
que , au Brejit 3 à la Californie 8c au Paraguay ,
fera traité dans des articles particuliers. Nous ferons
un article général des Antilles , 8c des articles
particuliers pour les différentes illes où les
européens ont des établiflemens.
D'après cette divifion , nous nous bornerons
ici à quelques remarques générales fur la culture,
le commerce 8c les établiflemens des européens
dans cette partie du monde.
Dans les premiers âges du monde , avant qu’il
y eût des fociétés civiles & policées, la terre 8c
les productions appartenoient à tout le monde :
chacun pouvoir prendre ce qu’il vouloir , & en
difpofer à fon gré. L ’ufage que Ton faifoit du
droit commun y tenoit lieu de propriété- Dès qu’un
homme avoit pris une chofë de cette manière ,
un autre homme ne pouvoit la lui ôter fans in-
juftice. C ’eft fous ce point de vue que les nations
d’Europe envifagèrent l’Amérique y lorfqu’ elles
comptèrent les naturels du pays pour rien 3 pour
s ’emparer d’ un diftriCt du nouveau monde , il leur
fuffifoit qu’ aucun peuple de notre continent n’en
fû t en pofleflion. T e l fut le droit public confiant
& uniforme qu’elles fuivirent.
Le continent de l’Amérique offroit à nos émigrations
deux zones à peupler & à cultiver 5 l’une
qu’on peut appeller \one torride y & l’autre \ône
tempérée du nord. La première plus féconde , plus
riche j mais en matières de lu x e , devoit jetter
d ’abord un plus grand éclata & donner une influence
plus prompte & plus marquée aux états
européens qui s’en emparèrent. Faite, ce femble,
pour le defpotifme , parce que la chaleur du climat
& la fertilité du fol y façonnent les hommes
à l’efclavage , par l ’amour du repos & du plaifir y
elle devoit tomber fous le joug des monarchies
abfolues j 8c être peuplée d’efclaves, qui n’y cultivent
que des productions propres à énerver la
vigueur & le reffort des fibres y en multipliant
les fenfations vives. Les mines dont elle abonde
donnant des richefles fans travaily. dévoient hâter
doublement la caducité des états , par l’irritation
des defirs & la facilité des jouiffances. Les nations
qui occupent cette zone dévoient tomber
dans la mollefle , ou fe précipiter dans des entre-
prifes d’une ambition d’autant plus ruineufe , qu’elle
feroit d’abord heureufe. Prenant l’effet ou le ligne
des richefles pour le principe créateur des forces
politiques , ces états s’imaginèrent qu’avec de l ’argent
ils auroient les autres, peuples à leur folde ,
comme ils avoient les nègres fous leur chaîne y
fans prévoir que ce même argent qui donne des
alliés y feroit de ces alliés autant d’ennemis puif-
fans.
La zone tempérée de l’Amérique feptentrionale
devoit attirer des peuples laborieux & libres. Elle
n’a que des productions communes & nééeflaires,
mais qui font la véritable fource de la richefîe
ou de la force. Elle favorife la population y en
excitant cette culture paifible 8c fédentaire y qui
fixe 8c multiplie les familles y qui y. n’irritant point
la cupidité y préferve des invafions. Elle occupe
un efpace immenfe y fur un front large & partout
ouvert à la navigation 3 fes côtes font baignées
d’une mer prefque toujours libre 8c couverte
de ports nombreux. Les colons y font moins éloignés
delà métropole 5 ils vivent fous un-climat plus
analogue à celui de leur patrie y dans un pays
propre à la chafle y à la peche y à l’agriculture y
à tous les exercices & les travaux qui nourriflent
les forces du corps, & préfervent des vices corrupteurs
de l’ame. Ainfi en Amérique comme
en Europe , ce fera le nord qui fubjuguera le
midi 3 l'un fe couvrira d’habitans 8c de culturesy
tandis que l’autre épuifera fes fucs voluptueux 8c
fes mines d’or. L ’ un pourra policer des peuples
fauvages par fes liaifons avec des peuples libres ;
l’autre ne fera jamais qu’ un alliage monftrueux &
foible d’une race d’efclaves y avec des hommes
qui ne fe trouvent pas, il elt vrai y dans la fervi-
tude proprement dite 3 mais qui font fournis à des
gouvernemens abfolus. La révolution qui vient de
ië pafler fous nos yeux dans les colonies angloifes,
en eft une bonne preuve.
Il y a de mauvais terreins en Amérique y 8c des
endroits marécageux y où l’air n’eft pas fe c ,
comme il y en a fur tout le globe; mais, proportion
gardée y le terrein y elt généralement meilleur
que celui de notre hémifphère 3 on n’y connoît
pas de valtes déferts fablonneux 8c des bruyères
immenfes comme on en rencontre en A lîe , en
Afrique 8c même en Europe.
La terre y elt féconde quand on la cultive bien.
Les treize Colonies qui forment aujourd’hui les
Etats-Unis3 envoient des bleds en Europe ,
nourriflent la plupart des Antilles & des illes
Caraïbes y dont les terres ne font employées qu’à
la culture du fucre, de l’indigo , & c . (1 ).
Les indigènes de Y Amérique méridionale & feptentrionale
cultivoient le mais de tout temps -,
quoique l’auteur des Recherches philofophiqües dife
qu’il y avoit vingt provinces où il n’étoit pas
connu : ces provinces étoient fans doute défertes.
Encore croît - il naturellement par tout ; mais il
elt plus petit que celui que l’on cultive. Les peuples
fauvages fe contentent de lever le gazon y
ils font des trous dans là terre avec un bâton *
à un demi-pied de diftance les uns des autres, 8c
ils jettent un grain] de maïs dans chaque trou : ce
grain en produit ordinairement deux cens cinquante
à trois cens autres.
« C e qui fa it, dit Montefquieu, qu’il y a tant
( 1 ) Voye\ les articles particuliers des 13 Etats - unis : on y trouve d’une^ manière affez précife la quantité de
grains au’ils exportent.-
j> de nations fauvages en Amérique, c’eft que la
„ terre y produit d'elle.-même beaucoup de fruits,
» dont on peut fe nourrir. Si les fepimes y cuir
» tivent autour de la çabanne un morceau de terre ,
v le mais y vient d abord. La chafle 8c la peche
w achèvent de mettre les hommes dans l'abon-
„ dance. De plus les animaux qui paillent, comme
,, les boeufs, les buffles, 8cc. y réunifient mieux
« que les bêtes carnaflières : celles-ci ont eu de
î> tout temps l'empire de l'Afrique.
, » Je crois qu'on n'auroit point tous ces avan-
V tages en Europe, fi l'on y laifloit la terre^ inr
» culte ; il n'y viendrait .guères que des forêts,
v des chênes & d'autres arbres ftériles ».
L'effet de la découverte de l'Amérique fut de
lier l'Europe , l'Afie 8c l'Afrique. 'L'Amérique
fournit à l'Europe la matière de fon commerce,
avec cette vafie partie de l'Afie, qu on appelle
les Indes orientales. L'argent, ce métal fi utile
au commerce comme figne, fut encore la bafe
du plus grand commerce de l’univers, comme
marchandife. Enfin la navigation d'Afrique devint
néceflaire'; elle fourniflbit des hommes pour le
travail des mines 8c des terres de Y Amérique.
Les Efpagnols regardèrent d'abord les terres découvertes
comme des objets de conquêtes : des
peuples plus rafinés qu'eux trouvèrent qu elles
étoient des objets de commerce , 8c e eft la-
defîus qu’ils dirigèrent leurs vues. Plufieurs peuples
fe font conduits avec tant de fagelfe, qu'ils
ont donné l'empire à des compagnies de négo-
cians, qui, gouvernant ces états éloignés uniquement
pour le négoce, ont fait- une grande puif-
fance acceffoire , fans embarrafler l’état principal.
Les colonies qu’on y .a. formées, font fous un
genre de dépendance dont on ne trouve que peu
d’exemples dans les colonies anciennes, foit que
celles d'aujourd'hui relèvent de l'état même, ou
de quelque compagnie commerçante établie dans
<?et état.’ 1 1 ' • . ■
L’objet de ces colonies eft de faire le commerce
à de meilleures conditions qu’on ne le fait
avec les peuples voifins, avec lefquels tous les
avantages font réciproques. On a établi que la
métropole feule pourrait négocier dans la colonie;
8c cela avec grande raifon, parce que le but de
l ’établiflement a été l’extenfion du commerce,
non la fondation d'une ville ou d'un nouvel empire.
Mais on a donné trop d'étendue à ce principe;
l’Angleterre, non contente d'avojr impofé
cette fervitùde à fes colonies, a voulu leur en
impofer cent autres ( i ) , 8c elle a perdu treize
provinces.
Les cabinets de Madrid 8c de Lisbone doivent profiter
de cette leçon; ils n’ont pas à craindre, comme
on l’ a dit mille fois, que leurs colonies fe rendent
indépendantes, ou du moins ce danger n'eft
pas prochain ; mais la liberté eft établie en Amérique.
Les républiques méprirent beaucoup les
peuples fournis à une autorité abfolue ; elles les
attaquent avec ardeur , lorfqu’elles ont des forces
fuffifantes; elles ont, comme les princes, la manie
des conquêtes. Les mines du Pérou, du Mexique
& du Bréfil attireront tôt ou tard les états libres
qui viennent de fe former dans Y Amérique feptentrionale.
Si T Angleterre, par un preftige qu’on ne peut
concevoir, lie fe fût pas aveuglée fur la pré.-
tendue foibleffe de fes colonies, elle auroit joiïi
long-temps des reflburces que ces colonies lui
produifoient 3 & d’après fes moeurs publiques 8c la
force de fon gouvernement, les établiflemens
qu’elle forma dans Y Amérique feptentrionale vers
le milieu du dernier fiècle, méritent des éloges.
L ’Efpagne 8c le Portugal n’avoient pas des fujets
aufli induftrieux 3 la conftitution politique de leur
gouvernement étoit bien différente, & ces deux
états regretteront peut-être un jour de s’être approprié
les mines du Pérou, du Mexique & du
Brplil. Voici des obfervations tirées de Montef-
quieu, qui montrent quel effet ont produit fur l’Ef-
pagne les richefles de Y Amérique.
Si FEurope a trouvé tant d’avantage dans le
commerce de Y Amérique y il eft naturel de croire
que l’Efpaghe a dû y en trouver de plus grands.
Elle tira du monde, nouvellement découvert,
Une quantité d’or & d’argent fi prodigieufe , que
ce que l’on en avoit eu jufqu’alors ne pouvoit y
être comparé.
Mais ( ce qu’ on n’auroit jamais foupçonné ) la
misère la fit échouer prefque par-tout. Philippe I I ,
qui fuccéda à Charles - Quint, fut obligé de faire
la célèbre banqueroute que tout le monde fait ; 8c
il n’y a peut - être pas eu de prince qui ait plus
fouffert que lui des murmures, de l ’infolence 8c
de la révolte de fes troupes toujours mal payées.
Depuis ce temps la monarchie d’Efpagne déclina
fans cefle : c’eft qu’il y avoit un vice intérieur
& phyfique dans la nature de ces richefles,
qui les rendoient vaines 3 8c ce vice augmenta tous
les jours.
L ’or 8c l’argent font une richefîe de fiction ou
de figne. Ces lignes font très - durables, 8c fe dé-
truifent p eu, comme il convient à leur nature.
Plus ils fe multiplient, plus ils perdent de leur
prix, parce qu’ils repréfentent moins de chofes.
Lors de la conquête du Mexique & du Pérou ,
les Efpagnols abandonnèrent les richefles natu-
! relies pour avoir des richefles de lignes qui s’avi-
lifîoient par elles - mêmes. L ’or & l’argent étoient
très-rares en Europe 3 & l’Efpagne , maitrefle
tou t-à -cou p d’ une très-grande quantité de ces
métaux, conçut des efpérances qu’elle n’avoit
jamais eues. Les richefles que l’on trouva dans les
( i ) Voye\ l’a&e d’indépendance des Etats-Unis, & les préambules des conftitutkns de ces diycr? Etats,