
n’ont pas une longue durée, parce que les pluies
répétées qui tombent en torrent , ont* bientôt
entraîné les fucs qui pouvoient les fertififer.
Ce fut fur ces maigres campagnes que s’établirent
les premiers François qu’une fatale deftinée
porta dans la Guyane. Les générations qui les
remplacèrent cherchèrent par-tout des terreins
plus féconds, fans en jamais trouver. Inutilement le
fifc fit fucceffivement de grands facrifices pour améliorer
cette colonie. Ses dépenfes furent inutiles,
parce quelles ne pouvaient pas changer la nature
des chofes. L’exemple des Hollandois qui, après
avoir aufli langui dans le voifinage fur lès terres
hautes, avoient enfin profpéré fur des plantations
formées dàîis des marais defféchés avec des
travaux immenfes, cet exemple ne fàifoit aucune,
impreflion. Enfin M. Mallouet , chargé de l’ad-
miniftration de ce malheureux établiffement, a
lui-même exécuté ce qu’il avoit vu pratiquer à
Surinam j 8c l’efpace qu’il avoit arraché à l’océan
s’eft auffitôt couvert de denrées. Ce fpeétacle a
donné aux colons une émulation dont on ne les
croyoit pas fufceptibles j & ils n’attendent que
les bienfaits du gouvernement pour enrichir la
métropole de leurs productions.
C’ell fur des plages formées par la dégradation
des montagnes, 8c par la mer qu’on peut
déformais «établir les plantations. Il faudra defie-
cher des marais, creufer des canaux, élever des
digues : mais pourquoi les François craindroient-
ils d’entreprendre ce qu’ils voient fi heureufement
exécuté fur leurs frontières ? Pourquoi la cour de
Verfailles fe refuferoit-elle à encourager par des
avances 8c des gratifications des défrîchemêns
utiles ? Des déffichemens ! Ce font là des conquêtes
utiles à tous les hommes î ils font préférables
à ces provinces qu’on dépeuple 8c qu’on dévafte
pour s’en emparer j qui coûtent le fang des deux
nations pour n’en enrichir aucune j qu’il faut
garder à grands frais, 8c couvrir de troupes pendant
des nècles, avant de s’en promettre la paisible
pofiTefïion.
Tout invite le miniftère de France au parti
qu’on ofe lui propofer. Dans la Guyane, les feux
fouterreins, fi communs- dans le relie de l’Amérique,
font actuellement éteints. On n’y éprouve
jamais de tremblement de terre. Les ouragans
n’exercent pas leurs ravages Tur fes côtes. Son
accès eft rempli de . tant de difficultés, qu’on
peut prédire qu’elle ne fera pas [conquife.
Le delféchement des côtes de la Guyane exi-
geroit des travaux longs & difficiles. Où prendre
les bras néceffaires pour l’exécution de cette
çntreprife ?
On crut en 1763 , que les Européens y feroient
très - propres. Douze mille furent la viftime de
cette opinion. Comme on l’a déjà dit, la mort
n’épargna qu’une foixantaine de familles allemandes
ou acadiennes. Elles s’établirent fur le Sina-
pjajy qui leur offroit dçs bords que la mer n’inonde
jamais, quelques prairies naturelles 8c une
grande abondance de tortues. Cette foible peuplade
augmente 8c vit heureufe le long de ce
fleuve. La pêche, la chaffe, l’éducation des
troupeaux, la culture d’un peu de riz 8c de
maïs : voilà fes reffources. On ne peut pas tout-
à - fait conclure de cet exemple que les blancs
pourraient cultiver la Guyane : car on ne fonde des»
colonies que pour obtenir des productions vénales,
8c ces productions exigent des foins plus
fuivis 8c plus fatigans que ceux auxquels on fe
livre fur fes rives du Sinamary.
Mais s’il faut y employer des nègres dans les
premiers temps, il feroit aifé d’adoucir le fort
de ces malheureux 5 8c il y a fieu de croire que
la t,erre bien defféchée 8c affainie , comme le
dit M. de BufFon, ne feroit plus mortelle pour
les européens ou les créoles.
Il eft difficile de compter fur le fecours des naturels
du pays.'Ces fauvages étoient affez multipliés
fur la côte, lorfqu’elle fut découverte. La
cruauté des vainqueurs en a fi fort diminué le
nombre, qu’il n’y en refte pas actuellement plus
de quatre ou cinq cents en état de porter les
armes. Mais quelques aventuriers qui ont pénétré
depuis. peu dans l’intérieur des terres, y ont
découvert beaucoup de petites nations, toutes
plus barbares les unes que les autres. Par-tout
ils ont apperçu l’oppreffion des femmes, des
fuperftitions qui empechent la multiplication des
hommes, des haines qui ne s’éteignent que par
la deftruCtion des familles 8c des peuplades ,
l’abandon révoltant des vieillards 8c des malades,
l’ufage habituel des poifons les plus variés 8c les
lus fubtils, cent autres défordres dont la nature
rute. offre trop généralement le hideux tableau.
Cependant le voyageur eft accueilli avec refpeCt,
fecouru avec la généralité la plus illimitée 8c la
fimplicité la plus touchante. Il entre dans la cabane
du fauvage ; il s’àffied a côté de fa femme
8c de fes filles nues; il partage leur repas. La
nuit, il prend fon repos fur un même lits Au
jour , on le charge de^provifions, on l’accompagne
affez loin fur fa route, 8c l’on s’en fépare
avec les démonftrations de l’amitié. Mais cette
fcène d’ho fpitalité peut devenir fanglante en un
moment. Ces fauvages font extrêmement jaloux ;
8c on feroit égorgé au moindre figne de familiarité
qui les alarmerait.
Il faudrait commencer par affembler ces peuples
toujours errans. Quelques préfens de leur goût,
diftribués à propos, rendroient cette première
opération facile. On éviterait, avec la plus fcru-
puleufe attention, de réunir dans le même fieu
celles de cès nations qui ont les unes pour les
autres une averfion infurmontable.
Ces peuplades ne feront pas formées au hafard.
Il conviendra de les diftribuer de maniéré à fe
procurer des facilités pour pénétrer dans Tinté—
rieur du pays. A mefure que çes établiffemens
acquerront
acquerront des forces, ils fourniront des facilités
pour établir des habitations nouvelles.
• Jufqu’ici, aucune confidération n’a pu fixer
ces indiens. La plus fure voie, pour y réuffir,
feroit de leur diftribuer des vaches qu’ils ne pourroient
nourrir qu’en abattant des bois 8c en formant
des prairies. Les légumes, les arbres fruitiers
dont on enrichiroit leur demeure, feroient un moyen
de plus pour prévenir leur inconftance. Il eft vrai-
femblable que ces reffources qu’ils n’ont jamais
connues, les dégoûteroient avec le temps, de la
chaffe 8c de la pêche , qui font actuellement les feuls
foutiens de leur miférable 8c précaire existence.
Un préjugé bien plus funefte refteroit à vaincre.
Il eft généralement établi chez ces peuples que
les occupations fédentaires ne conviennent qu’à
des femmes. Get orgueil infenfé avilit tous les
travaux aux- yeux des hommes. Un miffionnaire
intelligent ne perdroit pas fon temps à combattre
cet aveuglement. Il anobliroit la culture, en travaillant
lui-même avec les enfans 5 8c il réuffiroit
par ce noble 8c heureux ftratagême, à donner
aux jeunes gens des moeurs nouvelles. Peut-être
parviendroit-on à vaincre l’indolence des pères
même, fi l’on, favoit leur donner des befoins. Il
n’eft pas fans vraifemblance qu’ils demanderaient
à la terre des productions pour les échanger
contre des marchandifes dont l’ufage leur feroit
devenu néceffaire.
Ce but falutaire s’éloigneroit infiniment, fi
l’on affujettiffoit les fauvages réunis à une capitation
8c à des corvées, comme fe le font permis
les Portugais 8c les Efpagnols fur les bords de
l’Amazone', du Rio-Negro 8c de l’Orénoque. Il
faut que ces peuples aient joui pendant des fiècles,
des bienfaits de la civilifation, avant d’en porter
les charges.
Cependant, après cette révolution heufeufe,
la Guyane ne rempliroit encore que très-imparfaitement
les vues étendues que peut avoir ia
cour de Verfailles. Jamais les foibles mains des
Indiens ne feront croître que des denrées d’une
valeur, médiocre. Pour obtenir de riches productions
, il faudra recourir néceffairement à des bras
plus nerveux.
- Comme il eft plus que vraifemblable qu’on
employeroit des nègres, la nature de ce livre
oblige à en calculer les avantages.
On craint la facilité qu’auront ces efclaves
pour déferter leurs atteliers. Ils fe réfugieront,
ils s’attrouperont, ils fe retrancheront, dit-on,
dans de vaftes forêts, où l’abondance du gibier
8c du poiffon rendra lèur fubfiftance aifée > où la
chaleur du climat leur permettra de fe paffer de
vêtement j où les bois propres à faire des arcs 8c
des flèches, ne leur manqueront jamais. Cent
d’entre eux avoient pris ce parti, il y a environ
trente ans. Les troupes envoyées pour les remette
fous la chaîné, ■ furent repouffées. Çet échec
faifoit craindre une défertion générale. La colonie
(Eicon, polit, & diplomatique. Tom. I.
entière étoit confternée. On ne favoit à quoi fe
réfoudre, lorfqu’un millionnaire part, fuivi d’un
feul noir,- arrive à* l’endroit où s’étoit livré le
combat, dreffe un autel, appelle les déferteurs
par le moyen d’une clochette, leur dit la mefle,
les harangue 8c les ramène tous, tous fans exception
, à leurs anciens maîtres. Mais les jéfuites qui
avoient mérité 8c obtenu la confiance de ces malheureux,
ne font plus dans la colonie ; 8c leurs
fuccefifeurs n’ont montré ni la même activité, ni
une connoiffance égale du coeur de l’homme.
Cependant il ne feroit peut-être pas impoffible
de prévenir l’évafion de ces infortunées victimes
de notre cupidité , en rendant leur condition
füpportable.
Ce nouvel ordre de chofes engagera le gouvernement
dans des dépenfes confidérables. Avant
de s’y livrer, il examinera fi la colonie a eu jufqu’à
préfent, l’organifati’on qui devoit la faire profpé-
rer', 8c fi Cayenne eft le lieu le plus convenable
pour être le cheffieù d’un grand établiffement.
C’eft notre opinion : mais d’habiles gens penfent
le contraire.
Avant de prendre fur la Guyane une •réfolution
finale, il conviendra de fixer les bornes encore
incertaines de cette colonie. Au nord, les Hol-
landôis voudroient bien étendre les frontières de
Surinam jufqu’aux bords du Sinamary : mais le
pofte militaire que la cour de Verfailles a fait
établir depuis long-temps fur* la rive droite du
Marony, paroît avoir anéanti fans retour cette
prétention ancienne. Du côté du midi, les difficultés
font moins applanies. L’Amazone fut
autrefois inconteftablement la borne des poffeffions
frânçoifes , puifque, par une convention du 4
Mars 1700, les Portugais s’obligèrent à démolir
les forts qu’ils avoient élevés fur la rivé gauche
de cette riviere. A la paix d’Utrecht, la France
qui recèvoit la loi, fut forcée de céder la navigation
de ce fleuve avec les terres qui s’étendent
jufqu’à la riviere de Vincent Pinçon, ou de
l’Oyapock. Lorfque le temps fut venu d’exécuter
le traité, il fe trouva que ces deux noms employés
comme fynonymes, défignoient dans le pays ,
ainfi que fur les anciennes cartes, deux rivières
éloignées l’une de l’autre de trente lieues. Chacune
des deux cours voulut tourner cette erreur
à fon avantage j celle de Lisbonne s’étendre
jufqu’à l’Oyapock, & celle de Verfailles jufqu’à
Vincent Pinçon. On ne put convenit de rien, &
les terres conteftées font reliées défertes depuis
cetté époque affez reculée.
On n’aura pas la préfomption de s’ériger en
juge de ce grand procès. L’unique obfervation
qu’on fe permettra de faire, c’eft que le but de
la ceffiort exigée p$r le Portugal, a été de lui
affurer la navigation exclufive de l’Amazone. Or,
les fùjets de cette couronne jouiront paifiblement
de cet avantage, en éloignant les limites des
poffeffions frânçoifes de vingt lieues feulement a
Ooo