
les lits horizontaux du globe terreftre ; 8c cette I
première difficulté a été augmentée par celle de
concevoir comment l’eau de la mer les a tirés des
profondeurs de fon balfin, comment enfin cette
eau, livrée à une agitation violente & générale,
a pu les tranfporter fur ces continèns , les dépofer
régulièrement & tranquillement par couches, par
lits , 8cc . , ce qui eit plus étonnant encore , par
familles.
Quelques naturaliftes, fans s’ occuper à difcurer
les contradictions que renfermoient toutes les hy-
pothèfes, toutes les théories qui avoient pour bafe
le déluge s fe font bornés à le regarder en tout
comme miraculeux 8c comme n’ ayant laiffé à la
furface du globe delà Terre aucun veftige de fon
paffage:& il faut avouer que c’eft un moyen fitrple
d’éluder une queflion compliquéej car fi d’un coté il
eftdifficiledecroirequ’ unemaffed’eauauflîconfidé-
rable que celle qu’il a fallu raffemblerpour inonder
toute la Terre ait pu l’envelopper fans y laiffer des
traces de fon féjour, ileft évident, d’ur.e autre part,
qu’une inondation pareille, dont on ne connoît ni
la marche ni les progrès, ne peut faire l’objet des
méditations d’un phyfîcien qui n’cft éclairé que par
l’étude delà nature, foumife à des lois précifes,
& qui n’a plus de guide dès qu’il eft queftion de
la nature livrée à des convulfions extraordinaires.
Sur quel fondement d’ailleurs prétendroit-on que ce
phyfîcien cherchât dans des opérations furnaturellefc
l ’explication de phénomènes qui portent l’empreinte
de tous les agens connus, & qui annoncént
que leurmarche a toujours été telle que nous l’obi-
fervons aujourd’h u i, fimple , régulière & foumife
aux lois ordinaires.
Déluges d'Ogyges & de Deucalion.
Les auteurs anciens qui ont parlé du déluge de
Deucalion & de fes caufes, & ceux qui l’ont fait
le plus raifonnablemenr, fe font occupés à examiner
t i , par la difpofition de quelques cantons de la
Grèce, il a pu y avoir, dans les premiers tems, des
inondations afîez confîdérables p'cur avoir mérité
le nom de déluges, & fi ces cantons font ceux
où la tradition plsçoitdes déluges d’Ogygès 8c de
Deucalion : pour lors il eft vifible qu’en ce cas la
tradition grecque aura pu être fondée fur le fôu-
venir de quelques événemens réels, mais exagérés
dans la fuite par ceux qui auront entrepris de les
décrire.
Si nous commençons par difeuter ce qui concerne
le déluge d’Ogygès, nous devons le placer
dans la Béotie, habitation de ce prince grec. Cette
contrée offre un vafte baflîn enfermé de tous côtés
par des montagnes dont les eaux fe raffemblent au
tond d’ une grande plaine. On la repréfente comme
coupée en deux par une chaîne de montagnes qui
joint le Citheron au mcntPtoon, dans la partie
méridionale, qui eft la moins étendue, & où la ville-
de Thèbès étoit bâtie. Ces eaux forment le lac
Halica , qui a- peu d’étendue, Se qui fe décharge
dans la mer par un canal qui a été perfectionné de
la main des hommes. La partie de la plaine qui eft
au nord a beaucoup plus d’étendue : c’eft celle où
tombe le Céph'ffus, affezgroffe rivière qui defeend
du Mont-Parnafle , & qui eft d’ailleurs groflie.par
plufieurs ruiffeaux ou rivières. Comme cette plaine
n’ a aucune communication apparente avec la m er,
& qu’au tems de la fonte des neiges les rivières
& les torrens qui s’y rendent, tombent dans le lac
Copaïs que forme le Céphilfus, elle feroit bientôt
inondée fi la nature n’avoit pas ménagé un écoulement
aux eaux par des conduits fouterrains qui
traverfent la bafe du mont Ptoon. Wheler , qui a
fait l’examen & la description de ce pays, dit
qui! a vu l’entrée & la fortie de plus de vingt de
ces canaux, qu’ il a marqués fur fa carte, & il
ajoute même que les habitans l'ont affuré qu’il y en
avoit cinquante. Comme le fond de la plaine eft
plus élevé que le niveau de la mer, Wneler ob-
ferva qu’ à la fortie des débouchés fouterrains les
eaux fe précipitoient dans la mer avec beaucoup
de rapidité. On voit encore de la montagne,- des
puits ou regards qui ont quatre pieds fur chaque
face & qui fervoient à defeendre dans ces canaux
& à les nétoyer. Ces regards nous prouvent que
l’art étoit venu au fecours de la nature , 8c qu’on
n’a entrepris de pareils travaux que pour prévenir
les débordemens du lac Copaïs 8c les inondations
qui en étoient la fuite.
Strabon parle de ces décharges fouterraines du
lac Copaïs, & nous apprend qu’au tems d’Alexandre
un homme de Chalcis entreprit, par ordre de ce
prince , de nétoyer ces canaux , dont plufieurs
étoient obftrués ; que le travail, quoiqu’imparfait,
fie cependant baiffer les eaux du lac allez confidé-
rablement pour faire r’eparoître des villes qu’il
avoit couvertes de fes eaux 8c prefque détruites par
cette inondation.
Un canal de près de deux mille pas communique
du lac Copaïs au lac Halica } mai-s il ne peut fervir
que quand les eaux du premier font très-hautes.
Strabon attribue l’origine des conduits fouterrains
à des tremblemens de ferre : c ’eft la reffource de
tous ceux qui veulent tout-expliquer fans connoître
les moyens de la nature. On doit croire q u e , fui-
vant plufieurs cîbfervations de faits femblables,
les canaux qui fervoient de débouchés aux eaux du
lac Copaïs étoient un ouvrage de la nature, d’abord
très - parfait, puifque l’approfondiffement de la
plaines’enétoitenfuivi, mais que différensobftacles
lui venus au j. u des eaux avoient exigé les fecours
de l’ art à mefure que les dépôts avoient formé
des obftruéfcions plus ou moins complètes. Il n’eft
donc pas étonnant que la furveillanee des habitans
ayant été interrompue par des raifonstrès-fortes, ils
aient négligé l’entretien des canaux, 8c que ce foie
à ces circonftances qu’on doive attribuer les inondations
qui ont détruit les villes d’Orchomène,
d’Athènes & d’Eleufis., qu’on ne vit reparoître
qu’après la reftauration d’une partie des canaux.
On foupçonne enfin que, dans les premiers tems,
les débordemens du lac Copaïs dévoient être &
plus fréquens & plus confidérables , & que l’état
où ils avoient réduit le pays fit imaginer un deluge
qui avoit autrefois inondé toute la plaine. Mais
tous ces événemens, pour être placés a certaines
époques, & appréciés quant à leur étendue, fem-
•blent exiger qu’on ait pris connoilTançe 8c des premières
ouvertures des canaux fouterrains 8c des
différentes caufes de leurs obftructions fuccef-
fives.
Si nous pafïons maintenant au deluge de Deuca-
lion, nous trouverons que les auteurs anciens ne
font pas d’accord entr’eux fur les pays ou il faut
placer les inondations qui y ont donné lieu. Les uns
placent le royaume de Deucalion dans la Locride ,
auprès du Parnaffe} les autres, au contraire, le
placent dans la partie méridionale de la Theffalie,
au pied du moût Pindus. Dans cette incertitude il
ne s’agit pas d’examiner laquelle des deux opinions
eft la mieux fondée, mais feulement fi dans l un &
l ’autre de ces deux pays on peut indiquer une difpofition
de terrain capable d’occafionner des inondations
confidérables..
Si nous nous attachons à l’examen des environs
du Parnaffe, nous trouverons que, fuivant Spon &
Wheler, au-delà des deux Commets qu’on découvre
des ruines de Delphes, il y a une plaine, fituée à
mi-côte, beaucoup plus élevée que celle de Delphes
, 8c dominée encore par d’ autres Commets
de la même montagne, qui a une très-grande éten-
due. Cette plaine eft entoufee de, rochers, & préfente
une forte de baffin qui reçoit les eaux des
montagnes voifines au tems de la fonte des neiges.
Nous verrons qu’une tres-groffe fource forme au
fond de la plaine un lac affez étendu , qui a fa décharge
par un» canal fouterrain , 8c va donner nail-
fance au fleuve Pliftus, au deflous de Delphes.
Au deffus de l’ouverture fouterraine du canal on
en découvre une autre, par laquelle l eau doit encore
s’écouler lors des crues extraordinaires dulac.
Si la nature n’avoit pas ménagé cette décharge fouterraine,
le lac auroit rempli toute la plaine, &
les eaux , furmontant les rochers qui laj bordent,
fe feroient. répandues dans la plaine de Delphes ,
& feroient tombées dans celle de Criffa , où elles
auroiênt caufé une efpèce d edeluge. S i, par quel-
qu’accident, le conduit fouterrain venoit a s engorger
, le même débordement n’auroit pas manqué
d’arriver. Wheler préfume qu un pareil engorgement,
arrivé dans les premiers tems, fut la
caufe phyfique du déluge de Deucalion, qui contraignit
les habitans de la plaine' daller chercher
une retraite fur les plus hauts fommets de la mon-
WiD’ un autre c ô té , la Theffalie , où le plus grand
nombre des Anciens s’occupe à mettre le féjour de
Deucalion , eft une vafte plaine , beaucoup plus
grande que la Béotie, mais entourée y comme elle t
de montagnes qui ne biffent qu une ouverture
très-étroite , par où le fleuve Pénée entre dans la
mer. Ce fleuve reçoit les eaux d’un grand nombre
de rivières qui descendent des montagnes ; &
comme il coule dans un pays uni, il eft pofhble
que fes débordemens y aient caufé des inondations
confidérables. Hérodote obferve-à cette occafion
que la Theffalie n’étoit autrefois qu’un grand lac* 8c que le fleuve Pénée ne portoit pas fes eaux a la
mer avant l'ouverture du vallon qui eft à fon embouchure
, 8c qu’ il croit être l’effet d’ un tremblement
de terre ; événement que plufieurs Modernes
ont adopté d ’après Hérodote, mais que j ai combattu
au mot T hessalie.
Pour revenir aux déluges d’Ogyges 8c de Deuca-
■ lion , on voit que les Grecs n avoient pas eu befoin
de fortir de leur pays pour trouver des débordemens
qui leur donnaffent occafion d imaginer ces
déluges y & qu’on ne peut raisonnablement les
attribuer qu’à certaines difpofitions des pays qu!
ont favorifé ces inondations dans l’ intérieur clés
terres, & qui appartiennent furtout a des plaines 8c à des vallons fans iffues, comme je le ferai voir
par la fuite à ces articles. J’ajouterai ici que tous
les déluges qui fe trouvent dans les traditions des
Grecs, des Égyptiens, des Indiens, des Chinois,
des Américains mêmes peuvent être rapportés aflex
probablement à ces formes de la fuperficie de la
Terre dans certaines contrées que nous avons fait
connoître à leurs articles. ( K o y c jV allons sans
is su e s , T hessalie, P énée. )
Déluges anciens.
Les Theflaliens nous difent qu'au rems de leur
déluge, le fleuve Pénée, enflé confidérablement par
les pluies,avoit franchi les bornes de fon lit Sc
de fa vallée, avoit féparé le mont Ofla du mont
Olympe , qui lui étoit auparavant uni & continu ,
& que c'étoit par cette ouverture que les eaux
s'étoient écoulées dans la mer. Hérodote, q ui,
bien des fiècles après, alla vérifier la tradition fur
les lieux , prétendit que l'afpeét des coteaux & la
difpofition des efcarpemensl'avoient convaincu que
rien n'étoit plus vraifemblable & mieux fondé.
Un autre Hérodote, pas plus favant que lui fur
la marche de la nature, avoit rappelé la même
hypothèfe, qui établiffoit toutes les circonftances
d'un déluge dans cette contrée de la Béotie : l'on
ajoutait que le fleuve Colpias s'étoit prodigieufe-
ment accru, & que fon lit 8c fa vallée étant comblés,
il avoit ouvert les montagnes qui s'oppo-
foient à l'écoulement de fes eaux, 8c que cet obf-
taclé étant ouvert, le mont Ptoiis, qui avoit donné
une iflue aux eaux du déluge, avoit difparu à la fur-
face de la Terre.
I L'antiquaire Wheler, ayant eu occafion, dansfon
voyage de Grèce, d'examiner les lieux, vérifia les
] monumensnaturels qui enfont reliés, 8c il voudioii