le fommet d'aucune montagne,non-feulement ce
fommet fe trouve tronqué & abaiffé, mais il a encore
perdu beaucoup de cette hauteur par la com-
preflion & le defféchement de la malfe ; enfin par
tous les accidens que peut avoir occafionnés par la
fuite le défaut d'équilibre & de folidité.
Si Ton fuit ces effets dans le Jura que nous prenons
pour exemple, on y trouvera quantité de
bancs, tous differens d'épaiffeur & de qualité,
mais tous continués parallèlement entr'eux & pref-
que de niveau fur plufieurs lieues de longueur, à
quelques interruptions près dont on voitlacaufe ,
& au-delà defqiielles on les retrouve & on les re-
connoît pour être toujours les mêmes, jufqu'à ce
que de grandes lacunes en faffent perdre la fuite.
Qu’après cela Ton obferve cette variété infinie
de couches inclinées vers tous les afpeéts & fous
tous les angles poflibles, on verra clairement partout
que ce font des parties plus ou moins étendues
de la montagne, qui pour l'ordinaire fe font
affaiflées fur elles-mêmes, mais la plupart de côté,
faute de bafe ou d'appui ; ou bien lorfqu'elles fe
font déplacées, elles font defcendues d'une feule
pièce d'une hauteur confidérable, l'on voit
qu’elles ne font defcendues que pour remplir des
vides. On peut s'affurer encore à préfent, que le défaut
d’équilibre ayant été introduit dans un canton,
les premiers bancs culbutés ont été bientôt fui vis
par d'autres. C 'eft ainfi que fe font formés de grands
amphithéâtres, où quelques-unes des maffes mal
allurées pouffent encore au vide, pendant que d'autres
fe font enfin arrêtées où elles ont trouvé du
repos parl'oppofitiondes obftacles inébranlables.
Tout ce travail de la nature étant bien connu,
fe réduit en deux mots, à des deftru&ions ou en-
lévemens qu'attellent encore certains vides , certaines
vallées j à des arrachemens ou tranfports qui
ont prifr plus ou moins régulièrement la place des
parties enlevées. Ce font vifiblement les anciens
matériaux qui ont pris une fituation nouvelle &
accidentelle. Sur plufieurs de ces montagnes détachées
les unes des autres, on reconnoït fou vent
les débris d'un certain banc de pierre d'un grain
particulier j dont le gifement naturel ne fe voit
que mille ou douze cents pieds au deffus, où fe
dillinguent fur lesefcarpemens, non-feulement les
caffures, mais encore les vides exa&s que les blocs
ont laiffés en fe détachant.
Il faudroit nier les déplacemens des couches, at-
teftés par tant de monumens, pour ne pas voir1
qu'ils font la caufe des inclinaifons, des courbures,
des inflexions de toutes fortes qu’on voit à côté &
au milieu des maffes rompues, par l’extravafion des
lits d'argile molle qui fubfiftent encore au même
état fous les mêmes bancs de pierres qui n'ont
éprouvé aucune déformation.
On peut d’ ailleurs fe convaincre, à mefure qu'on
avance dans cette étude, que c'eft aux vallées primitives
qu'on doit attribuer les déplacemens des
couches 5 que ces déplacemens font proportionnels
à la largeur, à la profondeur de ces vallées. Ainfi
les gorges'peu profondes font reftées en partie
comblées parles premiers éboulis qui préfentent,
par cette raifon, un gifement bien peu compliqué.
Dans ce cas, on voit le plus fouvent les bancs cou-
chés fur une-pente réglée, parallèle à celle du coteau.
où l'on ne voit aucune rupture. La rupture
apparente s’eft jointe quelquefois à l'inclinaifon,
& alors il n'y a qu'une féparation fans défordre
plus confidérable.
A cette confidération des parties de plufieurs
fommets, déplacées & déformées en conféquenee
de l’approfondiffement des vallées & des gorges,
on peut joindre celle des lommités qui les partagent
& que je nomme arêtes ; & dès-lors on em*
brade tout ce qui peut jeter du jour fur cette quef-
tion importante. Si ces fommités, tout élevées
qu’elles font, ont confervé une certaine largeur
plane en tout fens, & fuffifante pour garantir leur
fiabilité malgré le taffement & la defliccation primitive,
leurs couches intérieures font fenfiblement
de niveau comme celles de leur fuperficie. L’on
peut en dire autant des autres montagnes ifolées
voifines, & même des plus élevées, fi leur fommet
eft rond & régulier, fi leurs talus font en pente
ou préfentent des efcarpemens égaux & affez uniformes
de toutes parts pour y annoncer l’équilibre
de la première formation; mais fi ces fommets
n'offrent que des arêtes plus ou moins aiguës, des
efpèces de demi-combles, que les croupes foient
irrégulières & inégales quant aux pentes, ces indices
m'ont toujours annoncé des déplacemens,
des déformations plus ou moins confidérables. Je
pourrois entrer dans un certain détail à ce fuje t,
mais je me bornerai à quelques réfultats de mes
observations les plus décififs.
L'inclinaifon des couches eft prefque toujours
plus grande fur l'un des flancs dont la pente eft
plus rapide, que fur l'autre. Dans certaines maffes
de montagnes, l’inclinaifon va croiffant de la fur-
face jufqu'au noyau, ouïes couches montrent leur
tranche & font même verticales.
. En fuivant ces croupes inégales & irrégulières,
on trouve fouvent vers les parties inférieures des
couches qui recouvrent en très-grand nombre les
bancs du centre par forme d’efcaliers (Impies, doubles
& triples i ce qui prouve que, dans le tems où
ces mêmes bancs fe prolongeoient julqu'aux fommités,
les arêtes des fommités avoient plus de
cent cinquante à deux cents pieds d'élévation au
deffus de leur niveau aétuel, fi l'on compte les
affifes encore apparentes dont elles ont été vifiblement
dépouillées. L'autre croupe oppofée a fouvent
bien plus perdu, puifqu’elle eft réduite aux feules
couches -verticales quï V y trouvent dans la même
fituation où elles font tombées. Qu'on eftime d'après
cela là hauteur^des^oiwAw quir exiftoient au
j deffus de ces arêtës ; & ^quivrecouvroiérrt'primiti-
! vement l’affemblage des bancs lors de leur pétri-
' fication, on fera tenté de croire qu’aujourd'hui la
plus grande partie de ces montagnes de la moyenne
terre font autant au deffous de l'ancien fond de la
mer où elles ont été formées, qu'elles font elles-
mêmes au deffus des vallées qui en forment l'en-
çeinte.
En nombre d’endroits, les affemblagesde bancs
qui formoient les bords des vallées s'étant trouvés
affis fur une bafè molle & glifîante, & ayant reçu
un mouvement en avant, fe' font non - feulement
inclinés par l’effet de la comptefiion de la
bafe fur les bords, mais fe font portés tout d'une
feule pièce dans la vallée : c'eft de là que fe font
formés les demi-Combles. Le vide produit parle
déplacement de la première maffe rompue a oc-
cafionné un fémblable déplacement de la maffe
contiguë, parles mêmes caufes & de la même manière.
Il a fuccédé un demi-comble dans le même
fens & ainfi de fuite, jufqu'à ce qu’ un ,certain
défordre furvenu dans les déplacemens en ait arrêté
la fuite. On fent bien qu'il y a plufieurs cir-
conftances où ce travail n'eft pas , à beaucoup
près, complet, & où il s'achève par des progrès
infenfibles : on conçoit aufli que, dans tous ces
mouvemens, la chute & l’inclinaifon des gros maf-
fifs de bancs détaches a pu fe faire en fens contraire
par l'écoulement rapide de l’argile molle , !
& pour lors la furface inclinée de ces bancs, réu- ;
nie à celle des premiers maflifs inclinés vers la
vallée, a formé des toits à deux croupes. On t,
conçoit encore que l’un des deux maflifs, déplacés :
fucceffivement, peut être bien moins confidérable i
que lé fécond, & par conféquent préfenter un glacis
, un demi-comble moindre que le fécond. Il
a pu fe faire aufli que le défaut d’équilibre dans
unesplus grande maffe l'élève aufli davantage, &
dès-lors les deux maffes fe rencontrant ont pu former
ces lambda qu’on voit affez fréquemment
dans les Alpes & même dans les Pyrénées.
Une fois qu'on a bien conçu ces divers accidens,
il n’y a qu'un pas à..faire pour expliquer la
formation des arêtes fi étendues , fi communes à
la fuperficie des montagnes de la moyenne terre,
& furtout dans le Jura de la Franche-Comté, de
laBreffe, du Dauphiné & de la Provence. Il fufîit
de fuppofer deux vallées ou deux gorges affez voi*
fines l'une de l’autre, pour que l'on conçoive que
les couches fupérieures des deux côtés fe l’oient
arquées .vers les deux gorges, ou bien que l’une
des gorges étant plus large & p us profonde que
l ’autre, une des croupes ait été inclinée toute entière
pendant qu'une partie feulement de l'autre
croupe a été déplacée.:
Il n'y a pas loin des couches inclinées aux couches
verticales \ elles ne different que. par un degré
d'inclinaifoh plus où moins grand. J'ai même remarqué
dans plufieurs endroics^que lés couches qui
avoient commencé; à s’incliner pendant que; la
maffe qui lesportoir, avoit eu un mouvement général
en avant, s’étoient nonrfeulement inclinées
jufqu'à. prendre une pofition verticale , mais même
jufqu’à déverfer & furplomber en fens contraire ;
& ces effets paroiffent avoir eu lieu , furtout lorf-
qu’une autre maffe, fe déplaçant à la fuite de celle-
ci , lui. avoit fait perdre fon aplomb. On peut citer
furtout à ce fujet la maffe du rocher qui commande
la porte de France à Grenoble.
Je pourrois indiquer de même ces grands paquets,
ceslongues files de rochers^couches verticales qu'on
trouve affez communément au fommet de plufieurs
montagnes du Jura, foit en Franche-Comté, foie
en Dauphiné. Il eft vifible que, de ces affemblages
de lits , aucun n’ a pu.être primitivement dans la
fituation où ils font, car les opérations terreufes
démontrent que leur formation eft la fuite de dépôts
diftingués. par ces intervalles, & de dépôts
qui n’ont pu fe faire que dans le plan de l'horizon
; ce qui rend les déplacemens néeeffaires , &
ce que nous avons dit plus haut les rendant poflibles,
il ne refte plus aucune difficulté.
Il me femble que ces détails fuffifent, je ne dis
pas pour expliquer tontes lesdifpofitions les plus
b iz a r r e s h s plus extraordinaires que les bancs
des maflifs de la moyenne terre ont pu prendre ,
mais pour les croire poflibles, en fuppofant que
toutes les circonftances que nous avons indiquées ,
s’y foient rencontrées. Il me fuffit, & aux obfer-
vateursqui favent faire un choix dans les faits, que
tous les élémens de ces formes que je viens de
parcourir foient des affemblages de bancs primitivement
horizontaux, & dont les déplacemens '6c
les altérations n’ont pas détruit les premières erm-
preintes de leur formation , je veux dire les intervalles
terreux fervant à diftinguer àc'z féparer les
bancs.
_Tout ce qu'on a vu , tout ce qu'on nous a donné
comme un affemblage de feuilles d'artichaut eft la
fuire d'obfervations minutieufes où l’on a pris une
diftribution de differens matériaux par lames pour
| des couches. Il eft vifible que ces feuillets font placés
fur la tranche de leurs lames ; que , fe préfentanc
ainfi debout à l’aétion de l'eau & del'humidité , ils
aient pris la forme d’obélifques feuilletés, où l'on
voit les parties les plus tendres évidées , & celles
qui font plus dures en relief de feuilles d’artichaur,
difpofition qui dément tout arrangement, tel que
certains obfervateurs", trompés par les apparences
extérieures , ont cru devoir admettre comme une
i forme primitive de la nature. La firuation verticale
des lames, leur expofition ifolée à l'aétion
des pluies, de la gelée & des nuages , ont fuffi pour
donner à ces efpèces de pics la forme pyramidale
& l'apparence trompeufe de feuilles d'artichaut.
La marche (impie de la nature eft bien éloignée de
ces prétendus- fecrets que des obfervateurs minutieux
nous ont annoncés comme des mervei.les
inconnues jufqu’ alors. C'eft pour compléter ces
prétentions, qu’ ils ont eu recours à la criftallifa-
tion, en avouant un peu que ces moyens font étran-
gesi Ges petites reffources font des preuves en
favëur de l'horizontalité primitive des couches. Ils