
vent des marais renfermés dans des gorges & des
enfoncemens produits par des rochers déplacés vi-
fiblement de leur fîtuation originaire & primitive.
C ’eft dans ces marais que fe trouvent enfevelis au
milieu de la tourbe des troncs de bois de mélèze *
de bouleau, de tremble & d’aune, qui font con-
fervés dans leur entier avec, leurs racines. D’après
l ’infpe&ionde leurétat & de leur fîtuation on ne
peut fe refufer à croire que ces arbres ont végété
dans ces enfoncemens, qu’ ils y ont été abattus fans
éprouver aucun autre déplacement ni tranfport ;
ils y réfident donc depuis une révolution aifée à
imaginer, à un ou deux mètres au plus de la fuper-
ficie des marais, dans un climat où le thermomètre
eft à la glace toutes les nuits d’é t é , & où la neige
tient pendant neuf à dix mois de l ’année.
Il eft une autre révolution fur laquelle nous ns
pouvons garderie filence, c’ eft celle en conféquence
de laquelle ce dépôt des arbres foflîles occupe une
région auflî froide & élevée de huit cents'mètresau
deflus des forêts actuelles; car les efpèces de bois
les plus près qui végètent au défions de cette ré gion
font le bouleau, betula nigra Linn. , le tremble
, populus tremula, & la petite variété de l’aune
des Alpes, betula alnus viridîs de l’hiftoire des
plantes ; mais ce dernier ne préfente qu’ un arbriffeau
de deux à quatre mètres au plus, & dont le tronc
n’ a jamais plus qu’un à deux décimètres de diamètre.
A in fï, d’après l’obfervation des efpèces de
bois qui exiftent & végètent fur les montagnes
voifines des dépôts des arbres foflîles, & qui occupent
une licuation inférieure d ’environ huit cents
mètres, on a reconnu que ce font le bouleau, le
tremble , le mélèze qui foumiffent à ces dépôts les
troncs foflîles. Cette comparaifon eft auflî frappante
que lumineufe.
Maintenant il faut examiner comment les bois
ont pu végéter autrefois prefqu’au niveau des glaciers
aétuels $ car les dépôts des bois foflîles font à
deux mille trois cents mètres d’élévation au deffus
du niveau de la mer. Rien ne paroiffant prouver qu’ ils
aient pu être tranfportés hors de l’endroit où ils
ont végété , les troncs, les Touches des racines,
leurs formes, leur fîtuation, tout prouve qu’ils ont
été renverfés & enfevelis près du fol où ils prirent
autrefois leur accroiffement.
Ce qui vient à l’appui de ces phénomènes, ce
font de pareils dépôts de bois qui fe trouvent en-
fevelis fur des montagnes du Devoluy & du Ga-
pençois, département des Hautes-Alpes, dans des
contrées où il ne fubfifte plus de forêts aux environs,
rnais.feulement à deux mille mètres, & même
à deux mille trois cents mètres : ainfï ces faits nous
antorifent à croire que les bois du Mont Delens ont
•pu végéter autrefois à deux mille cinq cents mètres
d’élévation.
Mais ce qui achève d’établir cette poflîbilité,
«’ eft qu’ à la Berarde, à deux myriamètres du Mont
Delens, vers les fources de la Romanche, dans une
gorge entourée de glaciers, j'ai trouvé, fous un
| abri, lin bouquet de bois de pin , pinus fiheftris
Linn., à une élévation de deux mille fept cents
mètres, c’eft-à-dire, à deux cent vingt mètres au
deffus du dépôt des bois foflîles du Mont Delens.
Ainfï ces deux faits fuffifent pour expliqu?r lu
poflîbilité de l’exiftence des anciens bois qui ont
fourni les foflîles à la hauteur où ils fe trouvent.
Maintenant il n’eft plus queftion que de faire envi-
fager lesdifférens changemens de formes qu’ont pu
! éprouver les montagnes de Delens & des environs,
& la dertruétion des abris qui ont forcé les bois à
defeendre neuf cents mètres plus bas que la couche
de l’atmofphère où la végétation fe foutenoit autrefois.
En effet, la dégradation des montagnes voifines
du Mont Delens, en diminuant la furface , l’étendue
, l'épaiffeur des plateaux qui étoientfitués près
de leurs fommités, a donc pu refroidir les montagnes
de Delens. Il fuffit de jeter les yeux fur cette
contrée pour être convaincu que ces changemens
ont eu lieu généralement, & que les effets que
nous avons indiqués ci-deffus ont dû prendre la place
des anciennes difpofitions dont les bois foflîles font
des rémoins.
Je le répète : l’aminciffement des montagnes,
leurs dégradations, leurs efearpemens qui s’offrent
de toutes parts, font la première caufe de la diminution
de leur température & une des caufes les plus
puiffantes de leur refroidiffement.
Une fécondé caufe de ce refroidiffement, c ’eft
la deftru&ion des bois, qui contribue encore à fa-
vorifer les ravages des torrens & fe lie à la première
caufe.
Les bois,[ les forêts voifines placées autrefois
furies montagnes de Dtiens, protégeoientl’exten-
fion & faccroiffement des jeunes arbres les1
hommes les ont détruits , de manière que les glaciers
en ont pris la place ; & à mefure qu’ ils fe font
étendus, les bois ont été refferrés dans des limites
plus étroites. Voilà les progrès des caufes qui ont
éloigné les bois des montagnes de Delens, au point
qu’ils ne peuvent végéter aujourd’hui qu’à deux ki-
' lomètres plus bas qu’autrefois. (Voye^T e m p é r a t
u r e DU GLOBE A DIVERSES HAUTEURS , ABRIS
a n c i e n s . A r b r e s f o s s il e s . )
DÉLITEMENS. Les couches de la terre fe dé-
truifent de plufieurs manières : j’ en ai diftingué deux
principales, la démolition & le délitement. Le délitement
s’opère par l’enlèvement des lames, dont
on conçoit que les bancs- ont été compofés en
conféquence des dépôts fucceflifs de la mer. Ce
travail s’exécute d’autant plus facilement, que les
lames de deftruétion ont moins d’ahérence les unes
aux autres, & que l’exfoliation s'opère plus vite
par l’alternative de l’ humidité & de la féchereffe, à
laquelle les couches voifines de la furface de la terre
font expofées chaque jour. On comprend auflî
très-aifément que ces délitemens dépendent furtout
de l’état où fe trouvent les bancs de la terre > car
il y a un degré d’induration dans les pierres , qui j
rend le délitement ou impoflible ou très-lent > mais ;
il devient très-prompt dans le cas où ce font des
argiles & des marnes feuilletées, qui non-feulement
fe lèvent par lames, mais même finiffent par la
décompofition des lames en petits débris.
Ce n'eft pas feulement dans les maflifs diftribués
par couches que s’opèrent les délitemens j ils ont
lieu encore dans les maflifs qui n’offrent aucune
diftinélion de couches, mais dans lefquels les différentes
fubftances font arrangées par raies, par
rubans. Comme i’aétion de la féchereffe & de
l’humidité eft plus ou moins marquée , fuivant la
nature & la confiftance de ces fubftances, ces
compofés fe détruifent d’ autant plus facilement,
que les fubftances les plus tendres y font plus abondantes
: c’eft ainfi que fur les granits rayés ou gneifs
« fucceflîve de l’humidité & de la féchereffe
eft d’autant plus rapide , que les fpaths y dominent
en plus grande proportion , & fe terrifient plus ai-
fément en perdant l’eau de leur criftallifation. J’ai
fuivi partout en Limoufin leur décompofition, qui
fe fai (oit par lames, ou bien même par débris très-
petits & fort abondans, qui augmentent chaque
jour la terre végétale des cantons de cette ancienne
terre où fe trouvoit le gneifs. De même tous les
fehiftes éprouvent une grande deftruètion par le
délitement, 8c il s’opère d’autant plus v ite , que les
fehiftes (ont plus tendres & d’ un grain plus gros :
il en eft des fehiftes argileux comme des fehiftes
calcaires. ( Voye[ Sc h is t e s .)
DÉLITS. C ’eft à l’a&ion de l’eau qu’on doit attribuer
le feuilletage des pierres en maffes : cette
a&ion rend vifibles des intervalles entre les dépôts
& les fentes qui ne fe montroient pas. Il ne faut
que du tems pour que ces maffes fe décompofent
& fe défuniffent, foit par la gelée, foit par le feu;
& fi l’on n’y'prend garde, cette divifion fe fait toujours
parallèlement à la fuite des dépôts, quand
même il n’y auroit eu primitivement, dans la maffe,
de délits originels. Le fer même , aux bords de la
-mer, fe délite à fa furface, fans qu’il fuive la direc- ;
tion des fils.
DELTA. C ’ eft ainfi qu’ on nomme , à caufe de
leur figure triangulaire & femblable à celle de cette
lettre grecque , les terrains compris entre les différentes
branches de certains fleuves vers leurs
^embouchures dans la mer.
Le plus fameux delta eft celui du Nil. Ce fleuve
fe partage en deux bras un peu au deffous de Memphis,
qui eft aujourd'hui le Caire. Près de l’endroit
où le bras oriental fe jette dans la mer étoit
la ville de Pelufe , & par cette raifon fon embouchure
étoit appelée Pelufiacum oftium. Le bras occidental
fe jette dans la mer près du lieu où étoit
la ville de Canope , & fe nommoit Canopique. Ces
deux bras du Nil éprouvèrent par la fuite différens
changemens, & fe partagèrent en plufieurs autres
branches qui toutes aboutirent à fa mer; mais
plufieurs fe font bouchées depuis. Tout cela (<>r-
moit d’abord, comme on v o it , une grande île qui
s’étoit partagée en plufieurs autres. Le terrain de
ces îles eft très-fertile ; auflî font-elles bien culti-%
vées. A l’occident de l’embouchure canopique
étoit la ville d’Alexandrie. Entre cette ville &
Damiette, qui eft auprès de l’embouchure pelu-
fienne, on dit qu’ il y a quarante-cinq lieues de côte,
& que depuis la mer jufqu’au Caire ou Memphis
il y a vingt-cinq lieues ; ainfi cette île du delta forme
un terrain confidérable. Quelle immenfe quantité
de matière le Nil n’a-t-il pas voiturée & dépoféè à
fon embouchure ! La mer favorifant la précipitation
du limon dont l’eau du fleuve fe trouvoit
chargée dans fes crues périodiques, il n’eft pas
étonnant que ces dépôts aient été formés , non-
feulement entre les deux bras du N i l , mais même
à l’extérieur ; ce qui doit faire un fol factice d'une
grande étendue.
Je remarquerai, à cette occafion , que tous les
fleuves un peu confidérables qui font expofés aux
pluies de la torride & aux débordemens périodiques
qui en (ont la fuite , ont à leurs embouchures,
desdeltaiows formés de femblabiesdépôts-:
tels font le Gange , le fleuve de Siim , &c. ( Voyer
dans Volney &j dans Sivry une difcufllon iur i’a-
grandifftment du delta du Nil. )
Delta du G an ge. A deux cents milles de la
mer, pris en ligne direéle, ou à trois cents milles
fi l’ on fuit le cours du fleuve, on voit fe former le
delta du Gange, dont la fuperficie eft au moins deux
fois plus étendue que celle du delta du Nil. Les
deux branches de l’oueft , nommées le Coffimbu\ar
& le Jellinghy, fe réuniffent pour former le Hoogly,
qui eft le port de Calcuta &c la feule branche du
Gange dans laquelle les plus gros vaiffeaux entrent
communément. Le Coffimbuzar eft prefqu’ à fec
depuis le mois d’oétobre jufqu’au mois de mai, &
le Jellinghy, quoiqu’il reçoive toute l’année une
autre rivière , n’eft fouvent pas navigable pendant
les deux ou trois mois les plus fecs $ en forte que
la feule des branches inférieures du Gange dans
laquelle la navigation ne foit jamais interrompue
eft le Chundnah, qui commence à Moddapour &:
fe termine à Hozingotta,
La partie du delta qui eft voifine de la mer eft
un labyrinthe de rivières & de criques falées. Les
bras qui communiquent au grand canal du Gange
font les feuls dont l’eau foit douce. Cet efpace
connu fous le nom de forêts ou funderbunds, a une
étendue égale à la principauté de Galles, & eft fi
complètement couvert de bois &infefté de tigres
que les efforts que l’on a faits pour le défricher
ont été inutiles. Les nombreux canaux fe croifent
de tant de manières, qu’ils offrent une grande facilité
pour la navigation intérieure , la plus complète
dans toute la partie baffe du delta, fans
> qu’on foit obligé de faire un long circuit par fo»