
guerre, comme fi nous avions des lions & des panthères
à détruire.
Dans la marche graduelle de la civilifation, l'ef-
prit de république , autrefois dominateur de l'Europe,
& recours naturel des peuples contre l'anarchie
8^1'opprefllon, parut d’abord fermenter. Les
villes., afyies des arts & de l'induftrie , offrirent
enfuite de nouveaux attraits à l'homme accablé fous
les liens de la fervitude féodale. Enfin la découverte
d'un nouveau monde couvert d'or & d'argent
fit refluer ces métaux fur l'Europe 3 y rendit
la monnoie fort commune j 8c celle-ci s'étant in-
finuée dans tous les rameaux de 1 arbre focial &
politique 3 ranima bientôt & fomenta l'efprit fif-
cal j ( ci-devant contenu 8c dépouillé même par la
barbarie ) ce qui fubftitua fart de preffurer 8c d'é-
puifer a celui de ramper.
i Ces deux extrémités n'eurent pas d'intervalle >
mais aujourd’hui les lumières fe. répandent de proche
en proche & fe communiquent par-tout ; &
les faux fyftêmes qui touchent à leur fin feront
bientôt place aux loix , aux ufages 8c aux préjugés
conformes à l'ordre naturel & focial.
Quoi qu'il en foit, d'après les principes relatifs
à la profpérité de l'agriculture 3 d'où dépend celle
des empires & leur perpétuité;, on peut juger où
nous en foromes, quant à l'extinélion des préjugés
barbares fur l'article de la chajfe ; je veux dire,
quant aux loix & aux ufages concernant la ckajfe ,
& indépendamment de la paflion qu'infpire fouvent
cet exercice.
Chez la plupart des nations de l'Europe 3 la
ckajfe eft refervée aux grands & aux riches ; elle
devient un privilège exclufif, auquel le peuple ne
touche que furtivement & en contrebande. Celui
qui pourroit en faire unè occupation utile, le propriétaire
dont l'héritage eft fouvent ravagé par le
gros 8c le menu gibier & les bêtes fauves, qu'on
laiffe multiplier à l'infini ; le propriétaire qui, ce.
femble , devrait jouir le premier du droit de
défendre les fruits de fa terre , s’il n'a pas de
meilleur titre que celui de pofïèfleur de fonds, eft
condamné à nourrir le gibier de fon feigneur ,
fans qu'il puifle y prétendre la moindre part. La
chajfe, dans ce pays des fciences 8c des préjugés,
eft un amufement coûteux que fe partagent la grandeur
& l'oifivete. Le peuple paye bien cher ces
plaifîrs comme bien d autres , fans en goûter.
Voyer, p o u r les régleméhs fur le fait de la chajfe
en France, le Diétionnaire de Jurifprudence au
mot chajfe. g x '
La paflion de la ckajfe convient peut-etre a certains
peuples, comme aux miquelets 8c aux barbets;
mais à l'égard des fouverains, des grands &
des notables-, ils doivent apprendre & ne point ou-,
blier le proverbe chinois, qui dit : les grandes^chafi
fes , l'amour excejff des femmes , & . le dégoût des
affaires mènent bientôt une dinaflie a fa fin. Il faut
des délaffemens fans doute ; mais il n e faut pas
qu'ils foient ruineux pour foi ni pour les autres >
qu'ils occafionnent des pertes de temps confidera-
bles, ni qu'ils forcent à fe déterminer fans reflexion
lorfqu'il eft queftion de délibérer ,. ou à entreprendre
avec précipitation quand il eft néceflaired agir.
Les • délaffemens vraiment utiles font plutôt^ un
changement d'occupation & d'exercice, qu une
fatigante 8c pénible oifiveté.
( Cet article ejl de M. Griv el . )
CHASSEURS (PEUPLES)’, petites & pauvres
nations dont l'occupation habituelle eft / de
chajfer 3 8c qui vivent de la chajfe. Leurs focietes
informes peu nombreufes, font difperfées à de grandes
diftances fur un terrein immenfe, parce qu elles
ne fubfiftent que précairement, 8c que^ leur population
, arrêtée dans les bornes les plus étroites, ne
fauroit faire de progrès.
Si l'on vouloir combattre ce que nous a von s^ dit
dans l'article précédent ; que la ckajfe ne dut être
regardée comme moyen de fubfiftance que par ne-
1 ceflité, par occafion , & finalement par habitude,
I on pourroit fonder la négative de cette affertion ,
fur ce que la plupart des fauvages ou naturels de
l'Amérique feptentrionale firent autrefois de la
chajfe, comme ils ên font encore, le principal objet
de leur travail, & qu'ils en tirent leurs plus confiantes
provifions j mais on verra bientôt que cette
objection n'eft pas folide.
Sur l'un 8c l'autre continent, les hommes ne
durent parvenir aux âpres 8c froides contrées du
nord que par des courfes, 8c ne s'y arrêter qu'a-
près avoir été banni» par l'injuftice, la crainte
ou la violence des climats plus doux & plus favo-r
râbles. L’habitude des courfes fe perpétue aifément
dans une peuplade recrutée fans cefle d'adolefeens.
Dans l’âge de la vie où la force de l'homme devenue
furabondante cherche par-tout à s'exercer
pour acquérir de nouvelles jouiflances, des jeunes
gens élevés dans l'habitude de fuivre leurs pen-
chans, aiment à l'excès à courir au loin ; ils
quittent volontiers leur terre natale pour aller voir
ailleurs de nouveaux objets ; 8c fe portant à de
grancles diftances, ils l’oublient quelquefois. D'un
autre côté, l'expatriation forcée des peuplades errantes
a du laifler de grands déferts entr'elles &
les nations agricoles.
Il ne faut pas perdre de vue què la civilifation
des fociétés qui fait tant d'honneur à l'homme ,
eft une fuite naturelle de l'agriculture , & qu'elle
ne fauroit avoir d'autre principe ni d autre fin»
L'écriture dit que le fils aîné d Adam s adonna
à la culture , bâtit un fort, inventa Içs^ poids &
les mefures ; voilà la réfidenee , la fureté , les
moyens d'échange': ajoutons à cela les bornes &
la circonfcription des champs, la propriété foncière
, le droit d'en difpofer après la mort, ou l'héritage, les conventions fociales pour régler les
queftions & les prétentions, les tribunaux pour
en faire l'application aux cas contentieux, la force
publique enfin pour faire refpe&er 8c prévaloir
les fentences, nous aurons toutes les bafes de la
vie civile; En effet, admettons une fois ces cho-
fes , vous devez admettre en même-^temps la conf
titution. civile toute entière. Vous verrez enfuite
les arts 8c les fciences 8c les plus brillantes inventions
de l'efprit- humain tirer de-là leur origine.
Empêchez-les. de dégénérer, défendez-les de tout
attentat, préfervez-les de décadence 8c de révolution,
"vous vous conformerez aux règles de la
vraie politique.
En raifon de ce qu'une peuplade fera plus ou
moins agricole , elle fera donc plus ou moins conf-
tituée, plus ou moins nation.
On elt étonné de la puiflancè 8c des progrès des
romains ; il n'y a, pour s'en rendre une raifon Ample,
qu’à confidérer leurs bafes. Voyez Romulus
ouvrir un droit d'afyle à Rome pour y attirer tous
les bannis des cités voifines, commencer par leur
repartir le peu de terres qu’il pofledoit, 8c fes
fuccefleurs fidèles au même plan, ranger ces nouveaux
citoyens en tribus agricoles , 8c les difcipli-
ner par l'efprit militaire exalté par des préfages de
conquête devenus religieux ; mais préférant tou- i
jours à tout la glebe 8c fes fruits, jufques-là même
que l'arpent de terre devint la récompenfe des vétérans
fatellites de la tyrannie. Cet efprit les porta
à fonder des colonies pour tenir en bride les nations
vaincues , & ces établiffemens furent toujours
pofés fur les mêmes bafes, la culture des
terres 8c les mêmes moeurs.
Comparons à cela nos colonies modernes , 8c jugeons, d'après cette mefure donnée par la nature
, de leur fuccès 8c de leur durée.
Aux lieux où fa loi puiflante prohibe l'agricul- .
ture, elle prohibe les fociétés humaines & la population.
Le petit nombre d'habitans que les fruits
fpontanées de la terre, les produits de la chajfe ou
de la pêche peuvent faire fubfifter , ne fauroient
ni émigrer, parce qu'on ne revient point de la
mort à la vie, ni former de fociété, parce- qu'ils
n'ont rien à échanger ; ainfî les famoyedes, les lapons
8c les kuriles fe terrent pêle-mêle comme les
-renards, & n'ont pas de vues fociales plus étendues.
En raifon de ce que la nature prête davantage
à la follicitation de nos travaux, il naît des ébauches
de fociétés, & les forts d'entre les hommes
qui les compofetit vont au loin chercher des fup-
plémens ; c'eft ce qu'on voit parmi les fauvages de
l'Amérique feptentrionale , qu'çn nous objeéte
comme peuples chajfeurs..
Le mal eft que l'indépendance & l'habitude des
moeurs farouches cju'entraîneut les courfes de ces
fauvages , fait prédominer, dans leur pays, ce
genre de vie fur les travaux fédentaires ; & comme
la vanité eft le premier befoin moral de l'homme
, le^ travail nourricier abandonné aux foibles &
aux prétendus lâches, &, par cette raifon, tombé
dans le mépris, eft livré aux femmes chez les peupies
pauvres 8c barbares, 8c aux efclaves parmi
ceux qui ont quelque richefle : ainfî, tandis que
les algonquins, les iroquois & les hurons font des
courfes immenfes pour leurs chajfes 8c pour leurs
pêches , 8c ne traînent après eux que leurs chiens ,
qtl'ils rendent aufli malheureux qu’ils le font eux-
mêmès, leurs femmes fement 8c cultivent autour
de leurs villages le mays 8c d'autres grains ou légumes
dont elles font leurs provifions.
Un autre débouché s'eft ouvert pour eux depuis
que les européens ont fréquenté l'Amérique , & a
rendu leurs chajfes plus intéreflantes > c’eft la traite
des pelleteries dont notre luxe dépouille le nord ,
comme notre avidité enlève au midi fes métaux ;
avec cette différence néanmoins , que les métaux
fe réforment dans les entrailles de la terre, quoique
beaucoup trop lentement pour notre cupidité,
au lieu que les produits de la ckajfe ne peuvent
être rangés que dans la clafle des fpoliations.
La reflource de la pêche eft toute autre chofe ;
car Dieu voulut que la multiplication du poiflon
fût fans bornes $ & cette efpece fe nourrit d’elle-
même , ou de produits qui nous font abfolument
étrangers : cette reflource abondante 8c même facile
n'a pourtant que des faifons & des paflages ;
mais ceci eft hors de notre fujet atftuel.
Quant aux peuples chajfeurs proprement dits ,
s’il en eft, on doit les regarder comme des peuples
exterminateurs, par néceflité , par habitude
&par volonté, & forcés de faire la chajfe à l'homme
, pair toutes les raifons poflibles , aufli-tôt que
le gibier leufrmanquera.
A cela près, il ne faut pas anathématifer ainfî
les chajfeurs même de profeflion , qui fe trouvent
dans toutes les nation^ civilifées. Indépendamment
de l'attrait, c'eft une profeflion comme une autre »
& chacun peut choifir la fienne : c'eft même un
moyen de gagner fa vie. Il n'eft certes pas de nation
en Europe plus fage que lés fuiffes, & qiii
tire un plus grand parti de l'économie agricole de
tous les genres. Cependant vous trouverez parmi
eux des chajfeurs de chamois , de bouquetin , &c.
plus endurcis , plus audacieux & plus intrépides
que tout ce qu'on pourroit voir chez les nations
les plus fauvages.
L'induftrie humaine peut & doit par conféquent
tirer parti de tout ; mais les peuples qui font de
la chajfe la bafê de leur fubfiftance ne peuvent être
que fauvages, voués au genre de vie le plus dur
8c la plus précaire , 8c font forcés à devenir barbares
dans la néceflité. L'horrible forfait des an-
tropophages qui révolte fi cruellement la nature ,
& met l'homme au-deflous de la brute, dont l'inf
tinftnefe dégrade jamais jufques-là, l'infame ufage
de dévorer fes prifonniers de guerre n'eut de principe
que la chajfe 8c la néceflité. Cette dernière
indique l'homme à l'homme comme fa proie , 8c la guerre comme fon pourvoyeur.
( Cet article cjlf de M. G r i v e l . )
CHATIMENS. Peines.
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