„1
1«
'i
' . Il-
HÌ|1Ì|Ì 'iiliiir
< Jt i! 5f
'Vim
JSS ft
r lyo NOUVEAUX VOYAGES AUX ISLES
• il s'approcha d'eux tenant une corde à
la main, leur dit de ne rien craindre,
qu'il avoir fçû la réfolution qu'ils avoient
prife de retourner en leuf païs,
& qu'i vouloit les y accompagner ,
parce qu'il y avoit acheté une grande
habitation où il vouloit établir une fucrerie,
où ils feroient bien plus propres
que des Negres qui n'avoient pas
encore travaillé au fucre ; mais qu'il
les avertiiToit que n'ayant plus peur
qu'ils puflent s'enfuir, il les feroit travailler
jour & nuit fans leur donner ni
le Samedi ni le Dimanche ; que l'Econome
qu'il y avoit envoyé lui avoit
mandé qu'il avoit fait reprendre ceux
qui s'étoient pendus les premiers, cc
qu'en attendant fes ordres, ils les fai-
Ibit travailler les fers aux pieds. La
deiTus les charettes chargées ayant par
u , les Negres ne doutèrent plus de la
réfolution de leur maître, d'autant plus
qu'il les prellbit de fc pendre, feignant
qu'il n'attendoit que cela pour fe pendre
auffi & aller avec eux ; il avoit même
choifi fon arbre & attaché fa corde.
Les Negres commencèrent alors à parler
entr'eux, la mifere oii étoient leurs
compagnons les intimida auiE-bien
que la réfolution de leur maître j ils
vinrent fe jetter à fes pieds, lui promirent
de ne plus penfer à retourner
en leur païs, & le fupplierent de faire
revenir leurs camarades. Il fit le difficile
pendant quelque temps, mais enfin
fes domeftiques blancs & fes engagez
s'étant auffi mis à genoux pour lui
demander la même grâce, l'accommodement
fe fit, à condition que s'il s'en
trouvoit un feul qui fe pendît, tous les
autres feroient pendus le lendemain
pour aller travailler à la nouvelle fu-
Haniire crerie de Guinée.. Ils le lui promirent
ayec ferment. Ce ferment fe fait en prenant
un peu de terre q gres u'ils mettent fur
leur langue, après avoir levé les yeux 8c iCj,^
les mains au Ciel 6c frapé leur.poitrine.
Ils prétendent par cette ceremonie prier ¡/ifmi
Dieu de les réduire en pouffiere comme
la terre qu'ils ont fur la langue,
s'ils n'executent pas ce qu'ils promettent,
ou s'ils nedifent pas la vérité. Le
Major Crips revint chez lui avec fes Negres
fort content de k reuffite de fon ftratagéme.
Les Negres lui tinrent parole &
ne fe pendirent plus ; je ne fçai fi cette
avanture ne l'aura pas rendu plus modéré.
Un autre habitant de la même lile
fe fervit d'une autre invention avec un
auffi heureux fuccés. Ce fut de faire •f!"'}*
couper la tête & les mains à ceux de z*'
fes Negres qui s'étoient pendus, &de ndù
les enfermer dans une cage de fer qu'il/«]«,
fit fufpendre à un arbre qui étoit dans
fa cour : car l'opinion des Negres eft que
jquand ils font enterrez , ils viennent
la nuit prendre leurs corps & les emportent
avec eux -dans leur pays. Cet
labitant nommé Bouriau, leur difoit
qu'ils pou voient fe pendre tant qu'ils
poudroient, mais qu'il auroit lep aifir
de les rendre miferables pour toujours,
puifqu'ils fe trouveroient fans tête &
fans mains dans leur pays, & ainfi incapables
de voir, d'entendre, de parler,
de manger & de travailler : Les
Negres fe mocquoient de ces difcours
au commencement, 6c difoient que ceux
qui étoient morts fçauroient bien venir
la nuit reprendre leurs têtes & leurs
mains, mais quand ils virent que ces
têtes éc ces mains demeuroient toujours
au même endroit} ils fe perfuaderent
enfin que leur maître étoit plus puifl'ant
qu'ils n'avoient crû , 6c cefl'erent de fe
pendre pour ne pas s'expofer au malheur
où ils ne doutoient plus que leurs
compagnons ne furent tombez.
Ces reiïiedes font bizares, mais propor
F R A N C O I S E S DE L'AMERIQ.UE. I; Î
portionnez à.la portée de l'efprit des
Negres, fie à la prévention dont ils font
frapez.
Cette mélancolie noire qui porte les
Negres à m-anger de la terre, des cendres,
de la chaux & autres chofes de
cette nature j eft ordinaire aux Sauva-
1 ges} je dirai dans un autre endroit mes
'•l^^cn- conjeélures fur cela. Elle eft encore
, M(i£icr très-commune parmi nos Creoles, &
jur-mt fm- jout aux fil es qui ont du penchant
\cJu" Po"'" dernier Sacrement. Dans ceté-
''•mnint tat elles mangent mille ordures, J'e»
la ter-ni connu qui auroient mangé plus de
papier 6c de cire d'Efpagne qu'on n'en
auroit employé dans le Bureau d'un Secrétaire
d'Etat; d'autres mangent des
pipes, des charbons , de la toile, 6c
fur tout certains petits cailloux blancs
qu'on trouve dans les rivieres -, elles les
font cuire dans le feu comme les roches
à chaux, 6c les mangent comme la meilleure
chofe du monde, à peu près comme
les femmes Efpagnoles, niangent
ces vafes de terre rouge, legere 6c de
bonne odeur qu'on apporte du Mexique,
6c qu'on appelle, quoique improprement,
(le terre figillée. J'ai été quelquefois
ci)ligé de refufer les Sacremens
à de grandes filles qui avbient ce goût
dépravé, après que je m'étois farigué
inutilement les mois entiers à les perfuader
du tort qu'elles fe faifoient. C'ell
une chofe qui feit pitié que de les voir
dans cet état, elles déviennent jaunes,
livides, le tour des yeux tout noir, maigres,
chagrines, indolentes, infuportables
aux autres & à elles-mêmes -, elles
perdent abfolument l'appétit pour toute
forte de bonne nourriture ; & tombent
enfin dans une hidropifie incurable. Le
meilleur remede qu'on y peut apporter
dès qu'on s'en apperçoit, eft de les marier.
Je reçus le Dimanche matin vingt'
neuf Aouft une lettre de Monfieurl'Intendant
qui me prioit d'aller au cul-delac
Robert avec le P. Martelli 6c Mon- um efl
fieur Joyeux, Capitaine de Cavalerie, «"•^«y«
pour chercher un lieu commode pour
bâtir une Eglife 6c un Prefbytere , 6c muvdle
Jour placer lin Bourg dans ce quartier- Paroijji
à. Le Pere CabaiTon nôtre Supérieur
m'écrivit auffi fur lemêmefujet , 6c me loùert.
marqua de charger de fa part le Pere
Creton du foin de ma Paroiiîê pendant
que je ferois abfent. J'allai donc coucher
chez le Pere Martelli à la Trinité.
Nous en partîmes le lendemain une
heurCavant le jour. Nous laiifâmes nos
chevaux chez Monfieur Joyeux , dont
l'habitation eft à côté de la riviere des
Galions > il nous conduifit dans Con canot
au cul-de-fac Robert , où nous dîmes
la^ MeiTe dans une petite Chapelle
dédiée à fainte Rofe.
Le grand enfoncement ou baye qu'on Dejiripappelle
le cul-de-fac Robert, a près de
deux lieuës de profondeur; il eft formé
par deux pointes ou caps, dont celle bert-.
qui eft à l'Eft s'appelle la Pointe à la
Rofe, 6c celle de l'Oueft la pointe des
Galions. Sort ouverture eft couverte
pq ar un Met d'environ une lieuë de tour
i
ui appartient à nôtre Miffion, à qui
a été donné par les héritiers de feu"
Monfieur le General du Parquet, cydevant
Propriétaire de la Martinique ;
6c comme cet Iflet faifoit une partie des
referves dece Seigneur, on l'a toûjours
appellé l'Iilet de Monfieur. Il y a un
autre lilet un peu plus avancé en mer
que celui dont je viens de parler qui
couvre fa pointe orientale , ne laiffiint
entre eux qu'un canal, de maniere que
ces deux Ifles couvrent toute l'ouvertu-^
te du cul-de fac, briient l'impétuofité
de la mer, 6c rendent ce grand enfon--
cement un Port également feur 6c tranquille,
dans lequel on ne peut entrer'
que
• H»' ,