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 1694.  
 N O U V E A U X  v o y a g e s  AUX  ISLES  
 TM  
 qui  rament.  Qn  part  du For t  S.Pierre  
 trois  ou quatre heures  avant  le jour  pour  
 arriver  au  Fort  Royal  fur  les  fept  heures  
 du  matin,  6c on en part  fur  les  quatre  
 heures  du  foir  pour arriver  au Fort S..  
 Pierre  fur  les  fept  heures,  ou  un  peu  
 plus  tard  quand  le  vent  eft  eontraire  ,  
 ou  que  le  calme  oblige  lesNegresde  ramer. 
   
 Je  partis  le  Mardi  fur  les  deux  heures  
 après  minuit.  Nous étions  cinq  perfonnes  
 dans  le  canot  avec  cinq  Negres  
 pour  nous  conduire.  Quand  on  a  un  
 ferviteur  avec  foi,,  foit  blanc  ou  negre,.  
 on  ne paye  rien- pour  lui.  Nous  eûmes  
 un  grain  violent  de  vent  &  de  pluye,  
 qui  nous  obligea  de-mettre  à  terre  dans  
 une  Ance  à  deux  lieuës  fous  le  vent  du  
 Fort  S..Pierre,  &  de  nous  retirer  fous  
 une  grande  voûte  naturelle,  que  nous  
 trouvâmes  dans  Une  falaifê ^  le  vent  
 ayant  emporté  la  toile  gaudronnée  de  
 nôtre  canot.  Nous  nous  rembarquâmesquand  
 le g,rain  fut pailé,  & après  un  peu  
 de  converiiicion  ,  nous  nous  endormîmes  
 les» uns  après  les  autres j  de  forte  
 que  je  ne  m'éveillai  que  quand  il  fallut  
 mettre  pied  à terre  au Fort Royal.  On.  
 compte  du  Fort  S. Pierre au Fort  Royal  
 neuf  grandes  lieuës  par  mer.  Il  étoit  
 environ  fix  heures  &  demie quand  nous  
 y  arrivâmes..  Je  fus faluer les  Reverends  
 Peres  Capucins,  &  dire  la  Meffe  chez  
 eux},  ils font Cyrez de la-Ville,  &  Cha^  
 jelainsduFort,,  &  ils  deiTervent  toutes  
 es  ParoiiTes  qui  font  depuis  le  Fort  
 Royal  jufques à une pointe  de l'Iile  vers  
 le  levant,  qu'on  appelle  la  pointe  des  
 falines-,  qui  fepare  leur jurifdiétionfpirituelle  
 de  la. nôtre.  Je  fus  enfuitevoir  
 Monfieur Houdin  qui'  avoir  pour  lorslà;  
 maifon  dans  cette Ville  il me  fit  prendre  
 lechocolat,  me  pria  devenir  dinner  
 chez  liai après  que  j'aurois  fait  ma  
 vifice  à  Moniîeur  le  Gönnte  de Blenac  :  
 ç:étoit  la  feule affaire qui m'avoit  enga-  160^  
 gé  à  ce  voyagé.  
 J'allai  à  la  Forterefie ,  oîi  je  trouvai  
 Monfieur  de  Gagni  qui  étoit  de  garde.  
 J e  le  priai  de  me  prefentcr  à  Monfieuf  
 le General  qui  me reçut  avec  beaucoup  
 de  bonté.  Après  qu'il eut  lu  fes  lettresque  
 je  lui  prefentai,.  il me  dit qu'il  fçavoit  
 déjà qui j'étois,.  ôcque fi je  vouÎois  
 demeurer au Fort Royal ,  ilm'ejnploye-i  
 roità  conduire  les  travaux,,  qu'i  étoic  
 perfuadé  que  je  corrigerois  les  fautes  
 qu'on  y faifoit, &qaej'empêchcrois  les  
 yoleries  qui  s'y  commettoient  chaque  
 jour.  Je  le remerciai  d'une oiFre  fi  avan- 
 .tageufe,  &  lui  dis  ^ l e  je  dépendois  de  
 mes Supérieurs,  qui feroient ravis de  lui  
 marquer  leurrefpe^  &  leur  obéïflanGe,.  
 en m'envoyant exécuter fes ordres,  quand  
 Poccafion  s'en pïefenteroit ^  mais que j e  
 ne  croyois  pas  qu'il  euft  befoin  de  moi  
 pour  le  prefent,  puifque fon  Ingénieur  
 qui  avoit  été  envoyé  par  le  Minillre^.  
 ayoit  tout  le  fçavoir &  toute  l'intégrité  
 necelTaire  pour  bien  s'acquitter  de  
 fon  devoir.  Nous  demeurâmesenfemble  
 près  de  deux  heures,  à  la  fin  il  fie  
 appeller Monfieur de Gagny,  & lui donna  
 ordre  de  me faire voir toute  laForte^  
 reiïe,  &  enfuite de  me  ramener  dîner,,  
 cequ'il  voulut que j e  lui  promiffe,  malgré  
 tout ce que j e lui  pûs  dire pour  m'en  
 excufèr.  
 :  Nous  trouvâmes  l'Ingénieur  qui  faifoit  
 travailler  à  un  grand  corps  de  logis, 
   faifant  face  à  k  mer,  dont  l'étage  
 dedeffbusqui étoit fous terre  étoit  deftiné  
 pour  les  Magasins  des  Vivres,  les  
 fours.  &  autres  befoins  j  celui  du  rez.  
 de  chauflee  étoit  deftiné  pour  le  logement  
 du General,  &  celui de deiTus,  devoit  
 fervir  de  fales  d'armes  &  de  logement  
 pour  les  0.fficiers  &  les  domeltiques  
 du General.  C'étoit  un  Gentilhom^  
 me de Languedoc,  appellé  Monfieur  de  
 Gailus,.  
 F R A N C O I S E S  D  
 Cailus,  très-habile  &  très-experimenté.  
 11  n'y  avoit  que  quelques  mois  qu'il  
 étoit  arrivé  aux liles.  Nous fîmes coniloiiTance  
 ,  &  nous  liâmes  depuis  une  
 amitié  qui  a  toujours  duré,  dont  il m'a  
 donné  des marques  en  une  infinité d'occafions. 
   
 Sion  avoit  fuivi  fon  confeil,  le  Fort  
 Royal  feroit  prefqu'imprenable  :  mais  
 les  plus  habiles  gens  &  les  plus  desintereflez, 
   ne  font  pas  ordinairement  les  
 mieux  écoutez  ni  leurs  avis  les  plus  fuivis. 
   
 Monfieur deGagny me  fit  faire le tour  
 de  la  Forterefie.  C^oiqu'elle  paroifie  
 quelque  chofe  quand  on  la  regarde  fans  
 entrer  dans  le  détail  de  fes  parties,  on  
 y  remarque  des  défauts  confiderables  ,  
 quand  on  la  confidere  un  peu  plus  attentivement. 
   On  prétend  que  c'eft  la  
 faute  d'un  nommé  Payen  ,  qui  étant  
 plûtôt  un  mediocre  Mafibn  qu'un  bon  
 Ingénieur,  n'avoitpas  laifle d'être  employé  
 aux  Ifles  en  cette  derniere  quaité. 
   Il  n'exécuta  point  le  defiein  que  
 Monfieur  Blondel  avoit  tracé  fur  le  
 lîeu  en  1 f o u s  pretexte  qu'il  feroit  
 d'une  trop  groflï  dépenfe,  8c  il  enfubilitua  
 un  autre  fi  i-empli  de  fautes,  que  
 p"our les corriger,  le R o i  a été obligé  d'y  
 employer de très-grandes  fommes,  &  il  
 en  a coûté aux habitans des travaux  infinis, 
   fans qu'avec tout  cela  on y ait  entièrement  
 remédié.  
 Cette Forterefl"c eft fituée fur une  hauteur  
 comme  line  prefqu'lfle  compofée  
 d'une  roche  tendre  ou  d'un  tuf  qui  fe  
 creufe aiiez  aifémentquandoneftuhpeu  
 au  delTousde  fafuperficie.  Ceterreineft  
 élevé  d'environ  quinze  à  dix-huit toifes  
 au  defllis de  la  fuperficie  de  la  mer  qui  
 l'environne  de  tous  côtez,  excepté  une  
 petite langue  de  terre  qui  la jointà  l'Ifle  
 qui  peut  avoir  dix-huit  à vingt toifes de  
 iai-ge.  -  \  
 Ë  L'AMERIQ^UE.  67  
 _  Quand  l'Admirai  de Hollande  Ruitcr  
 vint  attaquer  la  Martinique  en  1674  
 cette  motte  de  terre qu'on  appelloit  déjà  
 le F o r t Royal ,  n'avoit pour toute  fortification  
 qu'un  double  rang  de  paliflides  
 qui  fermoit  cette  petite  langue  de  
 terre  par  le  bas,  avec  uii  autre rang fur  
 la hauteur,  & deux batteries  à barbette,  
 une  fur la  pointe  pour deff^endre  l'entrée  
 du  port  qu'on  appelle  le Carenage,  Sc  
 l'autre  du  côté  de la rade.  Le terrein  où  
 eft  à  prefent  la  Ville  étoit  un  marais  
 plein  de  rofeaux.  Il  y  avoit  feulement  
 quelques  mauvaifes  cafes  ou  maifons  
 de  rofeaux  furie  bord  de  la  mer qui  fervoient  
 de  magasins  pour  ferrer  les marchandifes  
 quand lesvafteaux étoient  dans  
 le  Carenage  pendant  la  faifon des  ouragans. 
   
 Ces  magazins  étoient  remplis  de  vin  Hipirt  
 &  d'eau-de-vie, quand Ruiter  fit  deicen-  de / ardre  
 fes troupes  fous  la  conduite du  Comte  
 de  Stirumj  les  foldats  ne  trouvant  
 aucune refiftance à la defcente,  fe mirent  dois fià  
 piller  les  magazins,  où  trouvant  des  rent au.  
 liqueurs  qui  leur  étoient  fi  agréables,  ^^  
 ils en  bûrent de telle  maniéré  qu'ils  n'é-  iô^V^  
 toient  plus  en  état  de  fe tenir  fur  leurs  
 pieds  lors que le Commandant  les  voulut  
 mener  à  l'afTaut.  
 Par  bonheur  il  y  avoit  dans  le  Carenage  
 une  flute  de S. Malo de vingt  deux  
 pieces  de  canon,"  &  unvaiiTeau  du  Roi  
 de  quarante-quatre,  qui  étoit  commandé  
 par  Monfieur  le  Marquis  d'Amblimont  
 qui  a  fuccedé  à Monfieur  de  Blenac  
 au Gouvernement General des Ifles.  
 Ces  deux  vaifl'eaux  firent  un  fi  terrible  
 feu  de  leur  canon  chargé  à  cartouche  
 fur ces  yvrognes  qui  tomboient  à  chaque  
 pas  qu'ils  vouloient  faire  pour  aller  
 à  l'aflaut,  qu'ils  en  tuèrent  plus  de  
 neuf  cens.  ^ Le  feu  des  vaifieaux  ayant  
 été  fécondé, par  celui  que  faifoient  les  
 habitans  qiri défendoient  les  paliilades  ,  
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