
a* m a î t r e d u m o n d e , de vous demander ce
» qui vous a déplu en ma perfonne : eft - ce la
» magnificence de mon palais ? j'aurai foin d'en
ai retrancher. Eft-ce l’abondance des mets & la
» délicatefle de ma table ? on n’y verra plus que
» frugalité. Que, s’il vous faut une viâime, je
» confens de bon coeur à mourir, pourvu que
aa vous épargniez ces bons peuples. Que la pluie
a, tombe fur leurs campagnes pour foulager leurs
a, befoins, & la foudre fur ma tête pour fatif-
»» faire à votre juftice »a.
Cette piété du prince, dit notre millionnaire,
toucha le ciel. L’air fe chargea de nuages , &
une pluie univerfelle procura dans le temps^ une
abondante récolte dans tout l’empire. Que l’événement
foit naturel ou miraculeux , cela n’exige
pas de difculfion ; notre but eft feulement de prouver
quelle eft la religion des empereurs de la Chine
& leur amour pour leurs fujets.
Le culte 8e les facrifices à un être fuprême fe
perpétuèrent durant plufieurs fiècles, fans êtrein-
feélés d’aucune idolatrie. Quelques princes feu-
dataires voulurent porter atteinte à cette religion j
ils fuggérèrent aux peuples la crainte des elprits,
en les effrayant par des preftiges. La populace toujours
fuperftitieufe , fe trouvant affemblée pour les
facrifices à chang ti, demandoit qu’on en offrit
aux efprits. C‘étoit-là le germe d’une idolâtrie per-
nicieufe. 11 fut étouffé par l'empereur. En exterminant
les fauteurs de ce tumulte, qui étoient au
nombre de neuf, l’ordre fut rétabli. Ce n’eft que
quelques fiècles apres Confucius, que la ftatue de
Fo fut apportée des Indes , & que les idolâtres
commencèrent à infeéier la Chine. Mais les lettrés,
inviolablement attachés à la doctrine de leurs ancêtres
, n’ont jamais reçu les atteintes de la contagion.
Ce qui a le plus contribué à maintenir à
la Chine le culte des premiers temps, c’eft le tribunal
des rites dont le pouvoir s’étend à réprimer
les innovations Se les fuperftitions dont il peut découvrir
les fources.
Quant à la doélrine fur l’immortalité de l’aine,
elle eft peu développée dans les livres canoniques.
Ils placent bien l’ame des hommes vertueux
auprès du chang-ti ; mais ils ne s’expliquent pas
clairement fur les châtimens éternels dans une autre
vie. Ils reconnoiffent la juftice divine fur ce
point, fans en pénétrer les jugemens.
§. I L
Livres /acres ou canoniques du premier ordre.
Ces livres font au nombre de cinq. Le premier
fe nomme I-ching ou Y-king , c’eft-à-dire , livre
des tranfmutations. Antique &myftérieux, il avoir
beaucoup exercé la fugacité des chinois qui avoient
voulu l'eclaircir, 8c qui l'avoient commenté fans
fuccès. Confucius débrouilla YLcking & fes com*
mentaires, & il en tira d'excellentes inftruétions
de politique & de morale, qui font depuis fon
temps la bafe de la fcienee chinoife. Les lettres
ont la plus haute.eftime pour, ce livre qu'on attribue
à Fo-hi.
Le deuxième livre canonique s'appelle Chu-kin
ou Chang-ckou3 c'eft-à-dire , livre- qui parle des
anciens temps. Il contient l'hiftoire d'Yao, de Xun
& d'Yu. Cette hiftoire dont l'authenticité eft reconnue
par tous les favans de la Chine depuis Confucius
, contient aufli d'excellens préceptes & de
bons réglemens pour l'utilité publique.
Le troifième , qu'on nomme Chi-king, eft une
collection de poèfies faintes.
Le quatrième 3 nommé Chun-tfy-u 3 moins ancien
que les trois premiers , n'eft qu'hiftorique & qu'une
continuation du Chu-king.
Le cinquième, appellé Li-King3 renferme les
ouvrages de plufîeurs difciples de Confucius & de
divers autres, qui ont traité des rites , des. ufa-
ges, du devoir des enfans envers leurs pères &
mères, & de tout ce qùi a rapport à la fociété.
Ces cinq livres font compris fous le nom de
1' U-K.ing.
Les légiflateurs chinois, (auteurs de ces livres ) ,
perfuadés que l'homme eft deftiné par la nature à
vivre en famille, & qu'il reçoit en naiflant toutes
les facultés , toutes les inclinations & tous les
moyens propres à le conduire à fa deftination, jugèrent
que, pour exécuter leur projet , il falloir
rétablir dans l'homme la droiture originelle ou primitive
de fa nature, & le fixer, autant qu'il étoit
poflible, dans cet état.
Pour y réuftir, i°. ils les éclairèrent fur leurs
devoirs réciproques, & fur la liaifon de çes devoirs
avec leur bonheur ; 2°. ils firent des réglemens
pour obliger les citoyens à remplir ces devoirs
, & les y portèrent par tous les moyens les
plus puiffans fur le coeur humain ; 30. Ils établi—
j rent une éducation nationale pour imprimer , dans
l'efprit & dans le coeur des citoyens prefque au
moment de leur naiffance , la connoiffance & l'amour
de leurs devoirs (1).
§. I I I .
Livres canoniques du fécond ordre.
Ces livres font au nombre de fix, dont cinq font
l'ouvrage de Confucius ou de fes difciples.
Le premier eft nommé Tai-hia 3 ou grande fcience,
parce qu'il eft deftiné à l'éducation des princes.
Le fécond, appellé Chang-immuable Yong ou de Y Ordre * traite du medium qu'on do it obferver en
tout, & fait voir que c’eft proprement en quoi
confifte la vertu.
Le troifième, appellé Lun-y-u 3 ou le Livre des
(x) Obfervat. prclim, des livres çlaflîques dç la Chine , ton», x * pag« 2S »
Sentences ,
Sentences3 eft divifé en 20 articles, dont 10renferment
des queftions des difciples de Confucius à
ce philofophe, & les 10 autres contiennent fes
réponfes. Cette collection eft remplie de maximes
& de fentences morales qui furpaffent celle des
fept Sages de la Grèce.
Le quatrième, qui porte le nom de fon auteur, Memcius, eft en forme de dialogue, & traite de,
la bonne adminiftration dans le gouvernement.
Le cinquième , intitulé Kiang-Kiang, ou du Refpecl filial 3 eft un petit volume de Confucius j
il regarde le refpeét filial comme le plus important
de tous les devoirs, & la première des vertus.
Le fixième & dernier livre canonique eft du
doCteur Chu-hi qui l'a donné en 1150. Son titre eft Si-Anhya 3 c'eft-à-dire, Y école des enfans. L'auteur
s'y propofe d'y former la jeuneffe à la pratique de
la vertu.
Il faut obferver que les chinois ne diftinguent
point la morale de la politique, l'art de bien vivre
eft, fuivant eux, l'art de bien gouverner j &
ces deux fciences n'en font qu'une.
Les livres canoniques du fécond ordre font les
livres clafliques de la Chine : ils contiennent le fyf-
tême de philofophie morale & politique des Kings
qui exifte encore anjourd'hui dans cet empire, &
qui le régit depuis plus de trois mille ans.
§. I V.
Sciences des chinois.
Les chinois ont de l'aftronomie, de la géographie
& de la phyfique les notions que la pratique
des affaires peut exiger j leur étude principale fe
tourne vers les fciences plus utiles. La grammaire,
l'hiftoire, ,.les loix du pays, la morale, la politique
femblent être plus immédiatement néceffaires
à la conduite de l'homme & au bien de la fociété.
Dans les pays où l'on s'applique peu à l'étude des
fciences du droit naturel, les gouvernemens font
déplorables} c'eft ce qui a fait donner à la Chine
la préférence à ces dernieres.
A l'égard de l'hiftoire, il n'eft point de nations
qui ait apporté tant de foins à écrire fes annales,
que la nation chinoife, & qui conferve plus pré-
cieufement fes monumens hiftoriques. Chaque
ville a fes écrivains chargés de compofer fon hiftoire..
Tous les ans les mandarins s'aüemblent pour
examiner les annales. Si l'ignorance ou l'adulation
y ont introduit la partialité , ils font rentrer la vérité
dans tous fes droits.
Pour obvier à ces inconvéniens , les chinois
choififfent un nombre de doCteurs, d'une probité
reconnue, pour écrire l'hiftoire générale de l'empire.
D’autres lettrés ont l'emploi d'obferver tous
les difeours & toutes les allions de l'empereur,
de les écrire chacun en particulier jour par jour,
avec défenfe de fe communiquer leur travail. Ces
feuilles font dépofées journellement dans une boîte
QEcon. polit. & diplomatique. Totn, I,
qui ne s'ouvre jamais pendant la vie du monarque,
ni même tandis que fa famille eft fur le trône:
mais quand la couronne paffe dans une autre mai-
fon, on raffemble les mémoires d'une longue fuite
d'années, enfuite l'on en xompofe les annales de
chaque fiècle.
L'art de l'imprimerie, moderne en Europe, étoit
connu à la Chine plus de 600 ans avant Jefus-Chrift :
mais on y fuit une méthode différente de la notre.
On fait tranferire par un excellent écrivain l'ouvrage
qu'on veut faire imprimer. Le graveur colle
cette copié fur une planche de bois dur & poli :
puis avec un burin il écrit les traits de l'écriture ,
& abat tout le refte du bois fur lequel il n'y a rien
de tracé : ainfi il grave autant de planches qu'il y a
de pages à imprimer.
Dans les affaires preflees on couvre une planche
de cire, & avec un poinçon on trace les caractères
d'une vîteffe furprenante. Un homme feul peut
imprimer 2000 feuilles par jour.
§. V .
Inftruciions.
Ce qui diftingue particulièrement le gouvernement
de la Chine de tous les autres gouvernemens
anciens & modernes, c'eft l'inftitution & la perpétuité
de l'enfeignement public des droits & des
devoirs de l’homme ou de la fcience des moeurs 5
les foins & les précautions que prirent les premiers
empereurs légiflateurs de la Chine 3 pour établir
à jamais cette inftruétion fondamentale parmi
leurs peuples, ont rendu l'empire chinois unique
à cet égard, & lui ont donné la Habilité qui le
fait fubfifter floriflant depuis tant de fiècles, au
; milieu des débris des premiers empires. Ces législateurs
avoient compris , que fans l’inftruétion
confiante & générale des loix naturelles de l'ordre
focial & de l'ordre de la juftice par effence, il eft
impoffible qu'un état parvienne à une profpérité
réelle & encore moins durable j que cette étude
devenue univerfelle pouvoit feule.empêchér le gouvernement
de dégénérer en arbitraire, parce que
chez un peuple où les préjugés de l'enfance font
tous fondés en raifon, où l'inftruétion générale
affermit ces préjugés, tout le monde doit connoî-
tre les principes & l'objet de la fociété, & demeurer
éclairé fur les devoirs de l'homme, &
qu'alors les préjugés, l'intelligence & la raifon de
tous compofent une force irréfiftible , qui fait
la loi fuprême de tous, que l'erreur ne fauroit
vaincre, que le défordre ne peut altérer.
Le but de ces fages inftituteurs étoit de former
la Chine fur le modèle d'une famille. En confé-
quence, » ils jugèrent que pour affermir les ci-
» toyens dans l’état de paix & d'union dont ils
» jouiffoient, & pour y rappeller ceux qui s'en
» étoient écartés, il falloit eclairer les chinois fur
s», les devoirs que la nature a preferits aux mem-
» bres d'une famille, & les convaincre que 1»
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