
pas. Us fe plaignent des droits accordés à différens
officiers fur tout ce qui eft vendu dans le pays ou
même exporté. Us fe plaignent de la défenfe qui
leur eft faite d'expédier le moindre bâtiment pour
communiquer entr'eux , ou pour aller chercher
fur les côtes voifines les bois que. la nature leur a
refufés. 11s fe plaignent de ce que, par des formalités
auffi multipliées qu'inutiles , on les a réduits
à emprunter, à un intérêt exceffif , un argent qui
donneroit plus d'extenfîon à leur culture. Us fe
plaignent de ce qu'étant la plupart luthériens , il ne
leur eft pas permis de fe procurer , à leurs dépens,
les confolations de la religion. Us forment une
infinité d'autres plaintes toutes graves., & qui , la
plupart , paroiffent fondées.
• L'auteur de F Afrique hollandoife3 ou tableau kijlo-
rique 6r* -politique de L'état originaire de la colonie du
Cap de Bonne,Efpéranee 3 comparé avec L'état adtuel
de cette colonie 3 ouvrage publié en Hollande en
1785 3 entre dans les plus grands détails fur la mau-
vaife adminiftration du Cap 5 il fait un tableau effrayant
des injuftices , des concufiions & des violences
des officiers & des employés de la colonie ;
il parle beaucoup du mécontentement des colons
& des bourgeois du Cap 3 & il ofe prédire qu'ils ne
tarderont pas à fe révolter. U prouve que le Cap
tombera au pouvoir de la première puiffance qui
l’attaqueraj que fi le commodore Johnftone fût arrivé
un jour plutôt que M. de Suffren, il fe feroit
emparé de cet établiffement. Il ne fe coqtente pas
de montrer les abus, il en indiqueles.remèdes.
On devroit fe hâter d'autant plus de redreffer
ces griefs, que les colons font plus intéreffans.
Les moeurs font fimples , même dans la capitale.
On n'y connoît aucun genre de fpeélacle 5 on n'y
joue point ; on n'y fait que très - rarement des
vifites ; on y parle peu. Les plaifirs des femmes fe
bornent à rendre heureux leurs époux, leurs en-
fans, leurs ferviteurs , leurs efclaves mêmes.
- Tandis qu’elles fe livrent à ces foins touchans,
les hommes s'occupent tout entiers des affaires
extérieures. Sur le foir , lorfque les vents font
tombés, chaque famille réunie, va jouir de l'e xercice
de la promenade , de la douceur de l'air. La
vie d'un jour eft celle de toute l'année, & l'on ne s'ap-
perçoit pas que cette uniformité nuife au bonheur.
. Avantages que procure cette colonie de la Hollande.
Quoique le cara&ère des hottentots ne foit pas
tel que l'avarice hollandoife le defireroit, la compagnie
tire des avantages folides de fa colonie. A
la vérité , la dixme du bled & du vin qu'elle
perçoit, fes douanes & fes autres droits ne lui
rendent pas au-delà de cenf mille écus. Elle ne
gagne pas cent mille livres fur les draps , les toiles
, la quincaillerie, le charbon de terre & quelques
autres objets peu importans quelle y débite. ,
Les frais inféparables d’un fi grand établiffement,
& ceux que la corruption y ajoute, abforbent au-
delà de ces profits réunis ; auffi fon utilité a-1-elle
\yie autre bafe.
Le s vaiffeaux hollandois , qui vont aux Indes ou
qui en reviennent, trouvent au Cap un afyle fur, un
ciel ag ré ab le, pur & tempéré, les nouvelles importantes
des deux mondes. Ils y prennent du
b eu r re , du from a g e , du v in , des fa r in e s , une
grande abondance de légumes falés pour leur navigation
& pour leurs établiffemens d 'A f ie , même
depuis quelque tem p s , deux ou trois cargaifons de
bled pour l'Europe. C e s commodités & ces ref-
fources augmenteroient en co re , fi la compagnie
abdiquoit enfin les funeftes préjugés qui n'ont
ceffé de l'égarer.
Jufqu'à nos jours les productions du Cap ont
eu fi peu de v a le u r , que leurs cultivateurs ne pouvaient
fe v êtir ni fe procurer aucune des commodités
que leur fol ne leur d onnoitpas. V o ic i la rai-
lon de ce t aviliffement des denrées ; il étoit
défendu aux colons de les vendre aux navigateurs
étrangers, que la guerre , ou d'autres rai-
fo n s , attiroient dans leurs ports. L a jâloufie du
commerce , l'un des plus grands fléaux qui affligent
l'humanité , avoit infpiré ce tte interdiction
barbare. L e but d'un fi odieux fyftême étoit de
dégoûter des Indes les autres nations commerçantes.
Elles ne pouvoient attendre des fecours_ que
de l'adminiftration , q u i, pour ne pas s'écarter de
fon p la n , les mettoit toujours à un prix exceffif.
Depuis même que l'expérience d'un fiècle entier
a fait abandonner des vues fi chimériques, & qu'on
a perdu l'efpo ir d'éloigner de l 'A f ie les autres
peu ples , les habitans du Cap n'ont pas é té autorifés
à un commerce libre d e toutes leurs denrées. A
la vérité , T u lb agh & quelques autres ch efs éclairés
fe font montrés plus fa c ile s , ce qui a répandu
un peu d'aifance : mais on a toujours été réduit à
endormir oq à corrompre le monopole. L a compagnie
ne verra - 1 - elle jamais que les richeffes des
colons do iven t, tô t ou tard , devenir les fiennes ?
Voye% l'article P r o v in c e s - U n ie s .
C A P - B R E T O N . L e Cap -Breton eft une ifle
de l'Amérique feptentrionale , fituée entre les
quarante-cinq & les qua ran te-fep t degrés de latitude
n o rd , & à l ’entrée du golfe S a in t -L a u rent':
ce lle de T e r r e -N e u v e n’en eft éloignée que
de quinze ou feiz e lieues :_elle eft féparée de l 'A cadie
par un détroit de trois ou quatre lieues. Sa
longueur eft d'environ trente-fix lieu e s , & fa plus
grande largeur de v in g t-d e u x . Elle eft hérifîee ,
dans toute fa circon fé ren c e , de petits rochers.
T o u s fes ports font ouverts à l'o r ie n t , en tournant
au fud^ O n ne trouve fur le refte de fon enceinte
que quelques mouillages pour de petits bâtimens ,
dans des anfes ou entre des iflots. A l'exception des
lieux montueux, la furface du pays a peu de folidité :
c e n'eft par-tout qu'une moufle légère & de l'eau.
Quoique le Cap-breton attirât dès long--tems quelques
pêcheurs qui y venoient tous les é té s , il n'en
avoit jamais fixé vingt ou trente. Le s fran ço is ,
qui en prirent poffeffion au mois d'août 1 7 1 5 ,
furent proprement fes premier? habitans. Ils chair?
gèrent fon nom en celui d'Is le royale, & je ttè-
rent les yeux fur le for t D a u p h in , pour y former
leur principal établiffement. C e havre préfentoit
un circuit de deux lieues. Les vaiffeaux qui v e noient
jufqu’ aux b o rd s , y fentoient à peine les
vents.
Les bois de chêne néceflaires pour b â t ir , pour
fortifier une grande v ille , fe trouvoient fort près j
la terre y paroiffoit moins ftérile qu'ailleurs, & la
pêch e y étoit plus abondante. Q n y p o u v o it , à
peu de fra is , mettre ce port à l'abri des attaques
de l'en n em i; mais la difficulté d'y a r r iv e r , qui
d'abord avoit moins frappé que fes avantages , le
fit abandonner après des travaux affez confidérar
blés : les vues fe tournèrent vers Louisbourg dont
l'abord étoit plus facile ; & la commodité fut p référée
à la fureté.
En 1 7 14 les pêcheurs fran ço is, fixés jufqu'alors
à T erre - n eu v e, . s'établirent à l'Ifle - R o ya le . O n
efpéra que leur nombre feroit bientôt grofli par
les acadiens, auxquels les .traités avoient afluré le
droit de s 'expatrier, d’emporter leurs effets mobiliers
, de vendre même leurs habitations. C e t te
attente fu t trompée. L e s acadiens aimèrent mieux
garder leurs poffeflions fous la domination de l'A n gleterre
, que de les facrifier à leur attachement
pour la France. L a place qu'ils refufèrent d 'o c cu per
, fut fucceflivement remplie par quelques malheureux
qui arrivoient de temps en temps d'Eu rope
; & la population fixe de la colonie s'éleva
peu à peu au nombre de quatre mille âmes. Elle
étoit repartie à Lou isb ou rg , au fort D au p h in , au
P o r t -T o u lo u f e , à N é r ik a , fur toutes les côtes où
l'o n avoit trouvé des grèves pour fécher la morue.
L'agriculture n'occupa jamais les habitans de
l'ifle. L a terre s 'y refufe. En général les grains
qu'on a tenté d 'y femer à plufieurs reprife s, n'ont
pu mûrir. Lors, m ême qu'ils parurent m ériter d'être
ré c o lté s , ils avoient trop dégénéré pour fe rv ird e
femence.à la moiffon fuivante. O n n'y cultiva que
des herbes p o ta g è re s , dont le goût étoit affez
b o n ', mais il falloit en renouveller tous les ans la
graine. L e v ice & la rareté des pâturages ont également
empêché les troupeaux de fe multiplier.
L a terre fembloit n'appeller à r i f le - R o y a le que
des pécheurs & des foldats.
Qu oiqu e l'ifle fû t tou te couverte de fo r ê ts ,
lorfqu'eîle reçut des habitans, le commerce de
bois y a toujours été peu considérable. C e n'eft
pas qu'on n'y ait trouvé beaucoup d'arbres tend
re s , qui étoient propres au ch au ffage, plufieurs
même qui pouvoient fervir à la charpente > mais
le chêne y a toujours été fo r t rare , & le fapin n'a
jamais donné beaucoup de réfine.
L à traite des pelleteries étoit un o b jet affez peu
important.
T o u te l'a& iv ité de la colonie françoife fe tour-
fioit vers la pêche de la morue féche . Le s habitans
moins aifés y employoient annuellement
deux cens chaloupes, de les plus riches cinquante
à foixante batteaux ou goélette s de trente à cinquante
tonneaux. Le s chaloupes ne s'éloignoient
jamais au-delà de quatre ou cinq lieues de la cô te ,
& revenoient tous les foirs avec leur poiffon *
i qui , préparé fur le ch am p , avoit toujours le
t degré de perfection dont il étoit fu fceptib le. L e s
bâtimens plus confidérables alloient faire leur
j pêche plus lo in , gardoient plufieurs jours leur
! morue ; & comme elle prenoit fouvent trop de
I f e l , elle étoit moins recherchée. M ais ils étoient
dédommagés de ce t inconvénien t, par l'avantage
de fuivre leur p r o ie , à mefure que le défaut de
nourriture lui raifoit abandonner l'if le - R o y a le ,
& par la facilité de porter eux - mêmes durant
l'automne le produit de leurs travaux aux ifles
méridionales, ou même en France.
Indépendamment des pêcheurs fixés dans l'ifle ,
il en arrivoit tous les ans de F ran c e, qui féchoient
leur morue , foit dans les habitations où ils s'ar-
rangeoient avec les propriétaires, foit fur les grèv
es dont l’ ufage leur étoit toujours réfervé.
La métropole envoyoit auffi régulièrement des
bâtimens chargés de v iv r e s , de b oiffons, de v ê -
tem en s , de meubles , de toutes les chofes qui
étoient néceflaires aux habitans de la colonie. Les
plus 'grands de ces navires , fe bornant au commerce
, reprenoiént la route d 'E u ro p e , auflitôt
qu'ils avoient*échangé leurs marchandifes contre
de la morue. C e u x de cinquante à cent ton neau x,
après avoir débarqué leur petite cargaifon , alloient
faire la pêche eux - mêmes , & ne repartoient pas
qu'elle ne fû t finie.
L 'i f le - Roya le n'envoyoit pas toute fa pêche en
Europe. U n e partie paffoit aux ifles françoifes du
midi fur vingt ou vingt-cinq bâtimens de foixante-
dix à çent - quarante tonneaux. O u tre la mo ru e ,
qui devoit former au moins la moitié de la cargaifo
n , on exportoit de ce tte colonie des madriers,
des planches , du merrain, du faumon & du maquereau
fa lé s , de l'huile de poiffon , du charbon
de terre. L a colonie étoit payée avec du fucre
& du café , & fur-tout avec des fyrops & du tafia.
L ’if le - R o ya le ne pouvoit confommer tous ces
objets. L e Canada recevoit une t rè s -p e tite partie
du fuperflu. O n envoyoit le refte aux colons de la
N o u v e lle - Angleterre , qui donnoient des fruits ,
des légum e s, des b o is , des b riqu es, des b e f-
tiaux. C e commerce d'échange leur étoit permis.
Us y ajoutoient en fraude des farine s, & même
une aflfez grande quantité de morue.
Malgré cette circulation , qui fe faifoit tou te
entière à Lohisbourg, la plupart des colons lan-
guiffoient dans une mifère affreufe. C e mal tiroit
fa fource de la dépendance où leur état d e pauvreté
les avoit jettes en arrivant dans l'ifle.
Dans l'impuiffance de fe pourvoir d’uftenfiles
& des premiers moyens de pêch e , ils le s avoient
empruntés à un très - haut intérêt. C e u x même
qui n*avoîent pas eu befoin de ce s avancés , fie
tardèrent pas à- fubir la. dure loi des emprunts, i?