
6oo D E G
que la même ligne au pic duTénérif, ou bien aux
Pyrénées & aux Alpes. (P'oyeç Ligne neigée.)
DÉGORGEOIR ou Inondation subite de
TROIS RIVIERES DU ROUSSILLON. Quoique le
mois d’oCtobre 1763 eut été très-fec en Rouliillon
& dans toute la partie méridionale du royaume-,
& que le 18 du même mois il ne fût tombe qu'une
petite pluie, cependant les trois principales rivières
de Gly , de la TeCt & de la T e c h , 6c fur-
tout cette dernière , s’enflèrent & débordèrent 1 librement
au point de ravager toutes les campagnes
voilines , de rouler avec elles des pierres & des
arbres d’une grofleur conlîdérable , 6c de détruire
fur leur paflage, des ponts, des ma ni nets, des moulins
, des granges 6c grand nombre de maifons :
plufieurs personnes 6c une affez grande quantité
de beftiaux périrent dans ce délaftre, qui s’elt principalement
fait fentir dans le haut Val-Spir 6c dans
les deux villes d’Arles & de Prats-de-Moliou : dans
cette dernière il y eut quatorze perfonncs noyées ,
& dix-neuf mailons emportées.
Quoique la Tech ait fait le principal ravage,
la plus grande quantité d’eau ne- venoit ni de fa
four ce ni d’elle-même , mais de quatre forts ruii-
leaux qui s’ ÿ jettent. Ces ruiffeaux, nommés le
Tarfigole , le Camalade , ie Fi guerre & le Tech de
Rieusères tirent leurs fourccs du Canigou , la pius
haute montagne des Pyrénées. Le premier ren-
Ver fa une montagne de rochers entaiiés, dont il
y en avoit qui pefoient jufqu’à trois milliers, 6c
il les entraîna avec une fi grande violence , qu il
enfortoit du feu, produit par leurchoc.il detruifit
& déracina tout fur fon paflage : les autres ne
caufèrent pas moins de dommage. Le ruifleau de
laFiguerre a , entr’autres chofes, tellement rongé
le terrain, qu’ un éboulement qu’ il a caufé, a fait
découvrir uri moulin enterre par un éboulement
de la montagne depuis plus de trois cents ans, &
dans lequel on a trouve un chaudron & quelques
uftenfiles de cette efpèce qui s’y étoient confervés.
Le ruifleau de Tech de Rieusères a fi bien creufé
le tour d’ une petite plaine, que le village qui lui
donne fon nom , 6c qui étoit au milieu de cette
plaine, fe trouve aujourd’hui placé fur le fommet
d’un cône tronqué 5 & indépendamment des eaux
des rivières, il a paru de tous cotes des jets d eau
& des fources abondantes fortant de la terre. On
peut juger du dommage caufé par un tel accident.
On ne fe rappelle pas, dans le pays, d’ en avoir effuyé
un pareil, & on croit qu’ il a eu pour caufe quelque
feu fouterrain ou quelque tremblement de terre
dans les Pyrénées. Les phénomènes obfervés fe
peuvent allez bien rapporter à cette caufe.
DÉGRADATION DES MONTAGNES. Il eft
bien effentiel de fuivre dans les hautes montagnes
les phénomènes de leur deftruCtion & de leur
dégradation. On fait que ces hautes montagnes font compofées
D E G
la plupart de deux maflîfs placés l’un fur l’autre :
le premier, & qui fert de baie à l’autre, eft com-
pofé de fchiftes ou fimplement argileux , ou mêlé
de filons de quartz & de mica 5 l’autre eft corn pôle
depierre calcaire d’ un grain fort fin, diftribué par
couches, le plus fouvent dans une pofition horizontale}
il eft conftamment placé fur le premier.
Cette compofition des hautes montagnes étant
bien reconnue, les obfervateurs qui fe font pro-
pofé leur étude, & furtout celle de leur dégradation,
ont-dû fuivre les'dérangemens qui font fur-
venus dans la difpofition primitive, & ce font les
réfultats des recherches faites à ce fujet qu’il m’à
paru intére fiant de préfenter ici.
Les fchiftes feuilletés s’écroulent le plus fouvent
en grandes mafies , qui font faillantés en diffère ns
endroits , & elles font d’une fi énorme grandeur ,
qu’on a de la peine à fe perfuader qu’elles foient
détachées des montagnes fupérieures. Elles paroi
fient tenir à des chaînes inférieures j mais Tin-
clinaifon des couches en tout fens donnant lieu de
douter qu'elles tiennent au fol & qu’elles foient
dans leur fituation première, on reconnoît qu’elles
ont été détachées des fommets fupérieuvs & déplacées
i car les fchiftes des fommets font tous par
couhes horizontales , prouvântque ceux-ci ont été
culbutés. Ceci a lieu toutes les fois que les montagnes
font entièrement compofées de fchiftes, &
que lëurs fommets fchifteux font expofés à l’a&ion
des météores.' Mais, comme nous l’avons dit d’ abord
, les roches calcaires font toujours placées
fur lés roches fchifteufes argileufes quand ces
deux maflîfs fe trouvent réunis enfemble. On a
trouvé cet arrangement général en Suiffe, dans
les Alpes , dans les Pyrénées, dans les Cévennes,
en Dauphiné, dans les hautes montagnes d’Allemagne.
Tous les obfervateurs exaCts ont remarqué
partout cette loi confiante de la nature. On a prétendu
plus d’une fois nous faire voir des roches
fchifteufes argileufes & des roches de granits placées
au deflus des roches calcaires 5 mais en fé
donnant la peine de voir 6c d’examiner, on apper-
çoit que la roche calcaire n’ eft qu’adoflee 6c appofée
contre la roche fchifteufe ou le granit, dont on
retrouve les bafes, & que les parties élevées au
deflus des roches calcaires ne font qu’une continuation
de la même roche fchifteufe ou du granit,
de façon que la roche calcaire n’ eft qu’une enveloppe
& un dépôt qui s’eft formé fur ces roches
plus anciennes. On en peut dire autant des roches
quartzeufes mêlées de m ica, qui paroiflentaufli anciennes
que le granit} ainfi les maflîfs des hautes montagnes
calcàires, quelle que (oit leur élévation, 6c
quoique continuellement chargées de neiges , font
formées par des dépôts poftérieurs de beaucoup
à la formation de leurs bafes fchifteufes. Et bien
loin que cet état de dépôt exige que ces montagnes
foient d’une médiocre élévation , les fuperféta-
tions calcaires étant au contraire une addition con-
fidérable à leurs mafies, augmente confidérablement leur
D E G
leur hauteur : c’eft le réfultat d’un double travail
de la nature, ajouté l’un à l’autre.
Nous croyons donc que, dans les cas dont il s a-
git, les hautes montagnes calcaires 1 ont formées &
placées fur le pied de la chaîne des roches^ fchifteufes
, contre lefquelles ces derniers dépôts^ ont
été adoflés > que les dépôts fchifteux eux-mêmes
font fur les roches gmniteufes.
Les rochers calcaires, monftrueux par leur hauteur,
& qui font actuellement à p ic , ont dû fournir
d’immenfes débris par leur écroulement, débris
qui ont comblé & recouvert le fond des vallons
} ils dévoient donc être encore beaucoup plus
élevés qu’auparavant, ainfi que toutes les autres
montagnes du globe. Ces débris ont couvert le pied
& les bafes fchifteufes fur lefquelles repofent les
maflîfs calcaires, 6c ces éboulemens font vifible-
ment la fuite de la décompofition 6c de la deftruCtion
des fchiftes.Les pierres calcaires qui reftent, font
actuellement à p ic , parce que c’eft.la forme qu’a
dû prendre ce qui fubfifte après des éboulemens.
C ’eft fur les lieux qu’il faut examiner ces grands
phénomènes : on y verra un enfemble & des rapports
qui indiquent l’enchaînement des caufes &c
des effets.
Quand, fur ces hautes montagnes, on eft placé
de manière à pouvoir jeter un çoup-d’oeil fur deux
vallons , dont une malle quelconque fait la fépa-
ration, on voit les mêmes maflîfs calcaires ou fchifteux
fe prolonger fur les mêmes lignes} on peut
contempler à fon aife le total d’un groupe de montagnes
, fur lequel on domine : on en voit les ficua-
tions refpeCtives les unes par rapport aux autres}
mais fur ces points élevés on ne découvre guère
les formes principales de ces montagnes, parce
qu’elles fe couvrent les unes les autres. On ne
pourroittirerparti de ces rapprochemens & de ces
enfembles que fur des plans où chaque objet fera
placé & figuré convenablement. Une carte pareille
des grandes montagnes des Alpes , outre qu’elle
feroit préférable à une description emphatique ou
femée de détails étrangers , nous vaudroit bientôt
une bonne defcription , où rien ne feroit hypothétique
6c où tout feroit préfenté dans les détails les
plus fimples.
On a fait & commencé de longues defcriptions
des Alpes. Une feule carte de ces grandes mafies
vaudroit infiniment mieux , & avanceroit plus la
connoiffance de ces mafies , que ne pourront faire
tous ces écrits dont les auteurs, quoi qu’ ils faffent,
ne donneront jamais que des réfultats d’obferva-
tions incomplètes. Le feul travail d'une carte né-
ceflîteroit le complément de toutes ces obferva-
tions.
Pour prendre une idée de ce-travail de la nature
6c de fes effets, il faut vifiter toutes les di-
verfes compofitions des montagnes ; mais nulle
part on ne verra ce travail plus en. grand , nulle
part on ne pourra en faifir les progrès & les réfultats
que dans les hautes montagnes où les agens
Géographie-Phyfique. Tome III»
D E G 6*01
de cette dégradation font dans la plus grande activité.
Un des endroits où ils fe montrent plus grandement
, c’eft dans l’ arrondiffement des montagnes
qui forment le Saint-Gothard au centre des
Alpes.
Le haut du Saint-Gothard eft une efpèce de vallon
, puifque des pics, fommets prodigieux fous
toutes fortes de formes, s’élèvent au deffus, 6c
l’entourent de tous côtés. L’efpace qui eft entre
ces rochers a une forme à peu près circulaire : il
paroîtque c’écoit anciennement un fond qui a été
élevé & comblé jufqu’au point où il eft par la dégradation
des mafies dépouillées qui le dominent,
& qui fe décompofent encore actuellement fous
nos yeux. L'accumulation des débris a produit une
fuperficie prefque de niveau, qui va un peu en
pente du côté du midi & du côté du nord, par
lefquels fe fait l’écoulement des eaux que la ’fonte
des neiges fournit, & qui donnent naiffance à la
Reufs & au Teflîn. Des blocs immenfes de rochers
rempliflent la furfaee de ce vallon ; ils y font
dans un défordre qui autorife à croire qu'ils ont
été jetés & culbutés au hafard. 11 faut que les
pics élevés qui bordent ce vallon aient été beaucoup
plus hauts qu’ ils ne le font actuellement pour
avoir pu fuffïre à combler cette furface qui a plus
d’une lieue. Il n’eft: pas douteux 'non plus que les
vaftes montagnes qui font aux pieds de toutes celles
qui forment l’enceinte du Saint-Gothard, au moyen
defquelles on trouve des rampes, moins rapides
pour s’élever , comme par degrés, à cette hauteur
, ne doivent leur exiftence aux débris de ces
coloffes qui dominent tout : l’examen de ces rampes
annonce effectivement des débris.
D’ailleurs, ce qui fe pafle actuellement fous nos
yeux ne peut laiffer aucun doute fur les moyens que
la nature emploie pour dégrader les montagnes.
Pour ne point quitter le Saint-Gothard , on y voit
la Reufs tomber de rocher en rocher. Des blocs 6c
des quartiers énormes qui rempliflent fon lit, lui
barrent le paflage, 6c ne font ébranlés ni déplacés
dans les grandes eaux. Il n'y a point de torrent,
point d’écoulement d’eau, fi petit qu’il fo it , qui,
en defeendant des montagnes, n’ entraîne des terres
, des graviers ou des fables pour h s porter toujours
des hauteurs dans les bas. Les grands tor-
.rens, les ruiffeaux , les rivières enflées par les fontes
fubites des neiges & des glaces, non-feulement
creufent de vaftes & profondes vallées, mais encore
entraînent une quantité immenfe de matériaux
qu’ils dépofent dans certaines parties de
leurs cours, où les eaux jouiffent d’ une efpèce de
repos. Les pierres qui font entraînées par ces eaux
diminuent par le frottement qu’elles éprouvent
entr’elles & contre les rochers fur lefquels elles
roulent, 6c dontellesoccafionnent réciproquement
la deftruCtion. Ce font les débris de cette efpèce
de trituration qui troublent les eaux, & dont les
dépôts élèvent infenfihlement Ts lits des rivières,
forment le limon fertile des plaine«;, & vont juf-
G g g g