grandes. Leurs formes font un peu groflîères , &
elles paroiffent robuftes } mais elles n'ont point les
agrémens qui diftinguent leur fexe. Elles connoif-
fent les lois de la chafteté, & ne fe livrent point
à la proftitution fi commune dans les îles du tropique.
Cependant leur fort eft très-éloigné d’être
heureux : les hommes ne leur témoignent aucun
égard : elles n'ofent les approcher, & paroiffent
craindre de les offenfer même par leurs regards ou
par leurs geftes.
La.nature a doué ce peuple d’ un excellent caractère,
& , fur ce point, il furpaffe toutes les
nations qui ont été reconnues dans ces contrées
lointaines. Les Calédoniens font peu curieux, très-
indolensj mais la bonté, la douceur, l'honnêteté
de leur ame fe peignent fur leur vifage , & rien
-dans leur conduite ne dément ces qualités pré-
cieufes, auxquelles il faut en ajouter une fort rare
parmi les Infulaires de la mer du Sud , c'eft qu'ils
n'ont pas le plus léger penchant au vol. Ils ont
encore avec eux cette différence remarquable} ils
n'effaient point de chaffer les étrangers qui abordent
fur leur côte : au contraire ,‘ ils les reçoivent
comme des amis, & , dès la première entrevue,
ils ne montrent ni crainte ni défiance, & laiffent-
errer librement dans leur pays.
Comme la nature a répandu avec réferve fes
faveurs fur cette î le , il eft très-étonnant que les
habitans, au lieu d’être fauvages, défians & guerriers,
comme à Tanna , fe trouvent paifibles , civils
, bienvei’.lans & peu foupçonneux. Ce qui n’eft
pas moins furprenant, en dépit de la ftérilité du
loi & du peu de fecours qu'ils tirent des végétaux,
ils font plus gros, plus grands, & leur corps eft
plus nerveux. Peut-être qu'il ne faut pas chercher
uniquement dans la diverfité des nourritures les
caufes de la différence de ftature & de taille des
nations. La race primitive d'où defcend ce peuple
peut y avoir contribué. Suppofons, par exemple,
que les naturels de la Nouvelle-Calédonie viennent
d'une nation q u i, vivant dans l’abondance & fous
un heureux climat, avoit pris une forte croiffance,
la colonie qui s'eft établie fur le mauvais fol de
cette île confervera probablement, pendant plusieurs
générations , l'habitude du corps- de fes
ancêtres. Le peuple de Tanna a peut-être fubi une
révolution contraire} & s'il defcend. d’une race
-petite & grêle, telle que celle des.Mallicolois, la
richeffe de fa contrée n'a peut-être pas encore pu
changer ces germes primitifs de foibieffe. -•
Les Indiens deilaNouvelle-Calédonie font les feuls
de la mer du Sud qui n'aient pas à fe plaindre de
-l’arrivée des Européens parmi eux. Quand on con-
fidère combien il eft ailé de provoquer la violence
des maries qui fe jouent fi légèrement de là vie
des lniulaires * on doit avouer qu'il leur a fallu un
degré extraordinaire de bonté pour ne point attirer
fur eux un feul aéte de.brutalité. Lesphiîofo-
phes qui prétendent que le>cara£tère, les moeurs,
le génie d’une nation dépendent entièrement du
climat, auront peine à expliquer les difpofîtîons
pacifiques des habitans de.la Nouvelle-Calédonie.
Si l'on dit qu'ils ne font pas défians parce qu'ils
n’ont rien à perdre, on ne réfoudra pas la difficulté
, puifque les naturels de la Nouvellc-'Hol-
lande , fous l'influence d’un climat & d’ un fol
pareils, & dans une fituation encore plus déplo-,
râble, font farouches & infolens. Cette heureufe
difpofition des Calédoniens n’ eft pas un effet de
l ’ignorance de la guerre & de la difpute, puif-
qu’on obferve chez eux tant d'armes offenfives. Ils
ont des ennemis à combattre , & le peuple d'une
île appelée Mingha, peuple d'un caractère bien
différent du leur, & qui eft antropophage, eft la
nation avec laquelle ils ont des querelles fan-^
glatîtes. A l’horreur qu'ils montrent pour ceux qui
mangent de la chair humaine, on voit que leur
civiiifationeft beaucoup plus avancée en ce point,
que celle de leurs voifins plus riches. Ils n'ont
cependant pas encore atteint ce degré où l'efprit
i eft affez perfectionné pour ne point méprifer le
! fexe. Leur caraCtqre trop grave, trop indolent ne
peut être captivé par les careffes des femmes ni
apprécier les jouiltances domeftiques. Ils font quelquefois
obligés de travailler beaucoup pour pourvoir
à leur fubfiflance} mais ils paffent dans le repos
leurs heures de loifir } ils ne fe livrent jamais à ces
petites récréations qui contribuent tant au bien-
être des hommes, & qui répandent la gaîté & la
vivacité fur les îles de la Société & des Amis. On
ne remarque À la Nouvelle- Calédonie aucun inftru-
! ment de nautique , excepté un fiffiet d'un petit
morceau de.bois brun p oli,d ’environ deux pouces
de long, & de la forme d’ une cloche. Il eft folidë
en apparence, & il a une corde attachée à la petite
extrémité,'deux trous près de la ba f e , & un troi-.
fième près dé la corde. Ces trous communiquent
■ entr'eux. En foufflant dans celui de deflus > il fe
forme.dans l'autre un fon aigu, pareil à un fiffle-
ment. On ignore autiî s'ils ont des danfes •& des
chanfons } mais on a lieu de fuppofer qu'ils ne
lient prefque jamais Ois parlent aufli très-peu , &
fe livrent difficilement au plaifir de converfer avec
les étrangers. Leur langue paroît informe, & leur
prononciation eft fi co.nfufe , que les vocabulaires
qu’on a faits des mots dont iis le fervent, diffèrent
beaucoup les uns des autres. Quoiqu'ils aient peu
de confonnes dures, ils reviennent fouverit aux
gutturales, & i s ont quelquefois un fon nazal ou
rhinifmus qui embarrafîe communément ceux qui
ne connoifient d'autre langue que l’anglais. L'éloignement
de leurs plantations prévient peut-être
cette communication familière qui introduiroit peu
à peu le befoin de la focieté. Comme leur pays
n'eft pas fufceptible d’ une grande-culture,, le meilleur
moyen de hâter leur civiliiation feroir d'y
tranfporter les quadrupèdes.que peut nourrir l'île ;
par exemple, des cochons & des chèvres : ces dernières
réuflîroie.nt très-bien dans cette contrée
lèche. .
Les hommes vont absolument mis, fi on excepte
une petite pagne qu'ils replient quelquefois autour
de la ceinture ou qu'ils laiffent flotter, & qui ne
fert pas plus de voile à la pudeur , que celui des
M a 11 i colois. L-.-s femmes n’ont pour tout vêtement
qu'une jupe courte, comppfée de fibres de banan
e s , d’environ fix ou huit pouces d'épaifleur,
mais dont la longueur n'eft pas plus confidérable
qu il le faut pour l’ufage auquel elle eft deftinée.
Les filamens extérieurs font teints de noir, & la
p’upart garnis de nacre de perle fur le côté droit.
Les deux fexes fe parent également de pendans
d’oreilles d’écaille de tortue, de bracelets qui fe
portent au deflus du coude, de coquillages & de
pierres. En divers endroits du corps ils fe tatouent
la peau} mais ces piqûres ne font pas noires comme
dans d'autres îles.
La lèpre.affeCte beaucoup les habitans de la
Nouvelle-Calédonie : on en voit qui ont une jambe
ou un bras , & quelquefois lès deux enfemble, ;
d’une groffeur énorme. En touchant ces membres
on les trouve très-durs} mais la peau n’eft ni également
groflière ni également écaillée dans tous
l.s malades. L'expanfion démefurée de la jambe
eu du bras ne paroît. pas les gêner à un certain
point, & , autant qu'on peut le comprendre, ils
y fenient rarement de la douleur. Quelques-uns
cependant ont une efpèce d’excoriation où fe forment
des puftules qui annoncent un plus grand
degré de pourriture. Néanmoins cet état ne fe
montre point fous un afped allez dangereux pour
penfer que le malade rilque de perdre la v ie , &
l'on en voit q u i, à leiirs cheveux blancs & à leurs
rides , annoncent une grande vieillefîe. La lèpre,
dont cette éléphantiafis ou enflure extraordinaire
eft une efpèce, fuivant l'opinion des médecins,
fçmble être une maladie, particulière aux climats
fecs & brûlés. Les pays qu’elle défoie le plus, tels
que la'côte du Mjlabar, l'Égypte , la Paleftine &
toute l'Afrique, eftuient fouvent des fechereffes ,
.& renferment, en plufieurs endroits, des déferts
fabloneux. On obferve encore que prefque tous
les Calédoniens ont le ferotum enflé 5 mais on
ignore fi ce gonflement eft occafionné par quelque
maladie., ou s'il eft caufé par la pagne dont ils
.font ufage. . , ,
Leurs maifons, du moins pour la plupart , font
conftruites fur un plan circulaire} elles ne reffem-
blent pas mal à des ruches d’abeilie.s, & elles ne
font ni. moins clofes ni moins chaudes. L’entrée
.eft un long trou carré, préçifément de la grandeur
qu'il faut poiir adnlettre un homme plié en deux.
D.u plancher à la naiffance du toit la hauteur eft
de quatre pieds & demi > mais le to it, qui eft d’une
élévation confidérable, fe termine èn pointe au
Tommer,. au defius duquel s’ élèyè un poteau orné
de b a s-relié fs ou de coquillages, ou des deux à la
fois. Ces huttes font conftruites avec des perches,
des rofeaux > & c . , & les deux côtés , ainfi que le
to it, font épais & bien couverts d’un chaume de
longues herbes groflîères, Drns ^intérieur de ta
cabane il y a des poteaux dreffés qui fouiiennenc
des échafaudages de lattes , où ils placent leurs
provifions ou toute autre chofe. Quelques-unes.de
ces maifons ont deux planchers l’un fur l’autre. Sur
le plancher eft répandue de l’herbe lèche, & çà 8i
là on voit des nattes étendues, deftinées à fetvir
aux maîtres de lièges pendant le jour, & de lit
pendant la nuit. Dans la plupart on remarque deux
foyers , & communément un feu allumé» & comme
la fumée h’a d’autre iffue que la porte , toute la
maifon eft fi chaude & fi enfumée» que quand on
n’eft point habitué à une pareille atmofphère, il
eft impoffiblê d’y refter un moment.
Voilà fans doute pourquoi ces peuples font fi
frilleux en plein air s’ ils ne font pas d’ exercice.
On les voit fréquemment allumer de petits feux ,
& fe ranger autour afin de fe réchauffer. Peut-être
eft-il néceffaire que les maifons foient ainfi enfumées
pour en écarter les moufquites qui font très-
multipliées dans cette île. A quelques égards il y
a de la propreté dans ces habications ; & fi d’ailleurs
elles paroiffent peu convenables dans un climat
chaud» elles ferment du moins bien entendues
fous un ciel plus rigoureux.
Les uftenfiles de ménage fe réduifent à peu de
chofe : une jarre de terre eft le feul digne de remarque.
Ces Infulaires s’en fervent pour cuire leurs
racines, & fans doute leurs poiffons ; car ce font
ces deux articles qui compofent leur nourriture
journalière , ainfi-que l’écorce d’ un arbre qu’ ils
■ grillent & mâchent continuellement. ■
Leurs armes fonrdes maffues., des lances , des
dards & des frondes pour lincer les pierres. Les
maffues » longues de deux pieds » ont divetfes
formes; quelques-unes reffemblent à une faux» &
d’autres à une hache. Il en eft donc la tête eft pareille
à celle d’un faucon-, & d’autres qui font à
tête ronde; mais toutes font proprement travaillées.
Plufieurs de leurs lances & de leurs javelots
font faits avec le même foin , & ornes de bas-
reliefs. Les frondes font auffi Amples qu’il eft
poflîble ; elles reffemblent beaucoup aux glandes
plumbcs des Romains; mais pour les pierres qu’ ils,
lancent, ils prennent la peine de les polir, & de
leur donner à peu près la configuration d’un oe uf,
également gros par les deux bouts. Pour lancer la
pierre-ils fe ferveut d’une corde comme à Tanna.
Ils font un grand ufage du dard pour le poiflon, &
fon ignore s’ils ont une autre manière de prendre
de gros poiffons ; car on ne voit parmi eux ni
hameçons ni lignes. Ils paroiffent habiles pêcheurs,
& les récifs qui entourent leur île ont dû leur
donner ce genre d’induftrie.
11 eft peu -néceffaire de parler des outils dont ils
fe fervent, tant pour l’agriculture que pour le
peu d’ouvrages mécaniques qui fortent de leurs
mains ; ils ne diffèrent guère, pour la matière &
j pour la forme, de ceux qui font en ufage dans les
- autres îles. Leuishacbes pourroient paroître d’une