
près des fiècles de travaux , changer la monarchie '
turque en un ét^t libre ; un parlement ou des états- :
généraux y paroîtroient d’abord une combinaifon j
politique 3 monftrueufe. Ces fujets avilis qui ref- I
peélent tout a été d’autorité fait par le fultan, ou I
fous fon nom, qui ne fongent pas même à exami- '
ner la juftice d’un ordre barbare, ne fouffriroient
pas un aéte d’autorité jufte & néceffaire, qui émanerait
d’un certain nombre d’entre eux. La force feule
d’une armée peut y opérer des révolutions. Il n’y
a donc plus qu’un gouvernement militaire. Ces malheureux
efclaves ont fouvent donné la mort au tyran
j mais ils n’ont jamais cherché à détruire la
tyrannie. Ils ont fouvent facrifié aux fantaifies des
foldats, des princes qui ne vouloient point affervir
la nation : on les a vu dépofér Néron } mais ils
fe défirent aufli de Galba.
Une grande monarchie, dont les puiffantes armées
commandent à plufieùrs nations, ne peut non
plus devenir un état républicain, qu’après un long
temps. Il eft poflible néanmoins qu’un pareil état
forme plufieurs états , dont quelques-uns deviendront
peut-être des républiques. La foibleffe du
chef ou une grande révolution peuvent caufer une
divifion dans les provinces d’un empire très-étend
u , & quelques-unes de ces provinces peuvent,
dans leur premier enthoufiafme, adopter brufque-
ment un régime politique très-oppofé à celui qu’elles
viennent de quitter. Les grandes provinces qui
font au centre du pays, conferveront vraifembla-
blement le gouvernement d’un feul, foutenu par
un corps d’armée. Les grandes villes maritimes ou
commerçantes délireront peut-être de fe gouverner
elles-mêmes, fur les principes de là liberté & du
commerce j elles feront peut-être encouragées dans
leurs entreprifes par des princes voifîns , qui ne
pouvant s’en rendre les maîtres, les défendront
contre toute autre püiffance.
Ç ’eft à ces câufes que quelques républiques de
l’Europe doivent leur indépendance. Les villes an-
féatiques nous en fournirent autrefois , & Genève
& la Hollande ou les Etats - généraux des Prôvin-
ces-Unies en fourniJfTent aujourd’hui une preuve.
Il en eft fouvent des peuples comme des princes
; plus ils gagnent les uns fur les autres , plus
ils veulent gagner ; ils font tous leurs efforts pour
accroître ou leur liberté , ou leur pouvoir , fans
fonger à en faire un bon ufage j & ils diminuent
leur force, en çffayant de l’augmenter. La monarchie
produit quelquefois la tyrannie, & la tyrannie
caufe quelquefois la mort du tyran. Le gouvernement
populaire eft fujet à la licence , & la licence
détruit le gouvernement populaire.
U y a toujours quelque chofe à réformer même
dans les gouvememens les plus fages 5 & outre des
gibus qu’on ne peut contefter , on en indique d’autres
auxquels il n’eft pas poflible de rémédièr fans
éril. Les plus habiles politiques, les plus grands
ommes d’état & les mieux intentionnés ne fe trouvant
pas toujours 4<Ps les drçonftances néceflkites
à l’application des remèdes ; les états républicains,
en particulier,, font fujets à périr, & oa ‘
les a vus périr fouvent par les efforts des. réforma- :
teurs, ou du moins par des tentatives qui avoient
pour prétexte la réforme. Ajoutons-que ces tentatives
agréables au peuple, 8c dont le fuccès paroît
infaillible à ceux qui les entreprennent , ne manquent
pas d’être fouvent répétées. Si quelques-unes
ont échoué, on ne fe décourage pas , & on en ef-
faie de nouvelles : les obftaçles qui en ont empêché
4 e fuccès, fuggèrent'feulement des mefures différentes
qu’on cherche à conduire avec plus de précaution.
Les romains, qui changeoient fréquem-
■ ment la conftitution de leur' gouvernement, travaillèrent
enfin à un projet qui les perdit } ils furent
dépouillés de leur liberté, par les fauffes mefures
qu’ils prirent jpour lui donner plus d’étendue : il
paroît cependant que ces mefures avoient été pro-
pofées par les hommes d’état les plus éclairés de
la république.
Lorfqu’on fonge à la fragilité, à l’imprüdence
8c à l’amour-propre des hommes, à l’artifice de
quelques-uns & à la ftupidité des autres , on eft
furpris qu’un bon gouvernement puiffe être de
quelque durée. Le feul moyen de le perpétuer,
feroit de faire fentir à chaque particulier, qu’il eft
plus de fon intérêt de le conferver, que de le
changer, ou de le détruire ; il faudroit enfuite qu’il
n’eût rien à redouter des puiffances étrangères : &
lorfque dans leur enthoufiafme du bien public,
des philofophes écrivent qu’un gouvernement fage,
fortement organifé,fe perpétuerait.à jamais, on
peut admirer leur efprit de'bienveillance, mais on^
n’admirerâ pas leur fagacité. Excepté les Etats-
Unis de l’Amérique , il paroît qu’aucun gouvernement
civil ne fut formé dans fon origine fut
un plan bien conçu, &.que des hommes très-fages ,:
très-éclairés & très-défintéreffés ne rédigèrent la
conftitution primitive d’aucun état : on voit partout
que les circonftances & des befoins auxquels
il falloit pourvoir , ont corrigé ce qu’il y avoit de
défectueux dans l’ établiffement des premières fo-
ciétés, & que c’eft pour ainfi dire le hafard qui a
perfectionné le gouvernement. Te l eft du moins 1$
réfultat d’une étude réfléchie des républiques grecques
& de la république romaine.
La monarchie abfolue, inaltérable dansfaconf
titution , femble perpétuer le goût des peuples
pour cette forte de gouvernement. Les états libres
font plus portés aux innovations. Rien n’ eft parfait
tout d’un coup dans les règlemens humains : il eft
fouvent néçeflaire dans les démocraties de faire de
nouvelles loix j & chaque loi nouvelle eft regardée
comme une altération dans l’état. D ’ailleurs on
fait accroire aux citoyens que lés meilleures loix 8fi
les changemens les plus convenables 8c les plus .fages
font à craindre , & même pernicieux ; on
les excite fouvent à en demander de nuifibles } 8 c
ils travaillent eux-mêmes à la ruine de leur liberté,
foit çn prenant de faulles mefures pour l’étendre &
l’ affermir «
l’affermir y foit en s’oppofant à dés projets falutai-
res & d’une néceflité abfolue.
Avant de terminer cet article, nous ferons quelques
remarques fur les divers changemens politiques,
& fur les moyens naturels de changer les
moeurs & les manières d’une nation. On peut distinguer
différentes efpèces de changemens politiques
: il y en a d’âbfolus } d’ autres font imparfaits,
& on en diftingue une troifième efpèce qu’on peut
appeller une [impie altération de la conftitution fondamentale
de l’état.
Lorfqu’un prince détrône un roi, qu’il occupe
fa place, & laiffe fubfifter l’ancienne conftitution,
la domination change, & l’état ne“change pas : c’ eft
un roi qui fuccède à un autre : mais la republique
celle d’être, lorfqu’on change fa nature, lorfque
le gouvernement populaire devient ariftocratique
ou monarchique, ou lorfque le gouvernement monarchique
devient populaire, &c. C e font-là des
changement abfolus.
. Si un état eft démembré, filesdiverfes provinces
qui compofoient un royaume , forment plufieurs
républiques ou plufieurs monarchies , l’ancien
royaume ne fubfifte plus 5 & c’eft encore un changement
abfolu. La durée d’un état ne doit donc pas
fe compter par la durée de la capitale, dont il
porte le nom, mais par celle de chaque conftitution
qui a dominé, 8c Paul Manucen’auroit pas dû
dire que la république de Venife fubfifte depuis
1,200 ans.
Lorfque la forme de la république demeure, & ,
que l’on change feulement la manière de gouverner,
c’ eft un changement imparfait. C ’ eft ce qui
arrive, lorfque la monarchie royale fe convertit en
defpotifme décidé j l’ariftocratie en oligarchie ; &
quand le peuple accoutumé à gouverner lui-même,
abandonne le gouvernement à fes repréfentans.
On en peut dire autant, lorfqu’on introduit dans
une monarchie ordinaire un gouvernement mixte,
en biffant fubfifter les noms de royaume & de roi.
On remarque que les changemens imparfaits font
ordinairement les avant-coureurs des changemens
abfolus. On ne doit pas juger de même des altéra-
. tions : on donne ce nom à la fuppreffion de quelques
loix, de quelques coutumes générales, ou à
l’exercice d’une nouvelle religion.
, Il ne refte plus aucune des loix civiles qui exif-
toient dans l’origine de la monarchie françoife } on
a changé quelques-unes des loix politiques ; la
réligion chrétienne s’ eft établie dans l’empire 8c
dans les Gaules, fans ébranler les états ; un grand
nombre des provinces de l’Europe ont abandonné la
.religion catholique, les états n’ont point changé.
On ne doit pas confondre le changement abfolu
dès états & leur ruine. Dans le changement abfolu,
l’inftant qui voit changer un gouvernement, eft
aufli le moment de la naiffance d’un autre : qu’une
portion fe fépare, ( ce qui doit être mis au nombre
des fimpies altérations ) l’ ancien état fubfifte,
b partie féparée en fait naître un fécond. Mais
(Eicon polit. & diplomatique. Tome 1,
qua id l’état ou entier ou démembré va fe perdra
dans d’ autres états déjà exiftans, il eft détruit.
C ’ eft au droit de fouveraineté qu’eft attachée la
vie des fociétés politiques. Si la fouveraineté paffe
du peuple à un feul, d’ un feul à plufieurs} du
plus petit nombre au plus grand} ce n’eft qu’un
changement abfolu : fi elle fe perd, c’eft une défi-
truétion.
Les changemens abfolus dans les états peuvent
amener toutes les formes des fociétés politiques :
mais les changemens les plus ordinaires font de l’état
populaire en monarchique, & de la monarchie en
état populaire. Comme les corps puiffans ne peuvent
être abattus fans les fecouffes les plus fortes,
les changemens n’arrivent guere que par la fermentation
la plus vive. On s’arrête rarement à l’arifto^
cratie} elle eft un milieu : la rapidité de l’effervef-
cence emporte à l’ un des*extrêmes.
Il y a des caufes de changement communes à
tous les gouvernemens} il y en a de plus particulières
à une efpèce, 8c fur-tout à la monarchie.
Les générales font la pauvreté des peuples, & les
richeffes verfées d’un feul côté, les honneurs déplacés
, & les dignités mal diftribuées, l ’ambition y
le reffentiment des affronts, les bons ou mauvais
fuccès des guerres, les divifîons inteftines, l’op-
preflion fans mefure, la corruption générale des
moeurs. Il y en a d’autres encore relatives à la monarchie,
dont nous parlerons plus bas.
Quoique l’ambition paroilîe le mobile le plus
univerfel de la deftruéiion. des républiques arifto-
cratiques & populaires, elle ne pourrait rien, fi
elle n’étoit aidee par d’autres caufes } la corruption
des moeurs, l’ oubli des bonnes inftitutions s’y
joignent, 8c la favorifent.
Les changemens de l’ariftocratie font ordinairement
l’effet de la divifion qui fe gliffe entre les nobles :
leur autorité s’affoiblit, & le peuple prend le deffus.
Il feroit ennuyeux de raconter les minuties qui ont
donné lieu aux diffentions les plus funeftes dans
cette nature de conftitution. La propriété d’un
brigantin, une hure de fanglier ont commencé la
chûte de quelques républiques de cette efpèce :
une difputey eft de conféquence. C e n’eft pas la
minutie qui caufe le changement ; les difpofition»
ont précédé , le moment arrive où le feu qui
couve fous des matières combuftibles, s’enflamme
fubitement avec éclat.
L ’ariftocratie peut encore fe changer en ün état
populaire, par une deftruétion de la nobleffe dans
une bataille. Un pareil évènement ne doit point
être regardé comme imaginaire. La plus grande
partie de la nobleffe françoife périt à la bataille de
Fontenay, donnée entre Lotnaire d’un côté, &
Louis 8c Charles fes frères de l’autre : il refta fi
peu de nobles en Champagne 3 que l’on donna
pour quelque temps aux demoilelles de cette province
le privilège d’ennoblir leurs maris.
On a vu encore les républiques fe perdre par le
foin d’ attirer les étrangers} & l’attention de le»
Qqq