
dire de combien , & juger par-là comment &
quand un grand nombre d’ îles ont pu être détachées,
tant des îles voifines que des continens.
On ne peut pas objecter les amas de fables qui
vont inonder aujourd'hui les côtes de Flandre &
de Picardie, non plus que les amas de galets qui
vont comblant une grande partie de l'embouchure
de la Seine & de la Somme.
Si nous portons nos obférvations vers le nord,
nous remarquons que les îles Seilly , les Hébrides,
les Oreades, celles de Shetland & peut-être les
îles de Féroë pourroient bien n’ être que les reftes
d'une région immenfe d’où il eft rélulté toutes
cés îles , & que le petit ifthme de Calais, comparé
à toutes ces dcilruâions, peut avoir formé
une jonéticn à laquelle on n’aura jamais fait une
certaine attention dans les navigations bornées
des premiers âges. Cette péninfule n'ayoit été
parcourue ni reconnue en fon entier, & elle pair
Coh chez les Anciens pour une île primitive.
La correfpondance des couches de terre fur
partie des rivages oppofés de l’Angleterre & de
la France ne laide cependant aucun doute fur leur
ancienne union : les collines de craie de Blanc-
Ne z , entre Calais & Boulogne , & celles qui fe
préfentent à l ’occident de Douvres, correfpon-
dent exactement. Les dernières font vaftes & prolongées.
Les premières font peu étendues & la
limite d’un lit immenfe. Entre Boulogne & Follf*
ton e , environ à fix. milles de ce dernier lieu, eft
un autre monument de l'ancienne jonction des
deux bords de la mer. C ’eft une étroite colline
fous-marine, appelée le Rip-Raps, d’ un mille environ
de largeur, & de dix milles de longueur,
s’étendant à l’eft vers les bancs de Goodwin. Les
matériaux de cette colline font'des cailloux ronds
& durs ( boulder-Jlrones) qui fe trouvent accidentellement
faire partie de plufieurs couches. La
profondeur de l’eau fur cetre colline n’eft que de
quatorze pieds dans les plus hautes marees. Les
pêcheurs de Follftone y ©nt fouvent touché avec
une rame de quinze pieds, en forte qu’elle eft à
jufte titre la terreur des navigateurs : plus d’un
grand vaiffeau y a p éri, & s’eft auflîtôt abîmé dans
virtgt-quatre braffes d’eau. En juillet 1782, la
Belle-die, de foixante-quatre canons, toucha & y
refta pendant trois heures j mais en fe déchargeant
de fa bierre & de fon eau, elle vint à bout
de fe relever & de fe dégager.
C e détroit fameux n’a que vingt-un milles de
largeur dans fa partie la plus refferrée. Du môle
de Douvres à celui de Calais , on compte vingt-
quatre milles : fa largeur paroît diminuer tous
les jours, & l’on conjecture que les deux rivages
oppofés fe font rapprochés de deux milles, a dater
d’ ur. long laps de tems. Au milieu dit canal ,
"dans les plus hautes marées , la profondeur eft
d’environ vingt-cinq brades. Le rond éft un fable
groffer où des quartiers de roches, depuis
une férié de fiècles inconnue, réfiftent au frottement
& à l’adion des courans. En fe portant
du détroit vers l’eft & l ’oueft, la profondeur
s'augmente par degrés jufqu’à cent braffes, &
puis la fonde fe perd.
Les grandes marées, dans le détroit, selèvent
à vingt-quatre pieds , & les baffes à quinze. Le
flot vient de la'mer d'Allemagne, paffe le détroit,
enfuite rencontre & combat violemment la marée
occidentale de l’Océan, entre Fair-Leigh , près
de Hasfing & de Boulogne j preuve que fi la réparation
a éré occafionnée par la mer, elle doit
avoir été l’effet de la prépondérance de !a mer du
Nord.
Après la révolution qui a féparé l’Angleterre
du Continent, la migration des hommes auroit
pu fe faire très-promptement dans des bateaux
pêcheurs j mais jamais les*nombreufes efpèces de
quadrupèdes n’auroient pu gagner cette île à la
nage, malgré le peu de largeur du détroit : dans
tous les tems, la rapidité des marées auroit triomphé
de leurs efforts. Ils n’ont donc pu paffer que
fur l’ancien ifthme j car il répugne au bon fens
que nos ancêtres euffent été affez fimples pour
tranfporter dans l’î i e , les loups , les ours & la
nombreufe légion des autres animaux plus petits
& aufli nuifibles , après avoir trouvé les moyens
d'introdtïire les efpèces utiles Ôc domeftiques.
On n’a point, en Angleterre , de quadrupèdes
qui ne fe trouvent également en France, &
parmi les animaux qu’on a perdus, on peut compter
l’urus, le loup, l’ours, le fanglier & le.caftor,.
qui tous étoient autrefois communs aux deux
contrées. L’urus, relégué maintenant dans les forêts
de la Lithuanie, a continué d’être en Angleterre
dans l’état fauvage au moins jufqu’ en 1466 ,
& on a vu quelques-uns de fes defcendans renfermés
dans les loges du parc de Drumlanrig &
de Chillingham. Il y a eu des ours en Ecoffe.
jufqu’ en 10574 ils ont exifté dans le pays de Gal-
: les prefque jufqu’ à la même époque > car les anciennes
lois les rangeoient parmi le gibier de
chaffe. Les loups infeftoient jufqu’aux comtés enclavés
dans le fein de l'Angleterre en l’année 1281,
&■ ils ont continué leurs ravages dans je nord de la
Bretagne fous le"règne de la reine Elifabeth. Ils
n'ont été entièrement extirpés qu’en 1680. Les
fangliers étoient communs dans le voifinage de
Londres fous le règne de Henri I I , & ils font
- reftés dans l’état fauvage jufqu’ en 1577 : alors on
ne les trouvoit plus que dans les bois, du lord La-
timer, qui prenoit giand plaiflr à les chaffer, fui-
vant le doéteur Monfet. On fait aufli , d’après la
même autorité , que les chevreuils exiftoient en
même rems dans la principautéde Galles , & parmi
les collines de Chevioc. Aujourd’hui ils font confinés
dans les hautes terres de l’Écoffe. Enfin, les
caftors habitoieni lè pays de Galles en 1188, lorf-
qUe Thiftorien Giraldus voyagea dans cette prin-
, cipauté. Tous ces animaux, l’urus excepté, fe
| trouvent aujourd'hui en France. Le roi Théoder
bert périt en chaffant un urus , vers l’an 5^8. Il eft
probable que l’efpèce a fubfifté dans ce vafte
royaume long-tems après cet événement.
L éian, le linx, le lo ir , le rat & la plupart des
chauve-fouris de France n’ ont jamais atteint l’Angleterre
, ou s’ ils y font parvenus, ils y ont péri
fi vite, que leuts noms ont péri avec eux dans la
langue.. Cependant l’Angleterre "poflè.'ie plufieurs
chauve-fouris qui lui font particulières. L’isbex
ou bouc fauvage & le chamois , habitans des feules
Alpes les plus éloignées de la Gaule & des Pyrénées
, n’ont probablement jamais été introduits
en Angleterre. Ainfi la France poffède un plus
grand nombre d’efpèces de quadrupèdes, que
l’Angleterre. On doit dire cependant que ce dernier
pays poffède de plus que la France deux ef-
peces de veaux matins, parce que ces animaux
vivent plus, particuliérement dans les régions du
No:d.
Les oifeaux qui ont reçu de la nature le pouvoir
& les moyens de fe tranlporterfi facilement d’ un
lieu dans un autre, ont cependant, dans nombre
de cas, les limites de leurs habitations. Le climat
confine les uns dans des bornes certaines $ des
nourritures particulières.engagent les autres à fe
fixer dans des pays peu éloignés de l’Angleterre.
Cependant par un merveilleux inttinét, les oifea-ux
lui vent les progrès de la culture , & fe naturali-’
fent eux mêmes dans de nouvelles régions. Le
croff-bill ou bec-croifé a fuivi la pomme de pin
en r Angleterre.-Glence , dans les hautes terres
d’Ecoffe, n’avoit jamais connu la perdrix que depuis
que les Fermiers ont récemment introduit le
blé dans leurs terres j & le moineau n’a jamais
pjru en Sibérie que depuis que k s Ruffes ont introduit
la charrue dans les vaftes défercs de cette
partie de leurs Etats ; Enfin , k s ricebuntings ou
alouettes de.riz , native^ de Cuba , depuis qu’on
a introduit le riz dans la Caroline | quittent par
milliers leur île natale 8c traverfent l’intervalle au
deffus de la mer & des terres pour avoir leur part
dans une récolte tranfportée de l’Inde dans une
contrée fi éloignée d’elle.
La France, q ui, dans fon étendue, comprend
.plus de différens climats que l’Angleterre, ell aufli !
plus riche qu’elle en efpèces d’oifeaux.'-On ne
peut en compter , d’après Perinant, dans cette
île , que cent trent-un de terre & cent vingt-un
d’eau , au lieu que la France en poffède cent cin-
quante-fix de la première divifion , & cent treize
ae la féconde. Le calcul pourroit n’être pas rouc-
à-fait exaéfc, car perfonne n’a encore entrepris le
Faune de la France, qui doit être très-nombreux
•dfns un royaume qui s'étend depuis Calais , à la
latitude de y 1 degrés, jufqu’ à Collioure, au midi
duRouflillon fur la Méditerranée, à la latitude de
,42 degrés. Les provinces du nord ont leurs efpèces
communes avec l’Angleterre, & , fuivant toute
apparence , les provinces de la Méditerranée font
■ annuellement vifitées par les diverfes efpèces du
nord de l'Afrique. Nous renvoyons-' à 3’n: tîc'e
D ouvres ce qui a pour objet les côtes de l’Angleterre,
relativement aux changemens qu’e lk s
ont éprouvés.
Calais ( Dunes de ). Calais 8c fes environs
.préfentent un phénomène qui paroît affez fingu-
Iier. A une portée de canon du rempart, dans k.s
dunes qui bordent la mer, le fol n’offre qu’ un fable
volant très-fin, qui porte toutes les marques de la
plus complète aridité. Cependant on eft parvenu
a le convertir en champs très-fertiles, en prairies
naturelles d’ un excellent produit, en bons pâturages,
même en potagers, & , dans quelques endroits
, en plantation d’arbres de la plus belle
venue. Ce qu’il y a de plus étonnant, c’eft que les
aunes & les peupliers d’Jtalie, qui exigent un fol
humide, font precifément les arbres qui, avec les
précautions requifes, réuflîffent le mieux dans ces
fables. Mais tout étonnement ceffe lorfqu’on fait
que , pour peu qu’on creufe à quelques pieds au
deffous du niveau naturel de ce terrain, l’on rencontre
une eau limpide, douce & fraîche, qui a
toutes les qualités de là meilleure eau de citerne1,
& qu’on voit filtrer à travers ces fables comme au
travers d’un tamis. On a été bien convaincu que
cette eau n’étoit pas une filtration de l’eau de la
mer, comme plufieurs perfonnes l’avoient penfé
d’abord. Voici les raifons fur lefquelles l’on fonde
cette preuve : i° . les hautes & baffes marées ne
font jamais élever ni bailler le niveau de cette
eau, tandis que la féchereffe ou la pluie influe
très fenfiblément, tant fur la profondeur à laquelle
on la trouve , que. fur fon abondance. 2°. 11 arrive
q u e , lorfqu’on creufe à quelques pieds plus bas
dans i’efpoir de fe procurer , par une fouille plus
profonde, une eau plus abondante, de rencontrer,
au deffous d’une efpèce de tu f, une eau fau-
.mâtre & bitumineufe, nullement potable, & qui
vient manifeftement de la mer. 3;0'. Tous les puits
creufés dans la ville de Calais, font de cette dernière
nature ; aufli n’y boit-on que de. l'eau de
citerne. Lorfque celle-ci manque, il faut en faire
venir par charrois de près d’une lieue. Àinfi l’eau
qu’on trouve, en fi grande abondance, à deux pieds
au deffous de la fur face du fo l, n’eft manifeftement
que de l’eau pluviale * qui eft retenue fur le tu f
après^ avoir pénétré à travers le fable 5 ainfi le
terrain où ces eaux pluviales féjournent, doit être
regardé comme une vafte citerne. Pendant le fiége
d'Oftende en 1745, ^es foldats creufèrent, dans
des fables abfolument pareils & dans la même
proximité de la mer, des puits de quelques pieds
de profondeur, qui fournirent une eau douce trèi-
faine & très-potable.
Quant à l ’étonnante fertilité de ces terrains fa-
bloneux au voifinage de la m e r , il paroît que
l’amas d’eau fouterraine propre à fournir continuellement
une fraîcheur convenable aux végétaux
à mefure que l’évaporation deffèche la fuper