont tous les marchés de
l'Europe étoient le théâtre, excita la cupidité des
françois- Ils tentèrent fucceffivement de former
trois ou quatre établilfemens au Brefil. Leur légèreté
ne leur permit pas d'attendre le fruit, com-
munément tardif, des nouvelles entreprifes. Ils
jïbandpnnèrent, pat jnpopftançç & par JaiJitude 9
des efpérances capables de foutenîr des efprîti
qui n'auroient pas été auffi faciles à fe rebuter*
que promts à entreprendre.
Toutes les hifioires font pleines des a&es de
tyrannie & de cruauté, qui foulevèrent les Pays"?
Bas contre Philippe II. Les provinces les plus
riches furent retenues ou ramenées fous un feeptre
de fer : mais les plus pauvres , celles qui étoient
comme fubmergées , réuflirent, par des efforts
plus qu'humains, à affûrer leur indépendance.
Lorfque leur liberté fut folidement établie, elles
allèrent attaquer leur ennemi fur les mers les plus
éloignées, dans l'Inde, dans le Gange, jufqu'aux
Moluques , qui faifoient partie de la domination
efpagnoie, depuis qu'elle comptoir .le Portugal au
nombre de fes poffeffions. La trèv.e de 1609 don*
na, à cette entreprenante & heureufe république ,
le temps de mûrir fes nouveaux projets. Ils éclatèrent
en 162.1 par la création d'une compagnie
des Indes occidentales, dont on efpéra les mêmes
fuccès dans l'Afrique & dans l'Amérique, corn-
prifes dans fon privilège, qu'avoit eues en Afîe
celle des Indes orientales. Les opérations de la
nouvelle fociété . commencèrent par l'attaque, du
Brefil. ,
On avoit les lumières néceffaires pour fe bien
conduire. Quelques navigateurs hollandois avoiene
hafardé d'y aller, fans être arrêtés par la loi qui
en interdifoit l'entrée à tous les, étrangers. Com*
me, fuivant l'ufage de leur nation, ils offroient
leurs marchandifes à beaucoup meilleur marché
que celles qui venoient de la métropole, ils-furent
accueillis favorablement. Ces interlopes dirent à
leur retour, que le pays étoit dans une efpèce d'anarchie
; que la domination étrangère y avoit
étouffé l'amour de la patrie ; que l'intérêt perfon-
nel y avoit corrompu tous les efprits ; que les fol-
dats étoient ..devenus marchands ; qu'on avoit
oublié jufqu'aux premières notions de la guerre ;
& qu'il fuffiroit de fe préfenter avec des forces un
peu confidérables, pour furmonter infailliblement
les légers obftacles qui pourroient s'oppofer à la
conquête d'une région fi riche.
La compagnie chargea en 16*4, Jacob Wille-*
kens de cette entreprife. Il alla droit à la capitale,
San-Salvador fe rendit à la vue.de la flotte
hollandoife. Le relie de la province , quoique la
plus étendue & la plus peuplée de la colonie, ne
fit guère plus de réfiftance.
C'éto.if un terrible revers; mais il n'affligea
point le confeil d'Efpagne. Depuis que cette cou-^
ronne avoit fubjuguç le Portugal, elle n'en trou*
voit pas les peuples auffi fourni?. qu'elle l'eût
voulu. Un défaflre qui pouvoit les rendre plus
dépendans, lui parut un grand avantage ; & fes
minières fe félicitèrent d’avoir enfin trouvé l'oc-*
cafion d'aggraver le joug de leur defpotifme, *
Sans avoir des idées plus juiles ni des fentimens
plus nobles, Philippe penfa que la majefté du
[ prône exigeoit de lui quelque? déwnfifations^
quelques bienséances. Il écrivit aux portugais les
plus diflihgues , pour les exhorter à faire les
efforts généreux qu'exigeoient les circonftances :
ils y étoient difpofés. L’intérêt perfonnel, le zèle
pour la patrie, le defir de reprimer la joie de
leurs maîtres : tout concouroit ï redoubler leur
activité. Ceux qui avoient de l'argent le prodiguèrent
; d'autres levèrent des troupes. Tous vou-
loient fervir. En trois mois on arma vingt-fix
vaiffeaux. Ils partirent au commencement de 1626,
avec ceux que la lenteur & la politique dé l'Efpa-
gne avoient fait trop long-temps attendre.^
L'archevêque de San-Salvador, Michel Texeira
leur avoit préparé un fuccès facile. Ce prélat
guerrier, à la tête de quinxe cens hommes avoit
d'abord arrêté les progrès de l'ennemi. Il l'avoit
infulté, harcelé, battu, pouffé, enfermé & bloqué
dans la place. Les hollandois réduits par la
faim, l'ennui & la misère , forcèrent leur gouverneur
de fe rendre aux troupes que la flotte
avoit débarquées en arrivant : ils furent tous portés
en Europe.
Les fuccès que la compagnie avoit fur mer, la
dédommagèrent de cette perte. Ses vaiffeaux ne
rentraient, jamais dans les ports, que triomphans
& chargés des dépouilles des portugais & des
efpagnôls. Elle jettoit un éclat qui caufoit de
l'ombrage aux püiffances même les plus intéreffées
à la profpérité des hollandois. L'océan étoit couvert
de fes flottes. Ses amiraux cherchoient, par
des exploits utiles , à conferver fa confiance. Les
officiers fubalternes vouloient s'élever, en fécondant
la valeur & l'intelligence de leurs chefs.
L'ardeur du foldat & du matelot étoit fans exemple
: rien ne rebutoit ces hommes fermes & intrépides.
Les fatigues de la mer, les maladies, les
combats multipliés : tout fembloit les agüérir &
redoubler leur émulation. La compagnie entrete-
noit ce fentiment utile par de fréquentes récompenses.
Outre la paye qu'on leur donnoit, elle
leur permettoit un commerce particulier. Cette
faveur les encoürageoit & en multiplioit le nombre.
Leur fortune fe trouvant liée , par un arrangement
fi fage , avec celle du corps qui les em-
ployoit , ils vouloient être toujours en aélion.
Jamais ils 11e rendoient leurs vaiffeaux ; jamais ils
ne manquoient d'attaquer les vaiffeaux ennemis
avec l’intelligence, l'audace & l'acharnement qui
affurent la victoire. En treize ans de temps la
compagnie arma huit cens navires, dont la dé-
penfe montoit à 90,000,000» 1. Ils en prirent cinq
cens quarante-cinq à l'ennemi, qui , avec les marchandifes
dont ils étoient chargés, furent vendus
180,;000,000 liv. Auffi le dividende ne fut-il
jamais au-deffous de vingt pour- cent, & s'éleva-t-il
fouvent à cinquante. Cette profpérité qui n'avoit
d’autre bafe que la guerre, mit la compagnie en
état d'attaquer dé nouveau le Brefil.
Son amiral Henri Louk, arriva au commencement
de 1630, avec quarante-fix vaiffeaux de
guerre fur la côte de Fernambuc, une des plus
grandes provinces du pays, & alors la mieux fortifiée.
Il Ira fournit après avoir livré plufieurs combats
fanglans, dont il fortit toujours viélorieux.
Les troupes qu'il avoit laiffées en partant, fubju-
guèrent dans les années 1633, 1634 & 1^635 les
contrées limitrophes. C'étoit la partie la plus cultivée
du Brefil, celle qui par conféquent offroit
le plus de denrées.
Ces richelfes, qui avoient quitté la route de
Lisbonne pour prendre celle d’Amfieream , enflamment
la compagnie : elle décide la conquête
du Brefil entier , & charge Maurice de
Naffau de cette entreprife. Ce général arrive à
fa deflination dans les premiers jours de 1637 ;
il trouve de la difeipline dans les foldats, de
l'expérience dans les chefs, de la volonté dans
tous les coeurs, & il fe met en campagne. O11
lui oppofe fucceffivement Alburquerque , Bau-
jala, Louis Rocca de Borgia , & k bréfilien
Cameron , l'idole des fiens , paffionné pour les
portugais, brave , adtif, rufé , à qui il ne manqua
pour être bon général que d'avoir appris la
guerre fous de bons maîtres. Ces différens chefs
fe donnent de grands mouvemens pour couvrir
les poffeffions dont on leur avoit confie la dé-
fenfe 5 leurs efforts font inutiles. Les hollandois
achèvent de foumettre toutes les côtes , qui
s'étendent depuis San - Salvador jufqu'à l'Amazone.
Depuis que les portugais avoient fubi le joug
efpagnol, ils n'avoient. plus connu le bonheur»
Philippe II ,“ prince avare , cruel , defpote ,
& diffimulé, avoit cherché à dégrader leur caractère
; mais en couvrant de prétextes honorables
les moyens qu'il employoit pour les avilir.
Son fils , trop fidèle à fes maximes, perfuadé
qu'il valoit mieux régner fur un état ruiné que
de voir dépendre la foumiffion de fes habitans de
leur bonne volonté , les avoit laiffé dépouiller
d'une foule de conquêtes , qui leur avoient valu
tant detréfors, de gloire & de puîffance, ache-*
tés par des ruiffeaux de fang» Le fucceffeur de
ce foible prince , plus foible encore que fon
père, attaqua à découvert & avec mépris leur
adminiftration , leurs privilèges , leurs moeurs ,
tout ce qu'ils avoient de plus cher. A l'inftigation
d'Olivarez , il vouloit les pouffer à la révolte ,
pour acquérir le droit de les dépouiller.
Ces outrages multipliés réunirent les_efprits,
quel'Efpagne avoit travaillé à divifer. Une conspiration
, préparée pendant trois ans avec un fe-
cret incroyable , éclata le 3 décembre 1640. Phir-
lippe IV fut ignominieufement proferit, & le duc
de Bragance placé fur le trône de fes pères.
L'exemple de la capitale entraîna le relie du
royaume , & tout ce qui reftoit des établiffemens
formés en Afie , en Afrique & en Amérique
dans des temps heureux. Un fi grand changement
ne coûta de fang que celui de Michel Vafcon