
de livrer une portion de l'ifle à. l'ordre de Malthe,
qui la pofîederoit en t toute foâveraineté, moyen-
nantune certaine fomme} il flatta même dom Pinto
de l'elbérance que la nation ne feroit point éloignée
de recevoir l'ordre pour fouverain x ou de
recevoir un maître de fa main , en lui infinuant que
le choix pourroit tomber fur un Pinto, bâtard du
grand-maître & Punique rejetton de toute cette
maifon. Paoli étoit loin devoir envie de céder ù
place j mais dom Pinto, ambitieux malgré fa vieii-
ïefle , flatté fur-tout de Phonneur que receyroit ion
nom du fuccès d'une telle affaire , 8c jaloux de le
perpétuer, crut affez légèrement tout ce qu'on
lui affura. On dit qu'on avoit befoin d'avances
pour terminer la guerre contre Gênes ; qu'aufli-
tôt qu'elle feroit finie, l'ordre entreroit en pôf-
feffion. Les tréfors accumulés par dom Pinto le
mirent dans le cas de n'être pas arrêté par ces difficultés
, & il fut convenu que monfeigneur Na-
tali 3 évêque de Tivoli 3 né parmi les corfes &
fort attaché à leur parti 3 toucheroit à Rome les
fommes demandées. Paoli envoya donc à Rome
Jean Rocca 8c Jean de Cafa-Bianca , pour y toucher
& faire pafler en Corfe Pargent que devoit
leur remettre l'évêque Natali. On aflfure que çes
' deux envoyés ne connoifloient rien de toute cette
affaire, & que 3 fans favoir d'où venoit Pargent ,
iis envoyèrent en Corfe quatre cents mille liv. en
fequins. Il paroît que dom Pinto 3 dupe de fon
ambition, a été trompé jufqu'au dernier moment,
& qu'il n'a ofé ni demander que Paoli tînt fa
promeffe, ni le punir d'y avoir manqué. Diffé-
rens particuliers de Florence & des voyageurs an-
glois , enthoufiafmés de P aoli, & le'croyant le
foutien de la liberté de fon pay s , fe cotisèrent ,
pour l’empêcher d'en devenir le martyr , & lui
fournirent environ cent vingt mille liv.
Les droits de papier timbré, la ferme des greffes
, celle du f e l , les amendes pécuniaires auxquelles
on condamnoit prefque tous les coupables,
les confifcations des biens des criminels, les droits
de pavillon, les prifes en mer, les taxes fur les
objets de commerce , la jouiffance des biens des
génois, fitués dans l'intérieur de l'ifle, & de ceux
des habitans des villes qui leur reftoient encore en
Corfe 3 diverfes taxes de trois , de quatre livres
dix fous par chaque valeur de huit cents livres
en biens-fonds 5 telles étoient à-peu-près les four-
ces qui venoient grofïir le tréfor public. Les biens
de l’églife étoient taxés ainfi que les autres : on
n'avoit pas imité en Corfe l'adminiftration de ces
états , dans lesquels ils font moins chargés , quoique
s'il y avoit quelque équité dans la répartition
de l'impôt, ils duffent l'être comme les biens du
jrefte des citoyens.
Si ces fonds ne fuffiforent pas , on fuppléoit
au déficit par des quêtes générales, ou par des
emprunts fur des églifes ou des confrairies , lefquels
n'étoient jamais rendus. Dans le befoin on
fouilloit dans toutes les bourfes , & on en trouvoit
peu de fermées , quand on follicitoît pour h
defenfe de la liberté menacée.
Paoli, pendant les dernières campagnes, re-
cevoit de Londres cinquante mille liv. par femaine:
( d'autres ont dit par mois} mais ce fubfide eût
ete bien léger. ) Cette fomme provenoit des foufl
criptions ouvertes en Angleterre, en faveur des
corfes 8c de la liberté. La fociété angloife des anti-
gallicans dut fe diftinguer parmi ceux qui le fou-
doyèrent : fon titre qui ne fait pas honneur aux
anglois, l'y obligeoit : & croit-on que la coiir de
Londres lui ait épargné les fecours en argent ,
quand elle n'ofoit lui en fournir d'autres ?
S e c t i o n I I Ie.
Details fur la confulte générale ou les états tle
Corfe;
Les états-généraux de Suède 8c le parlement
d'Angleterre peuvent donner une idée de ce qu’é-
toit la confulte générale de la Corfe ; non que je
veuille comparer des aflemblées très-différentes ,
par la maniéré dont elles étoient compofées, mais
femblables en ce que l'autorité étoit en Corfe} ainfi
que dans ces royaumes , entre les mains de la nation
, à cette^ différence près que la fouveraineté
réfidoit effentiellement en Corfe dans la confulte ,
au lieu que les rois d'Angleterre & de Suède ne
ceffent pas-d'être rois pendant la fefïion du parlement
ou la tenue des états, qui l'une & l'autre
ne font que des contre-poids de l'autorité du monarque,
des barrières contre le pouvoir abfolu.
Les confultes furent d'abord compofées des ma-
giftrats provinciaux, confulteurs, commiflaires des
pièves, chefs de guerre , podeftats , piévains ,
curés, vicaires forains , députés des chapitres 8c
chefs des ordres religieux, ainfi que de tous ceux
q.ui avoient quelque crédit parmi le peuple. L e
général, conjointement avec le fuprême confeil,.
avoit feul le droit de les convoquer 8c d’indiquer
le lieu de leur afîemblée. Les befoins de l'état
fixèrent lé nombre des confultes qui fe dévoient
tenir dans l'année. Plus l'anarchie fut grande ,
plus ces aflemblées furent fréquentes. Depuis l’é-
leélion de Pâoli jufqu’en 17 6 4 , elles fe tinrent
deux fois l'an -, depuis ce temps elles devinrent annuelles.
Alors il fut réglé que, devenues trop
nombreufes, les pièves 8c les différens corps s'y
feroient repréfenter par des députés munis de leurs
procurations 8c élus dans la forme furvante. Tous
les hommes, âgés de 2 y ans, dévoient s'aflembler
en préfence'du podeftat 8c père du commun , de<
leur village, 8c choifir leur représentant, puis le
munir d'une procuration qui lui donnât tous les
droits qu'auroit eu à la confulte la communauté
préfente 8c réunie. Les chapitres, les ordres religieux,
les tribunaux eurent droit de fe faire repréfenter,
en fe conformant à cette loi. C e nombre
de repréfentans ayant encore fembié trop confidérablé,
foît à caufe de l’embarras de les loger
8c de les nourrir au lieu de la confulte, foit que
Paoli craignît de ne pouvoir en gagner un affez
grand nombre, les députés de chaque ville aflem-
blés eurent droit de choifir entr'eux un feul repré-
fentant pour leur piève. Mais l’ ancien ufage prévalut
toujours, parce-que chaque député de village
fut bien aife d’exercer fon droit, 8c de jouir
un inftant de quelque autorité. Des Lettres circulaires
d'invitation étant parvenues aux députés,
ils étoient tenus de fe rendre au lieu fixé pour la
confulte, la veille de fon ouverture, & de pré-
fenter leur procuration au grand chancelier. Le
matin du jour fixé pour l'ouverture de la confulte,
le général s'y rendoit fuivi du fuprême confeil ,
8c y prononçoit un difcours. On l'a vu dans les dernières,
rendre compte de fon adminiftration depuis la
dernière tenue, 8c indiquer les matières fur lef-
quelles on devoit délibérer j il fe retiroit enfuite
& la confulte nommoit deux députés par province
, lefquels fe rendoient l'après-midi chez le général
$ 8c là , affiliés des députés de la rote civile,
& en préfence du général 8c du fuprême confeil,
ils élifoient, par la voie du fcrutin, un préfident
& un orateur de la confulte. Ceux qui avoient le
plus de voix au-deffus des trois quarts , étoient
nommés j ils élifoient de même un chancelier, de
la confulte. Mais comme rien n’étoit bien fiable,
le gouvernement le nomma quelquefois. Cès élections
faites , le général & le fuprême confeil cef-
foient toutes les fonctions, 8c les fceaux paflbient
des mains du grand chancelier à celles du chancelier
de la confulte. Tous les ordres alors éma-
noient du préfident, fous le fceau de la confulte.
L e préfident annonçoit les objets fur lefquels il
falloit délibérer : l'orateur les difcutoit à haute
Voix, 8c donnoit fon avis : la confulte délibéroit :
les fuffrages fe recueilloient par la voie du fcrutin:
le préfident annonçoit la délibération autorifée par
le plus grand nombre de voix, & le chancelier
enrégiftroit cette loi nouvelle. Mais cette voie du
fcrutin , fi favorable à la liberté des délibérations,
ne fut pas long-temps fuivie , & l'on décida prefque
toutes les affaires par acclamation , moyen bien
autrement avantageux à la cabale : il n'eft queftion
que de connoître les fortes poitrines 8c de ies bien
payer. Ainfi le moyen de recueillir les voix par le
fcrutin étant très-long 8c les députés très-pauvres,
tous avoient un intérêt preffant d'abréger les formes
& le temps de la confulte où on alloit, où
on v ivo it, 8c dont on revenoit à fes frais. Les
députés de chaque province s'affembloient en comité
vers la fin de la tenue, & élifoient les ma-
giftrats de leur province, ou en faifbient la proclamation
, & la confulte les approuvoit comme fi
elle les eût choifis elle-même. Le chancelier réfu-
moit tous lés noms des magiftrats 8c officiers faits
par la confulte, & on les lifoit à haute voix ,
après quoi l’ affemblée fe féparoit ; les fceaux étoient
jendus au grand chancelier, 8c la fouveraineté au
général 8c au fuprême confeil. Chaque député
pouvoit, pendant la tenue, préfenter des mémoires
fur tous les objets poflibles j il devoit les remettre
au chancelier, qui en faifoit fon rapport
au préfident & à l'orateur, lefquels en conféroient
enfemble, & , félon qu'ils les approuvoient ou dé-
fapprouvoient, en rendoient compte à la confulte.
Les corfes comptoient fi bien, ou faifoient fem-
blant de compter fi bien fur la fiabilité de leur gouvernement,
qu’une confulte avoit décidé que fi le
généralat vaquoit par mort, tous les officiers ou
magiftrats refteroient in flatu quo j que le fuprême
confeil exerceroit la fouveraineté ; que le prefident
feroit les fonctions de général, 8c que ce tribunal,
dans un mois au plus tard après le dècès du général
, convoqueroit une confulte pour procéder
à l'éleétion d'un fujet à cette place importante.
Toutes les règles que je viens d'expofer, ne furent
admifes que depuis 1764. Auparavant, celui qui
avoit le plus de partifans , décidoit tout dans les
confultes. On s'aflembloit tumultueufement, on
parloit beaucoup fans s'entendre , on prenoit des
réfolutions auxquelles les puiflans manquoient quand
leur intérêt l'exigeoit 5 on juroit de bien haïr les
génois , de bien défendre la patrie 5 on fe retiroit
fans plan déterminé , fans avoir trop cherché, 8c
fur-tout fans avoir trouvé les moyens de rendre la
nation plus puiffante ou plus heureufe.
Depuis que la Corfe fait partie du royaume de
France, elle a confervé fes confultes, fous le nom
dyétats généraux j ils s'alfemblent tous les ans, font
corapofés des commiflaires du roi , des députés
du clergé, de la nobleffe & du tiers état. C e font
de tous les états des provinces françoifes les mieux
conftitués. Ceux de 1770 prêtèrent au roi ferment
de fidélité , au nom de toute la nation.
Les commiflaires du roi font le commandant &
l'intendant. Le clergé eft compofé des cinq évêques
de l'ifle 8c de 18 piévains, élus, ainfi que les
vingt-trois députés de la noblefle 8c les vingt-trois
députés du tiers, dans les aflemblées provinciales
> chaque ordre a ainfi un nombre égal de repréfentans.
Les aflemblées provinciales ne peuvent
durer que quatre jours, & font compofées des députés
des pièves.
Les aflemblées des pièves n’ en peuvent durer
que trois, 8c chacune y élit fes députés à l’affemblée
provinciale. Tout chef de famille a voix
délibérative dans lés aflemblées des pièves : ainfi
le peuple eft aufli légalement repréfenté qu'il eft
poflible. Les états durent le temps fixépar les commiflaires
du ro i, & les trois ordres y fiègent dans
le même lieu, 8c tous fur les hauts fièges. Tout
député peut propofer aux états ce qu'il croit utile
à la nation, en juftifiant du pouvoir de lès corn-
mettans ; mais on ne peut délibérer que fur les
matières admifes par les commiflaires du roi. Les
réfolutions des états ne peuvent aufli s'exécuter
que par l'approbation du roi > en conféquence les