
Il en eft de même de la liqueur du thermomètre :...
le froid eft la force qui la cohdenie & qui p relie ■
fon f effort : d’où l’on voit que fi à mefure qu’elle
baille le froid augmente, c ’en dans une progreflion
bien différente du nombre des degrés. On peut
juger maintenant quelle énorme différence il y a
eu entre l’hiver de 1709 à Paris, & celui de 1743
à Québec : fur quoi il eft bon d’obferver encore
que cette dernière ville eft plus près du foleil que
la première d’ environ deux degrés, celle-ci étant
parlesqSdeg. yomin. 11 fec. de latitude, & l’autre
par les 46 deg. 55 min.
Avant de donner quelques conjectures fur la j
caufe du grand froid du Canada, il convient d’ a- !
bord d’ examiner auparavant celles des Pères Bref- !
fany 8c de Charlefvoix, comme étant les deux fculs
qui en aient parlé avec des connoiflances, & de
montrer en même tems en quoi il paroît qu’ils fe
font trompés.
Le premier , dans une relation italienne du
voyage qu’ il a fait dans la Nouvelle-France, attribue
à trois cames principales la rigueur du froid
de cet immenfe pays : i° . à la quantité de neiges
qui y tombe} i° . à ia proximité de la mer du
Nord, & , j° . à l’élévation du terrain.
D'abord, c’ eft à tort qu’on prétend prouver
cette élévation du terrain par la profondeur de la
mer à mefure qu’on approche de la cô te , & par la
hauteur des chutes d’eau qui fe trouvent en fort
grand nombre dans les rivières; car certainement
la profondeur de la mer ne prouve abfolurhent
rien, & les chutes d’eau pas plus, comme dit fort
bien l’abbé Prévôt dans fon Hijloire générale des
voyages, que les cataractes du N i l , furtout fi l’ on
fait attention que le fleuve Saint Laurent, depuis
la ÿille de Montréal où finiffent les rapides, juf-
qju’à la mer qui en eft à cent quatre-vingts lieues,
n’a pas plus de rapidité que la plupart de nos rivières
d’ Europe ; c’eft de quoi tous lés voyageurs
nous aflurënt. On peut d’ ailleurs en juger par l’é - .
tendue des marées q u i, fi le pays étoit affez élevé
pour produire par cette raifon de fi grands froids,
ne feroient pas fenfibles dans le lac de Saint-Pierre,
qui eft à cent cinquante-quatre lieues de la mer.
On peut alléguer encore contre l’opinion du Père
Breflany, que le climat, bien loin de devenir de
plus en plus rigoureux à mefure qu’on remonte le
neuve, comme cela devroit être fi fa conjecture
étoit fondée, devient au contraire toujours plus
tempéré.
A l’égard de la fécondé eau fe qu’adopte le Père
de Charlefvoix, & à laquelle, comme on l’a d it,
le Père Breflany attribue en partie le froid du
Canada, non-feulement elle eft mal énoncée, mais
aufli moins recevable qu’ aucune autre; car certainement
quand on jette les yeux fur une Mappe- \
Monde, on ne voit pas que Québec foit plus près j
de la mer du Nord que Paris. Mais, au contraire, I
puifque l’Océan feptentrional, dont les mers de j
France & du Canada, comprifes d’ailleurs fous les ;
mêmes parallèles, font p a rt ie , fuivant à peu près
le nord-eft, fe rapproche de Paris 8c s’ éloigne de
Q u éb e c . C ’eft apparemment à caufe des glaces qui
c o u v ren t , pendant un certain tems de l’ an n é e , la
mer qui borne 1 e'Canada à l’e f t , qu’ il a cru pouvoir
appeler en particulier mer du Nord ce tte portion
de l’Océan ; erreur géographique fingulière
f i , comme il y a grande apparence, elle n’ eft fondée
que fur ce tte raifon. Mais comme dans le fond
c’ eft moins au nom qu’ aux glaces dé ce tte mer
qu’ il attribue la rigueur des hivers de la N ouvelle-
F ran c e , on peut lui faire une objedïion qui ne
paroît pas facile à détruire ; c’eft qu’il n’y a p o in t ,
pendant l’ h iv e r , de glaces fur les mers du Canada.
C ’eft à quoi ces deux Jéfuites n'ont pas fait attent
io n , 8c c ’eft apparemment ce qui les aura jetés
dans l'e r r e u r , & leur a fait confondre les épo ques
en fuppofant, dans un tems de l’an n ée, des
glaces fur une mer où elles n’exiftent que dans une
toute autre faifon ; car on fait bien pofitivement
que les glaces ne paroiflent guère avant le mois
de mars ; qu’elles augmentent jufqu’ en ju in , &
q u e , diminuant enfuite peu à peu jufqu’ à l'automne,
elles difparoiflènt enfuite tou t-à - fa it ju f-
qu’ au retour du printems. Ce la vient de ce que
c e n’ eft point de l’ eau de la mer qu’ elles font form
é e s , & q u e , produites par les rivières qui fe
déchargent dans les g o lfe s , elles fe diftribuent fe
long des côtes for t élevées fans doute du nord du
Continen t : leurs propres maffes, aidées du dégel
! de la belle fa ifo n , les détachent de la terré 8c les
1 précipitent dans l’O c é a n , où les courans & les
v en ts , les faifant errer au lo in , les anémtiflent
enfin par lés ch ocs & les différens mouvémeris
qu’ ils leur font éprouver. La chaleur du foleil ne
contribue pas peu aufli à téd u ire , dans leur premier
état de liq u id ité , cês monftrueufes glaces
qui fon t l’étonnement desVôÿageurs , 8c dont lés
mers font couvertes à l’époque que l’on vient
d’ indiquer.
C e tte e x p lica tio n , qui eft aufti vraifembîàble
qu’elle eft fîmple & n a tu re lle, fait trouver d’autant
plus extraordinaire celle d ’un favant du p re mier
ordre fur le même füjet. L e célèbre Halley
penfe que l’A.mérique feptentrionale a été autrefois
très-près du pôle ; q u ’un changement arrivé ,
on ne fait pas qu an d , l’ en a éloignée , & que les
glaces dont on vient de p a rle r , font les relies de
celles que la proximité du pôle avoit autrefois
produites dans ce tte partie du Nouveau-Monde. Il
regarde aufli le froid qu’ on y éprouve comme un
relie de celui qui s’y faifoit fentir avant que cette
contrée eû t é té déplacée.
On ne peut douter que notre G lo b e n'ait efîu yé
d e grands changemens ; mais n’ eft-ce pas abufer
des notions que nous en avons , que a e nous en
fervir , comme fait H a lle y , pour expliquer les
phénomènes d e la nature.
Une autre obfervation qui eft comme la confé-
quence<fa fait que je viens d ’é ta b lir , & qui ne
------- fert
fert pas moins que lui à détruire l'opinion des
deux voyageurs jéfuites', c ’eft que les vents de
n o rd -e ft , qui foeffient pendant l’hiver & qui parcourent
néceflairement la mer du N o rd , bien loin
de refroidir l ’a i r , occafiônnent au contraire une
diminution confidérable de, froid. Il arrive même
que , quand ils fuccèdent tout à coup au nord-
o u e fl, le thermomètre m o n te , dans l’efpace d’ une
matinée, quelquefois de dix à dou ze degrés. C e la
feul prouveroit affez que la mer n ’eft pas couverte
de glaces pendant l ’h iv e r , fi l’on n’ en é to it pas
d’ailleurs aftliré.
L e jé fu ite Breflany , en attribuant d’abord ces
étonnantes gelées à la neige & au féjour qu’ elle
f a i t , pendant fix à fept m o is , fur la te r r e , ne s’ eft
pas apperçu qu i! ne faifoit que changer la quef-
rion 3 car on pourroi: lui demander pourquoi il
t'omboit ce tte quantité de n eige dans un pays fitué
fous lès mêmes parallèles que le Languedoc 8c la
Provence , & pourquoi, elle y féjournoit fi long-
rèms. Quand même on lui accorderoit que les
vapeurs de ce nombre prodigieux de lacs 8c de
rivières dont le Canada eft remp li, font fuffifantes
pour les remp lir, fon hypothèfe n’en feroit pas
plus folidement étab lie , comme on le fera vo ir par
lâ fuite. On lui dernanderoit quel eft le véhicule
qui réduit ces vapeurs en neiges à des latitudes
o ù l’ on n’en vo it ordinairement point en Europe
ou très.-rarement/ D ’ailleu rs, en faifant même
àbftraèlion de toutes ces objt étion s, il s’ en faut
beaucoup qu’on puifle conclure le grand froid du
Canada de la quantité de neige qui ÿ tombé. Il eft
des cantons dans nos montagnes de Provence &
du Dauphiné où elle e ft ’tôu t aufli abondante, &
qui font même entoures de montagnes, lefquelles en
fônt éternellement couvertes : cependan t il s’ en faut
bien que le froid qu’ on y ép rou v e , puifle entrer en
comparaifcri avec celui de la Nouvelle-France. Je
ne citerai que le Briançonnois : la nèige y eft au
moins en aufli grande quantité q u ’à Qu éb e c ; elle
y féjournè prefqu’ aufli lo n g -tem s , & , les Commets
d e fes m ontagnes n ’en fônt p refque jarhais dégarnis.
Néanmoins , dans les hivers ordinaires, la liqueur
du rherrriomètre n’y defeend qu’au 6®. ou 7 e. degré
au dëflous de la glace. En 1760 elle ne dèfcendic
qu’ au 6e. d e g ré '& demi.
D ’ailleurs, fi le féjour de la neige p ou voit être
la caufe d ’ un aufti grand froid , fèrôit-ce au bout
d ’ un mois & demi qu’ elle a cou ve rt la terre, qu’elle
fé ro it défeendre la liqueur du thermomètre au
24e. degré au deflbus de la glace , tandis qu’ à
Briançon, après cinq à fix mois de fé jo u r , à peine
la fait-elle defeendre jufqû’au 7 e. degré ? En 1759
la neige ne commença, dans la partie de Q u é b e c ,
que du 25 au 30 o é tô b ré , 8c le thermomètre, vers
le milieu de d é cemb re, fë trôu voit au 24e. degré
au deflbus de la glace..
Il femble que', d'après tou te cè ttë drfeuflion &
à la fuite des raîfops qu'on a p rop o féés, il en refa
ite què lês trois circonftànces ' aùxquellès le
Géographie-Phyjique. Tome 111.
jéfuîte Breflany, attribue le froid du Canada ne
peuvent être admifes.
Le jé fu ite C harléfvoix en donne une quatrième,
en avouant cependant qu’ il ne la croit pas feule
capable de produire un aufli grand e f fe t; mais il.
là confidère comme étant de nature à y contribuer
beaucoup. C ’ e f t , d’un cô.té,.ce cte étrange multitude
de lacs & de rivières dont on fait que le
Canada eft co u v e r t, 8c , de J’ aurce, les bois & les
montagnes. Le millionnaire Breflany prétend qu’aucun
de ces objets ne peut y avoir pa rt, & il eu aifé
de prouver que cela eft ainfi.
QûeIqu’ abon.dances que puiffent être les vapeurs
qui s ’élèvent dès e a u x , il eft bien ce rta in ,que lles
feroient toujours infuffifantes pour produirê feulement
un degré de froid égal à celui de la glace
fi quelqu’autre caufe n’y coopé roit avec elle. Sans
examiner ic i fi ; commë l’ont penfe Gaflendi &
quelques autres phüpfophescorpusculaires, il convient
de féparerria caufe du froid de 'celle d e tla
g e lé e , 8c de fou tenir qu’ il .exifte 'des parties fri*;
g o rifique s, ou fi ce .n’eft pas gratuitement que.
Muffchembroètk^ qui diftingue ces deux c a u fe s ,
regarde la g elée comme l ’effet d’ une matière q u i ,
pénétrant dans les interftices des liquides, én arrête
les mouvemens. L ’ opinion la plus généralement
reçue aujourd’hui donne également pour caufe de
la g e lé e , ainfi que du f r o id , la fimple privation
de la matière du fe u ; mais comme ce tte privation
ne fauroit être aflez confidérable à des latitudes
comme ce lles -c i pour être la caufe du froid rigoureux
qu’ on y é p ro u v e , il faut voir fi ce froid 8c ces gelées extraordinaires ne proviendraient
pas du refroidiflement de l’atmofp hère, caufé par
le mélange des vapeurs a vec quelque f e l, tels que
le n it re , le fel ammoniac qu^uelqu’aptrerfei. C e tte
conjecture mérite d’être difeutée ; car on fait par
expérience , que de tels mélanges peuvept opérer
un grand froid.
Il eft certain d’ abord que les eaux des rivières
des lacs du Canada fourniflent très-peu de v a peurs
; aufli ‘ le pays e f t - i l une, des contrées de
l’ Amérique feptentrionale où il pleut le moins, &
ou l’on vo it le moins de brouillards ; ce qui feroit
to u tT o p p o fé fi erj effe t.les vapeurs aqueufes y
étoient aufli abondances qu’ on eft porté à le 'croire
eh voyant la quantité d’ eau que ce pays coptient.
La fécherëfle de fon fol contribue aufli beaucoup
à rendre les pluies très-rares. Il y a peu de
pays où la terre foit plus généralement mêlée de
fable 8c de pierres, & qui offre moins d ’humidité,
à fa fuperficie. C ’eft ce que les deux Jéfuites vo y a geurs
ont très-bien rema rqué, & ils en donnent
même pour preuve, la falubtité fingulière de l’air
qui rend le Canada \e p^ys de l’Univers peut-être
le plus fain.
Les fels ne fe trouvant que dans des terres
graffes & humides , lâjlégérete.dù terrain du Canada.
eft une preuve .certaine qu’ il m ’en contient pas;
niais quand même ils y feroient abondàns, dès què
M m -