philofophes de T antiquité ; celle de l’empereur Tra-
jan & de toutes les loix chrétiennes. C ’eft celle
qu’ont adopté tous les tribunaux d’Angleterre *
dont on admire au moins la fagefTe* dans les formes
de fa jurifprudence criminelle. En effet * comme
le dit la Rruyere * un coupable puni eft un
exemple, pour la canaille ; un innocent condamné
eft l’affaire de tous les honnêtes gens.
14. On ne doit jamais commettre de crime pour
obéir à un fupérieur : à quoi je n’ ajoute qu’un mot
pour détourner du crime les perfonnes qu’un malheureux
penchant pourroit y porter 5 c’ eft de considérer
mûrement l’injuftice qu’il renferme* & les
fuites qu’il peut avoir.
De la jufiice & de la nêcejjîtê de punir certains
crimes extraordinaires * dont les loix ne font point
mention.. Le bien-être & le falut des peuples conf-
titueut la loi fuprême. C ’eft une maxime de gou-
. vernement univerfelle & permanente que les ftatuts
municipaux ne fauroient jamais altérer 5 c’ eft cette
loi primitive de la nature 8c des nations que les
coutumes ne peuvent changer ; que les inftitutions
primitives ne peuvent abroger * & que le temps
ne peut effacer. Les hommes* en entrant en fo-
cié té , n’eurent d’autre but que de fe protéger &
de fe défendre mutuellement. Tout gouvernement
qui ne répond pas à ces deux fins * n’ eft pas un
gouvernement * mais une ufurpation.—
Tout homme dans l’état de nature a le droit
de repouffer les injures & d’ en tirer vengeance *
c’eft-à-dire, qu’ il a le droit d’en punir les auteurs
& d’empêcher qu’ on ne les réitère 5 & cela il peut
le faire'* fans déclarer d’ avance quelle injure il a
intention de punir. Or* puifque ce droit eft inhérent
dans tous les hommes * ne feroit-il pas ridicule
de fûppofer que les légiflations nationales * à
qui chaque individu a confié fa puiffance * n’ont
pas le même droit * & ne peuvent l’exercer quand
les occafions s’en préfentent.
Les crimes étant les objets des loix * il y a eu
des crimes avant qu’on eût établi des loix pour les
punir. Néanmoins * des le commencement * ils ont
mérité d’être punis* ou par la perfônne offenfée,
ou par la fociété * ou par un certain nombre
d’hommes unis enfémble pour la sûreté publique*
& auxquels on avoit commis le foin de châtier les
délinquans.
Les loix * pour l’ordinaire* ne déterminent pas
l’étenftue du crime ; mais elles adaptent des châ-
timens à certaines aélibns- que tous les- hommes fa?
vent être des crimes ; & * quoique les gouverne-
mens nationaux n’aient jamais promulgué des loix
pofitives * ou décerné des peines particulières contre
des offenfes graves * ils n’en ont pas moins le
pouvoir de les punir à leur volonté* fur-toutfî les
crimes font tels que la fagefife humaine n’ait pu ni
les prévoir * ni fûppofer tant de noirceur dans un
être raifonnable.
Plufieurs gouvernemens - fe font abftenu de nommer
certains crimes dans le recueil de leurs loix.
Ainfi les anciens romains n’âvoient pas de loix
contre le parricide ; mais cela n’empêchoit pas que
ce crime ne fût févérement puni. On enfermoit
dans un fac les-criminels* & on les jettoit dans le
tibre.
Les hollahdois n’avoient pas autrefois de loix
contre les banqueroutiers frauduleux ; cependant
ils faifoient arrêter ceux qu’on favoit avoir ufé de
fupekherie : on les mettoit à mort * & l’on par-
tageoit leurs biens entre leurs créanciers*
On dit qu’autrefois en Angleterre il n’y avoit
pas de loix contre les incendiaires de vaiffeaux. Un
homme pourtant qui auroît mis le feu à la flotte
royale * pendant qu’ elle étoit à l’ancre * auroit été
puni & avec raifon.
Bien des nations ont eu des officiers particuliers*
nommés expreffément pour punir des "crimes extraordinaires.
Dans les temps difficiles * les romains
nommoient un dictateur qui avoit un pouvoir extraordinaire.
Sa commiffionn’ avoit d’autres bornes
que.celles du bien public ; il étoit expreffément
chargé de veiller à tous les intérêts de l’état : ne
quid detrimenti rejpublica copiât.
Les athéniens devenus jaloux de leurs libertés *
par l ’atteinte que leur porta un citoyen trop puif-
fant* n’ofoient plus confier ce pouvoir confidéra-
ble à un feul magiftrat * ni même à un confeil. Il
étoit remis entre les mains de tout le peuple *
conformément à la nature d’ un gouvernement populaire.
C ’étoit un crime à Athènes" d’être trop
aimé du peuple * ou d’affeéter un efprit populaire-.
On -ne vouloit pas qu’ un homme eût le pouvoir
de réduire fa patrie en efclavage.
A Venife * république fage * ^ancienne * refpec-
table , on a établi le confeil des Dix pour exercer
cet extraordinaire pouvoir. Chaque fouverain dans
le monde l’exerce* Tout état libre a le droit in-
conteftable de l’exercer* quoique les fujets ne l’aient
jamais confié à des magiftrats particuliers * pour
l’exercer en leur place.
' En Angleterre* il n’eft mis entre les mains de
- perfônne. La legiflation fe l’ eft réfervé avec lé
droit inconteftable dé l’exercer* comme elle l’a fou-
vent fait en plufieurs occafions ; mais ce doit toujours
être dans des cas extraordinaires.
Des crimes d’état. Faire quelque entreprife contre
la vie du prince ou contre la vie du fouver
rain * traiter avec les ennemis de l’état* lever des
troupes *, fabriquer de la faufife monnoie * exciter
le peuple à la révolte : voilà quels font les crimes
de îéfe-maj-efté parmi nous.
Comme nos devoirs envers fa patrie renferment
tous les autres devoirs* un crime qui attaque ou
le fouverain ou l’état* eft cenfé réunir tous les
crimes particuliers. L ’ordre des fociétés civiles eft
de Dieu même * qui veut que tous les hommes
foient gouvernés : ainfi une confpiration contre
l’état ou contre le prince eft une efpèce de facrr-
lège (1 ). " ( , 'f : ^
Plufieurs peuples * les perfes * les macédoniens,
les carthaginois veneeoient* par la mort des én-
fans* les crimes d’etat commis par les pères (2).
C ’étoit une févérité injufte. Les enfans ne doivent
pas être punis perfonnellement pour les crimes
de leurs pères (3) * parce que perfônne ne doit
l’être pour le crime d’autrui. A la bonne heure qu’on
prive les~ enfans des biens & des ' honneurs dont
ils auroient hérité * fi leurs pères n’avoient pas ete
coupables. La crainte de faire ce préjudice à_ leurs
enfans fuffit pour détourner les pères des voies du
crime. Pourquoi aller au-delà ?
Il y avoit à Rome une loi de majefte cqntre
ceux dont la trahifon avoit caufé la perte de l’armée
* qui avoient excité des féditions parmi le
peuple * qui avoient adminiftré infidèlement les affaires
de la république * ou q u i, dans l’ exercice
de leur magiftrature* avoient terni la majefte du
nom romain. On puniffoit les actions, mais onfai-
foit peu d’ attention aux paroles injurieufes. Au-
gufte fut le premier qui comprif les libelles fous
la loi de majefté * & Tibere lui donna beaucoup
plus d’étendue qu’elle n’ en avoit jamais eu (4).
C ’eft un grand crime fans doute que d attaquer
l’honneur des citoyens ; mais pour en faire un crime
d’état * il falloit établir que c’en étoit un ^contre
le public * & c’eft ce qu’Augufte fit pour oter au
peuple la liberté dont il jouiffoit fous 1 ancien gouvernement.
Si les injures contre de fimples particuliers
étoient des crimes d’état* à combien plus
forte raifon celles qui attaquoient la perfônne de
l’empereur. Mais il eft bien dangereux de ne pas
fuivrs les principes du droit naturel * lorfqu’il s a-
git de prononcer fi tel crime eft un crime d éta t;
& l’on peut dire qu’à certaines époques de leur
hiftoire tous les gouvernemens du monde ont commis
fe trouvèrent pas vraies * on dit que, mentir dans
une gazette de la cour * c’étoit manquer de rel-
peét à l’empereur* & on les fit mourir (f). Ufi
prince du fang ayant mis quelques notes par me-
garde fur un mémorial figné du pinceau rouge par
l’empereur , on décida qu’il avoit manque de ref-
peét à l’empereur ; ce qui eaufa contre fa famille
une des plus horribles perfécutions dont 1 hiftoire
ait jamais parlé (6 ).
On a indiqué divers moyens de prévenir les cri-
mes. i°. La précifion des loix ; 20. polir une nation
. & en étendre les lumières ; 30. faire enforte qûe
le tribunal chargé du dépôt des loix foit plusin-
- téreffé à les obferver * quà les violer en fe laiffant
corrompre ; 40. recompenfer la vertu ; f°. perfectionner
cette faute * ou plutôt cette injuftice.
Quiconque manque de refpeél à l’empereur de
la Chine doit être puni de mort * fuivant les loix
de l’Empire; mais ces loix ne définiffent point ce
que c’ eft que ce manquement de refpett * &: elles
fourniffent par conféquent ' au fouverain un prétexte
arbitraire pour l’ oppreffion des fujets * dont
les chinois ont vu deux exemples effrayans. Deux
perfonnes * chargées de faire la gazette de la cour,
ayant récité un fait avec des circonftancçs qui ne
l’éducation. Voyez le Traite des délits &,
des peines , §. 41, & les Inftitutions politiques du
baron de Bielfeld.
CRIMÉE, contrée de la Tartarie que vient
d’acquérir la Ruffie. C’eft une prefqu’ifle, environnée
par la mer noire & la mer d’Afoph * a 1 exception
de la langue de terre qui la joint à la Terre-
ferme. Cet article contiendra* i°. un précis de-
l’hiftoire politique de la Crimée ; i°. des remarques
fur la ceffion de cette contrée que la Ruffie vient
d’obtenir; 30. des détails fur les moyens qui ont
préparé la dernière révolution delà Crimee\ 40. des
obfervations fur les projets que l’acquifition de la
Crimée peut infpirer à la Ruffie * & fur les arran-
gemens qu’y a fait cette puiffance ; y°. des remarques
fur la pofîtion * la population * les productions
, les mines * le commerce, les revenus de la
Crimée ; 6°. d’autres remarques fur le régime in- I térieur de ce pays * fur les gradations du pou-
I voir & l’influence des nobles de la Crimée.
S e c t i o n p r e m i e r s .
Précis de l’hiftoire politique de la Crimée.
La Crimée fait partie de la petite Tartarie, St
nous ferons obliges quelquefois de réunir ici fon
hiftoire à celle de la petite T artarie.
L’hiftoire des tartares préfente l’image d’un vafte
océan dont on ne peut connoître l’étendue qü’en
parcourant les côtes qui l’environnent. On ne retrouve
, en effét*j les faftés de ce peuple que chez
les pations qui ont eu le malheur d’etre à portée
(,i) Proximum faerilegio. crimen eft quoi majeftatis dicitur. Leg. 1 , >n princip. ff. ad leg. Juliam raajeft. (V) Pour les perfes , voye^ Amrnien Marcellin, liv. 23 , ch. 6- Hérodote, hb. 3. Juftin, lib. i o , ch. 2. Peur les macédoniens,
Quinte-Curfé , lib. 6 , ch. fôBBBSE 8 , ch. 6. Pour les carthaginois , Juftin , liv. 12 > .
(3) Crimen vil poena poerna nullam maculam filio infligere poteft. Namguè unufquifque exjuo admiftb forti fubjicitur , nec alicui
criminis fuccejjbr conflituitur ; idque divi fratres hierapolitanis referipferune, Digeft. liv. 48 , tit. ip , depeenis, leg. 16. Voye[
aulfi le code, lib. 19 , rit. 4 7 , rie Pcenis, leg. aa. A , ,, . r . . , c . ’ . .. .
(4I Legem majeftatis reduxerat ( Tiberius) cuinomen apudveteres, idem, fed a la , in jud’cmm veniebant. Si guis proditwnç
exercitum aut plebem feditionibus ; denique malè geftâ republicâ majeftatem popuU romani minuiffet. Facia arguebantur, dicla
impunè erant. Primus Auguftus cognitionem de famofis libeltis , fpecie legis ejus traclavU, Taçis» ann. hb, 1.
(s) Defcription de là Chine, par Duhalde, tom. 1 , pag. 43.
Lçtctes 4 e Parennin , dans les leurres édifiantes 6c curieufeç»
Z z z z Z