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occidentales, qui dévoient , à ce qu’il femble 3
féparer pour jamais les nations, & divifer le
Monde en autant de Mondes ifolés, font cependant
ce qui les a réunis tout d'abord quand ces
mers n'ont point été trop larges, & qu’elles ont;
fait connoître peu à peu tous les peuples riverains
de notre Globe. Nous ne connoifions guère, &
même point du tou t, ceux qui habitent le centre
des grands continens j aufli toutes ces nations
font-elles encore barbares; & fauvages. Il eût donc
été à defirer, pour toi}tes ces contrées, que
quelque bras de mer eût pu. y pénétrer j que cet
immenfe baflin, par exemple, qui renferme toutes
les contrées centrales de l’Afie , eût été rompu
tout-à fait j. & qu'il s’y fut formé une Méditerranée
femblable à celle qui s'eft formée en occident.
Alors les nations de l’Arménie auroient
commercé avec la Chine. Celles de l ’Indofian
avec la Sibérie, fur les promontoires, les îles 8c
les grandes faillies qui auroient arrêté toutes les
autres nations vagabondes qui l ’habitent j &; de
ce commerce mutuel il feroit réfulté pour toutes
les avantages qu’elles n’ont point, & que nous
n’avons acquis que par ce moyen. Le coup-d’oeil
de la Terre n’en auroit pas été moins admirable.
Alors le Globe n’aoroit offert qu’une ville commerçante
, & l’on n'auroic point vu de ces contrées
du Monde qui ne font pas du Monde cependant,
cù tout ce qui fê paffe demeure inconnu &
comme inutile, femblables en cela à ces enceintes
de monaûères qui fe trouvent dans des villes confidérables,
dont le terrain eft confacré à rétrécir
le refte du territoire 8c diminuer le nombre de fes
concitoyens. Je dis concitoyens & non habitans ,
parce qu’ il ne fufiit pas, pour le bonheur du
Monde, qu’il y ait des habitans, mais qu’ il faut
encore que ces habitans foient entr’eux tous réciproquement
lié s , utiles & néeeffaires j c ’sft ce
qu’exprime le mot de concitoyen, titre honorable
pour ceux qui ont le bonheur de le porter, & qui
ne convient point, comme l’on v o it, niauxTar-
tares de l’Afie , ni aux peuplades ignorées de
l’Afrique, ni aux Sauvages de l’Amérique, ni aux
moines de l’Europe.
La rupture des baflins qui n’ont point été fub-
mergés par les mers, a de même rendu un autre
fervice à tous les continens qui font refiés en
place : c’eft d’avoir mis les nations en pofleflion
d’une infinité de terrains fertiles, qui ne dévoient
être auparavant qu’humides, fangeux & couverts
de vattes marécages. Les fources & les rivières, fans
autres décharges que les conduits fouterrains,
l’évaporation généralifée, dévoient former une
multitude de lacs & de bourbiers inhabitables
qui ont difparu.
Les plus riches contrées de la Chine, le Cachemire
, la Méfopotamie, l’Egypte., les meilleures
contrées de l’ Allemagne., de la France & d ej'lta-
. lie ne pouvoier.t être alors les domaines des
peuples que nous y eonnoifions depuis, tant de
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fiècles j & c’eft vifiblement là une des raifons qui
retenoient auparavant chaque nation dans fon territoire,
par un contrafte nngulier alors que ces
nations n'écpient féparées.que par des barrières
quinepouvoient être cependant qu’étroites, mais
à la vérité multipliées. Elles ne commerçojent
point entr’elle.s j & depuis que la nature, en for-,
mapt des mers, n’a laifie que quelques barrières ,
mais d’ une largeur' ex.trême, elles ont prefque
toutes ofé les franchir.
S e c o n d e p a r t i e .
Pour parler en détail & avec quelqu’ordre
des vallées, des montagnes & des fommets de
nos continens , & fe mettre fur la feule voie
qui peut conduire à l’origine de leurs formes
préfentes, on a déjà fait voir combien les eaux
courantes font des moyens fimples & naturels
pour y parvenir. Je vais continuer d’en expofer
les effets, & j’en citerai encore des exemples, 8c des preuves auffi frappantes que celles que j’ai
déjà employées. Il eft à propos, puifque je donne
les élémens d’une fcience nouvelle , de faire des
répétitions, & j’ofe efpérer qu’on me les pardonnera.
Je fais cette hiftoire des vallées & d.es montagnes
pour être un livre d’étude. Ce font les prin -
cipes de la feule partie de l’Hiftoire de la Terre
où les Savans pu.ifiènt pénétrer au moyen de l’o.b-
fervation. Je m’occupe à chercher les monumens-
des faits qui ont eu lieu*. Je confirme les traditions
qui en font rèftées parmi les nations différentes,
ou bien je les redrefle par l ’examen de ces.mêmes
mo.numens. Je me propofe doDC de profiter de
tout ce qui fe préfentera de propre à mon fujet
pour rappeler quelques vérités que je n’aurai
que légèrement expofées d’abord , pour pré->
fenter, dans de nouveaux points de. vu e , des
faits q u i, quoique iîmplés , ont cependant une
infinité de faces qu’ il eft néceflàire de développer 8c de confidérer, foit pour confirmer ce qui peut
avoir été déjà d it, foit pour prévenir les objections
les plus légères, parce que tout devient
important quand i f s’agit de détruire des préjugés
foibles par eux-mêmes, mais forts par leur antiquité
, & d’après lesquels on a élevé de grands
& bizarres édifices. Sans méthodes & fans principes,
on s’égare} les progrès que l’on peut faire
font lents 8c tardifs, & les découvertes vagues 8c
incertaines. C ’eft la pofition où l’on s’eft trouvé
jufqu’à préfent, quand on a raifonné fur les mon-*
tagnes 8c fur les inégalités fuperficielles de nos
continens. On a cru remarquer dans la direction
des montagnes une difpofition confiante d’orient
en occident ; on la çonfidéra-même comme un des
articles de la théorie de la T e r re } mais rien n’eft
moins réel ni plus idéal que oerte direction. Il
fuffit de .confidérer d’abord,l’Amérique , dont le
fommet parcourt cenftamment la direêlion du nord
au midi ,.une bjen.plys grande longueur que peux
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de l’Europe & de l’Afie , joints enfemble, n’ en
parcourent d’orient en occident avec bien moins
de régularité encore, puifque ces fommèts ont
une infinité de coudes & de finuofités, & qu’ils :
ont de plus un bien plus grand nombre de chaînes .
dirigées du nord au midi > ce que les faillies des
grands promontoires indiquent afiez nettement
fur les côtes de la mer.
Le cours des fleuves les plus confidérables d’oc- j
cident en orient a donné lieu à cette hypothèfe , :
parce qu’il eft cenfé que ces fleuves font dirigés ■
dans leurs cours par deux chaînes de montagnes $ !
mais ce n’eft pas là envifager, fous le plus grand !
coup-d’oe i l , les grandes malfes de la Terre. Tout
fleuve qui defeend d’occident en orient fait connoître
que -la partie la plus élevée de tout fon
cours eft à l’occident, & que le fommet principal
a fa direâion du nord au midi. Si cette direction
éroit de l’orient vers l’occident, les montagnes fe
dirigeroient vers le midi ou vers le nord. O r ,
comme fur nos grands continens tous nos grands
fleuves fe dirigent vers l’orient & fe jettent dans
les mers orientales, fi l’on a égard à leurs fommets,
les premiers & les plus grands fommets de ces
continens font dirigés du nord au midi.
Si -nous voyons fous l’équateur des montagnes
plus hautes que dans les autres zones, & furtout
vers les .pôles, c’eft parce que ces contrées ont été
plus détruites >& plus profondément ravinées-par
les eaux courantes. Leur pafiage explique facilement
les afpcétsi réguliers que l’on remarque dans
ces montagnes i
C ’eft par la même raifon que les pays du nord
ne font point deflïnés comme les autres pays du
Monde, les eaux n’ étant point forties d‘ü fein de
la Terre avec le même degré de violence que fous
l ’équateur ; 8c parce que les eaux pluviales n’y
ont pas été-non plus aufli abondantes, les vallées
n 'y font pas exprimées aufli profondément que
dans les autres climats. Les montagnes, par coh-
féquent, y font peu confidérables, & l’on n’ y
voit point de ces fleuves d’ un cours immenfe &
continu, comme dans toutes les autres régions.
Mais il eft arrivé de là qu’y ayant moins de ces
grands fleuves qui réunifient les eaux d’une vafte
étendue da pays , il y a plus de bâftins ifolés dont
les eaux fe réunifient dans les lacs , 8c despuifards
particuliers tk en grand nombre, & qûe les inégalités
fuperficielles n’y étant point ■ deflinées &
fouillées à grands traits , ces inégalités y font d’autant
plus multipliées, qu’elles ont moins d’expref-
fion. Enfin , les continens polaires ne font pas fi
élevés -au-deffus des mers polaires que les continens
de l'équateur fur les mters de-Tëquateur, ce
qui eft conforme au récit de tous les obfefvateurs
qui ont vu ces deux parties oppofées des deux
extrémités de la Terre.
D ’ailleurs, ces parties de l’équateur, pour être
plus élevées au deftus des mers, & plus écartées
<iu.centre de la T e r re , n’en font pas plus folides
que celles des pôles qui font plus près de ce même
centre j- je les foupçonnerois même d’être plus
foibles à caafe des fouilles profondes que les
eaux courantes y ont fillonnées.
Depuis qu’ une partie des continens de l’hémif-
phère terreftre a été fubmergée par des mers
étrangères qui l’ont envahie, nos montagnes ne
forment plus de ces réfeaux & de ces chaînes
toutes fuivies 8c toutes entrelacées, qui réunif-
foient tous les fommets du Monde. Elles forment
préfentement de grandes ramificaiions qui paroif-
fept avoir leurs troncs, leurs branches 8c leurs
rameaux découpés ou plus étendus.
Je diftingue, par exemple, en Europe ^premièrement,
un fommet général qui fert de point de partage
à toutes les eaux des pluies & des fources, qui
de là fe jettent les unes dans les mers du nord, & les
autres dans celles du raidi.C’eft là le feul& vrai fom-
rnet de cette partie du Monde. C ’eft lui qui donne
aufli naifiance aux rivières & aux plus grands
fleuves : on pourroit le nommer fommet du premier
ordre". Je reconnois enfuite d'autres fommets
particuliers qui ne font point continus entr’eux
quoiqu’ ils puilfent l’avoir é té , mais qui ne paroif-
fent être que les branches du fommet général.
Ces fommets font les féparations que les anciennes
eaux courantes a voient entr'elles, même en marchant
parallèlement. Ils fervent aujourd’ hui de
point de partage aux eaux des fources qui leur
font propres, & des pluies en décident leurs cours
vers un fleuve ou vers un autre ,• comme le fommet
général le décide pour l’une ou l’autre mer:
on pourroit donc nommer ceux-ci fommets du fécond
ordre. De ces fommets particuliers il ne
fort ordinairement que des rivières} ils ont aufli
d’ autres embranchemens , lefquels ont encore les
leur. L’on pourroit fuivre très-loin cette divifion
du fommet des fleuves au fommet des rivières, de
ceux-ci au fommet des ruifleaux, 8c enfin ceux des
moindres fources , & les nommer du premier, du-
fécond, du troifieme & du quatrième ordre.
Il en fera de même à l'égard des vallées que
féparent tous les fommets dans leurs intervalles.
.Amfi je regarderois, par exemple, tout le terrain
qui porte fes eaux à la Seine, laquelle tombe
du fommet général dans la Manche, comme formant
une vallée du premier ordres enfuite tout le
terrain qui porte fes eaux à la Marne , laquelle
tombe dans la Seine comme une vallée du fécond
ordre j puis après tous les terrains qui portent
leurs eaux à la S aux, laquelle tombe dans la Marne
comme-des vallées du troifième ordre j enfin, tous
, les terrains qui portent fleurs eaux dans le rüif-
feau de Trois - Fontaines -, lequel tombe dans
la Saux comme une vallée du quatrième ordre }
définitivement, tous les vallons & vallées qui fe
rendent dans cette dernière, formeroint une vallée
! du cinquième ordre s’il s’en trouvoit, & ainfi
! de fuite tant qu’ il y en auroit d’ autres. Il eft im-
pofiîble qu’aucun lieu de la T e r re , fournis aux