
fur ceux de la Marne en defcendant du fommet
général. La Haute-Seine, l'Yonne & les rivières
qui s’y rendent, ne font pas tout-à-fait dans le
même cas, parce que leurs cours font aflez directs
& perpendiculaires fur la ligne du fommet général j
en forte que leurs eaux ne iont guère portées vers
un côté plutôt que vers l’autre. Mais fi ce phénomène
ne s’y difiingue pas, la carte détaillée des
montagnes & des fommets de ce pays en fer oit
connoïrre bien d’autres. Il n’en eft pas de même
des autres lieux où les eaux courantes ont eu un
cours circulaire : ces eaux fe font toujours rapprochées
du fommet extérieur .qu’elles ont formé.
C ’eft ainfi que le Loin g s’eft jeté fur les fommets
mitoyens de la Loire & de la Beauce en évitant
ceux de l’Yonne : c ’eft ainfi que l’Eure & la
Rille en Normandie, que l'Huigne & le Loir dans
le Perche & le Vendômois ont été fujets à la
même lo i, quoique leurs courbes foient tournées
dans un fens tout oppolé aux torrens ci-deffus.
Si l’on confidère toute la contrée qui porte fes
eaux à la Seine', contrée qui eft renfermée entre
les fommets de la Somme, de la Meufe, de la
Saône & de la L o ire , comme une feule vallée, on
y verra que tous les pays les plus fertiles & les
plus terreux de toute cette enceinte font fur le
revers méridional d’une grande vallée, parce que
le torrent général évicoit ce revers, & étoit entièrement
porté par la pente du terrain fur l’autre j
en forte que les vafes très-légères qui cherchoient
toujours à dériver hors du courant, s’échappoient
vers les lieux les plus calmes & les plus tranquilles,
lieux qui forment aujourd’ hui la Beauce & le pays
Chartrain, toute la Normandie & quelques autres
contrées des environs, toutes renommées par la
bonté du terroir, & qui même, fur leurs fommets
particuliers, font couverts d’une grande épaifleur
de terre. Tout le terrain qui porte fes eaux à la
Loire fait également admirer cette uniformité. Ce
fleuve femble aujourd’hui côtoyer avec une fin-
gulière affectation les fommets qui la féparent des
eaux de la Seine, parce que les eaux courantes
qui tombèrent fur ce fleuve des fommets de l’Auvergne
& du Limoufin, fe jetèrent fur fon revers
feptentrional, & détruifirent les terrains les plus
avancés qui couvroient le Berri, la Sologne, le
Blaifois & la Tpuraine, & c . & raccourcirent par
ce moyen ce revers dans tout fon contour. Par les
déblais immenfes de tous ces terrains , il s’eft formé
une grande excavation qui paroît à une grande
profondeur au deffous de tous les pays circonvoi-
lïns j ee qui eft très-remarquable lorfqu’on defeend
dans la Sologne par le nord ou par l'eft, & que
l’on va à Blois ou bien à Tours par Vendôme ou
par le 'Mans. A tous les terrains emportés ont fuc-
cédé plufieurs lits de fables & de grèves qui ont
rempli & recouvert une partie du fond de la vallée,
& qui forment des plaines fort étendues, furtout
le long du lit aCfcuel de la Loire, dans lefquelles
ce fleuve n’a préfemement qu’un canal in confiant
& peu affuré : dans d’autres parties de fon cours
il s’ eft amaflé de profonds lits de fablons, de
vafes & de limons, q u i, après avoir été de vaftes
marais, font devenus, au moyen du travail des
hommes qui les ont de fléchés par des levées 6c
des canaux, des contrées fort connues par leur
fertilité.
On peut remarquer ici en paffant, que dans tous
les lieux où le travail des hommes a donné des
lois à la nature, ce ne peut être que pour un
tems. Les fociétés & les intérêts politiques des
fociétés changent ; mais la nature tend toujours à
faire les mêmes efforts : fon cours peut être gêné
pour un tems, mais à la fin elle devient viéto-
rieufe. 11 m’a femblé que c'eft à la fuite de cette
connoillance tacite''que peut provenir cette tradition
qui eft venue jufqu’ à nous, que Tours ne
périra que par les eaux.
En effet, on peut prédire prefqu’ à coup fur que
toutes les villes fituées dans les pays bas & au milieu
des eaux courantes 6c environnées de rivières
, de canaux, d’éclufes & de levées, font en
danger d’être fubmergées, ou il faut un perpétuel
travail .pour fe mettre à l’abri des crues de fables
& de limons, & qu'il viendra un tems où la nature
reprendra le deflus, & rendra aux eaux un
cours que les plus puiffantes villes n’ont fait
qu ufurper. Une pareille prédiction , faite dans
l’antiquité, auroit paru merveiUeufe au vulgaire $
elle ne provient cependant que de quelques con-
noiflances des lois & du cours ordinaire & fou-
tenu de la nature dans l’hydrôlogie.
Je reprends la marche & le cours de la Loire ,
& je trouve que tout le terrain qui porte fes eaux
a la Mofelle, a été lu jet à la même loi > que les
eaux épurantes qui defeendoient du haut des
V ofges, tomboienttoutes fur lesfommets mitoyens
avec la Meufe qui fe trou voit à ces niveaux, &
fe portoient jufqu’au Rhin.
Le Rhin, dégagé du baflin de la Süifle, où il a
pris naiflance par des eaux abondantes, s’ eft jeté
aufli fur les Vofgfes, à côté defquels fommets il a ouvert
cette immenfe ravine oùeftaujourd’hui toute
l’A lface. La pofition confiante & invincible de ces
terrains a brife fon cours & l’a rejeté vers le
nord j & tandis que cet indomptable torrent atta-
quoit ces fommets & les côtqyoit derrière Colmar
& Schéleftat, il apportoit & accumuloit, fous
l ’abri du fommet oriental, les vafes qui forment
la fertilité du Brifgaw. Enfin, il en charioit encore
d’autres plus loin, qui, réunies à celles qu’ame-
noient aufli les eaux courantes latérales du Neffre &
du Mein, ont produit cette fertilité fi renommée
du Palatinat, fitué au confluent de ces rivières. J'ai
reconnu tous ces bons effets en parcourant toutes
ces belles parties de la vallée du Rhin.
Les eaux courantes de la Meufe ne fe font pas
trouvées dans la même pofition que toutes les
autres, & ont pris un cours qui leur eft particulier.
Toutes celles qui étoient dirigées vers l’occident
ont décrit des courbes du midi au couchant, 8c
celles dont la pente étoit vers l’orient, comme
celles de la Meufe, leurs courbes ont été dirigées
du midi vers l’orient} ce qui indique qu’ elles
étoient juftemçnt pofées fur le fommet mitoyen
de ces contrées, & qu’elles n’ont pas trouvé
d'obftacles pareils à ceux qui ont fait fléchir toutes
les autres & leur ont fait perdre leur direction naturelle.
Aujourd’hui encore, tout ce terrain long
& étroit qui porte fes eaux à la Meufe, doit être
regardé comme un fommet commun & fupérieur
à la Lorraine & à la Champagne. Le lit de la
Meufe, quoiqu’enfoncé dans fa vallée, eft fupérieur
aux lits des rivières des deux provinces ; ce
que l’on voitaifément vers Vaucouleurs. Lorfqu’on
eft au fommet qui fépare cette vallée de celle de
la Mofelle, il faut defeendre beaucoup plus du
côté de Toul que du cô:é de Vaucouleurs, & de
même, par rapport à la Marne, vers Joinville, &
à Lorne & à la Saux, qui s’y jettent vers Vitry-
le-François.
Le même travail des eaux s’eft opéré dans le
revers méridional du fommet général de la France.
Les eaux de la Saône, augmentées de celles du
Doubs , de l’ Ifère & de la Durance, ont toujours
côtoyé &c miné le fommet occidental, contre lequel
ces eaux tomboient de la Savoie & du Piémont
dans tous leurs cours.
C ’eft de la même manière que les fommets
particuliers ont été altérés & modifiés par les
eaux courantes qui font furvenues, & qu’une multitude
de terrains que l’on rencontre partqüt,
ont été produits. L’on v o it, par exemple, ce qui
a dû réfulter lorfque les eaux courantes, venant
de fommets différens & oppofés, ont été détermi- :
nées par la pente du terrain fur un autre fommet,
ainfi qu’il a dû arriver entre l’Europe & l’Afie par
les eaux du Don & du Volga. Ces fommets, tels
grands & tels forts qu’ils aient é t é , ont dû difpa-
roître partout en pareil cas.
Reconnoiflons ici feulement que le fommet général
de l’Europe, & que les fommets particuliers
de la France nous montrent, par leur direction,
la caufe de cette direction. Ils retracent la marche
des eaux courantes qui ont coulé généralement &
a plufieurs reprifes fur toutes ces grandes régions,
puifqu’un feul pafiage n’auroit certainement pas
été capable de lai fier des empreintes fi fortes &
d’une fi vafte étendue. Les dernières eaux courantes
ont trouvé des voies préparées par celles qui
les avoient précédées ; celles-ci par d’autres plus
anciennes, & celles qui pourront venir encore
fuivront les mêmes routes, & elles ne feront que
continuer ce qui a été commencé, qu’ agrandir
& multiplier les détails de toutes les inégalités que
nous avons obfervées. Ce font des faits fenfibles
& fimples. Ce font les traits véritables & naturels
dç la Terre, qui ont fait appercevoir par leur étendue
& le,ur grandeur, un enfemble merveilleux I
qui nous a fait voir l’origine & les caufes de toutes *
les inégalités dont la furface de notre féjour eft
univerfellement couverte.
Cette origine des montagnes a été inconnue
jufqu’ à nos jours. Elle a été diverfetnent expliquée
par toutes les nations, fuivant leurs génies & leurs
connoiffances j mais aucune n’a jamais rencontré
la vérité : tout ceci en eft une preuve incontefti-
ble. Quelques naturaliftes de notre fiècle ont commencé
à l’entrevoir > mais généralement dans la
plus haute antiquité , comme dans cet âge moderne
, les peuples ont réellement regardé la formation
des montages, celle du Globe & celle de
ce vafte Univers comme un feul & même fait.
Priufquàm montes fièrent, a ut formaretur Terra 6*
Orbis y a feculo & ufque in feculum tu es De us.
( Pf. 89, verf. 2. ) Vous êtes Dieu de toute éternité
, avant que les montagnes aient été faites &
que la Terre ait été formée. Numquid primus Homo
tu natus es, ù ante colles formatus ? ( Job, cap. 1 y ,
verf. 7. )
Ces expreflions font très-fouvent répétées dans
les écritures, 6c ont leurs fynonymes dans les l i vres
des Orientaux 5 mais il faut ignorer le génia
de ces langues & de ces peuples pour s’en tenir à
la lettre.
Si donciiy a ici un continent & là une mer, là une
plaine immenfe & ici une énorme montagne , là un
confluent de rivière & ici un point de partage des
eaux ; fi nous voyons une prairie & un pâturage
pour nos troupeaux, & tout auprès une terre propre
au labour, ici du limon & ailleurs du fable ;
s’ il y a au Monde une Arabie pétrée au deflus
d’Une Arabie déferte, 8: a côté d’une Arabie heure
ufe j fi les fommets de l’Euphrate , comme ceux
du Rhin, font hérifles de monragnes ; fi au contraire
fon confluent avec le T igre a toujours été un
pays riche & fertile, & eft encore, comme autrefois
, le paradis d e l'A fie jfi enfin toutes les montagnes
qui en forment l’enceinte, ont des formes
arrondies & tronquées comme toutes les autres
montagnes du Globe , ce ne font pas là les ouvrages
de la toute-puiflance, mais tous effets de la
nature. Je ne peux pas dire avec M. Pluche : A fon
ordre , les collines s’élancent 6c les vallées fe
creufent, & js_ne dois plus prendre à la lettre une
infinité d’expreflions de la Bib le, que le ftyle &
le feu du génie oriental rendent encore plus fu-
blimes, & tout-à-fait dignes de la majefté divine.
Ce ne font plus que des expreflions figurées qui
nous annoncent en grand des faits dont la nature
nous montre les détails & les agens. Elle eft ici la
feule & la digne interprète de l’Ecriture.
C ’ eft bien à tort qu’Ovide fait conftruire les
montagnes par Jupiter à fon premier commandement,
former des plaines, creufer des vallées,
peupler les forêts de la plus belle verdure.
Ju jfit, & extendi campos , fubfideYe v aile s ,
Fronde legi JLLyas, lapidofos furgere montes,
T o u s c e u x o u i , c o m m e O v i d e , p a r c e s d e u x Nnn 2