
Je ne cite pas ce réfultat pour faire profcrire
toutes les opérations qui tendent à rendre l'humus
fçluble, car il faut qu'il y en ait de foluble pour
que les plantes pui fient v égéter, & il eft indif-
iérenrau cultivateur que ce foit celui qui eft depuis
long-tems dans la terre, ou celui que contiennent
les engrais qu'il vient d'y répandre, qui le
fournifîVnt : mon unique objet eft de faire voir que
lexpreflion li généralement employée, que la Jachère
vaut engrais, eft établie fur une faulïe bafe.
Il eft d’ailleurs aujourd'hui reconnu que les
alkalis, la chaux, la pierre calcaire, la marne,
dont la puiffance d’aéHon eft dans l’ordre où je
viens de les placer, produifent fur l'humus le
même effet que la Jachère , & agiflent en peu de
minutes, en peu d’heures, en peu de jours, félon
le degré de kur intenfité de force.
Ce que je viens d'obferver fuffit fans doute
pour convaincre de l'inutilité des Jachères fous le
rapport de l'amélioration du fol j mais il eft encore
deux confidérations qu'on fait valoir en leur faveur
& qu'il s’agit d'examiner.
La première, ce font les labours qu'elles permettent
de donner en grand nombre , labours
qui ameubliffent la terre, la rendent plus perméable
aux racines, aux eaux des pluies, aux gaz
atmofphéiiques, &c.
Sans doute les labours fontnéceflaires fous tous
ces rapports? mais toutes les terres en exigent-
elles le même nombre? J’ai déjà rapporté plus haut
que , trop multipliés pendant l’été dans les pays
chauds , ils amenoient l'infertilité. Il eft une infinité
de faits qui prouvent que les récoltes de froment
fur deux labours font le plus fouvent plus
belles que fur cinq ; ce qui fait foupçonner, qu’ ils
diminuent aufîi quelquefois la fertilité dans les
pays froids. Mais les terres, argileufes dira-t-on ?
Les terres argileufes, répondrai-je, n’exigent peut-
être pas plus de labours que les autres, mais
feulement de meilleurs iabouts. Sous les rapports
de la facile introduction des eaux pluviales & des
gaz atmofphériques, les binages, c’eft-à-dire, les
labours fuperficiels, leur font certainement pré-
férabies? cYft d’eux qu’on doit attendre fans aucun
inconvénient tous les avantages promis par
Tull. Voye^ Labour & Binage.
La fécondé, c’eft la^eftrudion desmauvaifës
herbes. V / <
En voyant la chatue. retourner lès mauvaifës
herbes qui ont cru dans un champ, & les faire
périr, on eft déterminé à croire qu’en multipliant ;
les labours dans le courant d’une année, on parviendra
à les détruire toutes ? auffi eft-ce fur ce
réfultat que les partiiàns des Jachères infifientavec
le plus de complaifance, quoiqu’il foit évident
qu’il n’a pas lieu puifque les leiglês ou les fromens
des pays qui y font aftujettis, en font infeftés malgré
les farclages,tandis que ceuxdes pays qui ne con-
noiffent pas les lacères font très-propres. Le vrai
eft que fi les labours d’été font périr les mauvaifës;
herbes levées au moment où on les exécute, ils
ramènent à la fur face du fol les graines qui étoient I
dans la profondeur & qui n’ y gérmoient pas faute I
de chaleur & d’air. Il eft prouvé que ces graines I
peuvent fe conferver ainfi un grand nombre d’ an- I
nées fans perdre leur faculté de germer. ( Voye^ J
Graine & Stratification.) Au refte, fous j
ce rapport les binages d'été font encore-plus avan- j
tageux que les labours , puifqu'ils font périr autant I
de mauvaifës herbes annuelles & coûtent infini- I
ment moins, furtout s'ils font faits avec la Hou h I
A CHEVAL.
Quelques écrivains reconnoiflent que la Jachère I
doit être fupprimée dans les terres légères & (è- I
ches, mais foutieüment qu’elle doit êtreconfervee I
dans les terres argileufes & humides. Je convien- I
drai avec eux, que ces dernières font en effet plus I
fouvent dans le cas den'être pasenfemencées, à rai-1
fon de la difficulté de les labourer pendant la féche- I
refle, ainfi que pendant la pluie ? mais je ne recon-
noïtrai point que des labours ordinaires , quelque I
multipliés qu’ils foient, puiflent débarraffer ces I
forces de terres des chardons, des pas-d’âne, des I
Litues, des prêies & autres plantes vivaces, à rà- -,
cmes profondes qui les infeftent. On ne peut y j
parvenir qu’ au moyen des défoncemens ou des
cultures étouffmtes , principalement de la luzerne,
ou des cultures confécutives qui exigent plufieurs
binages d’été, comme la pômme-de-terre, le mais,
& c . , ces binages, quoique fuperficiels, finiffanc [
par faire périr les racines de ces plantes.
Je n'entamerai pas de difeuflion fur l'objection
qu'on fait fi fouvent à ceux qui prêchent la fup-
preflion des Jachères, qu’il deviendrait impoflible,
fi elles n’exiftoient pas, de faire tous les travaux jj
qu’exige la culture, fumer convenablement, &c.,
parce qu’il me paroît évident, i° . qu'on le-pourroic
i toujours en augmentant Je- nombre de fes ouvriers'&
de fes beftiaux? 2°. qu’oft y parvient, 1
'fans cette augmentation, en adoptant un cours
d'affolement tel que ces travaux foient régulièrement
répartis fur. tous lès mois de l’année. Les
prairies artificielles- feules, telles que la luzerne [
& le fainfoin, en diminuant la fur face cultivable
, augmentent néceflairement les forces difpo- [
bibles.
k C ’eft donc par un affolementbien entendu & par
un foin fcrupuleux de n’employer que des graines
de céréales rigoureufement privées de graines de |
mauvaifës herbes, qu’on parvient, à la longue, à t
nétoyer un champ. On y parvient auffi, & plus
promptement, en adoptant la culture des céréales
par rangées, culture qui permet les binages &
favorifè les fartlages.
II eft très-remarquable que, dans beaucoup def
cantons fournis à la Jachère, les cultivateurs ne'
font contens que lorfque leurs céréales font fur*
- chargées de mauvaifës herbes, dont lès tiges, lait-
fées 1 dans la paille, rendent cette dernière plus
nourriffante pour leurs beftiaux, & dont les racines,!1
“ * mm ■■
repouffant après la moi (Ton, leur donnent, pendant
l’automne & l’hiver, un pâturage pour leurs
vaches & leurs moutons. Peut-on imaginer une plus
grande contradiction ? Peut-on faire un plus mauvais
calcul ? C'eft dans les cantons les plus pauvres,
& par conféquent les plus ignorans, car l’ignorance
eft toujours la compagne de la pauvreté, que
j’ai obfervé le plus fréquemment cette abfurde j
[ pratique. , , j
Il femble que la prétendue néoeflité des Jachères [
[ pour détruire les mauvaifës herbes devroit mettre J
fur la voie du principe des aflolemens? car *puif- j
j que, malgré plufieurs récoltes de céréales fuccefli- J
[ vement produites & enlevées, & des labours multipliés
fur un terrein quelconque, il y croît tant
f de ces mauvaifës herbes , il eft évident que la
terre n’eft pas jépuifée de principes productifs?
[ qu’il ne s’agit par conféquent que de fubfiituer
d’autres plantes à ces céréales , & c’eft ce qu’on
fait actuellement dans tous les pays bien cultivés.
Voye[ A ssolement & Substitution de cul-
Iture.
r Ce s mêmes cultivateurs qui proclament la né-
ceflitédes Jachères pour leurs terres arables, nen-
leulement la proscrivent dans leurs chénevières,
['dans leurs jardins, mais veulent encore que la
même planche de ces derniers leur procure plufieurs
récoltes dans la, même année. Pourquoi ne
r rompent-ils pas leurs prairies naturelles tous les
[trois ans ?
| La Jachère, n’étant utile ni pour rendre à la
terre les principes de fertilité qu’elle a perdus , ni
| pour détruire les mauvaifës herbes qui fouillent les
[récoltes, ni ordinairement pour donner le moyen
; de multiplier les labours, eft .donc nuifible aux
intérêts des cultivateurs qu’elle empêché de retitrer
un revenu d’uné partie de leurs terres ? elle
i l eft également aux intérêts de la fociété , puisqu'elle
s’oppofe à l’augmentation de.la maflfe des
Ufu b fi fiances, foit pour les hommes, foie pour les
[animaux.
Pourquoi donc ces cultivateurs tiennent-ils fi
i'obftinément a la confervation des Jachères ? Par
[l’effet de leurs habitudes, de leurs préjugés.fondés,
[comme à l'ordinaire, fur leur ignorance, même fur
j la loi? car il eft des cantons où elle eft eonfacrée
par elle , foit directement par des claufes fpéciales
inférées dans les baux, foit indirectement par le
droit de Parcours.\Voye^ ce mot.) L'exemple
même des fuccès ne peut faire difparoître cette
[lèpre de l’agriculture françaife, ainfi que le font voir
[tant de contrées où elle n’ eft pas connue, & qui ne
font fouvent féparées que par un ruiiTeau de ceux
où elle eft le plus en favëur. Ce n'eft pas aux cultivateurs
proprement dits qu’il faut adrefîer, à cet
[égard, les confeils de la raifon, c’eft aux propriétaires
éclairés, à ceux furtout qui ont habité les
' villes dans leur j.eunefle, & qui ne font pas par
e.onféquenc imbus de fa u fies idées , fur lesquelles
on fe fonde généralement pour les conferver.
Agriculture, Tome F ,
[ Dans ces derniers tems, beaucoup d’écrivains
i français & anglais ont de nouveau tonné contre
j les Jachères. Quelques-uns tiraient leurs raifonne-
mens de la théorie feulement? quelques autres ne
s appuyoient que fur des expériences pofitives : /a
plupart réunifïoient ces deux fortes de preuves. Au
nombre de ces derniers je citerai feulement Arthur
Young en Angleterre, &t ViCtor Yvart en
France , parce que ce font eux qui ont le plus concouru
à éclaircir la queftion. C ’eft dans leurs ouvrages
qu’il faut chercher le complément de cet
article, qui n’en eft & ne peut en être que le réfumé.
J’emprunte au dernier les définitions fui vantes
;
ec ha Jachère eft abfolue & complète, ou feulement
relative & incomplète.
» La Jachère eft abfolue & complète lorfque la
terre arable ne reçoit aucune efpèce d’enfemence-
ment pendant toute la durée d’une ou de plufieurs
années rurales.
M ha Jachère eft relative & incomplète lorfque
la même terre ne refte fans enfemencement que
pendant une partie plus ou moins confidérable de
l’année 3 fuivant les circonftances.
» On peut confidérer la Jachère abfolue comme
annuelle, bifannuelle &: pérenne.
» La Jachère abfolue eft annuelle lorfqu'après une
ou plufieurs récoltes épuifantes confécutives, on
laifle la terre f^ns l ’enfemencer pendant une année
entière, pendant laquelle elle eft foumife à diver-
fes opérations aratoires, deftinées à la préparer
pour la récolte fubféquençe.
33 Elle eft bifannuelle lorfqu’on la laiffe entièrement
inculte & i.ans enfemencement pour en faire
un pâturage pendant l’année qui fuit immédiatement
la dernière récolte épuifante, & que, dans le
courant de la- fécondé feulement, elle reçoit les
préparations pour la récolte qu’on fe propofe
d’obtenir à la troifième.
*> Enfin elle eft pérenne & d’une durée indéterminée
lorfqu’après une férié indéterminée de récoltes
épuifantes, qui ont diminué chaque année
de quantité & de qualité, & n’ont laifle aucun
moyen de réparer les pertes par de nouveaux engrais,
on l'abandonne entièrement à la nature ,
qui, en la couvrant de végétaux, répare, après un
intervalle plus on moins long, le mal qu’une cul- '
ture barbare avoit occafîonné.- »
Cette dernière Jachère eft la Friche dont j’ai
déjà parlé. Voyer ce mot.
Toute Jachère donnant lieu à une diminution .
des produits généraux du f o l , celle qui alterne
avec une feule année de culture eft la plus défa-
vantageufe? elle n’eft jamais néçeflaire, & fuppofe
excès d’ignorance ou excès de mifère. On peut
plus facilement la fupprimer en augmentant le
nombre des beftiaux ou en faifantdes prairies artificielles.
C'eft dans les départemens du Midi qu’elle
fe voit le plus fouvçnt.
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