
fc’ i o D E L
J’ai fait obferver, dans les notés précédentes/
que la quantité d’eau verfée lur les continens par
les pluies , étant fuffifante pour tous les befoins
de la nature, il étoit inutile d’imaginer des réfer-
yoirs d’eau immenfes , placés dans 1 intérieur du
globe , pour fournir à fes befoins > mais je ne puis
ici me borner à cette objection. Si ces amas d eau
considérables peuvent être de quelque Secours a
Sénèque ou à fes partifans pour inonder la Terre ,
iî cette eau foutenaine. Sortant de fes réfervoirs
par les Sources, peut former des torrens qui Se
déchargent dans la mer, & la faffent déborder Sur
les continens , de manière à couvrir les plus hautes
montagnes, je ne puis condamner cette refSource
qu’autanr que le jeu de ces eaux & leur éruption
entraîneroient quelques inconvéniens, ou Seroient
contraires aux principes de l’hydroftatique.
Une Source eft l’orifice d’un canal Souterrain
qui verSe au dehors l’eau que Sa pente y conduit
par une affluence ménagée. Les Sources ne peuvent
donc tirer leurs eaux que de réSèrvoirs placés intérieurement
au deflus du niveau de leur orifice ;
car il eft nécefTaire que 1 écoulement de 1 eau des
Sources, comme de toute autre eau qui circule a
la Surface du globe, Soit favorife par la pente &
par l’impulfion de l’eau Supérieure, qui pèle Sur
celle qui Sort à chaque inftant, & qui tend a la
remplacer à mefure qu’elle Sè vide.
En conséquence de ce jeu uniforme de l’eau des
Sources , il eft clair que, pour fournir à leur entretien
, elle doit rélîder dans les lits voifins de la
Superficie de la Terre. Elle y eft retenue d ’ailleurs
par les couches d’argile qui Servent à ftratifier les
conduits Souterrains où elle Se raflemble, & qui
lui ferment tellement toute ifTue, quelle ne peut
pénétrer à une certaine profondeur, ni communiquer
avec les réfervoirs intérieurs quand même
ils exifteroient. D’après ce plan de diitribution de
Peau des Sources , il s’enfuit qu’elle ne peut être
hue le produit des pluies. .
Toute autre manière de concevoir l’origine des
Sources & leur entretien étant contraire aux principes
de i’ hydroftatique , il en réfulte que les réfervoirs
Souterrains, places au defîous du niveau
de la mer, n’o.nt pu verfér leurs eaux par les Sources
, & fournir aux torrens qui dévoient Se précipiter
dans le baffin de la mer ; & qu’ à cette profondeur,
non-Seulément l’eau eft perdue pour la
circulation extérieure qui s opéré a la Surface du
£lobe , mais encore qu’elle n’ a pu concourir à I i-
nondation générale, telle que l’a décrite Sénèque.
D ’après ces principes , il faudra donc placer les
réfervoirs d’eau, lion a recours à cette reflburte,
dans .les parties Supetikièlles du globe , c’eft-à-
Idire:, dans la Seule màffé des continens, élevées
a u deflus du niveau de la mer. O r , ce nouvel arrangement
n’ eft pas fans inconvénient;;'car là malle
de tous les continens, élevée au deflus du niveau
de la mer , peut-elle offrir des cavités foutérrai-
nes, propres à renfermer une quantité d’ eau q u i ,
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ajoutée au volume aéluel, combleroitle baflîn de
la mer, & couvriroit les plus hautes montagnes.
11 eft vifible que, d’après la conftitution des couches
de la Terre , que nous connoilîons, ces amas
d’eau ne peuvent exifter ni fufflre aucunement
à l’inondation générale.
Je veux bien cependant fuppofer que ces cavités
Souterraines renferment une quantité d ’eau
Suffisante, & qu’elles peuvent la verfer par les Sources;
il lurviendra encore beaucoup de nouveaux
obftacles avant que le globe Soit totalement inondé.
On n’a pas prévu fans doute que cette eau,
produite par les Sources abondantes, a autant de
facilité à rentrer dans les cavités vides, qu’ elle
en a eu à Sortir de ces cavités. A infi, à mefure que
l’eau de la mer pourra fe répandre fur les continens
, & qu’elle rencontrera l’orifice des Sources,
elle remplira de nouveau les cavités Souterraines,
dont les fources font les débouchés, & tout ce
qu elles contiendront, fera perdu pour l’inondation.
D’après ces reflexions , il eft aifé de démontrer
qu’en, fuppofant une quantité d’eau fuffifante
pour opérer une inondation générale, & cette eau
contenue dans les cavités fouterraines, diftribuée
uniformément par toute la mafîe des continens,
on n’inonderoit que la moitié du globe , c’eft à-
dire , toutes les parties les plus baffes, puiSque la
moitié des cavités Souterraines adroit réablorbé
l'eau qu’elles auroient fournie d’abord.
Concluons de cette dtfcufîion, qu’il eft impoffible
que les magafins d’eau Souterrains & l ’éruption
forcée des Sources concourent efficacement à l’inondation
du globe.
Examinons maintenant fi la chute des pluies
abondantes pourra remplir avec plus de Succès les
vues de Sénèque. Les pluies Sont dépendantes de
l’évaporation de l’eau qui fê fait Sur la mer & lur
les continens, & de la diflolution de cette eau dans
l’atmofphère. Comme produit de l’évaporation
qui puife dans un fonds d’eau connu & donné, il
s’enfuit que les pluies ne peuvent Fournir à la mer
une nouvelle mafle d’eau qui Serve à inonder le
globe. Les vents élèvent les vapeurs où il ne pleut
pas , pour les voiturer ailleurs ,où elles Se résolvent
en pluies. Ainfi ileftégalementimpofTible que l’évaporation
ait lieu continuellement Sans qu’ il pleuve
quelque part, & qu’il pleuve abondamment fans
quel évaporation fournifle àladépenfe de la pluie.
La quantité d’eau qui tombe Sur lè globe ne peut
être plus abondante que celle qui s’élève de la Surface
terraquée. Les pluies ne régnent que dans certaines
contrées, & ne produisent que des inondations
locales. La mer ne débordera donc jamais
êri conséquence des pluies abondantes, qui ne Sont
qu’ un déplacement de l ’eau, déjà fbbfiftanteàela
furface dü globe. La mer a dû donner avant que dê
recevoir : elle ne s’enrjehit que de. Ses largefiesj
elle.ne reprend, par les pluies, que ce qu’elle a
perdu par l ’évaporation.
D E L
D E L (Si
Donc les pluies n’ont pu fervir J l’ inondation
^Lorfqù’ on lit dans Sénèque la manière dont il
fait concourir les fources & les pluies au déluge-, il
femble que rien n’eft plus vraifemblable que 1 tu-
fluence de ces caufes s mais dès .qu’on réduit le jeu
de tous ces agens à l’économie de la nature , on
trouve qu'ils font tellement affujettis a des lois ,
au’il n'en peut réfulter aucune révolution, aucun
défordre , 8c que ces lois çirconfcrivent la conlti-
tution aétuelle dans des limites trop précifes/ pour
permettre des écarts femblables à ceux que certains
phyficiens fyftématiques fuppofent prefqu a
chaque pas, uniquement parce qu'ils en ont befoin
pour appuyer leurs frivoles hypothetès. .
Mais le changement de la terre en eau feroit-u
capable de fuppléer à l’ infuffiCmce des deux premiers
moyens ? Suivant Sénèque lui-meme, il paroît
que cette tranfmutation ne peut s’opérer que
lentement 8c par des progrès infenfibles : outre
cela ces tranfmutations font réciproques, 8c 1 eau,
fuivant fa doftrine, peut fe changer en terre. O u
on ne peut compter Sur un moyen fi borne & il
incertain. Pour produire des révolutions p a r e ils
au déluge, il faut des caufes aufli violentes qu efficaces
, aufli certaines qu'étendues. On abrégé
toute difeuflion, on écarte tout embarras en con-
fidérant le déluge comme un evenement miraculeux
oui n'a pu dépendre de l'ordre naturel ni influer
fur cet ordre. Tant qu'on mettra en jeu pour ces
fortes d’événemens des agens connus, op s expofera
à effuyer autant de contractions q u 'ily a a agens,
& à déranger la marche de ces agens par autant de
miracles. Il femble que lorfqu on étalé ainfi la
beauté d'une opération miraculeufe , on oublie
qu’un miracle , aux yeux d un phyficien, eft un
2ut fans moyens, un fait fans circonftances, un
réfultat fans concours de caufes. I
Loin que Sénèque ait eu recours a cette ret
fource , il femble adopter entièrement 1 opinion
des philofophes qui penfoient que les caufes naturelles
du déluge étoient combinées de maniéré
que pat des progrès infenfibles, elles amendent
infailliblement l’époque 8c le jour fatal de cette
révolution. Il eft vrai que ces moyens ne font pas
allez rolidement établis pour qu on puUle les admettre.
Les plus efficaces font les afpefts des planètes.
Il eft évident, par ce que nous avons dit ,
que ces caufes ne peuvent éprouver des accès pe,
tiodiques d’augmentation tant qu elles relieront
afïujetties à l’économie aétuelle de la nature.
Il eft fingulier que Sénèque nous parle du déluge
comme d’ un événement futur plutôt que comme
une cataftrophe des premiers âges.du Monde. 1,
n’ ianoroit pas fans doute tout.ee que les traditions
l'Univers, il i cru en rendre la peinture plus mte-
reflante en le faifant envifager comme un objet
d’efpérance 8c de confolation pour les ftoiciens ,
q u i, alarmés des vices de toute efpèce dont ils
étoient témoins, attendoient une nouvelle terre
peuplée d’habitans. vertueux. C ’eft pour cela que
ces philofophes regardoient la grande maffe d eau
contenue dans le baffin de la mer 8c dans les réfervoirs
répandues chez les peuples anciens nous en
ont appris. Mais confidérant le deluge comme un
moyen violent 8c ptompt de détruire le vice *c de
ramener l’heureux règne des vertus , 8c jugeant « r • _ .. ' __n A n r n u r ih p r
foutertains comme l’efpoir d’ un Monde
futur , futuri Mundi fpem , comme un organifateur
univerlèl. _. .
Cette confidération nous conduit aux effets «
aux fuites naturelles du déluge. Sénèque, ne paroit
pas fort occupé de cet objet intéreffant; il envi-
fage feulement, fous un point de vue general, les
tranfports immenfes des terres 8c des rochers par
les torrens qui fqccèdent aux fleuves, 8c il fuie de
même les changemens étonnans qu’une maffe d’eau
confidérable devoir preduire fur les continens à
mefure qu’elle s’y répandoit ; enfin il charge cette
eau d’ organifer la nouvelle Terre deftinée .à recevoir
de nouveaux habitans, mais il n’en décrit au-
cune opération particulière i il fe bâte de faire
rentrer l’ eau dans fes anciens réfervoirs, dans fes
anciens baflins, pour découvrir les continens qu'il
prépare à l’innocence Çc à la vertu. _ .
C e que Sénèque n’ avoit qu'indique-, des phyii-
ciens modernes l'ont expofé en détail, en traçant
le plan de toutes les opérations du déluge ; 8c il faut
avouer qu’ils ont tout ofé dans cette partie. C ’eft,
félon eux, l’eau du déluge qui a formé les couches
horizontales du globe par les fédimens des terres
qu’elle avoir délayées, 8c qui a tranfporté 8c dit-
pofé dans ces couches les coquillages quelle a tires
du fond de la mer. C ’eft cette eau qui, en quittant
les continens, a creufé toutes les valléesSc produit
toutes les inégalités qui fe trouvent à la fur-
focede la Terre ; en un mot, tous les phénomènes
qui ont embarraffé les naturaliftes ont été confi-
üérés comme l’ouvrage du deluge.
j II eft vrai qu’à mefure que ces phénomènes ont
j été connus plus en detail, 8c qu on en a mieux failî
! l'étendue , la régularité St l’enfemble , on a ceflé
! de rapportera un événement fortuit, palfager,
1 tumultueux , un travail qui demande plus de terns
que de fo rc e , q u i, obfervé avec, foin 8c bien
apprécié, s’annonce plutô t comme le réfultat d une
fuite infinie de petits effets, que comme le produit
brufque de grandes caufes. On a trouvé étrange
que la nature en tourmente , comme nous.la peint
■ Sénèque, fans frein , fans lois , Jolu-.a leglbus, livrée
à une anarchie.générale, ait plus fait d’opérations
dans le court efpace de tems que la révolution a
pu durer, qu’elle n’en avoit fait pendant la longue
Fuite de fiècles qui a précédé & fuivi cette révolution,
8c furtout lorfqu’elle opéroit fous l’ empire
des lois dont nous admirons l’a&ivité & la (agefle.
Enfin, on n’ a point vu fans étonnement que la mer
ait eu en réferve, au fond de Son baflîn, l.i quantité
: ____ r „ J« ^ A i t î lL x rT c c n u i (Vint rit fr> P. r f s S dilîlS