
En réitérant 1’expérience, M. Deflandes trouva
que le courant fupérieur étoit d'autant plus profond,
que le fond avoit plus de hauteur. Sur cinquante
braffes de profondeur il avoit douze à quinze
braffes, au lieu que fur huit braffes il n'y en avoit
que trois occupées parle courant fupérieur.
M. Deflandes penfe que les Vents font pour
beaucoup dans les caufes générales de ces effets,
ainfi que les fleuves qui fe déchargent dans la mer
lé long de cette c ô te , & qui charient une grande
quantité de terre dans le golfe de Guinée ; & enfin
que le fond de cette partie oblige, par fa pente, la
marée de rétrogader lorfqiie l'eau, étant parvenue
à'un certain niveau, fe trouve prefiee par la quantité
nouvelle qui la charge fans celle, pendant que
les vents agiffent en fens contraire à la furface,
la contraint de conferver fon cours ordinaire.
Il paioît donc que la feule prefiicn de l'eau parvenue
à fon niveau, jointe à l'inelinâifon du fond,
eft la feule 8c unique caufe qui produit ce phénomène
} car ces courans n’orit lieu qu'à raifon
d^ la pente plus ou moins rapide du rivage & il
y a grande apparence qu'ils ne fe font fentir qu'à
douze ou quinze lieues au large, qui eft l'éloignement
le plus grand ie long de la côte d'Angoie, ou
l’on puilfe fe promettre d'avoir fond.
11 s'appuie fur le refultat d'une de fes expériences
pour croire que les courans dU large n'éprouvent
pas de pareils changelnens.
Lcrrfqu'il fondoit par une hauteur de fond
mpyenne, telle que trente-cinq braffes d’eau, il
trouvoit le courant dirigé dans le nord-nord-ouett
jufqu’à la hauteur de cinq à fix braffes. En defeen-
dant davantage, comme de deux à trois braffes,
lai diredtion étoit à l'oueft-nord-oueft ; enfuite trois
trois ou quatre braffes de profondeur de plus don-
noienc un courant à l'oueft-fud-oueft, puis au fud-
oueft & même âu fud, & enfin à vingt-cinq &
vingt fix braffes on avoit une diredtion au fud-fud-
e ft, & jufqu'au fond au fud-eft & à l'eft-ftid-eft.
M. Deflandes tire de ces faits plufieurs confé-
quences. Il compare l'Océan, entre l'Afrique &
l'Amérique, à un grand fleuve dont le cours eft
prefque continuellement dirigé dans le nord-oueft,
& qui dans fon cours tranfporte un fable ou limon
qu'il dépofe fur fes bords, lefquels, fe trouvant
rèhauffés, augmentent le volume d'eau, e u , ce qui
eft ia même chofe, élèvent fon niveau & l'obligent
de rétrograder fuivant la pente du rivage.
Mais comme il y avoit un premier effort qui le di-
rigeoit d'abord, il ne retourne pas en fens contraire;
ainfi, obéiffant aux deux forces à-la-fois,
il doit néceffairement décrire une courbe plus ou
moins alongée, jufqu'à ce qu'il rencontre cé courant
du milieu avec lequel il peut fe réunir en par-'
tie ; ce qui lui fert de point d'appui pour fuivre la
diredtion contraire que lui impofe le fond ; 8c 3
comme il faut confidérer la maffs dé l'eau de la
mer dans un mouvement continuel, il faut que le
fond fubiffe les premiers changemenscommè étant
plus près & plus prefle, & il ira en fens contraire
du.courant fupérieùr , pendant qu’à des hauteurs
différentes il n'y fera pas encore parvenu.
Cesobfervations fontdécifives,& répondent parfaitement
aux autres que j’ai citées au commencement
de cet article ; & comme les mêmes circonf-
tances doivent fe rencontrer affez fouvent dans le
baflin de la mer, & particulièrement le long des
côtes, dans des golfes, dans des détroits, on doic
croire que les courans Amples fe changent affez fou-
vent en courans doubles, produifent alors des effets
très-variés tant fur les bords de la mer que fur
fon fond.
Courant de Bakama.
On doit faire remarquer la différence fingulière
qu'il y a entre la chaleur de ce courant 8c celle de
la mer qu'il traverfe. Dans le tri ois d'avril, à 35
degrés de latitude nord & à 7 6 de longitude à
l’oueft de Greenvich 8c un peu au nord de Charles-
T ow n , la chaleur du courant Ce trouva plus forte
au moins de 6 degrés, que celle de l'eau de h-mer
en dehors du courant. Eh jugeant de la largeur du
courant par cette chaleur, il paroît qu’elle eft de 20 degrés, 8c qu'il conferve, durant uneauffi grande
partie de fon cours > le point de chaleur qu’il avoit
dans la zone torride; ce qui prouve fon étonnante
rapidité. Les navigateurs qui ont occafion de tra-
verfer ce courant fingulier pourroient trouver de
grands avantages à fuivre toutes ces remarques afin
de bien connoître la marche & les autres cirConf-
tances de ce courant.
On fuppofe que le courant s'étend jufqu'aux bas-
fonds de Nantucket, qui font éloignés de mille
milles du golfe de la Floride.
’ Je viens maintenant à ce qui concerne l’ ufage
ue des écrivains hypothétiques ont prétendu faire
es courans de la mer pour creufer les vallées en
même tems que les matériaux des couches fe dif-
tribuoient régulièrement à droite 8c à gauche de
ces vallées, & formoient les mafltfs des collines.
C'eft furtout M. de Buffon qui a le plus fait
valoir ces agens. Nous le voyons à chaque inftanc
nous montrer les angles faiüans 8c rentrans comme
les formes que le ! courans foufmarins avoient imprimées
aux bords des vallées lorfqu'ilfront orga-
nife les dépôts dans le baflin de la mer.
J’ai difcutéces prétentions, & je n’infifterai pas
davantage fur les motifs qui m'ont déterminé à
combattre d’aufli' fauffes hypothèfes. ( f^oyei les
articles VALLÉES & ANGLES SAILLANS ET R£I*-
TRANS. )
Courans profonds ou fous-eourans.
.Ce font des epurans qui fe font fentir à une certaine
profondeur dans certains parages, & particuliérement
dans certains détroits. M. Halley croit
qu'il y a des fous-courans dans les dunes 8c dans le
détroit de Gibraltar; il appuie cette opinion fur
l'obfervation qu'il a faite de la haute mer entre le
nord & le fud de Foreland, 8c par laquelle il s'eft
affuré que le flux ou le reflux arrivoic dans cette
partie des dunes trois heures avant qu'il ait lieu
dans la pleine mer; ce qui prouve, félon lu i, que
tandis que le flux commence à la partie fupérieure,
le reflux dure encore à la partie inférieure, dont
les eaux font refferrées dans un lit plus étroit, &
réciproquement que le flux dure encore à la partie
inférieure quand le reflux commence à la partie
fupérieure : d’où il conclut qu'il y a dans ces détroits
deux courans, l'un inférieur & l'autre fupérieur.
C e favant obfervateur confirme fon fentiment
par une expérience faite dans la Baltique, & qui
lui a été communiquée par un habile marin, témoin
de cette expérience. Cet homme étant dans
une des frégates du R o i, elle fut tout d’un coup
portée au milieu d’un courant 8c pou (fée avec
beaucoup de violence : auftitôt on defeendit dans
la mer une corbeille où l’on mit un gros boulet de
canon ; la corbeille étant defeendue à une certaine
profondeur,’le mouvement de la frégate fut arrêté ;
mais quand elle fut defeendue plus bas, le vailfeau
fut porté contre le vent & dans une diredtion contraire
à celle du courant fupérieur, qui h'avoit qu'en-
viron quatre à cinq braffesde profondeur. M. Halley
ajoute, au rapport de ce marin, que plus on def-
cendoit la corbeille, plus on trouvoit que le courant
inférieur étoit fort. Par ce principe il eft aifé
d'expliquer, fuivant M. Halley , comment il fe
peut faire qii’au détroit de Gibraltar, donc la largeur
n’eft que d'environ vingt milles, il paffe continuellement
une fi grande quantité d'eau de la,
mer Atlantique dans la Méditerranée, par le moyen
des courans, fans cependant que l’eau s’élève con-
fidérablement fur la côte de Barbarie, ni qu’elle
inonde les terres, qui font fort bafîes le long de
cette côte. Il fuppofe qu*il/y a pour lors dans ce
détroit un courant inférieur, un fous-courant qui
vient de la Méditerranée & qui eft contraire au
courant fupérieur, & que par cette marche la Méditerranée
perd d’un côté ce qu’elle gagne de l'autre.
( Voye{ G i b r a l t a r 8c Ba l t i q u e : ce font
ces détails que j'ajoute ic i.)
Courans de Vembouchure du-détroit de Gibraltar.
Le cap Sparte! 8c celui de Trafalgar font connus
pour former l'embouchure du détroit de Gibraltar,
d'où il part un courant qui tient le milieu du canal,
dont la largeur eft d'environ cinq lieues, & parcourt
au moins deux milles par heure jufqu'à Cerna.
L à , les deux côtes s’éloignant d'environ dix-huit
. lieues.l'une de l’autre, la viteffe du courant n’eft pas
de plus d’un mille par heure, 8c continue ainfi juf-
qu’au cap de G a t, qui eft à foixante-dix lieues dans
la Méditerranée..Nos marins obfervcnt un courant
qui va de Ceuta yers l’Océanie long des côtes de
Barbarie, & un autre qui va’de Gibraltar le long
des côtes de l’Efpagne; mais celui de la' côre de
Barbarie eft ordinairement le u rw u te , non-r'eule-
ment parce qu'il eft moins dangereux, mais parce
que le courant eft plus rapide que de l’autre c ô té ,
& qu'ils font ainfi plus tôt; forcis des détroitsqui font
plus refferrés entre Gibralcar 8c Ceuta. C ’eft dans
ce lieu qu’unelangue de terre s'avance fur une longueur
confidérable dans la m e r , 8c je penfe, ainfi
que plufieurs autres perfonnes, que le courant qui
parcourt, comme je l’ai déjà dit, deux milles par
heure, rencontre dans cette avance de terre une
forte oppofition à fon cours, que l'eau eft refoulée
avec tant de force, qu'une partie retourne le long
de la même côte & fort ainfi du détroit ; ce qui eft
regardé, avec le petit refoulement qui part des
côtes d’Efpagne, comme fuffifant pour vider une
quantité confidérable des eaux qui entrent continuellement
par le détroit dans la Méditerranée. Ce
qui démontre cette affertion eft le fait fuivant :
M. de Laigle, capitaine du Phénix, deMarfeille,
donnant la chaffe, près de Ceuta, à un vailfeau
hollandais, lui envoya une bordée qui le coula à
fond entre Tariffa & Tanger : l’équipage fut fauve
par les foins de ce généreux capitaine., mais le vaiP
feau, coulé à fond avec fa cargaifon d'huile &
d'eau-de-vie, reparut quatre jours après fur les côtes
près de Tanger, qui eft au moins a quatre lieues à
l'oueft du lieu où il avoit été coulé, & directement
en remontant contre la force du courant. Il eft clair
que fi le courant inférieur n'eût pas exifté, comme
nous l’avons fuppofé, ce vailfeau auroir. écé.pouffé
vers Ceuta & au-delà. On a été confirmé de la
vérité de ce qu'on vient de d ire, par le capitaine
du vailfeau hollandais & par lés Efpagnols qui reconnurent
aufli le vailfeau.
A mefure que la mafle d’eau fournie entre par
l’Océan dans la Méditerranée, la vitelfe avec la-
qurlle elle eft pouflee , doit diminuer par la perte
de fon mouvement qu’ elle communique aux eaux
de cette mer , fur la furface de laquelle elle trouve
beaucoup de facilité à s’étendre , tant A caufe de
l ’elargilTement des côtes, qu»: de la grande diftance
qui eft entre le détroit de Gibraltar & la côte de
Syrie : d’ où il réfuite, i° . qu'elle emploiera un
tems confidérable à parcourir cette d ftance, qui
eft d’environ fix cents lieues de trois mille toifes,
.& que pendant ce tems il furviendra un nouveau
flax; i ° . que la force de cette mafle d’eau ne fe
confervera pas dans une même fituation, comme fi
elle couloit dans un canal dont les bords feroient
\ parallèles ; mais le défaut de parallélifme des côtes
i l’obligera à décliner de la fituation qu’elle avoit en 1 entrant dans la Méditerranée.
i confiant, par toutes les obfervations , que le
î long d-s côtes deTEfpagne, depuis le cap Sainte-
Marie jufqu’ au détroit de Gibraltar , & depuis
i ce détroit jufqu’au cap de Geer, le long des
T t t 2