façon & le jufte prix du premier des alimens ,
elle tient à la profpérité de l’é ta t , 8c dépend
de pkfieurs caufes qui font dans la main du gouvernement
j que la bonne façon & 1 abondance
du pain, par exemple * font dues en grande
partie à la bonne mouture , 8c que Témulation
qui doit animer la mouture & la boulangent, eft
une fuite néceffaire de la liberté & de Timmu-
nité du commerce des grains & des farines , ainfi
que de la liberté de la fabrication & de la vente
du pain. '' .
Pour nous affurer fi la liberté & Timmunite du
commerce des grains , de la farine 8c du pain
peuvent contribuer à la perfection de la boulangerie
& devenir des objets très-eifentiels au bonheur
du peuple & au bien de 1 état, examinons
un moment les effets qui réfultent de cette liberté
& de cette immunité (r ) .
La communication de nos provinces entre
elles , 8c du royaume avec les pays étrangers ,
pour le commerce des grains & des farines, entretient
nos denrées à leur prix naturel, c eft-a-
dire , au prix que nous donne notre pofition
entre les états du nord & ceux du midi. C e prix
naturel de nos grains eft fupérieur d environ un
quart au prix où ils étoient d ordinaire 3 quand
le commerce n’en étoit pas libre 3 enfortè que fi
le prix moyen des grains de toute efpece étoit
alors douze livres le feptier , ce même prix eft
naturellement feize livres ou environ , dans l’état
de liberté 8c d’immunité.
Cette augmentation du prix des grains ^ a rai-
fon feulement de quatre livres par feptier g ôc-
cafîonne infailliblement un accroiffement du revenu
des terres. Suppofé que la totalité des grains
du royaume ait été de foixante millions de fep-
tiers 3 à quatre livres d’augmentation par feptier ,
le premier accroiffement indubitable au revenu
territorial eft de deux cens quarante millions j ce
qui emporte néceffairement l’augmentation des
revenus du roi. & des propriétaires , 8c de la
profpérité du commerce 8c des arts.
Mais, me dira-t-on, l’augmentation'du prix
des^grains, entraîne naturellement- celle du pain ,
pour les ouvriers , les marchands, les gens à
talens qui Tâchèrent & qui ne receurllent point
de grain. .
Le commun des hommes ne voit que ces deux
effets de la liberté. Il s’imagine que l’augmentation
du prix du pain eft abfolumènt proportionnelle
à l’augmentation du prix des grains. Ç ’eft
une erreur populaire tres-facile à détruire.
La liberté 8c l’immunité affurent aux grains &
aux farines un prix moins variable & prefque
uniforme. Autrefois les variétés brufques & frequentes
dans les prix étoient la fuite néceffaire
des prohibitions. Dans les années abondantes,
les grains, faute de d éb ou ch é sn e valoient pas
les frais > ils fe gâtoient dans les meules 8c les greniers
; les< cultivateurs étoient ruinés > lés revenus
du r o i, des propriétaires, des feigneurs en fouf-
froient : la culture dépériffoit. Dans les. mau-
vaifes années, le grain montoit rapidement à un
prix exceffif pour le peuple des villes, mais les
gens de la campagne ruinés dans les années d’abondance,
ne profitoient pas de ce prix excef-
f i f , leur récolte a&uelle étant trop mauvaife, &
les anciennes ayant été perdues ou achetées à
vil prix par des monopoleurs.
La liberté des communications affure la bonne
vente, même dans les années de la plus grande
abondance, parce qu’on peut approvifionner le
befoin partout où il fe trouve ; 8c dans les tems
de difette cette liberté affure meilleur marché
au peuple des villes, parce qu’il y a toujours des
cantons mieux traités par la natûre1, qui font
dans une furabondance de grains 8c qui défirent
vendre.
Ces deux effets opèrent un double profit con-
fidérable. i° . Les cultivateurs , les propriétaires ,
les feigneurs 8c le roi pour fa part, profitent
de tout ce qui fe perdoit par le défaut de bonnes
ventes dans les années d’abondance, & de tout
ce qui naît de plus. C e profit ne coûte rien au
peuple des villes. zQ. C e peuple des villes à fon
tour profite dans les mauvaises années de tous
les bénéfices que faifoient les monopoleurs 8c
leurs adhéréns , & ce profit ne coûte rien aux
gens de là campagne.
Mais fi lorfque la liberté & l’immunité augmentent
d’un quart le revenu des terres en rendant aux
grains leur prixrtaturely.fi.dans ce moment même
on trouvoitie moyen d’empêcher le pain du peuple
artifan & commerçant .d ’augmenter dans les
villes , fi on pouvoit le conferver au même prix.
N e feroit - ce pas-là un vrai coup d’état d e ïa
plus1 grande conféquence ?
Suppofons que la totalité des grains de toute
efpece commerçables dans le royaume, ait été
jufqu’à préfent de foixante millions de feptiers ,
à raifon de douze livres le feptier, prix commun
, l’un dans l’autre, fi la liberté 8c l’immunité
les portoit à feize livres , ce ferbit deux cent-
quarante millions d’augmentation aU revenu des
ferres.
Cette liberté augmenteroit encore la maffe des
grains annuellement commerces de plus de douze
millions de feptiers qui fe perdoient ou cfui n’é-
toient pas -produits. Ces douze millions vau-
droient encore deux cent millions ou environ.
C e feroit donc plus de quatre cent millions
d’accroiffement au revenu des terres.
fi) Une grande-partie de cet article eft tirée par extrait d’un ouvragé de M. l’abbé Baudeau , publié en 1768 , fous
le titre de résultats de la liberté £? de l'immunité du commerce des grains, delà farine & du pain*
Si on pouvoit dans le même temps procurer
au peuple des villes la même quantité de pain,
aum bon., & même meilleur, avec trois feptiers
de grains qu’il en retiroit jufqu’ à préfent de quatre
feptiers , ce peuple fe trouveroit de pair dans
l’achat de fa fubfiftance, Car trois feptiers à feize
livres ne lui coûteroient.que quarante-huit livres,
même prix que lui coutoient quatre feptiers à
douze livres.
Il ne feroit donc pas néceffaire d’augmenter
les falaires.; Les quatre cent millions & plus
ajoutés au revenu territorial, ferviroient à rap-
peller, à fixer, à élever dans le royaume, des
hommes qui ne peuvent pas y vivre, qui en dé-
fertent, que la mifere empêche d’y\ naître, ou
du moins d’y atteindre l’âge viril.
Ces hommes de plus trouveroient chaque année
leur fubfiftance , leurs falaires, dans les quatre
cent millions d’augmentation furvenus aux revenus
des terres. En leur adjugeant à chacun deux
Cent livres par tête Tun portant l’autre, c’eft
deux millions d’hommes. | Les cultivateurs , les
propriétaires, les feigneurs & lè roi qui les fol-
deroient, auroient entre eux de profit chaque
année, la jouiffanc.e des travaux que feroient ces
deux millions d’hommes de plus.
T e l eft en gros l’avantage qu’il y auroit à
épargner à perpétuité, fur le prix du pain 8c fur
la quantité du grain que confomme le peuple ,
dans le moment même où Ton augmenteroit à
perpétuité le prix des grains , & par conféquent
le revenu des terres. C ’eft fous ce point de vue
infiniment grand, qu’il faut envifager la liberté
du commerce des grains, de la farine 8c du pain ,
pour en fentir toute l’importance.
Les calculs qu’on vient d’expofer, portent fur
des éiémens , qui ne peuvent s’éloigner que très-
peu de la vérité. On fait pofitivement que les
hommes ont confommé jufqu’ici Tun portant-
l’autre, environ trois feptiers de grains. Les animaux
de toute efpece en conformaient aufli.
Quand même on ne compteroit dans le royaume
que dix-huit millions d’habitans, il eft impoffi-
ble que leur fubfiftance 8c celle des animaux
n’employent pas plus de foixante, millions de feptiers
de tous grains. '
.Or il; eft prouvé depuis plufîeurs années parles
faits les plus eonftans 8c par une multitude d’expériences
en grand , qu’en perfectionnant par
î ’inftruétion, par la liberté 8c l’immunité, les deux
arts nourriciers de la mouture & de la Boulangerie
3 on peut gagner dans la majeure partie des
provinces du royaume , un cinquième, un quart,
8c même jufqif au tiers fur la quantité & le prix
du pain , fans même altérer en rien fa qualité.
Bien n’eft plus étrange que l’état de ces deux
arts, q u i, après l’agriculture , font évidemment
lés premiers de tous. Nos anciens ufages & ré-
glemens les ont mis par des privilèges exclufifs
entre les mains des artifans les plus groflîers 8c
le moins à leur aife , par conféquent les plus
avides de profit, 8c les plus incapables de fe procurer
ce profit autrement que par la fraude, par
le mauvais foin & par la furvente, au lieu que des
hommes inftruits, qui font en avance, tirent leur
profit de l’économie du temps , des hommes &
des denrées.
Les meuniers 8c les Boulangers gênés & rançonnés
de mille maniérés par des réglemens inutiles
& des petites exactions continuelles ( 1 ) 1
d’ailleurs affurés en gros de leur débit ou de leur
falaire par un privilège exclufif, n’avoient ni Tin-
duftrie ni le moyen de tirer meilleur parti pour
le peuple corifommateur de la farine 8c du grain.
Ils n’y avoient même aucune efpece d’intérêt.
Enfin , dans le défaut de vente occafionné par la
prohibition'du commerce -, ces denrées ne valoient
fouvent pas la peine d’être épargnées.
Il n’eft donc pas furprenant qu’on ait fi fort négligé
l’art d:e la mouture 8c celui de la Boulangerie
, pendant qu’on s’eft tant occupé des
objets les plus frivoles, 8c que par une fuite
de cette négligence jointe au défaut d’intérêt, ces
arts foient reliés dans la barbarie.
On eft tout étonné aujourd’h ui, & on le fera
bien plus dans Tayenir d’apprendre ce qui fe fait
actuellement à Paris même , dans les environs
de la capitale. & dans quelques-unes de nos provinces
avec un feptier de bled.
D’une part des perfonnes inllruites & zélées qui
fe font fait une étude particulière de la mouture &
de la Boulangerie } après avoir connu en grand T utilité
de cet objet, 8c fa relation intime avec la
profpérité de l’état, tirent journellement d’un feptier
de froment pefant deux cent quarante livres,
à feize onces la livre , environ deux cent-cinquante
ou deux cerit-foixante livres de très-bon
pain. C ’eft-à-dire que fi on veut du pain tout-à-
f^it blanc , 8c du pain tout-à-fait bis; ils en tirent
environ deux cent-trente à trente-cinq de blanc,
8c environ dix-huit ou vingt de bis. Mais fi Ton
veut tout mêler enfemble, & s’occuper plutôt
du g o û t , de la falubrité 8c du profit que de la
couleur, ils tirent deux cent-foixante-livres au
moins de bon pain de ménage.
A Paris cependant où Ton eft plus inftruit que
( 1 ) Le roi Louis XVI a fupprimé dans les villes & les terres de fon domaine un grand nombre de droits de péage,
pontonage , hallage , mefurage, &c. qui ne fervoient tous qu’à renchérir les grains & le pain ; mais il refte encore !
en divers lieux , beaucoup de ces droits qui font exigés & perçus au profit des feigneurs . .des villes particulières , des
jurandes ou corps de maîtrifes. Ces barrières trop multipliées ne nuifent pas peu à la liberté & à la modicicc du prix de
cès denrées; chacun de ces droits occafionné de grandes difficultés qui ont gêné , rançonné , effarouché 6c même èrnpe-*
ché jufqu’à préfent le commerce des-grains , de la farine & du pain.