
nombreufe, qui va de Damas à la Mecque , achette
la fureté de fon voyage par un tribut de cent
bourfes, auquel le grand -feigneur s’eft fournis *
& qui par d'anciennes conventions , fe partage
entre toutes les hordes : les autres caravanes s'arrangent
feulement avec les hordes fur le territoire
defquelles elles doivent pafler. Indépendamment
de cette reffource , les arabes de la partie
du défert qui eft la plus au nord, en ont cherché
une fécondé dans leurs brigandages. Ges hommes
ii humains , fi fidèles , fi défintérefles entr’eux 3
font féroces & avides avec les nations étrangères ;
hôtes bienfaifans &: généreux fous leurs tentes ,
ils dévaluent habituellement les bourgades & les
petites villes de leur voifinage. Qn les trouve
bons pères j bons maris, bons maîtres; mais tout
ce qui n’eft pas de leur famille eft leur ennemi;
leurs courfes s'étendent fouvent fort loin 3 & il
n'eft pas rare que la Syrie 3 la Méfopotamie 3 la
Perfe, en foient le théâtre.
Il n'y a dans l’Yemen d’autre or que celui qu'on
y transporte; les ducats de Venife y ont grand
cours j & la quantité confidérable de ces efpèces
qu'on y envoie pour le café ou les épiceries des
Indes 3 a fait demander aux arabes fî les vénitiens
avoient la pierre philofophale» Tout ce que
les hiftoriens grecs nous djfent dçs richeffes de
X A r a b ie 3 paroît fe rapporter au grand commerce
qui s’eft fait de tout temps dans ce pays, où
l’on a porté l’or du Habbefch, des pays fitués
vers la côte orientale d'Afrique , & même des
Indes. On ne cultive l'encens que fur la côte
de Y Arabie qui eft au fud-eft , mais les arabes en
vendent plusieurs autres efpèces qu’on leur apporte
du Habbefch , de Sumatra , de Siam &
de Java ; l’Yemen eft fur-tout le dépôt des plantes
odoriférantes & des drogues médecinales. Nous
parlerons tout-à-l’heure du café, l’une des plus
riches productions de l’Yemen.
Les arabes fixés fur l'Océan indien fur la
mer Rouge 3 ceux qui habitent çe qu'on appelle
Y A ra bie heur eu f e , étoient autrefois un peuple
doux , amoureux de la liberté , content de^fon
indépendance, fans fonger à faire des conquêtes.
Ils étoient trop attachés au beau ciel fous lequel
ils vivoienr, à une terre qui fournifloit prefqüe
fans culture à leurs befoins, pour être tentés de
dominer fous un autre climat, dans d’autres campagnes.
Mahomet changea leurs idées ; mais il
ne leur refte prefque plus rien de l’impulfion qu'il
leur a donne. Leur vie fe paffe à fumer , à
prendre du café, de l’opium & du forbet ; ces
plaifirs font précédés ou fuivis de parfums exquis
qu’on brûle devant eux, & dont ils reçoivent la
fumée dans leurs habits, légèrement imprégnés
d'une afperfion d’eau rofe- ■
Avant que les portugais euflent intercepté-. la
navigation de la mer Rouge, les arabes avoient
plus d?a<ftivité, ils'étoient les-agens de tout le
cpjpmerçe .qui fe faifoit par cette voie. Aden ,
fituée a LeXtrémité la plus méridionale de Y A ra b ie 3
fur la mer des Indes, en étoit l’entrepôt; la fitua-
tion de fon port, qui lui procuroit des liaifons
faciles avec l'Egypte , l’Ethiopie, l’Inde & la
Perfe , en fit , durant plufieurs fiècles , un
des plus fLoriffans comptoirs de l’Àfîe. Quinze
ans après avoir réfifté au' grand Albuquerque >
qui vouloit la détesûre en i y 13 elle fe fournit aux
turcs, qui n’en réitèrent pas long-temps les maîtres.
Le roi ou iman d’Yemen, qui poflede la
feule portion de Y A r a b ie qui mérite d’être apr
pellée heureufe, les en chafla, & attira toutes les
affaires à Moka, rade de fes états * qui n’avoit
été jufqu’alors qu’un village.
Elles furent d’abord peu confidérables. La
myrrhe, l’encens, l’aloës , le baume de la Mecque
, quelques aromates, quelques drogues propres
à la médecine, faifoient la bafe de ce commerce.
Ces objets, dont l’exportation, continuellement
arrêtée par des droits exceflifs, ne
paffe pas aujourd’hui 700,000 livres, étoient dans
ce temps-là plus recherchés qu’ils ne l’ont été
depuis ; mais ce devoit être toujours peu de
chofe : le café fit bientôt après une grande ré-,
volution.
L’exportation du*1 café peut être évaluée à
douze millions cinq cens cinquante mille livres
pefant. Les compagnies européennes entrent dans
ces achats pour un million & dçmi ; les perfans
pour trois millions & demi ; la flotte de Siiez.
pour trois millions demi, l’Indouftan 9 les Maldives
& les cplonies arabes de la çôte d’Afrique
pour cinquante milliers ; les caravanes de terre
pour un million.
Comme les cafés enlevés par les caravanes &
par les européens font les mieux choifis, ils coûtent
de feize à dix-fept fols tournois Ja livre ;
les perfans, qui fe contentent des cafés inférieurs,
ne paient la livre que dé douze à treize fols,
parce que leurs eargaifons font compofées en
partie de bon 8ç en partie de mauvais café. En
réduifant le café à quatorze fpls la livre, qui eft
le prix moyen, fon exportation annuelle doit
faire entrer en A ra b ie huit millions fept cent
quatre-vingt-cinq mille livres, ou trois millions
fix cent foixante mille quatre cent onze deux
tiers de roupies. Cet argent ne lui refte pas ; mais
il la mçt en état de payer cp que les marchés
étrangers verfent de leurs productions dans fes
ports de Jedda & Moka.
Op voit aborder au port, ou plutôt à la rade
de Moka, plufieurs vaiffeaux venant de l’Egypte
& des Indes. La compagnie angloife de.s Indes
orientales y envçie tous les deiix ans un vaiffeau
qui revient chargé de çffé. Le çojnmerce ,de
Moka étant entre;les mains des Banians, marchands
indiens, on ne'frette plus tant de vaiffeau*
pour ce port.
Ppù£ augnaeptep le çojicoprs d'étfapgçrs dans
une cité qu'il deftinoit à être la capitale de fon
empire , Mahomet ordonna à tous ceux qui fui-
vroient fa lo i , de fe rendire une fois dans leur
vîe à la Mecque , fous peine de mourir en réprouvés.
C e précepte étoit accompagné d’un*
autre , qui doit faire fentir que la fuperftition j
feule ne le guidoit pas ; il exigea que chaque pèlerin,
de quelque pays qu'il fû t, achetât & fît
bénir cinq pièces de coton, pour fervir de fuaire,
tant à lui qu'à tous ceux de fa famille, que des
raifons auraient empêché de faire ce faint voyage.
Cette politique devoit faire de Y Arabie lè ,
centre d’un grand commerce, lorfque le nombre j
des pèlerins s'élevoit à plufieurs millions. Le zèle j
s'eft fi fort rallenti, fur-tout à la côte d'Afrique, j
dans l ’Indoftan & en Perfe , à proportion de j
l'éloignement où ces pays font de la Mecque ,
qu'on n’y -.en voit pas plus de cent cinquante
mille. C e font des turcs pour la plupart; ils emportent
fept cent cinquante mille pièces de toile
de dix aunes de long chacune, fans compter ce
que plufieurs d'entr’eux achètent pour revendre.
Ils font invités à ces fpéculations par l’avantage
qu’ils o n t , en traverfant le défert, de n’être pas
écrafés par les douanes & les vexations qui rendent
ruineufes les échelles de Suez & de BaiTora.
L ’argent de ces pèlerins, celui de la flotte, celui
que les arabes ont tiré de la vente de leur c a fé ,
va fe perdre dans les Indes. Les vaiffeaux de Surate,
du Malabar, de Coromandel, du Bengale,
en emportent tous les ans pour fix millions
de roupies, & pour environ le huitième de cette
fomme en marchandifes. Dans le partage que les
nations commerçantes de l’Europe font de ces
richeffes, les anglois font parvenus à s’en approprier
la portion la plus confidérable.
A R B IT R A IR E , adj. mot qui vient du latin
arbitrium 3 volonté ; pris fous une acception générale
; il fe dit. de ce qui n’eft déterminé ni limité
par aucune loi : on l’emploie aufli pour lignifier
le pouvoir defpotique exercé tyranniquement par
un fouverain, un miniftre, un juge, & c .
U arbitraire 3 pris ftri&ement dans le premier
fens, eft un être de raifon ; Car qu’y a-t-il dans
le monde qui ne foit pas fournis à quelque loi ?
Nu l ne peut exercer Y arbitraire- même en fa per-
fonne ; il fent & penfe tout autrement jeune que
vieux , fain que malade , & d’un jour .& d’une
heure à Tautre, félon qu’il eft: à jeun ou qu'il
a trop dîné : il eft gouverné par une loi phy-
fîque, plus forte que lui , & qui détermine fa
propre volonté.
L -arbitraire, dans le fens d'une volonté tyrannique
qui veut être loi , ne convient pas plus
pour foi que pour les autres, car il ne fauroit
paffer la borne des polfibjes. Pourrois - j ç , par
exemple, marcher fur R tête quand je le vou-
drois ? La raifon dçs chofes s’étend fur tout ; elle
s'oppofè à Y arbitraire , & je fuis obligé de me
foumettre à la-raifon de mes organes & de mes
<T&con. polit. & diplomatique. Tom. I.
facultés, ou d'être un fo u , qui commencera,
en s'y refufant, à fe détruire lui-même.
Certainement je ne pourrois fur les autres ce
que je ne puis fur moi ; & quand je ferois même
la raifon perfonifiée, mon opinion devroit être
fentie , elle'devroit être entendue chez les autres,
& elle ne fauroit l’être que par leurs organes & par
leurs facultés. Si donc j’ai befoin des autres , ma
raifon doit être d’accord avec la leur, & fentie
par eux, fans quoi ils ne l’entendront pas.
A proprement parler, nulle volonté n’eft <zr-
bitraire ; nulle çxiftence arbitraire, nulle fociété
arbitraire, nulle autorité arbitraire ; il faut y renoncer.
Qu’e ft-c e donc qu’on entend par un
pouvoir arbitraire ? C ’eft le pouvoir qui ordonne,
qui décide & qui opère fans le confentement de
ceux fur lefquels il agit ; ce qui équivaut à dire ,
qu’ il intercepte toute l’a&ion de l’obéiffance ,
& fe réduit à la feule force du pouvoir coardfif.
L Jarbitraire quemotre aveugle foibleffe & l’opinion
reçue dès l ’enfance nous font prendre pour
le plus haut point du pouvoir, n’en eft ainfi que
la diminution graduelle & l’anéantiffement. La
belle tête J & je puis la faire couper, difoit un
'tyran ivre d’orgueil & de folie ; en effet c'eft
un beau,privilège que de pouvoir faire couper
la tête de fon voifin fans en rendr'e raifon; cependant
il feroit plus utile, je crois, de Je faire
agir pour notre fervice, & dès-lors il faut y renoncer.
Mais, me dira ce fo u , fi je peux dif-
pofef de fa vie , je peux donc plus facilement
encore difpofer de fes travaux & des facultés de
fa perfonne, & il eft ainfi entièrement à mes
ordres. O h ! point du tout ; il faut être privé
de raifon pour imaginer que qui que ce foit fe
meuve travaille dans la feule vue de nous ferv
ir; chacun agit pour fon propre fervice c ’eft
Tordre de la nature ; & Tenthoufiafine même,-qui
peut enfanter des prodiges de dévouement, n’ eft
qu’une exaltation de cet amour-propre, premier
mobile de notre exiftence, & qui eft infeparable
de nous. O r , le fou qui croit faire le mal fans
en rendre compte, parce que ( femblable à un
enfant qui du haut d’un toît jette une tuile fur
les paffans ) il a furpris ceux qui «’étoient pas fur
: leurs gardes , & fait tomber fes coups fur les adulateurs
afljdus & ferviles du defpotifme; le tyran
infenfé aliène par cela même la volonté de tous
les autres ; il ceffe de régner ; il quitte le fceptre
pour porter le glaive, & pour exercer le pouvoir
cTun bourreau.
Mais les hommes, dit-on, ne font menés que
par la crainte & pat l’efpérance : change», l’ordre
de ces mobiles, & dites, par l ’efpérance & par
la crainte. En effet, l’homme, félon la nature
ne vit que pour efpérer ; il ne craint qu’à proportion
de ce qu'il efpère ; il n'agit que par l’ef-
pérançe ; la crainte le^ fera fuir, mais par un
mouvement fubit & précipité, qui ne peut avoir
de fuite ni d’effets avantageux, encore s'il
F f