
donner, d’après les Tranftftions philosophiques,
quelques détails qui peuvent fervir à faire con-
noître cette production de la nature, quoique
cette defcription ait été faite fans vue comme fans
méthode. Nous ajouterons enfuite nos réflexions
fur ces inexactitudes.
La Chauffée-des-G tans eft compofée de plufieurs
mille de prifmes, verticaux la plupart, & contigus
les uns aux autres ; mais on n’a pu reconnoître s’ils
font enfoncés ou non dans le terrain comme les
pierres d’une carrière. On en voit de très-longs
& de plus élevés que les autres : il en eft de courts
& de rompus; quelques-uns, dans un affez grand
efpace, font d’une égale hauteur, en forte que
leurs bafes forment une furface plane & unie. Il
en eft beaucoup d’ imparfaits, de rendus & d’irréguliers;
d’autres font entiers, uniformes & fort
beaux ; enfin , ils préfentent des formes & des diamètres
différens. Prefque tous ces prifmes font
pentagones ou héxagones ; quelques-uns ont fept
côtés ; mais il y en a beaucoup plus de pentagones
ue d’héxagones: d’ailleurs, on n’ en trouve aucun
ont toutes les faces foient égales. Quelques-uns
de ces prifmes ont quinze pouces, d’autres dix-
huit, d’autres deux pieds de diamètre. Il n’y en a
point qui foit d’une feule pièce ; mais chacun d’eux
eft compofé de plufieurs aflifes, dont les unes ont
fix pouces, les autres douze, d’autres dix-huit,
& d’autres enfin ont deux pieds de hauteur.
Ces différentes pièces font auffi, bien jointes
qu’il eft poflible qu’une pierre le foit à une autre.
Les furfaces articulées, fi l’on peut s’exprimer
ainfi, ne font point plates ; car lorfqu’on les fépare
de force , on en trouve une concave dans le
milieu, & l’autre convexe. Il y a beaucoup de ces
pièces éparfes en quelques endroits de la chauffée
8c fur le rivage , qui ont été détachées par quelques
accidens. Les jointures ne font pas toutes
dans le même fens ; dans quelques piliers la convexité
eft toujours vers le haut, & dans d’autres
elle eft toujours vers le bas. Quand on les fépare,
on trouve lès deux extrémités très-liffes, comme
Je font aufii les côtés ou faces de ces piliers qui
le touchent. Ces pierres font d’un grain affez fin
& affez ferré, & quand on en caffe quelques frag-
mens , l’intérieur reffemble au marbre noir.
Ces piliers font ferrés les uns contre les autres ;
& quoique les uns aient cinq côtés, les autres fix,
ils font fi bien adaptés, qu’ il n’ y a point de vide
entr’eux , l’inégalité du nombre des côtés de ces
prifmes étant toujours compenfée, d’une manière
très-merveilleufe , dans toute la chauffée, par l’inégalité
des angles & des largeurs de ceux qui leur
répondent ; ae forte qu’à peu de diftance la totalité
préfente une parfaite régularité. Chaque
prifme conferve, dans toute fa longueur, à peu
près les mêmes dim.enfions & le même nombre de
côtés.
Les piliers qui paroiffent entiers comme ils
étoient dans l’origine, font plats & raboteux au
fommet, {ans aucune ftrie ou dépreflîons régli-
lières ; d’autres dont les fommets ont été ren-
verfés, font, ou concaves, ou convexes à leuis
extrémités.
Le banc élevé qui domine la chauffée paroît
prefqu’entiérement compofé, de ce côté & vers
la mer, de rochers efcarpés de l’efpè.ce la plus
commune. On voit feulement quelques piliers
irréguliers du côté de l’eft, & quelques-uns plus
loin vers le nord, qu’on nomme les orgues, & qui
font placés fur le flanc d’ une grande maffe. Les
piliers du milieu font les plus longs, & ceux des
côtés vont en diminuant par degrés ; mais immédiatement
au deffus de la chauffée l’on voit les’
fommets de quelques piliers qui femblent fortir
obliquement du flanc de la montagne. On fuppofe
que tous les piliers de la chauffée font continus
jusqu’au fond , parce que tous ceux que l’on voit
à l’extérieur le font ainfi.
Les différens côtés de chaque prifme ont une
largeur très-inégale entr’ eu x , 8c dans ceux qui
font héxagones , un côté plus large eft toujours
oppofé à un plus étroit. C ’eft la même difpofition-
que la nature obferve dans la formation des crif-
taux , quoiqu’on ne puiffe pas confidérer nos prifmes
comme tels.
De tous les foffiles, aucun n’approche plus , à
tous égards, des prifmes de la Chauffée-des-Géans,
que le lapis bafiltes mifneus , décrit par Kent-
; man dans Gefner, de Figurés lapidum , où il dit
I qu’on en voit une grande maffe à trois milles de
Drefde. Mais l’on trouve cette différence'entre
ces piliers & le bafalte de Mifnie , que les colonnes
de ce dernier font d’une feule pièce dans
toute leur longueur, au lieu que le bafalte d’ Irlande
eft compofé de prifmes divifés en plufieurs
aflifes, en forte q ue , pour le diftinguer de tous
les autres, on pourroit, avec affez de raifon , le
nommer lapis bafaltes vel bafanos maximus hiber-
nicus , angulis minimum tribus, plurimum oSto confiante
; crebris articulés fibi invicem affabreconjonéiis ,
fed facile feparabilibus -, geniculalus.
On ne peut pas dire pofitivement fi le bafalte
d’ Irlande mérite , comme celui de Mifnie , le nom’
de bafanos, du mot grec , exploro, par la
propriété de fervir de pierre de touche pour les
métaux , qu’à moins d’en faire polir exprès quelque
portion.
On voit dans la Chauffée-des-Géans un groupe de
fept colonnes bien difpofées dans la chauffée. Elles1
montrent que, bien que les piliers diffèrent entr’eux
par leur forme & par le nombre de leurs
angles, leurs côtés s’ajuftent cependant aux piliers
contigus 3 de telle forte qu’il ne-refte aucun vide1
entr’eux ; car quèlle que foit la forme des interf-
tices , les piliers font .tellement variés, qu’il s’en*
trouve toujours quelqu’ un qui les remplit avec'
jufteffe.
Les piliers triangulaires, carrés & ©Ctogones
font en moins grand nombre que ceux d’ une autre
$gufe ; de forte qu’ ils ne fe préfentent pas à la
vue à moins qu’on ne les cherche.
On trouve une grande quantité de ces pierres
ainfi figurées en beaucoup d’ endroits de cette
contrée, dans l’efpace de quatre à cinq milles ;
Car outre ce qu’on appelle vulgairement la Chauffée-
desrGéans, qui eft d’une grande étendue , & dont
on ne connoît pas les limites en mer, il y a plufieurs
autres amas de la même forte de prifmes
dans les environs, comme de moindres chauffées,
fi l’on peut les appeler ainfi , mais plus imparfaites
, qui font à quelque diftance à gauche de la
grande quand on la voit au nord , & un peu plus
loin en mer on voit paroître , quand la marée eft
b if fe , quelques rochers qui font entièrement formés
de la même pierre. Si l’on monte au deffus de
la chauffée, dans la montagne à laquelle elle eft
adoffée , on rencontre des groupes de ces prifmes
fitués obliquement. Au-delà de cette montagne,
du côté de l’eft, on rencontre, à différentes dif-
tances, plufieurs rangées de prifmes droits & verticaux
, placées avec ordre le long des flancs des
monticules. La plus voifine de la chauffée, celle
qu’on nomme Y orgue , eft fi régulière , qu’on peut
en compter tous les piliers : les plus gros & les
plus élevés font au milieu ; ils ont au moins quarante
pieds de hauteur, & font compofés de quarante
quatre affîfes. Les autres vont en diminuant
proportionnellement de chaque côté.
A quatre milles à l’oueft de la Chauffée-des-Géans, à un mille & demi de la mer, trois milles de la
ville de Calrain, & environ deux milles de Dun-
luca, ancien château du marquis d’Antrim, on
voie, le long d’ un rocher fur environ trois cents
pas, plufieurs rangées de colonnes fort hautes, &
il y a , à un quart de miile, une églife appelée
Balliwillan, q u i, à ce qu’on d it , a été bâtie en
grande partie avec des pierres tirées de ces piliers.
Ceux-ci ne diffèrent de ceux de la chauffée
, de la chauffée, c’ eft qu’elle eft concave en deffus
& en deffous, au lieu q u e , dans la ftruCture ordinaire
qu’en ce que 3 i° . ils font beaucoup plus gros ,
car ils ont deux pieds & demi de diamètre ; z°. il
n’y en a point qui aient plus de fix côtés 5 30. les
aflifes ne font point jointes par la même efpèce
d’ articulation, convexe & concave, qu’on voit
dans la Chauffée-des-Géàns, mais leurs furfaces fe
touchent par un plan uni, & elles ne font jointes
que par la preflion feule du poids ; de forte que la
moindre force les fépare.
L ’on voit cependant, lorfqu’on obferve feru-
puleufement les jointures de chaque efpèce de
pilier de la chauffée, qu’ il eft quelques aflifes qui
n’ont point de concavités ni de convexités, &
qui ne font unies que par des plans unis un peu
inclinés à l’horizon. Cependant ce ne font pas des
exceptions à la règle générale qu’obfervent les
piliers de la chauffée y mais il eft à remarquer que
les cavités 8c les renflemens ne font pas conftam-
ment formés & moulés dans la pierre avec toute
la précifion & l’exactitude circulaires. Une autre
irrégularité à obferver dans une aflife pentagone j
, la pièce qui eft concave d’ un c ô té , eft
convexe de l’autre.
Les creux dans les affîfes de la furface, qui fe
trouvent expofés à l ’air, font d’une grande ref-
fource pour le pauvre peuple du voifinage. Lorsqu'ils
ont befoin de fel dans l’été , ils rempliffent
d’eau de mer ces baffms naturels, & dans l’efpace
de deux jours ils trouvent toute l’eau évaporée,
& le fel à fec dans le fond des concavités.
Quant à la fubftance de cette pierre, elle eft
d’ un tiffu extrêmement dur, ferré & compacte,
& d’ un grain fi fin & fi uni, qu’ on le diftingue à
peine dans les caffures récentes. En l’approchant
de l’oe il, on voit alors fur la furface comme un
fable brillant, très-menu, difféminé dans le reftô
de fa maffe.
Il paroît que cette pierre eft unie ou homogène
, fans aucun mélange de coquillages ou autres
matières étrangères femblables qu’on rencontre
fi communément dans la plupart des autres
Concrétions pierreufes. On n’obferve non plus ni
rayons, ni ftries, ni autres impreffîons à fa fur-
fa c e , en forte qu’elle eft capable de recevoir un
beau poli. Elle a d’ailleurs en perfection la propriété
du lapis lydius ou pierre de touche ; mais
étant en petites maffes, & d’une fi grande dureté
qu’elle émouffeou caffe le tranchant des meilleurs
outils, elle eft peu propre à l'embelliffement des
maifons, & l'architecte & le fculpteur ne peuvent
guère en tirer avantage.
L ’extérieur de ces pierres, qui a été expofé aux
injures de l’a ir , n’eft pas de couleur blanchâtre
comme les rochers ordinaires ; mais quand on
fépare les jointures, on trouve l’ intérieur de couleur
gris-de-fer-noirâtre , comme le plus beau
marbre noir avant qu’il foit poli, mais avec une
nuance un peu plus lombre.
Lôrfqu’ on frappe fortement cette pierre avec
une autre pierre ou avec un morceau de f e r , il
.s’en dégage une odeur forte & défagréable, pa-
reille à celle de la corne brûlée.
La Chauffée-des-Géans en elle-même n’ eft pas ce
qu’ il y a de plus fingulier à voir dans cette production
extraordinaire, car les rochers voifins paroiffent
encore plus furprenans. A les examiner de
l’autre côté d’une petite b aie , à un demi-mille a
l’eft de la chauffée, on obferve de là qu’ i! règne au
bas de ces rochers une couche de pierre noire ,
de la hauteur d’environ foixante pieds, divifée
perpendiculairement, à d’ inégales diftances, par
des raies d’une pierre rougeâtre qui reffemble à
du ciment, & qui a environ quatre à cinq pouces
d’épaiffeur.' Sur cette couche il y en a une autre
de la même pierre noire, qui eft féparée de la
première par un lit de pierre rouge , de cinq
polices d’épaiffeur. Sur c e lu i-c i eft une autre
couche de pierre, de dix pieds d’ épaiffeur, divifée
de la même manière ; enfuite une couche d«
E e e z