
74 J a R
font profcrites. Il faut que lesfenfations y foient
convenablement ménagées , s’y fuccèdent en fe
contraftant fans efforts. Ainfi, en quittant un riant
gazon émaillé de fleurs , on trouve, derrière, le
bofquet qui le borne , un rocher ftérile, qui menace
de fa chute ; ainfi, lorfqu’on a traverfe 1 obf-
cure caverne qu’il renferme , on arrive fur le bord
d’ un lac dont les eaux pures & tranquilles réflé-
chiflent les rayons du foleil, & peignent a rebours
les îles verdoyantes qu’elles entourent > ainfi, au
milieu d’ un bois fombre, on monte infenfiblement
fur un tertre 3 au Commet duquel eft un petit temple
à l’Amitié, dont la vue s’étend d’ un coté fur
une riche campagne , & de l’autre fur de fertiles
coteaux, enfin, en defcendant de 1 autre cote du
même tertre, on rencontre un affemblage de rochers
d’où tombe une bruyante cafcade dont les
eaux, après avoir ferpenté encore quelque tems
fous les arbres, à travers des pierres couvertes de
moufle, vont fe rendre dans une prairie animée
par des vaches mugiflantes , & y continuent len- .
tement leur cours. Cacher une partie de la com-
pofition par le moyen d’arbres , de collines , de
bâtimens, de rochers, & c . eft un artifice qu il ne
faut pas négliger. La curiofité du promeneur doit
être continuellement furprife, & fon imagination
.toujours en aélion. On variera la forme des bosquets
, on mettra en oppofition les couleurs &
les formes des arbres.
Donner des règles précifes pour tracer un Jardin
paÿfager eft impoflible, puifque fon enfemble
& fes détails dépendent de la localité,où on veut
l’ établir, & de la dépenfe qu’on peut lui confa-
crer. Il eft tel endroit où:, avec du goût & du tems,
un propriétaire en peut conftruire fans frais un fu-
perbe, & tel autre où des fommes énormes fe-
roient infuffifantes pour en faire un médiocre.
On rit toujours lorfqu’ on voit entafîer montagnes
fur montagnes, rochers fur rochers, fabriques fur
fabriques dans un efpace de quelques arpens, lorfqu’on
multiplie les ruifleaux, les rivières, les lacs
dans un lieu où le manque d’eau oblige de recourir
à une pompe. Une peloufe irrégulière, entourée
de quelques bouquets d’ arbres, oùferpentent
des fentiers, fera toujours plus agréable dans un
petit efpace, que tous les colifichets que l’ on mul- j
tiplie à grands frais aujourd’hui dans les maifons
voifines de Paris & autres grandes villes.
Deux principes fe mettent, avec fuccès> en ufage
. dans les Jardins payfagers : c’eft, i° . l’irrégularité
des bofquets & les angles rentrans & faillans qu’ ils
préfentent fur leurs bords j i Q. les arbres ifolés ,
les bouquets d’arbres , les buiftbns,. les petites
plates-bandes irrégulières que préfentent les gazons.
Par ce moyen, on trompe les yeux fur les
diftances, & on développe à un haut degré la
magie du clair- obfcuiv
II eft des arbres difformes, obliquement plantés
, qui font beaucoup d’effet dans ces fortes de
jardins i on y voit avec plaifir quelques têtards*
J A R ’
Les allées, ou pour mieux dire les fentiers, doi. I
vent fans doute être multipliés dans les Jardins I
payfagers, mais non au point où on les y voit I
quelquefois. Il faut furtout qu’ ils aient toujours un I
but au moins apparent d’utilité. Il n’eft pas dans la I
nature de faire cent toifes de chemin pour arriver I
à un objet qui n’ eft qu’à quelques pas, lorfqu aucun I
obftacle ne s’y oppofe > auffi quitte-t-on les allées I
courbes dans ce cas , comme on le voie fi fouvent I
aux traces indiferètes empreintes fur le gazon dans I
ceux où ce défaut exifte.
Les rochers, les grottes, les kioftes, les fabri-1
ques de toute efpèce, les eaux mêmes, foie cou-1
? rantes , foit flagrantes , doivent être ménagé; ; I
: car leur excès fatigue autant que leur fage combi-1
naifon plaît.
11 eft toujours defirable que ces eaux offrent, ou I
des plantes à fleurs & des poifions, ou des oifeaux I
aquatiques. Je n’ aime pas ces derniers, furtout les I
cygnes & les oies, parce qu’ils dégradent.
Des abeilles font un accefloijre qu’on devroit I
voir dans tous les Jardins & furtout dans les Jàr-1
dins payfagers , où elles trouvent tant de moyens I
de fubfiftance. Eh l qu’on n’arguë pas, pour les re-1
pouffer, les dangers de leurs piqûres 1 II eft tant de I
places où elles ne font nullement à craindre fous I
ce rapport! |
Que de chofes j’aurois à dire fur tous ces ob-l
jets, mais c’ eft un article & non un volume quel
je rédige! ' . > I
Les deux Jardins payfagers les mieux deffinésl
que je connoiffe en France font, celui du Petit-1
Trianon, où tout eft dû à l’art, & celui d Errne-I
nonville, dont la nature a fait la plus grande partiel
des frais. Je pourrois les décrire pour en donnerI
une idée > mais j’en fuis difpenfe par la facilité de I
les voir qu’ont tous ceux qui viennent à Paris. Ils I
font d’ailleurs aujourd’hui inférieurs à ce qu’ils,
étoient autrefois, & il feroit pénible pour moi deI
rechercher les caufes de leur dégradation.
L ’Angleterre offre, dit-on, un grand nombreI
de Jardins plus beaux que ceux ci. Celui de Iviw,I
dont j ’ai déjà parlé , doit en effet tirer de grandsl
avantages de la multitude de plantes étrangèresI
qui s’y voient ; car, je le répète, plus on y trouveI
de variété & d’oppofitiona & plus leur effet eu J
grand.
Mais il ne fuffit pas de defliner & de tracer m
Jardin paÿfager j il faut encore le conftruire, lel
planter & l’entretenir. Pour tous ces objets, on doit
chercher des hommes capables, & ils ne font.pas
communs. Le placement d’un fragment de rocher
eft une chofe facile à ce qu’ il paroït, & cependant
il e ft rare qu’il foit d’abord convenablement lait.
Pour jugèr du meilleur effet qu’ il doit produire J
j il faut aller pour ainfi dire à tâtons. Telle rivière,
tel lac perd fes eaux & coûte chaque année des
frais de réparations confuiérables-, parce quo»
■ n’a pas fait attention, en les creufant, à la natutfl
} des veines de-terre. Un gazon ne peuLêtEe m\
J A R
avec avantage parce qu’on aura recouvert le fol de
| terres infertiles, & qu’on perfiftera, par igno-
[ rance, à vouloir qu’elles produifent fans amtlio-
I ration. Tout eft à confidérer, tout eft à calculer,
[ & ce lont de Amples terrafliers qui agififenc, c’eft-
I à-dire, des hommes inaccoutumés à Ta réflexion !
il femble qu’il n’y a que les botaniftes confom-
j mes Sc ies cultivateurs Ls plus inftruits qui puif-
|fent planter un Jardin paÿfager, tant il y a de chofes
[ à favoir pour le faire d une manière convenable.
I Ne doivent-ils pas indiquer les arbres, arbrifleaux,
i arbuftes & plantes vivaces qui peuvent le plus con-
Icourir à fon embelliflement, le lieu où la nature
Idu fol doit les faire placer de préférence, la gran-
Ideur à laquelle ils parviennent, pour que les pe-
I tics ne fe trouvent pas derrière, pour que, par la
Idifpofition de leurs branches, la couleur de leurs
■ feuilles, de leurs fleurs, l ’époque de l’épanouif-
Ifement de ces dernières , on puifie y ménager les
Icontraftes, qui doublent, triplent même les ef-
Ifets? Tel arbre qui fait bien devant tel autre, en
: tel lieu, fera mal devant le même dans tel autre..Tel
larbre qui concourra à l’e m b e 11 i-ffe m ent dans une
lexpofition air nord lui nuira dans une expofition
tau midi. Il faut, autant que poflible, que les efpè-
Ices à fleurs foient difpofées de manière qu’il y en
«ait en fleurs dans les bordures des bofquets pen-
Idant toute la durée de l’été. Il en eft de même des
Iplantes vivaces. Toutes ces confédérations, fur
Befquelles repofent les véritables beautés des Jar-
fdins payfagers, font négligées au point qu’excepté
Ile Petit-Trianon , avant la révolution, je ne puis
■ dire où on s’en foit occupé. Le hafard feul deter-
|mine le placement des arbres : heureux quand il
Jfert pafl'ablement bien ! Je gémis toujours iorfque
fe me promène dans les Jardins des environs de
iParis, des contre-fens qu’ils préfentent à chaque
îpas fous tous ces rapports, & encore plus Iorfque
| ’y vois des arbres rares placés fans choix & de
.«manière à bientôt périr.
■ C ’eft à la circonférence des bofquets que fe
placent tous les arbrifleaux & arbuftes étrangers,
toutes les grandes plantes vivaces qui ne demandent
pas de culture, & ce de manière que ce
foient les plus petits qui foient fur le devant.
B Les arbres rares que j’ai fîgnalésplus haut, &
dont la multiplication eft quelquefois fi importante
à la profpérité future de l’agriculture fran-
|aife, aux yeux des perfonnes inllruites, feront
toujours ifolés à quelque diftancè des maflifs, afin
qu’ils jouiffent de toute l’influence de la lumière
pla ire, & qu’ils puiflent recevoir à leur pied,
pendant leur jeunefle, les binages néceflaires à
jleur accroiiïement.
B On doit faire une attention particulière aux galons
des Jardins payfagers, car ils tirent d’eux une
grande partie de leur beauté. Il y en aura de plusieurs
fortes, c’eft-à-dire , que ceux des environs
de la maifon feront d’une feule efpèce de graminée
, d’ivraie vivace fi le terrein eu frais, de can-
J À R pH
ch es s’ il eft aride j & ceux des parties les plus éloignées
feront des prés ou des peloufes naturelles.
Les premiers fe couperont trois ou quatre fois au
moins dans l ’é té , fe couvriront de terreau pendant
l’hiver, afin qu’ils foient conftamment bien
garnis & frais. Aux féconds on fe contentera de
donner des farclages pour enlever Tes herbes trop
dominantes, & de la nouvelle terre tous les trois
ou quatre ans.
Aucun arbre, aucune plante'ne gagne à être tondue
au croiflant ou au cifeau dans les Jardins payfagers.
Une branche prend-elle une dire&ion vi-
ciêufe on ? la retranchera à la ferpe ou à la ferpette.
Un buiflon ^vieillit-il ? on le coupera rez terre.
Comme il ne doit y avoir des arbres de haute futaie
que dans le centre de quelques maflifs, ou ifoies,
on coupera les autres lorfqu’ils feront arrivés à
! ur|e certaine hauteur, lorfqu’ils nuiront à l’effet ou
qu’ils gêneront la croiffance des autres. C ’eft pour
n avoir pas fait attention à cela que tant de ces
fortes de Jardins ont perdu les caractères qu’ils
avoient d’abord. Tous les hivers il doit fe faire une
revue générale, d’après des notes prifes pendant
l’été , pour faire ces coupes, en enlevant les branches
mortes, les branches chiffones, & c .
Comme on place des plantes dans les fentes des
rochers, fur le fommet des monticules , où elles
ne trouvent pas le fol qui leur .eft convenable,
comme, furtout aujourd'hui, on y introduit beaucoup
d’arbuftes de terre de bruyère , qui demandent
à être dans une humidité confiante, il faut
fouvent arrofer.
Les travaux qu’exigent les alléës fe bornent
à des ratiffages & à la rognure des gazons qui les
bordent , pour empêcher leurs envahiffemens.
(Bosc. )
JARDINAGE. On donne ce nom, tantôt à l ’art
de cultiver les jardins, tantôt aux légumes qu’on
cultive dans les jardins. ( B o sc .)
JARDINER. Tantôt ce mot figoifie travailler
au jardin pour s’amufer, tantôt couper les arbres
^AUn kois çà & là. On exploite en jardinant les forêts
d’arbres réfineux , parce que ces arbres ne fe
reproduifent que de femences, & demandent de
l ’ombre pendant les premières années de leur vie.
( B o sc .)
JARDINIER. C ’eft celui qui cultive & foigne
un jardin.
On me demande fouvent : Indiquez-moi un bon
Jardinier. Mais qu’entendez-vous par un bon Jardinier
? Un homme , répond-1-on , qui fâche
fon é ta t, qui foit d’une Forte conftitution, qui
aime le travail, qui foit probe, qui ne s’enivre
pas, &c.
Il eft fort commun de trouver des Jardiniers qui
poffèdent ces dernières qualités, mais il en eft peu
qui foient convenablement inftruits. La fcience du
jardinage eft fi étendue, fi compliquée, que celui
qui s’y livreroit , avec l’avantage d’unè bonne
éducation première, c ’eft-à-dire, avec l’habi*