
 
        
         
		7  (Uj  
 •  !>ukyL  J.  '  •  !  '  
 tfujC.  
 Projet  
 d'une  
 Ville à.  
 la  riviere, 
   à  
 Gsyala  
 facilité  
 de  
 l'entrefrife. 
   
 n e  NOUVEAUX  VOY  
 Saint  Charles,  qui  féparoit  autrefois  la  
 portion  de  Monfieur  Houel  d'avec  celle  
 de  Meflieurs  de  Boilleret  Tes  neveux.  
 Nous  la  remontâmes  environ  deux  mille  
 cinq  cens  pas,  fondant  depuis  fon  embouchure  
 jufqu'à  la  hauteur  de  mille  
 toifes  ou  environ,  qu'elle  n'a  plus  allez  
 de  profondeur  pour  porter  un  vaifleau,  
 bien  que  les  barques,  chaloupes  &  canots  
 puiiTent  monter  beaucoup  plus  
 haut.  Cette  découverte  fuffifoit au  deffein  
 du  Gouverneur  Nous  vifitiimes  
 en  defcendant  le  terrein  des  deux  cotez  
 avec  aiTcz  de  peine,  lorfqu'il  s'agillbit  
 de  mettre  à  terre,  parce  que  les  deux  
 bords  font  couverts  de  mangles  qui  avaiKent  
 très-confiderablement  dans  la  
 riviere.  Son  embouchure  eil; large  d'environ  
 cent  cinquante  toifes ;  elle  a  dans  
 fon  milieu  huit  braiTes  d'eau}  elle  diminue  
 peu  à peu en  allant  vers  les  bords,  
 principalement  vers  le  côté  oriental,  
 dont  le terrein  eft  bas j  mais  le  côté  occidental  
 eft  une  terre  élevée  d'environ  
 quatre  toifes  au  delTus  de  h  furface  de  
 l'eau,  d'une  roche  aiTez  dure,  au  pied  
 de  laquelle  il  y  a  fept  à huit  pieds  d'eau  
 de  baiTe  marée,  &  plus  de  dix  quand  
 la  mer  eft  haute.  Nous  viiîtâmes  exactement  
 cet  endroit,  qui femble  être  fait  
 à  deflein  d'y  bâtir  une  Ville  j  car  c'eft  
 une  plate-forme  naturelle,  prefque  quarrée, 
   de  plus  de  trois  cens  toifes  de  longueur, 
   fur  une  largeur  à  peu  près  égai 
 e ,  qui  a  d'un  côté  la  grande  riviere  i  
 Goyaves,  &  de  l'autre  line  petite  riviere  
 d'une  eau  excellente.  On  pourroit  faire  
 un  foiTé  pour  faire  paifer  ce  qu'on  jujeroit  
 à propos  de  la  grande  riviere  dans  
 a  petite,  ifoler  ainfi  tout  le  terrein.  
 Les  deux  côcez  du  poligone  qui  regardent  
 la  mer  &  la  grande  riviere,  font  
 fortifiez  naturellement,  &  n'auroient  
 befoin  que  d'un  parapet avec  des  embrasures  
 pour  le  canon  qui  défendroit  la  
 A G E S  A U X  ISLES  
 rade  &  l'entrée  de  la  riviere.  Les  autres  
 côtez  pourroient  être  baftionnez  à  l'ordinaire  
 &  à peu  de frais, puifquela  pierre  
 de  taille,  le moi lon,  la  terre  pour  fiiire  
 la brique,  le  bois  pour  la  cuire,  le  fable,  
 la  chaux  &  l'eau  font  fur  le  lieu.  On  
 pourroit  fiiire  de  l'autre  côté  de  la  riviere  
 une  batterie  fermée  en  forme  de  redoute, 
   qui  battroit  à  fleur  d'eau&mettroit  
 en  feureté  les  vaifleaux qui  feroient  
 dans  la  riviere  ou  à  fon  embouchure,en  
 cas que  le Fort  de  l'Iflet  à Fanjou &  la redoute  
 du  petit  Iflet  euflent  été  forcez ;  
 ce  qui  ne feroit  pas  une  entreprife  facile  
 à  executer.  
 Entre  plufieurs  ndlitez  qui  revien-^„j.  
 droient  de  cet  écabliiTement,  qui  feroit'«pi  
 en  peu  de  tems  le  plus  confiderable  de  
 tous  ceux  que  les  Français  ont  à  l'Amerique, 
   on  peut  aiTurer  qu'il  feroit  la  
 ruine  des  Colonies  Angloifes  de  Monfarat, 
   Nevers,  Antigües  &  la  Barboude, 
   parce  que  nos  Corfaires  fe  tenant  
 derriere  le  Fort  de  l'Iilet  à  Fanjou,  feroient  
 en  état  quand  ils  le  jugeroient  à  
 propos,  de  courir  fur  tout  cequientreroit  
 ou  fortiroit  des  rades  de  ces  Jfles,  
 &  d  y  faire  des  defcentes  continuelles  
 jour  enlever  leurs  efclaves  &  piller  
 eurs  maifons ;  ayant  toujours  vent  largue  
 pour  aller  &  pour  revenir,  &  étant  
 feurs  de  trouver  un  bon  mouillage  &  
 une  reirait_c  aiTurée  derrière  le  Fort  de  
 l'illet.  
 J'achevai  le  Jeudi  matin  la  reconnoiflânce  
 de  toutes  les  pointes  &  des  
 lilets.  Je  fus  après  dîné  avec  ces  deux  
 Meffieurs  vifiter  les  cayes  &  les  hautsfonds  
 du  côté  de  l 'Ouëf t .  Nous  y  trouvâmes  
 deux  vailî'eaux  6c  une  barque  qui  
 s'y  étoient  perdus  en  allant  à  Antigües.  
 Comme  on  en  pouvoit  encore tirer  bien  
 des  chofes, Monfieur  Auger  ordonna  au  
 Sieur  Van  Defpigue  d'avertir  les  habitans  
 de  la  permiffion  qu'il  donnoit  à  
 tout  
 F R A N C O I S E S  DE  L'A  M E R I  Q^UE.  137  
 tout  le  monde  d'en  tirer  ce  qu'ils  pourroient. 
   Je  croi  bien  qu'ils  n'avoient  pas  
 attendu  cette  permiffion  pour  les  piller  
 dès  que  les  Anglois  fe  furent  lauveî;  
 avec  leurs  chaloupes  -,  mais  comme  les  
 Fermiers  du  Domaine  ne  s'endorment  
 pas  en  pareilles  occafions,  les  habitans  
 furent  ravis  de  ccice  permiffion  qui  les  
 mettoit  à  couvert  de  toutes  pourfuites. 
   
 Monfieur Houel  ayant  été  averti  que  
 fes  pêcheurs  avoient  pris  deux  Tortues,  
 dont  l'une  pefoitbien  trois  cens  livres,  
 &  l'autre  un  peu  moins,  propofa  de  ñi - 
 re  le  lendemain  un  boucan  de Tor tue  à  
 riilet  S.  Chriftophle,  qjii  éroit  à  peu  
 près  le  milieu  des  lieux  où  nous  devions  
 aller  travailler;  A4onfieur  Augeryconfentit, 
   &  cependant  on  donna  ordre  de  
 remettre  les folles  à  la  mer,  ÔC de  chercher  
 d'autre  poiflbn.  
 Le  Vendredi  matin  nous  allâmes  vifiter  
 les  cayes  de  l 'Eft,  fonder  les  paffes, 
   les  mefurer  6c  en  lever  les  plans.  
 Cet  ouvrage  fut  long-,  il étoit plus  d'une  
 heure  après  midi  quand  j'achevai.  
 Nous  arrivâmes  fur  les  deux  heures  à  
 riilet  Saint  Chriftophle  qui  eft  prefque  
 vis-à-vis  de  la  riviere  falée.  Monfieur  
 Houel  y  étoit  dès  le  matin,  6c  s'étoit  
 donné  la  peine  de  faire  préparer  une  cabane  
 de  branchages,  8c  le  boucan  dont  
 il  vouloir  régaler  le  Gouverneur.  
 Les pêcheurs avoient  encore  pris  deux  
 autres  Tortues,  avec  quantité  d'autres  
 poiiTons.  
 Voici  ce qu'on  appelle  un  boucan  de  
 Tortue,  8c comment  on  le  prépare.  
 Onavoitchoifi  la plus  groife des  quatre  
 Tortues qu'on  avoit  prifes, 8c fans  lui  
 couper  ni les pieds ni la  tête,  on  l'avoit  
 ouverte  par  un  côté  pour  en  tirer  tous  
 les  dedans.  On  avoit  levé  le  plaftron  
 d'une  autre,  8c après en  avoir ôté  toute  
 h  chair  6c  la  grailTe,  on  avoit  haché  
 IL  
 m- 
 <011  on  
 lit  m  
 incan  
 tout  cela  avec  ce  qu'on  avoit  tiré  de  la  
 jremiere,  des  jaunes  d'oeufs  durcis,  des  
 lerbes  fines,  des épiceries,  du jus  de  citron, 
   dufel  6c  force  piment,  ôc  on  avoit  
 mis  tout  ce  hachis  dans  le  corps  de  
 celle  qui  étoit  entiere  ,  enfuite  déquoi  
 l'ouverture  avoit  été  recoufuë  6c  couverte  
 d'un  morceau  de  terre  grafl'e.  
 Pendant  que  les  cuifiniers  étoient  occupez  
 à  ce  que  je  viens  de  dire,  on  
 avoit  fait  un  trou  dans  le  fable  de  quatre  
 à  cinq  pieds de profondeur,  6c de  fix  
 pieds  de  diametre.  On  avoit  rempli  ce  
 trou  de  bois,  que  l'on  y  avoit  laifie  
 confumer  jufqu'à  ce  qu'il  fut  en  charbon, 
   afin  de bien  échauffer toute  la  concavité  
 de ce  trou.  On  avoit enfuite  retiré  
 le  charbon,  6c la T o r t u e  avoit  été  couchée  
 fur  le dos dans le  fond  couverte  de  
 trois  ou  quatre  pouces  de  fable  chaud  
 des  environs,  6c  puis  du  charbon  que  
 l'on  avoit  retiré,  avec  un  peu  de  fable  
 par  deflus.  Ce  fut  ainfi  que  ce  pâté  naturel  
 demeura  dans  cette  efpecedefour,  
 l'efpace  d'environ  quatre  heures  ,  6c  
 qu'il  fe  cuifit  beaucoup mieux  qu'il  n'auroit  
 fait  dans  un  four  ordinaire.  Voila  
 ce  qu'on  appelle  un  Boucan  de  Tor - 
 tue.  
 Dès  qu'on  nous  vit  approcher  on  
 coinmença  à  déterrer  le  pâté.  J'y  fusalFez  
 à  tems  pour  le  voir  fortir  du  
 four.  Les  pieds  6c  la  tête  de  la  Tortue  
 fervirent  pour  pafièr  les  liannes-,  
 dont  on  fe  ièrvit  pour  le  faire  glilTer  
 fur  les  bords  qu'on  avoit  abbattus  en  
 talus.  Se  le  tirer  fur  une  civfere  faite  
 de  deux  gros  leviers  garnis  de  liannes  
 traverfées  j  fur  laquelle  quatre  puiffims  
 Nègres  le  portèrent  au  milieu  de  
 la  cabanne  011  il  devoit  être  mangé.  
 Je  ne  croi  pas  que  les  plus  grands  
 Monarques  de  l'ancien  6c  du  nouveau  
 monde  ayent  jamais  eu  fur  leur  table  
 un  pâté  d'environ  cinq  cens  livres  
 T  pc .  
 1Í96.  
 • f i  
 •i  f '  .  
 '  m.