
d'une mer calme 8c tranquille. J’ajouterai feulement
un fait qu’il n'a point fans doute été à portée
de voir, pui{qu'il n’en a fait aucune mention. J’ai
vu dans quelques-uns des trous dont on tiroit le
falun des veines horizontales d’une pierre grife
formée d'une fubftance iimoneufe & fine, & dont
la qualité préfente étoit dure^quoiqu'encoreTort
graife : cette pierre étoit remplie d’une infinité de
daCtiles ovales & gros comme des noix moyennes. Ce
coquillage, quoique compris dans la pierre, n'étoit
point adhérent à la loge qui le renfermoit. En agitant
la pierre, on fentoit Ion mouvement, & en la
caftant il fortoit avec facilité ; mais il étoit d’une
fi grande délicatefle, qu'à peine pouvoit-on le
toucher. Néanmoins la pierre n'en contenoit aucun
qui ne. fût entier. Je n’en trouvai nul fragment
détaché, & les loges continues & placées les unes
très-près des autres n'en contenoient jamais plus
d'un. Je ne crois pas qu’il puifle y avoir de dé-
monfiration. plus évidente de la tranquillité qui
régnoit dans ces contrées, quand la nature a opéré
la multiplication de tous ces êtres1 &: des bancs qui
les renfermoient. Le féjour de la mer, calme &
paifîble,y eft tellement prouvé, que jehafardai de
demander à un curé, d’où tous ces coquillages pou-
voient provenir ; il me répondit qu’ils avoient été
apportés par les eaux du déluge. Me trouvant fi
éloigné de la réponfe qu’un homme d’étude 8c de
bon fens devoit me donner, je fis la même quef-
tion à un payfan, q u i, fecouant la tête comme un
homme qui réfléchit, me répondit, en fon patois,
qu’il falloit bien que fon pays eût été autrefois
un trou dé mer, voulant dire un lieu où la mer
devoit avoir féjourné. J'admirai combien le fens
droit de ce payfan avoit d’avantage fur l’opinion
de fon .curé; qui d’ ailleurs avoit l’efprit a fiez
cultivé. Mais, fur cette matière, l ’efprit de. l’un
avoit fon reflort naturel -, celui de l’autre'ne l’avoit
plus, & par état il ne devoit plus l’avoir.
De tous les corps étrangers que nous trouvons
dans les différentes parties de l’hémifphère terref-
tre , il y a encore une conclufion très-importante
à tirer. Nous avons dit qu'indépendamment de
tous les corps marins, on trouvoit aufli des vef-
tigés d’animaux 8c de végétaux terreftres; & ce
n'efl pas feulement dans les bancs fuperficiels
qu’ils le rencontrent, c'eft:suffi dans des carrières
profondes & fouvent au deflous des autres lits
réguliers où les coquillages fe trouvent avec tant
d'abondance; ce n’eft point non plus,dans les
dépôts des dernières eaux courantes, c’eft dans la
maffe même des terrains qu'elles ont tranchés.
Ainfi ces fubftances étrangères ne peuvent être que
beaucoup plus anciennes dans leurs pofitions 8c,
leurs gîtes, que je paffage des eaux courantes à’ !
travers les terrains, où on les découvre.
Je peux dire:, premièrement, qu'il eftinécefiaire! |
que les eaux qui ont apporté & élevé les maté-j
riaux des différ.ens lits où ces corps étrangers font
contenus, aient été tranquilles & courantes ; tran- [
quilles parce que la conftruétion générale des lits
eft régulière & parfaite ; 8c courantes, puifqu’ on
y trouve des corps étrangers à la nature des lieux
où ils font, 8c qu'ont amenés ces eaux. 2°. Il eft
néceffaire que ces lieux aient été des endroits bas,
& que toutes ces parties & les differens êtres
dont ces dépôts font formés, foient defcendus de
lieux plus hauts & plus élevés, o u , ce qui eft la
même chofe, on doit penfer que fi nos continens
ont été dans un certain tems des baflins de mer
qui contenoient des poifibns & des coquillages, 8c qui étoient le rendez-vous de toutes les vafes 8c de tous les dépôts réguliers & parallèles que
nous obfervons, il y avoit aufli, dans ce même
tems, des parties de continens élevés au de (Tus des
eaux, qui prodnifoient les .végétaux dont nous
trouvons les efpèces, & fur lefquels vivoient les
animaux terreftres dont nous trouvons les dépouilles;
& qu’enfin, fi nous voyons des pierres
; brifées, des fables, des terres, des végétaux, des
; minéraux & des corps terreftres & marins faire
| partie du folide de toutes nos contrées & de nos
: continens fecs& découverts, quoiqu’ ils foient l’ouvrage
des eaux, tous ces mélanges extraordinaires
ne peuvent provenir que d’ une révolution q u i,
dans le même tems où elle a donné à la Terre la
fîtuation préfente, en a changé une autre plus ancienne.
Cette conclufion reçoit une application
très-naturelle, à ce que l’ obfervation nous apprend
fur l'état du Globe. .
Sur les apparences de ce nouveau Monde qui
fe découvre à nos yeux , quelle forme pouvons-
nous donner à l’ancien ? De quelle nature pouvoit-
il être ? Et où ces vieux continens pouvoient-ils
être placés ? Si tous ceux que contient l’hémifphère
terreftre étoient réellement des lieux bas 8c dés
mers profondes, comme qn ne peut en douter , le
feul emplacement qu’ils aient pu 8c dû avoir ne
peut être fans contredit que celui même de ce
vafte Océan qui remplit l’hémifphère maritime &
qui environne aujourd’hui de-toutes parts l’hémif-
phère terreftre.
A l’égard de la nature des anciens continens >
par tout ce que nous pouvons connoître du fond
des mers qui les occupent aujourd’h u i, les terres
qu’elles ont fubmergées lors de l’apparition des
nôtres, étoient, dans leur fuperficie, couvertes
des mêmes inégalités que les nôtres. Les îles fans
nombre dont ces mers font remplies, font voir
qu’ils étoient variés de haut & de bas, de vallées
& de montagnes,. par conféquent qu'ils de voient
avoir été fujets, de la part des eaux des fources
& dies pluies , aux mêmes viciflitudes, tantôt
d’unemarche périodique & confiante, comme font
les débordemens annuels, & tantôt d’une marche
extraordinaire , par des eaux courantes qui au-
roient roulé fur ces continens comme ils ont roulé
fur les nôtres. C e n’eft que par de tels agens qu’ont
pu être.conftruites au fond des mers les couches de
aos continens.
Pour
Pour nous en convaincre, nous pouvons facilement
nous former l’idée de ce qui s'opère prefen-
tement au fond de l’Océan, par le tranfport dès
vafes & des autres matières terreftres qu’y font per-
étuellement les fleuves 8c les rivières fans nom-
re qui s'y dégorgent, & nousrepréfenter enfuite
ce qui doit réfu ter du mélange de toutes les matières
animales & végétales qui s’unifient 8c s’al-
li- nt avec les productions de la mer qu’elles rencontrent.
Depuis plus de foixante-quatre fiècles que ce
tranfport continuel s'opère a notre connoiflance,
il y a dés lieux, furtout au dégorgement des grands
fleuves, qui font fujets à des débordemens annuels,
& à des crues réglées, où les lits de vafes doivent
avoir acquis une épaiffeur des plus confïdéfables.
( Voyeç C r u e s . ) Ces vafes, portées plus ou moins
loin par le courant, fuivant leur volume & leur
gravité, s’y dépofent fur des épaifleurs plus ou
moins grandes, qui diminuent à mefure que la
force ralencie du courant ne peut plus fe charger
que de parties légères 8c infiniment iubdivifées ;
en forte qu'il y a des lieux dans les mers , où les
fleuves font des dépôts chaque année, qui ne doivent
avoir que la millième partie d'une ligne, d’un
pouce , d'un pied , de deux 8c plus enfin; où les
accroifiemens auront été d’une ligne chaque année,
cela aura produit en tou t, depuis ces foixante-
quatre fiècles, quarante-cinq pieds; où ils auront
éué d'un pouce , ils fe feront élevés én tout
de quatre-vingt-dix toifes ; où ils auront été d'un
pied, ils auront monté à mille foixante-quinze
toifes; & enfin, dans les lieux où chaque année il
aura pu s’en dépofer de deux pieds de hauteur,
ils auront monté à près d’ une lieue d’élévation.
Quelle hauteur ne trouveroit-on pas encore fi
l’on confidéroit ces dépôts où ils ont pu augmenter
davantage, & fi on faifoit entrer dans cette fup-
putationdes dépôts qui viennent de caufés réglées
& ordinaires, les amas extraordinaires & prodigieux
que les années ou les fiècles, des inondations
fréquentes , des déluges 8c des terres auront dû
produire, quand ils auront détruit & entraîné tout
ce qui manque aujourd’hui fur nos continens ?
Joignons encore à ces dépôts l’amas immenfe des
productions de la mer, coquilles, végétations,
minéraux , criflaux , matières prefqu’indeftru&i-
bles, qui feules ont dû fuffire, dans la plus grande
partie des mers, pour conftruire des malles de continens
entiers.
Jugeant,par cet examen, quelle doit être la hauteur
de ces dépôts dans le rond des mers préfente
s , l'on n'aura plus lieu d'être étonné de voir
dans nos continens, puisqu’ils ont été les lits des
mers anciennes, les fommets les plus élevés n'être
conftruits que de bancs pofés les uns fur les autres
; d'y voir des productions terreftres invefties
des dépôts de la mer, & de trouver la même
conftruCtion dans le fond des carrières les plus
profondes, en exceptant cependant les mines les
Géographie-Phyfïque. Tome ///.
plus étendues, qui ne font pas par couches. Maintenant,
connoiflant les caufes de ce qui s’opère
dans nos mérs, & confidérant que leurs effets font
en tout femblables à tout ce que nous voyons dans
nos montagnes & dans nos fouilles, il n’y a point
de phénomènes dont nous n’ayions l’explication la
plus nette & la plus précife. Il n'y a donc plus de
doute que ces effets femblables n’ajent été produits
par les mêmes caufes, c’eft à-dire que nos
continens n'aient été conftruits lits par lits , bancs
par bancs, au moyen du tribut des vafes 8c des
limons que les fleuves 8c les rivières des anciens
continens portoient continuellement dans les baf-
fins où ces matériaux fe raflembloient, 8c que ces
lits aient été conftruits en même tems par un
travail périodique infiniment long, & où entroit la
génération fucçeflive des corps marins. Ces continens
& ces mers ont dû fubfifter, ainfi que les
nôtres, plufieursmilliers d’années.
Tous les fofliles trouvés dans les lits des anciennes
mers nous apprennent aufli que les continens
étoient couverts des mêmes productions, de
la végétation des mêmes arbres, des mêmes plantes,
de la même verdure que les nôtres. Les productions
animales que nous y trouvons aufli, nous
inftruifentde même que fur ces continens vivoient
des animaux que nous connoiflons, depuis le plus
grand des quadrupèdes jufqu'au plus petit des infectes
; que Jes mers nourrifloient & contenoient
les mêmes poiflons, les mêmes coquillages & les
> mêmes productions qu’elles nourriflènt 8c contiennent
encore aujourd’hui dans d'autres baflins; & enfin,
que la nature, toujours la même,végétoit alors, 8c fleurifioit comme elle végète & fleurit maintenant
, mais en d'autres lieux 8c fous d'autres afpeCis.
Ces changemens de terres en mers , & de mers
enterres, fe préfentent avec tant de vraifemblance 8c avec des preuves fiauthentiques, que, quoiqu’on
ne puifle point expliquer d’une manière décifive
comment un fait fi extraordinaire a pu arriver,
il faut néanmoins reconnoître qu’il eft arrivé. Ce
n'eft point ici la place de donner des conjectures.
Je ne m'écarte point des faits & des événemens
réels ; cependant je fuis très-porté à croire que ce
changement ne s*eft point fait peu à peu, comme
quelques-uns l’ont penfé. Les lits de nos continens
ont été à la vérité conftruits fous les eaux peu à
peu; mais la caufe qui les en a fait fortir, n'a pu
être vraifemblablement qu’une caufe violence &
fubite, telle qu'un défaut d'équilibre & un mou-
mement général de toutes les parties de la voûte
terreftre, que je foupçonne, avec l'auteur de la
Nouvelle Mappemonde dédiée aux progrès de nos
connoiflances, être d'une grande fouplefle & élaf-
ticité. Au refte, quoiqu’on ne puifle nettement
concevoir la caufe de cette révolution , & que l'on
n'ait aucune inftruCtion fur cette matière de la part
de nos Anciens, il fuffit, pour un hiftorien, d’avoir
prouvé que ces faits font arrivés. Les monumens
innombrables que la nature en a répandus par tout
O o o